Musée lapidaire de Narbonne 

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A la différence de villes comme Nimes, Arles ou Orange, la ville de Narbonne a conservé très peu de restes des monuments qui l’embellissaient. Il s’agit, bien sûr des restes intacts de temples, théâtres, amphithéâtres, etc.

Par contre, le dépôt lapidaire est très développé, un des plus important de France.

Ce dépôt lapidaire a permis d’enrichir le musée archéologique de la ville de de Narbonne, et bientôt, le nouveau musée Muréna.

Les collections paléochrétiennes du musée archéologique se révèlent d’un grand intérêt. Il y a là une belle collection de sarcophages ainsi que le linteau de l’ancienne église de Saint-Félix portant la date de consécration de cet édifice.

Ce n’est pourtant pas ces collections que nous allons décrire. Elle bénéficient d’une belle présentation et sont facilement accessibles au public.

Par ailleurs nous aurons l’occasion de décrire en détail les sarcophages de l’église Saint-Paul lorsque nous aborderons la page concernant cette église.


Nous voulons seulement montrer ici les « laissés pour compte ». Il s’agit des objets sculptés (la plupart sont des sarcophages) qui ont été placés dans le dépôt lapidaire, occupant l’ancienne église Lamourguier. Les plus belles pièces étant parties en d’autres lieux comme le musée archéologique, il ne reste là que les pièces jugées les moins intéressantes. Pour autant, ce sont des œuvres de qualité qui méritent une étude approfondie.

Les sarcophages des images 1 et 2 sont dits « à strigiles » (le strigile est une figure en forme de S). Celui de l'image 1 est classique : les rangées de strigiles encadrent un panneau destiné à l’épitaphe du défunt. Celui de l'image 2 est plus original par la forme des strigiles et l’insertion d’une grande rosace en remplacement de l’épitaphe.

Il arrive fréquemment que le sarcophage imite le toit d’une maison. C’est le cas pour le sarcophage de l'image 3 .


Les images suivantes de l'image 4 à l'image 10 représentent des « arbres de vie ». Mais ce n’est pas parce qu’on a défini ces arbres de vie qu’on les a décrit. Ou qu’on connaît leur signification.

Le symbole de l’arbre de vie devait être beaucoup plus évocateur pour les gens de l’époque qu’il ne l’est pour nous. Et il est fort possible que les diverses variantes que l’on observe à partir de ces images ne soient pas seulement liées à un souci d’esthétique.

Considérons par exemple le sarcophage de l'image 4. Au centre de la face avant, on observe un grand vase appelé canthare. D ‘ordinaire il est représenté encadré par deux oiseaux. Ce n’est pas le cas ici. Mais on peut considérer qu’il reste le vase de vie, symbole d’immortalité. De part et d’autre de la partie centrale, sont représentés dans des registres carrés, des arbres de vie. Les registres inférieurs contiennent des rameaux de lierre, aux feuilles longues et non découpées. Des pampres de vigne à feuilles découpées et grappes de raisins emplissent les registres supérieurs.

La représentation simultanée du canthare, des feuilles de lierre et des pampres de vigne peut être purement décorative. Mais on peut aussi envisager que le canthare soit un symbole attaché à un groupe culturel ou religieux, la feuille de lierre, à un autre groupe, et le pampre de vigne, à un troisième groupe différent des deux autres. Dans ce cas, le rapprochement sur une même image de ces trois représentations différentes aurait valeur de rapprochement de cultures.

Sur l'image 6 les pampres de vigne avec grappes de raisins encadrent deux plantes à tige verticale et feuilles évasées.

On retrouve le mélange de pampres de vignes et de rameaux de lierre dans l'image 7. Et l’association des rameaux de lierre avec les deux plantes à tige verticale dans l'image 8.

Le sarcophage de l'image 9 se révèle d’un grand intérêt car on y découvre sur un même panneau : à droite les deux plantes à tige verticale, les rameaux de lierre, au centre le cadre pour le nom du défunt, à gauche la scène biblique de la Tentation ainsi que des cercles entrelacés faisant apparaître une croix pattée.


Les images 10 et 11 représentent des détails du sarcophage de l'image 9 .

L'image 12 est la scène biblique du Sacrifice d’Abraham. On y voit la Main de Dieu arrêtant le bras d’Abraham et désignant l’agneau destiné à remplacer Isaac.

Sur l'image 13 est représenté un sarcophage doté de son couvercle en forme de toit. Couvercle et sarcophage semblent faire partie d’un même ensemble car les dimensions et les thèmes iconographiques correspondent. Sur la cuve du sarcophage on peut voir les deux plantes à tige verticale ainsi que les rameaux de lierre.

Sur le couvercle à quatre pentes de l'image 14, on peut voir une croix pattée (image 15).


