L'église Saint-Pierre de Saint-Pierre-Toirac 

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Le plan de cette église (image 1) fait apparaître une nef à trois vaisseaux très courte, de deux travées seulement. Cette nef est prolongée par 3 absides. L’absidiole Nord est à plan carré mais, à l'origine, elle devait être à plan semi-circulaire comme l'absidiole Sud. À moins que ce ne soit l'inverse. C'est-à-dire que, initialement, toutes les absides aient été à plan carré.

L'aspect extérieur est un peu rebutant (image 2). On remarque une archère et l'absence d'ouvertures dazns les parties hautes. D'où l'idée qu'elle a pu être fortifiée au cours d'une étape de son histoire.

Une pierre sculptée a été incrustée dans la paroi (image 3). Il s'agit de ce que nous avons appelé un linteau-tympan. C'est-à-dire une pierre faisant à la fois office de linteau protégeant l'ouverture d'une porte et ayant l'arrondi du tympan. Nous pensons que ce système à pierre unique a précédé le système à deux pierres, linteau+ tympan. Le thème exposé sur cette pierre est énigmatique. On y voit trois scènes. La scène centrale est connue sous le nom « Samson et le lion ». À droite, un ange auréolé présente un livre saint et lève son bras droit ; en signe de bénédiction ? À gauche, un oiseau est prisonnier de lianes. Surplombant l'ange, une croix, un peu analogue à celle d'Oviedo, fait envisager une datation autour de l'an 800.


En effectuant le tour de l'église, on note la présence de fenêtres  « à ressaut » (images 2 et 7). Par contre, les fenêtres du chevet sont « à colonnettes » (images 8 et 9).


En pénétrant à l'intérieur de l'église (images 10 et 11), on découvre une nef à trois vaisseaux (image 17) couverte d'une voûte en berceau simple sur doubleaux. Les collatéraux sont quant à eux voûtés d'arêtes. Les piliers sont rectangulaires de type R1111. Les arcs reliant les piliers sont doubles. Nous avons rencontré à de nombreuses reprises des nefs qui, préalablement charpentées, ont été voûtées ultérieurement. Est-ce le cas ici ? L'absence de fenêtres supérieures tendrait à la prouver. Si, en effet, l'église a été voûtée ultérieurement, il a fallu pour des raisons architectoniques poser la voûte à un niveau plus bas que l'ancienne charpente et donc occulter les fenêtres supérieures. Mais inversement, la base des piliers (image 18) montre que ceux-ci ont été bâtis en un seul jet. Qu'il n'y a pas eu une succession de formes de ces piliers du type R1010 au type R1110, puis R1111.

La croisée du transept est voûtée en coupole (image 11). Ce type de couvrement daterait du XIIesiècle, mais il a pu être réalisé postérieurement à la construction initiale d'une croisée de transept charpentée.


Notre attention a été particulièrement attirée par l’avant-chœur (images 13, 14, 15, 16). Et ce, pour plusieurs raisons. Il y a d'abord ces arcs trilobés situés à mi-hauteur
(images 13 et 14). Ce type de représentation est rare. On en connaît à la chapelle Saint-Michel d'Aiguilhe, près du Puy-en-Velay. Mais ceux-ci ont ceci de plus : l'arc porteur des trois lobes est outrepassé. Par ailleurs, on peut se demander quelle était leur fonction : à Saint-Michel d'Aiguilhe, les lobes cantonnent des bas-reliefs. Cela ne semble pas avoir été le cas ici. Il y a donc là un certain mystère. Il nous faut accepter l'idée d'un Moyen-Âge plus complexe qu'il n'y paraît. Il y a très probablement eu des déplacements de populations. Les nouveaux arrivants ont voulu imposer leurs pratiques issues d'horizons plus lointains.

En observant l'image 15, nous notons que la corniche horizontale est brutalement interrompue par le passage des demi-colonnes verticales. Cette cassure fait envisager que les demi-colonnes engagées ont été installées ultérieurement afin de permettre le voûtement de l’avant-chœur.

