L'église Saint-Nicolas de Tavant
Nous recommandons au lecteur occasionnel de notre site de lire cet avis, le
lecteur assidu étant quant à lui habitué à nos prises de
position.
La page du site Internet Wikipedia décrivant cette église
nous apprend ceci :
« Historique
: Par comparaison avec l'église Notre-Dame du
prieuré voisin, qui a été reconstruite après un incendie
en 1070, on peut dater l'église Saint-Nicolas du début du
XIIesiècle. Sa dédicace à Saint Nicola
correspond au développement de son culte en occident
depuis le transfert de ses reliques à Bari en 1087. Elle
traduit des influences limousines et berrichonnes : nef à
bas-côtés, voûtement de tout l'édifice, ordonnancement de
la façade avec un portail entre deux arcades aveugles. Le
premier texte mentionnant l'église date de 1223, relatant
la concession d'une maison par le prieur de Notre Dame au
curé de l'église paroissiale.
L'église est illustrée de
fresques dans le chœur de l'église. Ces fresques
redécouvertes et restaurées, racontent l'histoire de
l'Enfance du Christ, le Christ en Majesté entouré d'une
mandorle, siège au milieu de ces scènes peintes, encadré
par le tétramorphe et un cortège d'anges.
L'église est mutilée, elle a perdu l'absidiole du transept
sud et les bas-côtés de la nef à une date indéterminée.
La crypte, pourtant de la même époque que le reste du
bâtiment, est construite après l'édification du chœur ;
elle est redécouverte vers 1862. Elle présente des
fresques remarquables probablement jamais recouvertes.
[...] »
Le texte se poursuit avec un paragraphe intitulé « Architecture »
qui reprend en grande partie ce qui est écrit ci-dessus.
Nous avons effectué une visite rapide de
ce monument en août 2005. C'est-à-dire bien avant que nous
ayons identifié les indices permettant d'envisager une
datation des monuments. Nous avons eu accès à la crypte,
décorée de très belles fresques, mais nous n'avons pas eu
l'autorisation de la photographier. Nous ne regrettons pas
pour autant l'absence d'images de la crypte. En effet
contrairement à ce que nous avons cru à l'époque, la nef
pourrait être d'un plus grand intérêt que la crypte.
La totalité des images de cette page ont été réalisées lors
de la visite d'août 2005.
Le texte ci-dessus nous « coupe un peu l'herbe sous les
pieds ». En effet, dès que nous avons vu l'image
3, nous avons repéré les grands arcs et en avons
déduit que la nef primitive n'était pas à un seul vaisseau
comme le laissait penser l'image
4 de l'intérieur, mais à trois vaisseaux. Ne
resterait de ces trois vaisseaux que le vaisseau central,
les collatéraux ayant été supprimés.
De cette nef à trois vaisseaux, subsistent les piliers
porteurs du vaisseau central, en partie cachés par la
maçonnerie qui les a recouverts. Ils semblent être de type R0101
(ou éventuellement R1111
). C'est-à-dire de section horizontale rectangulaire
avec des saillies coté collatéral (saillie à section
rectangulaire, d'où de ce côté des pilastres) et côté
vaisseau central (saillie à section semi-circulaire, d'où de
ce côté des colonnes demi-cylindriques). Le fait qu'il y ait
eu des pilastres côté collatéral et des colonnes
cylindriques invite à penser qu'il y a eu au moins deux
périodes de construction. Nous envisageons deux
possibilités.
Pour la première, la nef initiale était formée de trois
vaisseaux charpentés. Dans un premier temps, on a décidé de
voûter les seuls collatéraux. On a accolé des pilastres qui
ont porté des impostes. Lesquelles ont supporté des
doubleaux qui ont permis de construire la voûte d'arêtes.
Par la suite, on a décidé de refaire la même opération avec
le vaisseau central. Mais cette fois-ci, on a placé des
colonnes demi-cylindriques au lieu de pilastres et des
chapiteaux-tailloirs au lieu d'impostes. Le modèle de
référence de la basilique initiale à trois vaisseaux
charpentés est l'église Sainte-Madeleine de Béziers, estimée
antérieure à l'an 800.
Pour la deuxième hypothèse, il n'y aurait eu que deux
aménagements successifs. Les collatéraux auraient été voûtés
dès l'origine. Plus tard, le vaisseau central, initialement
charpenté, aurait été voûté. Nous n'avons pas de modèle de
référence de ce type de nef, le cas étant très particulier.
