L’abbaye Saint-Martin d’Ainay à Lyon
Nous n’avons pas eu l’occasion de
visiter cette abbaye. Les images sont extraites d’Internet.
La page Internet du site Wikipedia consacrée à cette église
nous apprend ceci : « Les
moines de l'abbaye d'Ainay prétendaient sur la base d'un
écrit de Grégoire de Tours que la basilique avait été
fondée au Vesiècle, à l'emplacement de la
découverte des restes des martyrs de Lyon, et présentaient
à la vénération un sac de cendres et une pierre sur
laquelle Pothin aurait posé sa tête. Cette origine est
considérée avec scepticisme par les travaux historiques
récents, compte tenu de l'imprécision du texte de
Grégoire, de la difficulté pour situer précisément le lieu
qu'il nomme Ad Athanacum et de l'alternative d'une autre
tradition qui situe l'invention des restes des martyrs à
Saint-Nizier ...
Une autre légende dit que l'abbaye a été fondée par un
ermite nommé Badulphe et dédiée alors à Saint Martin de
Tours…
Un prieuré bénédictin est fondé sur la presqu’île
lyonnaise en 859, à l'époque de l’archevêque Aurélien …
L'établissement est élevé au rang d'abbaye, des grands
travaux débutent : construite à la fin du XIesiècle
suivant la volonté du père abbé Gaucerand, l'église
abbatiale est dédiée le 29 janvier 1107, et sous le
vocable de Saint-Martin par le pape Pascal II (1099-1118).
Cette église est l'une des rares églises romanes
conservées à Lyon. Ce même jour, un autel est consacré à
la Conception de Notre Dame …
Des mosaïques médiévales découvertes dans la chapelle
Sainte-Blandine au cours des travaux de 1844-1845 ne
suscitent aucun intérêt et sont détruites. Une autre
mosaïque est mise au jour en 1851 près de l'autel
principal. Elle représente un ecclésiastique montrant une
maquette de l'église (image
12). C'est la seule mosaïque médiévale
découverte à Lyon au XIXe siècle qui est
partiellement restaurée, une première fois entre 1852 et
1855, puis une seconde fois en 1934.
Tous les styles architecturaux se retrouvent dans la
basilique d'Ainay : préroman dans la chapelle
Sainte-Blandine, roman pour toute sa structure principale,
la chapelle Saint-Michel est gothique, l'ensemble a été
restauré et agrandi au XIXe siècle par des adjonctions
néo-romanes.
La chapelle Saint-Michel, de style gothique flamboyant, a
été reconstruite un peu avant 1485 sur l'emplacement de la
chapelle romaine de la Conception Notre-Dame...».
Nous retrouvons dans ces explications le
même état d’esprit que nous avons rencontré en de multiples
occasions. Et que nous n’avons pas cessé de critiquer. Un
état d’esprit qui se résume en quelques mots : « Les
bâtiments que vous rencontrez datent du XIIesiècle
parce qu’il n’est pas possible qu’ils datent autrement que
du
XIIesiècle ». La méthode consiste à nier tout
ce qui serait possible de mettre en défaut cette théorie. Il
en est ainsi en ce qui concerne les écrits de Grégoire de
Tours :
« Cette origine est considérée avec scepticisme par les
travaux historiques récents… compte tenu… de la difficulté
qu’ils ont à situer avec précision le lieu qu’il (Grégoire
de Tours) nomme Ad Athanacum… ». Les historiens concernés
semblent totalement dépourvus d’imagination. Ils semblent
ignorer que les noms de lieux sont déformés au cours du
temps, que Baeterra peut devenir Béziers et que Athanacum
peut devenir Athné puis Ané puis Ainay.
Une autre erreur souvent rencontrée concerne les dédicaces
d‘églises. De nombreux auteurs ayant pris connaissance d’un
acte de dédicace d’une église datent cette église en
fonction de cette dédicace. Mais la dédicace d’une église
n’est pas une « pendaison de crémaillère ». C’est à dire une
cérémonie de fin des travaux. Une dédicace d’église peut
être effectuée pour diverses raisons : fin des travaux bien
sûr, mais aussi réhabilitation d’une église profanée, ou
visite d’un pape, ou encore consécration d’un autel ou d’une
chapelle à l’intérieur de l’église. Nous avons ainsi eu
l’occasion de visiter une église (Veruela en Navarre) qui a
été consacrée quatre ou cinq fois en moins d’un siècle. Et,
bien sûr, les textes relatifs à des églises étant
pratiquement inexistants avant l’an 900 - et, lorsque de
tels textes existent, ils sont, comme c’est le cas ici,
remis en question - il est pratiquement impossible de
trouver la date de construction d’une église susceptible
d’être antérieure à l’an 900. En conséquence, seule l’étude
architecturale, parfois associée à l’étude iconographique,
est susceptible d’apporter des réponses.