Dernière remarque concernant cet avant-chœur : le couloir de passage vers l'absidiole Sud est protégé par un arc porté par des impostes à chanfrein vers l'intrados
(image 16). Nous estimons que ce type d'architecture est préroman ; il faut cependant remarquer que des pratiques ont pu se poursuivre à l'époque romane.


Cette église dispose d'un certain nombre de chapiteaux de grand intérêt.

Image 19.  Le chapiteau de gauche est celui de l'image 27. Celui de droite est plus figuratif que symbolique. Il met en scène une série de personnages correctement proportionnés. Aucun d'entre eux ne porte d'auréole. L'homme situé au milieu saisit le bras des deux autres hommes placés de part et d'autre de lui, comme s'il voulait les réconcilier. À remarquer les vêtements de ces personnages. Ils sont molletonnés. Cette dernière observation n'est pas seulement une vue de l'esprit, une fausse interprétation d'une maladresse du sculpteur voulant représenter les plis des vêtements. Car l'aspect molletonné affecte aussi les bras où il n'y a pas de pli de vêtement. Remarquer aussi que le vêtement du personnage central, de taille analogue à celle d'une robe de chambre, est différent de celui des deux autres. Ces remarques peuvent sembler anodines. Elles ne le sont pas : les modes vestimentaires peuvent être des marqueurs d'une époque et des peuples vivant durant cette époque. On le sait pour les périodes récentes. On ne le sait pas, ou ne sait pas l'évaluer pour les périodes plus anciennes. Au hasard de nos diverses visites, nous avons pu repérer des modes vestimentaires datables du Haut Moyen-Âge. Quelques images sont sur ce site. Nous pensons qu'on peut en trouver beaucoup plus. En particulier dans les musées ou les bibliothèques : plaques de portes en bronze, ivoires, orfèvrerie, miniatures, etc.

Dernière observation sur ce chapiteau : entre et au-dessus des personnages, des masques de lion ouvrent largement la gueule pour faire découvrir d'autres masques (humains?).

Image 20. Pour ce chapiteau, le personnage central porte un vêtement aux manches molletonnées analogue au vêtement vu ci-dessus. Son attitude est pourtant différente. Il n'agit plus en conciliateur mais en guerrier. Il saisit le personnage de gauche par la barbe et celui de droite par les cheveux. Ce dernier personnage est nu et contorsionné, sa tête étant rejetée vers le bas.

Image 22. Ce chapiteau a été badigeonné d'une peinture dorée de mauvais goût. On reconnaît la scène du Péché Originel.

Image 23. On reconnaît sur le chapiteau de gauche la figure classique de l'Orant, aux bras dressés vers le ciel. Le chapiteau de droite est analysé ci-dessous.

Image 24. La scène a été déjà vue sur un autre chapiteau : un homme assis entre deux lions couchés sur des têtes humaines. La représentation de lions installés sur les angles des chapiteaux et dévorant ou protégeant des têtes ou des corps humains a été rencontrée à de nombreuses reprises. Nous recherchons des textes explicatifs d'époque.

Image 25. Là encore, le personnage principal est installé entre deux subalternes. Il est assis, coiffé semble-t-il d'une sorte de couronne. C'est un personnage royal entre ses deux vassaux. Les manches sont molletonnées.


Les chapiteaux des images 26 et 27 soutiennent l'arc triomphal séparant le transept de l’avant-chœur. Ils sont à décor d'entrelacs. Nous estimons que le décor d'entrelacs a été développé sur une longue période du Veau XIesiècle. Il serait donc très difficile à dater. Nous pensons cependant qu'il y a eu des évolutions dans ce type de décor (entrelacs désordonné, entrelacs de tiges et feuillages, entrelacs de corps humains ou d'animaux, entrelacs de cannage). Une étude raisonnée de ces entrelacs pourrait permettre de les dater. Le décor d'entrelacs à l'intérieur d'une croix, de l'image 26, fait penser à d'autres décors vus sur des ambons (Payerne et Romainmôtier, en Suisse) ou d'autres pièces approximativement datées du IXesiècle. L'image 27 est encore plus significative. De telles scènes de dragons dont le corps finit en entrelacs sont observables sur des manuscrits irlandais du VIIeou VIIIesiècle.