Nous estimons que le voûtement des nefs est systématique
après l'an mille. Ce qui signifierait que pour cette
deuxième hypothèse, la construction initiale est antérieure
à l'an mille.
Dans un cas comme dans l'autre, les affirmations suivantes :
« on peut dater l'église
Saint-Nicolas du début du XIIesiècle
» et « La crypte,
pourtant de la même époque que le reste du bâtiment, est
construite après l'édification du chœur », nous
semblent quelque peu erronées. En particulier la seconde :
si la crypte a été construite après le chœur, elle ne date
certainement pas de la même époque que le chœur. À moins
bien sûr qu'on parte du principe que les maçons du Moyen-Âge
étaient des imbéciles qui ne savaient pas ce qu'ils
faisaient : ils commençaient par construire un chœur et
mettaient tout leur temps et toute leur énergie à construire
ce chœur. Puis à peine le chœur terminé, l'un d'entre eux
disait : « Et si maintenant on essayait de construire sous ce
chœur une crypte ». Et aussitôt ils se mettaient à creuser
pour construire la crypte. Et ils étaient à ce point
stupides que personne n'avait l'idée de dire : « Vous
n'auriez pas pu y penser plus tôt : on aurait construit
d'abord la crypte puis le chœur au-dessus de la crypte ».
Nous ne pensons que les maçons du Moyen-Âge étaient des
imbéciles. La construction de la crypte a dû se faire
longtemps après celle du chœur (plusieurs siècles ?) lorsque
la pratique de construction de confessions sous l'autel
principal s'est répandue.
Cela étant, le texte confirme une idée que nous avons
formulée à de nombreuses reprises : pour la plupart d'entre
elles, les cryptes sont postérieures aux chœurs qui les
surmontent. C'est le principe de la mezzanine : lorsqu'une
pièce est très élevée, on installe un plancher de séparation
afin d'obtenir deux étages.
Les images à notre disposition sont insuffisantes pour nous
permettre d'avoir une idée du transept qui semble être haut
et débordant. Très probablement, ce transept a été bâti
longtemps après la construction initiale sur l'ancienne nef.
Seul un plan précis permettrait de savoir s'il a été
construit sur une ou deux travées de nef. Le plan nous
permettrait aussi de connaître la forme du chevet. L'image
2 fait apparaître un arc sur le mur Est du
croisillon Sud du transept. Nous en en déduisons que
l'absidiole Sud devait être greffée directement sur le
transept, signe, selon nous, d'une construction relativement
tardive du transept et du chevet (XIeou XIIesiècle).
Notons une particularité. L'arc triomphal séparant la nef du
transept est nettement outrepassé à la différence de l'arc
absidal séparant le transept du chœur (en arrière-plan). Il
est possible que le transept ait été construit, non pas sur
une travée de nef comme nous l'avions envisagé précédemment,
mais à l'emplacement de l'ancien chœur, l'arc absidal de
l'ancien chœur devenant l'arc triomphal du nouvel ensemble
transept-chevet.
L'église possède un certain nombre de
chapiteaux intéressants. La plupart de ceux-ci reprennent
les thèmes classiques vus dans d'autres églises romanes.
Image 5. Chapiteau
à feuillages : épis de blé, pommes de pin ou grappes de
raisin. Nous notons ici un paradoxe. Dans chaque église
chrétienne, où chaque dimanche est célébrée l'Eucharistie
avec le symbole du pain et du vin, ce symbole devrait être
constamment représenté, soit sous sa forme élaborée, la
miche de pain et la coupe de vin, soit sous sa forme brute,
l'épi de blé et la grappe de raisin. Or nous ne voyons rien
de tel en ce qui concerne les églises romanes. Ce chapiteau
est l'un des seuls où l'on peut voir des épis de blé et des
grappes de raisin.
Image 6. Chapiteau
aux sirènes : il s'agit de sirènes à deux queues. Nous avons
eu l'occasion de montrer grâce aux chapiteaux de
Saint-Bénigne de Dijon que ce thème de la sirène pourrait
être issu de la représentation de l'homme émergeant des
feuillages. Il y aurait aussi l'influence de la
représentation de la femme aux longues nattes, nattes
pouvant symboliser le ciel.