Et c’est le cas ici.
Contrairement à ce qui est écrit dans le texte issu
d’Internet copié ci-dessus, les édifices pourraient être
bien antérieurs aux périodes indiquées, le XIesiècle
pour la basilique Saint-Martin, la période « préromane »
pour la chapelle Sainte-Blandine. En fait, concernant le «
préroman », les auteurs ne s’engagent pas trop. Selon le
dictionnaire Petit Larousse la période romane correspondrait
aux XIeet XIIesiècles. En
conséquence, le « préroman » correspondrait a priori à toute
la période antérieure à la période romane jusqu’à la période
considérée par les historiens, comme romaine. Ce qui
correspondrait à la période (400-1000). Mais les historiens
de l’art ont une autre compréhension. Pour certains, on ne
doit pas parler d’art « préroman », étant donné qu’il
n’existe pas d’art « prégothique ». Pour d’autres, la
période préromane correspondrait à l’intervalle temporel
(950-1050). Jusqu’à présent, nous n’avons pas entendu
qualifier de « préromane », une période antérieure à l’an
900. On la qualifie plutôt de « carolingienne », «
mérovingienne », « barbare ». Si donc on suit ce
raisonnement, la chapelle Sainte-Blandine serait, selon les
auteurs du texte de Wikipedia, du Xesiècle.
Nous allons donc développer nos arguments. Il faut tout
d’abord examiner le plan de l'image
9, plan qui serait daté de l’an 1550. Les bâtiments
consacrés au culte sont en traits noirs. On voit au centre
la basilique Saint-Martin et, détachée en haut à gauche, la
chapelle Saint-Pierre. Un peu plus bas, jouxtant le cloître
et la basilique, on devine deux chapelles accolées :
Notre-Dame des Anges (?) et Saint-Michel qui auraient
remplacé une chapelle dédiée à la Conception de la Vierge
Marie. En haut à droite de la basilique Saint-Martin, et
accolée à celle-ci, est installée la chapelle
Sainte-Blandine. Enfin, au dessous de la chapelle
Sainte-Blandine, il est mentionné une « chapelle adossée à
l’église » . Remarquons au passage que le baptistère (image 11) du plan de
l'image 3 est
situé à l’emplacement de l’angle Sud-0uest du cloître du
plan de 1550. Ce baptistère est donc très probablement une
construction intégrale du XIXesiècle (avec
remploi d’un tympan roman).
Le moins que l’on puisse dire est que toutes ces chapelles
orientées vers l’Est sont disposées dans un ordre dispersé
et de dimensions différentes. Il n’y a là rien de comparable
avec les chapelles des cathédrales gothiques, toutes
identiques et rangées régulièrement.
Cet ordonnancement des églises de l’abbaye de Saint-Martin
d’Ainay nous fait immédiatement penser à celui du « groupe
cathédral ».
Qu’est-ce qu’un « groupe cathédral » ? Un groupe cathédral
est un groupe d’églises situées à l’intérieur d’un enclos
cathédral. Il faut savoir que les cathédrales primitives
n’étaient pas analogues aux grandes cathédrales construites
au XIIIesiècle. C’étaient des édifices de
dimensions relativement modestes associées à d’autres
églises, situées à proximité immédiate dans un enclos
cathédral. L’église cathédrale était, parmi ces églises,
celle où l’évêque avait sa chaise, ou sa cathèdre, ou son
siège. Cette église n’était pas forcément la plus grande de
toutes. D’autres, comme l’église du saint patron, pouvaient
être plus grandes qu’elle. Nous pensons que les premières
cathédrales devaient être consacrées à la Vierge Marie. Mais
plus tard, l’évêque a pu déplacer son siège dans une église
plus prestigieuse. Nous connaissons quelques exemples de «
groupe cathédral », à Oviedo dans les Asturies, à Terrassa
en Catalogne, à Béziers dans l’Hérault. Mais, en cherchant
un tant soit peu, on en trouverait sans doute beaucoup
d’autres.
