Le Péché Originel
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des éléments de décor et de l’iconographie • Article
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La difficulté d’interprétation d’une image symbolique
Cette difficulté, nous l’avons rencontrée presque
constamment lors de nos visites d’églises. Que signifie
telle scène historiée présente sur un chapiteau ? La même
scène existe-t-elle ailleurs ? Avec les mêmes
caractéristiques ?
Et nous ne parlons ici que des scènes historiées, des scènes
avec des personnages. Mais qu’en est-il des scènes non
historiées, apparemment banales ? Parlons par exemple des
chapiteaux à décors de feuillages. Ces feuillages
constituent-ils un élément de décor ou revêtent-ils un sens
symbolique caché ? La conception et la fabrication du
chapiteau a-t-elle été laissée à la seule imagination du
sculpteur ou celui-ci a-t-il obéi à des directives précises
?
Une image dépourvue
d’ambiguïté : Adam et Ève
Nous avons rencontré cette image à de nombreuses reprises :
un homme et une femme nus cueillent le fruit d’un arbre. Et
bien sûr, nous l’avons identifiée rapidement : c’est une
scène représentant Adam et Ève au Paradis Terrestre.
L’histoire
d’Adam et Ève
Cette histoire est racontée dans le premier chapitre de la
Bible intitulé « la Genèse ». Même si cette histoire
est archiconnue, redisons la : le dernier jour de la
Création, Dieu crée nos premiers parents, Adam et Ève. Il
les installe dans un endroit merveilleux, le Paradis
Terrestre. La seule interdiction qu’il leur donne, c’est de
goûter au fruit de l’arbre de la Connaissance du Bien et du
Mal. On connaît la suite : Adam goûte du fruit et les deux
époux sont chassés du Paradis Terrestre.
Une histoire à rebondissements.
En effet, l’histoire d’Adam et d’Ève ne s’arrête pas là.
Selon l’exégèse biblique, ce péché d’Adam n’est pas
seulement le premier péché humain. En fait, il introduit
toute l’humanité dans le mal et le péché. C’est toute
l’humanité qui pâtit du péché d’Adam.
Et l’histoire continue encore. Par sa mort sur la croix,
Jésus rachète le péché d’Adam. Jésus Christ est le Nouvel
Adam.
Voilà donc l’histoire de cette scène représentée sur de
nombreux chapiteaux. Nous l’avons appelée communément « le
Péché Originel ». Il s’agit d’une scène facile à identifier,
dont le message que nous venons de décrire est connu. Mais
peut-on être certain que ce message était connu des
contemporains ? Que ce n’est pas un autre message qu’ils
comprenaient ?
Examinons tout d’abord l'image
1 d’une cuve de sarcophage déposée dans le musée
lapidaire Lamourguier de Narbonne. Sur la face principale de
cette cuve, dont la fabrication est datable du IVesiècle
de notre ère, on identifie quatre rectangles. Soit de droite
à gauche :
• Un rectangle lui-même divisé en quatre rectangles, avec
au-dessus deux représentations de palmiers et, au dessous,
deux représentations de rameaux de lierre. En elles-mêmes
ces représentations posent question. D’une façon générale,
les représentations de palmiers, rameaux de lierre, pampres
de vigne, etc. sont interprétées comme étant des « arbres de
vie ». Ce qui, concernant des décors funéraires, semble être
tout-à-fait logique. Mais alors pourquoi deux
représentations différentes (palmier et lierre) sur un même
sarcophage ? Une suggestion : le sarcophage a pu être
fabriqué à destination d’une famille « œcuménique ». Une
famille christianisée, mais dont le père et la mère auraient
appartenu à des milieux culturels différents, l’arbre de vie
étant le palmier pour le père et le lierre pour la mère.
• Une sorte de cartouche funéraire destiné à porter le nom
des défunts.
• Une rosace ou une croix entrelacée inscrite dans un carré.
Il est possible que cette figure soit un symbole chrétien
caché. On retrouve en particulier le symbole X du chrisme
(mais pas le P, deuxième élément du monogramme du Christ.
• Et enfin la scène du Péché Originel (image
2). Bien qu’elle soit très dégradée, elle est
parfaitement identifiable. Et on se pose tout de suite la
question : comment se fait-il que cette scène censée
représenter le très grave Péché de nos premiers parents se
retrouve sur un sarcophage ? Nous pensons qu’en fait cette
scène ne symbolise qu’une partie de l’histoire : la partie
concernant le Paradis Terrestre. Elle symboliserait l’idée
suivante : tout comme nos premiers parents ont connu le
Paradis Terrestre, les époux enfermés dans ce tombeau auront
l’occasion d’accéder à un autre Paradis : le Paradis
Céleste.
Par son aspect très primitif, le
chapiteau des images 3 et
4 donne une impression de plus grande ancienneté.
On reconnaît Ève qui cache sa nudité et tend le fruit
défendu au serpent (ou prend le fruit qui est dans la gueule
du serpent) (image 3).
Et Adam à gauche, qui lui aussi cache sa nudité et se tient
la gorge : le fruit a du mal à passer (image
4). Il n’y a là rien qui semble en rapport avec
le Péché Originel ; c’est une histoire qui nous est racontée
à des fins probablement édifiantes. Peut-être misogynes, car
c’est la femme qui est rendue responsable de la faute : elle
tend le fruit au serpent alors que, dans la Bible, c’est le
serpent qui est tentateur.
On retrouve la même idée (la femme prenant le fruit dans la
gueule du serpent) sur les chapiteaux des images
5 et 9.
Un seul personnage sur le chapiteau de l'image
8. C’est probablement Ève représentée vêtue d’une
robe. Mais le serpent est bien là. Il est possible que Adam
soit présent sur une autre face du chapiteau. Seul
personnage également sur la fresque de l'image
7 : Ève et l’arbre de la Connaissance du Bien et du
Mal.
Les images
10 et 11 permettent d’appréhender d’autres
facettes de cette histoire du Péché Originel.
Le tympan de l'image 10 est
dédié à Sainte Marie-Madeleine. On peut voir à gauche la
scène du Péché Originel, et à droite Sainte Marie-Madeleine
agenouillée aux pieds du Christ et lui lavant les pieds. Les
deux scènes sont conçues comme en opposition : Alors que Ève
trompe son mari Adam en lui faisant goûter du fruit défendu,
Marie-Madeleine est pleine d’humilité aux pieds du Christ.
Marie-Madeleine est conçue comme étant la nouvelle Ève.
On retrouve la même opposition sur le tympan de l'image
11. Mais
cette fois-ci, la nouvelle Ève n’est autre que la Vierge
Marie trônant avec l’Enfant Jésus dans la scène de
l’Adoration des Mages (à gauche). La scène du Péché Originel
est située à droite. Alors que, à gauche, les puissants sont
satisfaits d’apporter des cadeaux à l’Enfant Jésus, ils se
montrent à droite affligés par la situation de malheur que
vit le monde.
Lorsque nous avons rédigé cette page, nous pensions avoir
engrangé un grand nombre d’images de scènes du « Péché
Originel ». Nous pensons à présent qu’il y en a beaucoup
plus. Mais bon nombre d’entre elles n’ont pas été
enregistrées par nos soins, car elles ont été estimées
postérieures à l’an mille.
Consulter la carte ci-dessous.
Carte interactive des monuments de France comportant un
décor de « Péché Originel »


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