Image 7. Chapiteau
aux hybrides affrontés. Le thème des animaux affrontés est
fréquent. Mais dans la plupart des cas, les corps des
animaux sont ainsi disposés : deux sur la face avant et un
sur chaque face latérale. Les corps de deux animaux
affrontés successifs se réunissent en une seule tête sur
chaque angle. Ce n'est pas le cas ici. On n'a que deux corps
d'hybrides. Mais on retrouve une tête sur chaque angle.
Image 8. Chapiteau
du Péché Originel, côté gauche. Là encore, l'église de
Tavant se différencie d'autres églises tout en reproduisant
des thèmes connus. Dans la plupart des cas, le thème du
Péché Originel (Adam et Ėve cueillant le fruit défendu) est
reproduit sur la totalité du chapiteau. Dans le cas présent,
il se partage le chapiteau avec un autre thème décrit
ci-dessous.
Image 9. Chapiteau
du Péché Originel, côté droit. Ce thème ressemble à celui du
lion à queue feuillue : la queue du lion passe entre les
pattes arrières, sous le corps puis remonte le long du corps
pour s'épanouir en feuille ; ici le lion est un hybride à
cou et tête d'oiseau. La queue s'entrelace avec la tête :
image très originale.
Image 10. Chapiteau
aux animaux dévorants, côté gauche. Là encore, le thème est
fréquent mais repris avec une grande originalité et
seulement sur la moitié du chapiteau. D'habitude, les
animaux sont des lions qui se réunissent en une seule tête à
l'angle. La tête domine un corps humain semblant le dévorer
ou le protéger. Ici, les lions sont remplacés par des
hybrides à queue feuillue. Les cous de ces hybrides sont des
tours. L'homme saisit une patte de chaque hybride. Son
visage, tourné vers la tête de l'hybride, semble plus apaisé
qu'effrayé. Nous pensons que cette image symbolise le lien
(de subordination mais aussi de confiance) entre le pouvoir
temporel (les hybrides) et le pouvoir spirituel (l'homme).
Il y aurait peut-être aussi le lien entre les barbares (les
hybrides) et les peuples de culture latine (l'homme nu).
Image 11. Chapiteau
aux animaux dévorants, côté droit : masque crachant. Thème
énigmatique.
Image 12. Chapiteau
des « oiseaux au canthare » : le thème est bien connu et
fréquemment reproduit.
Les images suivantes décrivent les
fresques de l’avant-chœur et de l'abside.
Image 13 : Le
Christ en Gloire entouré du Tétramorphe.
Image 14 : Le lion
symbole de Saint Marc.
Image 15 : Le
taureau, symbole de Saint Luc.
Image 16 : Anges
célébrant la Gloire du Christ.
Image 17 : Les
fresques de l’avant-chœur.
Image 18. Détail
des fresques de l’avant-chœur : l'Annonciation et la
Visitation.
Image 19. Détail
des fresques de l’avant-chœur : en bas à droite,
représention de la Nativité avec l'âne, le bœuf et Saint
Joseph. La scène est empreinte de symbolisme. Elle se
déroule, non dans une crèche, mais une salle voûtée dans une
sorte de palais à l'intérieur d'une ville. La voûte arrondie
de la salle représente le Ciel, la ville, la Jérusalem
Céleste. Le corps de l'Enfant Jésus est enveloppé de langes.
Mais ces langes ont des pourtours circulaires, et à
l'intérieur des cercles, des disques plus petits devaient
contenir des visages humains. Ce serait là une
représentation de l’Église, corps du Christ. Au milieu de
l'image, une bande horizontale pourrait représenter le Ciel.
La ligne ondulée symboliserait la limite des eaux célestes.
Quant à la bande du milieu, elle contient sept petits
disques en apparence anodins. Mais en y regardant de plus
près, ces disques contiennent des visages humains (image
20). Ces sept disques seraient les sept planètes
(connues à l'époque) : Le Soleil, la Lune, Mars, Mercure,
Jupiter, Vénus, Saturne (l'ordre ici adopté est celui des
jours de la semaine).
Remarquons la cuve baptismale toute simple de l'image
21 (datation ?).
Datation
envisagée pour l'église primitive de Saint-Nicolas
de Tavant, caractérisée par sa nef à trois vaisseaux : an
800 avec un écart de plus de 200 ans.