Les deux églises de Trémolat : Saint-Nicolas et Saint-Hilaire 

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L'église Saint-Nicolas de Trémolat

Dans son livre Périgord Roman de la collection Zodiaque, Jean Secret effectue une description de cette église. En voici un extrait concernant son historique :
« Trémolat aurait été le berceau de saint Cybard (Eparchius), né au VIe siècle. Au siècle suivant, des miracles s'étant produits sur le tombeau des parents de Cybard, on bâtit une église, confiée plus tard à douze moines venus de Saint-Cybard d'Angoulème. Le prieuré est attesté en 982. Il semble être très tôt tombé dans des mains séculières. Dès le XIIe siècle, il est connu comme une « prévôté », qui fut maintes fois attaquée pendant les guerres anglaises, puis pendant celles de Religion, lesquelles décapitèrent plusieurs coupoles. Au XVIIIe siècle, on y exécuta des travaux considérables (l'église est un monument historique depuis 1923). »


Lors d'un séjour en Corrèze, en septembre 2022, nous avons pu visiter cette église Saint-Nicolas en compagnie d’Alain et Anne-Marie Le Stang. La totalité des images de cette page a été réalisée lors de cette visite.

Cette église a toutes les apparences d'une forteresse (images de 1 à 6). Il ne manque que le couronnement supérieur en hourds et mâchicoulis. Mais il est possible que ce couronnement ait été supprimé au XVIIIe siècle lors des importantes restaurations. En tout cas, le livre Périgord Roman décrit ainsi les combles que nous n'avons pas eu l'occasion de visiter : « Les défenses. Tout l’ensemble de l'extrados des voûtes constitue une vaste chambre forte. L'élément principal est au-dessus du chœur et du transept, avec des possibilités de tirer dans l'église, par des meurtrières pratiquées dans la calotte de la coupole. La nef porte, elle aussi, une chambre forte, mais à un niveau inférieur ; elle permettait de tirer dans le chœur par trois meurtrières. Le clocher constitue un véritable donjon, avec des chambres de défense à différents niveaux. La superficie totale des chambres de défense avoisine 350 m², ce qui permet d'y recevoir non seulement les religieux de l'abbaye, mais encore toute la population du village. »


Ce ne sont pourtant pas les défenses qui ont attiré notre attention sur cette église mais son plan, son élévation et l'aménagement du chœur. Lors d'un court séjour dans le Gers, Monsieur de Certaines, châtelain gersois, nous a fait découvrir les églises de Saramon, Peyrusse-Grande, Bastanous ainsi que la chapelle encastrée dans le château du Garrané. Nous y avons vu un nouveau type d'église à nef unique et chevet carré. Nous en avions rencontrées auparavant, en particulier dans le Bas-Languedoc, mais de petites dimensions. Dans ce cas-là, il s'agissait d'églises de dimensions plus importantes, au chevet souvent surélevé en tour. Nous avons vu par la suite que ce modèle, apparemment exceptionnel, pouvait exister ailleurs : par exemple à Bougneau, en Charente-Maritime. Ce n'est donc pas tout à fait par hasard que nous avons voulu visiter Paunat et Trémolat.

Il existe des indices qui permettent de faire des rapprochements entre Trémolat et Peyrusse-Grande ou Bougneau.

Un premier de ces indices relève selon nous de l'anecdote. On remarque sur l'image 3 que, côté Nord, les ouvertures sont percées dans les pilastres faisant office de contreforts et non entre ceux-ci. Une telle particularité se retrouve à Peyrusse-Grande et Bougneau. Mais d'une part, on ne retrouve pas cette particularité sur les autres façades de l'église et d'autre part, il est possible que, dans le cas présent, ces ouvertures prévues comme devant être des meurtrières aient été percées dans les contreforts pour une meilleure fenêtre de visée.

La colonnade de fond d'abside (images 11 et 12) nous semble quant à elle plus intéressante. Elle l'est en premier lieu à cause d'une simple question : à quoi peut-elle
servir ? On connaît de nombreux cas de colonnades de fonds d'absides. Le plus souvent, ces absides sont à plan semi-circulaire et couvertes d'une voûte en cul-de-four. Mais dans ces cas-là, la fonction de la colonnade est évidente : elle participe au support de la voûte. Ici il n'y a pas de voûte ni de plancher directement posé sur les arcs brisés au-dessus de la colonnade. On revient donc à la question : à quoi peut-elle servir ? À la décoration due aux chapiteaux sculptés ? Ou aux fresques ? Mais un décor de simples bas-reliefs aurait avantageusement remplacé les chapiteaux. Quant aux fresques, elles sont nettement postérieures aux chapiteaux.

En second lieu, cette colonnade est intéressante à cause de ses chapiteaux (images de 13 à 24) d'apparence préromane (nous y reviendrons). Les arcs brisés qui surmontent ces chapiteaux par l'intermédiaire de tailloirs créent la surprise. Le fait qu'ils soient brisés fait envisager une construction gothique. C'est sans doute à cause de cela que les archéologues ont daté l'ensemble de la construction des douzième et treizième siècles.

Nous sommes cependant plus circonspects et nous restons convaincus que le style des chapiteaux n'est pas celui d'une sculpture gothique.