Le chapiteau de l'image 29 est lui aussi décoré d'entrelacs.

Les chapiteaux des fenêtres du chevet (images 8 et 9), chapiteaux observables en détail sur les images 30, 31 et 32, nous ont posé un petit problème. En effet, ces chapiteaux décorés d'entrelacs à feuillages sont selon nous, a priori, préromans. C'est-à-dire antérieurs à l'an mille. Tandis que les fenêtres à colonnettes sont, toujours selon nous et a priori, romanes ? C'est-à-dire postérieures à l'an mille. Comment concilier ce qui semble être inconciliable ? La solution vient d'une étude minutieuse de ces chapiteaux. Observons celui de l'image 30. Il est travaillé sur deux faces : une tournée vers la gauche, l'autre face à nous. Celle située face à nous est terminée sur la droite par un cylindre torsadé censé être le cylindre d'enroulement de la cordelette entrelacée. Regardons à présent la face tournée vers la gauche. On devrait avoir sur sa partie gauche le même cylindre d'enroulement. Et ce, afin de terminer l'entrelacs. Il n'en est rien. Bien au contraire, il semblerait que l'entrelacs contourne la face et qu'il existe une troisième face sculptée du côté du mur. Donc invisible pour nous. Ce qui apparaît aberrant. D'où l'idée que ce chapiteau a été récupéré sur un édifice plus ancien. Il devait être accolé à un mur et visible sur trois faces. L'hypothèse d'un chapiteau antérieur à l'an mille reste donc valable. La même constatation peut-être faite concernant le chapiteau de l'image 31.

Ces observations nous amènent à effectuer deux remises en question. Pour la première : lorsque nous avons commencé à écrire le site, nous n'avions pas fait de telles observations sur les chapiteaux. Par contre, nous avions remarqué des différences entre les piliers et pu les classer (C0000, R0000, R1010, etc.). Nous pouvons à présent imaginer faire de même pour les chapiteaux en fonction de leurs nombres de faces sculptées (2, 3 ou 4) ou d'autres éléments caractéristiques.

Il nous faut aussi effectuer une autre remise en question. Il nous arrive parfois de rencontrer un chapiteau isolé, indépendant de l'architecture de l'édifice dans lequel on le trouve. Il faut comprendre qu'un chapiteau, cela devrait être comme une dent pour un paléontologue. Celui-ci, à partir de cette seule dent, arrive à reconstituer tout l'individu qui a porté cette dent. Il devrait en être de même pour un chapiteau. En fonction de ses dimensions, on peut déduire celles de la colonne qui l'a porté. En fonction de sa forme, on peut déduire sa fonction et sa position dans la construction. Et de là avoir une idée de. l'ensemble du bâtiment.


Les images 33, 34, 35, 36 sont celles de cuves ou de couvercles de sarcophages. Une notice nous explique qu'il s'agit de sarcophages mérovingiens (nous n'aimons pas ce mot de « mérovingien » qui laisse croire à l'existence d'un peuple désigné sous ce nom : à cette époque là, il y avait des gaulois, des romains, des wisigoths, des francs, mais pas de « mérovingien ».) En tout cas, Grégoire de Tours, prolixe historien dit « mérovingien », n'en parle pas.

La datation de ces sarcophages serait donc comprise entre l'an 500 et l'an 800. Toujours selon la notice, il y aurait à cet emplacement (Nord de l'église), trois étages de sarcophages et seul l'étage supérieur aurait été fouillé.

La grande densité de ces sarcophages laisse envisager qu'il devait y avoir à proximité immédiate de ceux-ci un édifice religieux. En toute logique, cet édifice devait être situé à l'emplacement de l'édifice actuel et à un niveau inférieur ( niveau de l'étage inférieur des sarcophages).


Datation

Nous ne pouvons baser notre datation sur un édifice apparemment disparu. Par ailleurs et même s'il existe dans l'édifice actuel des éléments estimés antérieurs à l'an mille, nous ne pouvons en déduire que l'édifice lui-même, tel qu'il a été conçu par un architecte, est antérieur à l'an mille.

En conséquence, notre estimation de datation pour l'église Saint-Pierre est l'an 1075 avec un écart de 50 ans.