Nus pensons que le système du « groupe cathédral » a été
institué durant l’antiquité tardive. Il semblerait que les
premières communautés chrétiennes se soient rassemblées à
l’intérieur d’appartements ou de domaines privés. Il
semblerait aussi que ces communautés aient désigné leurs
représentants, les évêques. Chaque communauté ayant son
évêque et son église, il pouvait y avoir des communautés et
des évêques orthodoxes mais aussi des communautés et des
évêques de diverses obédiences hérétiques (ariens,
donatistes, etc.). Mais encore de divers peuples installés
dans la même ville (romains, goths, gaulois, etc.). Petit à
petit, il est apparu nécessaire d’harmoniser tout cela et
d’avoir un seul évêque par ville et un endroit qui
rassemblerait toutes les communautés disparates. D’abord
sous la forme d’un enclos cathédral rassemblant les églises
diverses, puis à l’intérieur même d’une seule église, la
cathédrale. Bien sûr, ce ne sont là que des hypothèses, mais
ces hypothèses sont induites par l’existence de ces groupes
cathédraux, les textes sur les premières communautés
chrétiennes révélateurs de divisions, et surtout le simple
bon sens.
Mais, au delà de ce qui vient d’être dit sur les groupes
cathédraux, ce qui nous paraît surtout remarquable à
Saint-Martin d’Ainay est l’architecture de la basilique
Saint-Martin et de la chapelle Sainte-Blandine.
Il faut bien comprendre que ces deux édifices ne peuvent
être considérés comme romans.
Commençons par la basilique Saint-Martin. Sa nef est à trois
vaisseaux. Le vaisseau central est porté par des colonnes
cylindriques. Elle est certes voûtée, mais nous pensons que
ce voûtement est tardif. À l’origine, elle devait être
charpentée (à l’époque romane, pour permettre le voûtement,
on utilise des piliers cruciformes). Si, par la pensée, on
restitue ce que devait être l’église primitive, on obtient
une basilique romaine. Ajoutons à cela que cette église
primitive ne devait pas avoir de transept. Le transept
actuel a été pris en partie sur les deux premières travées
de l’église primitive. Et on ne voit pas de croisillon du
transept qui donne au plan une forme de croix. Nous estimons
que si cette église avait vraiment été construite au XIesiècle,
ses piliers seraient de type R1111,
elle serait voûtée sur doubleaux, ses fenêtres seraient
romanes et elle serait dotée d’un vrai transept débordant.
La chapelle Sainte-Blandine (images
5, 10 et 13) pose quant à elle un petit problème.
D’après le plan de l'image
3, elle serait à nef unique. Pourtant, la vue
intérieure de la nef (image
13) fait penser à Saint-Aphrodise de Béziers. Il
est possible que la nef de cette église ait eu des
collatéraux (très étroits). Collatéraux qui auraient été
supprimés lors du voûtement.
Dernière remarque concernant la datation : la mosaïque de l'image 14 est
probablemenr celle qui a été découverte en 1851, restaurée
en 1852 puis 1934. Elle devait être très dégradée et il nous
est difficile de différencier à partir de cette image les
parties authentiques et les parties restaurées. Cependant,
le résultat nous semble plus proche de l’art des mosaïques
romaines, voire ravennates que de l’art roman qui, selon
nous, s’exprime très peu, voire pas du tout, par
l’intermédiaire de la mosaïque à tesselles.
Il reste à examiner quelques chapiteaux dont nous ne
connaissons pas les emplacements. Ceux des images
16 et 17 sont en fait des plaques analogues à
d’autres vues dans des monuments romains. La plaque de l'image 17 de facture
archaïque représente Adam et Ève chassés du Paradis. La
plaque de l'image 18 montre
une scène assez souvent représentée : un lion vu de profil,
mais dont la gueule aplatie est vue de face. Dans la plupart
des cas - ce n’est pas le cas ici - la queue du lion
s’épanouit en forme de feuille. Toutes ces sculptures
seraient antérieures à l’an mille.
Ce n’est pas le cas du tympan de l'image
12. Il
représenterait la mort de Saint Jean-Baptiste et daterait
selon nous du XIIesiècle. On y voit en haut le
repas d’Hérode. Au cours de ce repas, Salomé danse pour
obtenir la tête de Jean-Baptiste. Celle-ci est apportée dans
un couffin par deux esclaves venant de la gauche. Dans le
panneau situé sous celui du repas d’Hérode, Saint
Jean-Baptiste est saisi dans sa cellule et décapité. On
retrouve à gauche les deux esclaves portant le couffin
contenant la tête de Saint Jean. Et à droite, on assiste à
la mise au tombeau de Saint Jean-Baptiste. À l’extrême
gauche, le diable se présente dépité tandis qu’à l’extrême
droite, un ange envoie vers le ciel l’âme de Saint
Jean-Baptiste.
Datation
Datation envisagée pour la basilique Saint-Martin d’Ainay :
an 550 avec un écart de 150 ans.
Datation envisagée pour la chapelle Sainte-Blandine : an 50
avec un écart de 150 ans.