À cela s'ajoute le résultat d'une observation : les chapiteaux des images 13 à 20 sont, pour la plupart, fortement dégradés. Il existe cependant des restes sculptés de ces chapiteaux que l'on retrouve sur les chapiteaux moins endommagés (images de 21 à 24). Considérons par exemple le chapiteau de l'image 14. On y voit dans l'angle une grande feuille dirigée vers le haut. Cette feuille est portée par une tige verticale qui se divise en deux ramures vers le bas. Ces ramures se répartissent à gauche et à droite en s'incurvant à la base du chapiteau. On retrouve les mêmes formes sculptées sur les chapiteaux des images 21 et 22. Mais, sur ces deux chapiteaux, le décor est nettement plus développé que celui de l'image 14, en largeur comme en hauteur. On peut donc raisonnablement penser qu'à l'origine, le chapiteau de l'image 14 était identique à ceux des images 21 et 22, mais il a été très sévèrement dégradé sur les cotés et en haut. Sa hauteur est environ moitié de celle des autres. Le tailloir qui surmonte ce chapiteau a un chanfrein à quatre retraits successifs alors que, pour le chanfrein des tailloirs des deux autres chapiteaux, le nombre de retraits n'est que de trois. On en déduit que le premier tailloir est plus épais que les deux autres mais cette différence d'épaisseur ne compense pas la différence de hauteur des chapiteaux.

On déduit de ces constatations que cette colonnade a fait dans le passé l'objet de travaux de réfection. Soit elle a été créée de toutes pièces avec des matériaux en réemploi provenant d'ailleurs … mais d'où ? Soit elle a été refaite presque à l'identique avec les matériaux d’origine mais endommagés. Il est possible que des pierres aient été fragilisées par exemple par un incendie.

Nous venons de voir que les chapiteaux sont de hauteur différentes. Mais, à l'inverse, les bases des arcs sont au même niveau. Cela signifie selon nous que la construction des arcs brisés a été opérée après la restauration de la colonnade. On peut donc raisonnablement penser qu'il y a eu une première construction en période préromane ou romane. Puis un épisode de dégradation de cette construction, avec destruction partielle de certains chapiteaux. Puis une restauration suivie sans doute immédiatement après de la pose des arcs brisés. Ceux-ci auraient été installés avant la décoration par fresques du XIV e siècle. Celles-ci s'inscrivent, en effet, parfaitement dans l'arcature (images 25, 26, 27).


Datation

Il nous faut à présent étudier plus attentivement les chapiteaux du chœur. On remarque tout d'abord que le style est identique pour tous les chapiteaux : des entrelacs de feuillages, les feuilles étant étalées et stylisées. Mais il y a mieux ! On constate que les chapiteaux des images 21 et 22 sont identiques . Et de même les chapiteaux des images 23 et 24. Cette ressemblance est telle que nous avons imaginé être, pour chacun des deux cas, en présence d'un seul chapiteau photographié sous des angles différents. Mais non ! Il s'agit bien de quatre chapiteaux distincts.

Résumons-nous !

La forme des chapiteaux, un parallélépipède rectangle surmontant un tronc de cône, a été vue auparavant à Saint-Léon-sur-Vézère, Peyrusse-Grande et Nant. Nous l'avons estimée préromane.

L'entrelacs de feuillage semble lui aussi une spécificité préromane. On le retrouve en particulier sur des chapiteaux de Saint-Jacques de Béziers. Une des spécialités de l'entrelacs barbare réside dans l'originalité de sa composition. Observons l'image 23. Les tiges et les feuilles dessinent des arrondis. Mais ces feuillages entrelacés en arrondis rencontrent des équerres droites. On s'attendrait à une symétrie. Mais non ! La feuille passe en dessous de l'équerre à gauche et au dessus à droite.

Autre constatation. Nous avons remarqué ci-dessus que deux chapiteaux pouvaient être exactement semblables. Cela n'existe pas dans les églises romanes où les chapiteaux sont tous différents. À l'inverse, c'est la règle dans l'architecture romaine que dans un même édifice, tous les chapiteaux soient identiques. Et nous pensons que cette règle s'est pousuivie dans la construction d'églises préromanes, peut-être wisigothiques comme Saint-Jacques de Béziers.

Datation envisagée pour l'église Saint-Nicolas de Trémolat : an 900 avec un écart de 150 ans.




L'église Saint-Hilaire de Trémolat

Un panonceau situé à l'entrée du cimetière attenant à l'église donne les explications suivantes (extraits) : « Cette église du XIIe siècle a été construite en dehors de l'enclos monastique Saint-Nicolas. Elle fut le lieu de culte de la paroisse Saint-Hilaire qui s’étendait sur l'ensemble de la commune actuelle, à l'exception du bourg, propriété du monastère. Après la Révolution, Saint-Hilaire devint une chapelle désaffectée qui manqua d'être démolie entièrement.

Elle conserve un beau portail roman
(image 29), surmonté d'un clocher-mur percé d'une baie campanaire (image 28). [...] Les chapiteaux sont ornés de feuilles d'eau (images 30 et 33) et d'oiseaux (image 32). [...] La nef, voûtée en berceau, a été reconstruite au XV e siècle, épaulée de solides contreforts. »

La corniche qui surmonte les chapiteaux (images 30, 31 et 33) est ornée d'un motif que nous ne parvenons pas à identifier et expliquer. Cette corniche apparaissant restaurée, il est possible que ce décor soit d'inspiration moderne.

Image 31 : Ce chapiteau très dégradé pourrait représenter la scène du Péché Originel, Adam et Ève encadrant l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal.

Image 31 : Il semblerait que, sur ce chapiteau, chacun des deux gros oiseaux en porte un plus petit. La scène est difficile à interpréter. Peut-être s'agit-il des « Deux autruches », scène expliquée sur une page de ce site. Mais pour les « Deux autruches », il n'y a qu'un grand oiseau et un petit.

Datation envisagée pour l'église Saint-Hilaire de Trémolat : an 1100 avec un écart de 50 ans.