Les problèmes d’attribution et de datation

Nos contemporains apprécient beaucoup plus les artistes contemporains ou de peu nos anciens que ceux des siècles antérieurs. D’où vient cette préférence ? Une des premières raisons vient de l’attrait qu’exerce sur chacun d’entre nous le modernisme. Le modernisme est synonyme d’évolution et de progrès. Etre « à la mode » donne à chacun une impression de participer à cette évolution. Voire de la promouvoir.

La deuxième et, selon nous, la principale raison, vient de notre grande méconnaissance des siècles antérieurs.

En visitant distraitement un musée notre œil est parfois attiré par un tableau donnant une impression de « déjà vu ». Immédiatement on consulte la notice. Et on réalise que ce tableau était décrit dans une revue de la salle d’attente du médecin consulté la semaine précédente. La revue précisait avec un luxe de détails la vie et les déboires du peintre impressionniste qui l’avait créé. D’un seul coup, ce tableau prend beaucoup plus d’importance à nos yeux. Surtout en sachant que des sommes colossales y sont attachées.

Le même phénomène peur caractériser un amateur un peu plus averti qui aura tendance à se passionner pour ce qu’il connaît et à se désintéresser de ce qu’il ne connaît pas.

Et, plus on remonte dans le temps, moins on est susceptible de connaître de choses. Donc moins on est susceptible de s’intéresser à ces choses qu’on ne connaît pas.

Nous connaissons fort peu de choses de ces sarcophages antiques. Et il ne semble pas que l’on s’y intéresse beaucoup. Pourtant ils envahissent les réserves des musées. Certes ils ont sans doute été répertoriés. Certes des érudits locaux ont pu faire d’excellentes études ponctuelles. Et ils ont parfois comparé ces sarcophages avec d’autres en Europe. Mais existe-t-il une recherche globale sur ces sarcophages ? Ne serait-ce qu’au niveau de la France ? Et à plus forte raison au niveau de l’Europe ?

Certains de ces sarcophages comme ceux dits de « l’école d’Arles » ont fait l’objet d’une étude plus ciblée, consultable sur Internet (site Wikipedia).

Selon ce site, des deux principaux rites d’obsèques antiques, l’incinération et l’inhumation, le premier aurait été progressivement abandonné au profit du second et à partir du IIesiècle, l’inhumation est définitivement adoptée dans le monde romain.

Nous ne sommes pas tout à fait certains que l’incinération ne se soit pas en partie poursuivie durant les siècles suivants. De toute façon, les fouilles qui se poursuivent sur une grande ampleur et qui commencent à être parfaitement maîtrisées concernant les rites d’obsèques devraient fournir des réponses très concrètes.

D’où vient ce subit engouement pour l’inhumation chez les romains ? On peut y voir l’influence chrétienne. Les chrétiens qui croient en la résurrection des corps ont privilégié l’inhumation. Mais les chrétiens n’étaient pas les seuls. Les juifs privilégiaient aussi le respect de l’intégralité du corps du défunt. Un même respect s’est manifesté chez les égyptiens qui, de plus, pratiquaient la momification. On peut donc penser que, sous l’influence de ces religions orientales, l’inhumation a fini par s’imposer.

Les sarcophages des images 1 et 2 seraient les plus anciens. Ils pourraient dater du IIesiècle de notre ère. Le plus ancien des deux pourrait être celui de l'image 1. Ceci à cause du cadre destiné à l’épitaphe. Pour nous l’absence d’un tel cadre dans l'image 2 témoignerait d’une période de tensions. En effet lorsqu’une période de tensions existe au sein d’une société les protagonistes ont tendance à détruire tout souvenir de leurs ennemis et, en particulier les épitaphes sur les tombes ou les monuments. Inversement, si on ne veut pas que la tombe soit profanée on évite d’y imprimer une épitaphe.

Concernant les sarcophages des images suivantes de 4 à 9, puis de l'image 13 on constate les éléments suivants : les représentations différent entre les sarcophages (feuilles de lierre, pampres de vigne, plantes à tiges verticales). Mais il y a recoupement entre elles. A la différence des sarcophages de l’école d’Arles, datés du IVesiècle, les cuves n’ont pas tout à fait la forme d’un parallélépipède rectangle. En vue de face (image 13) on obtient un trapèze isocèle dont la grande base est vers le haut.

Quant aux couvercles, ils se différencient eux-aussi de ceux des sarcophages de l’école d’Arles.

Concernant l’iconographie de ces sarcophages on est surpris par le manque de précision : sont-ils chrétiens ? sont-ils païens ? Certes la présence d’arbres de vie fait référence à une vie après la mort. Mais les chrétiens n’étaient pas les seuls à croire à la Résurrection des corps. Certes les scènes d’Adam et Eve ou du Sacrifice d’Abraham sont des scènes chrétiennes de l’Ancien Testament. Mais pour les Juifs aussi ces scènes sont évocatrices. Et si les scènes sont chrétiennes, pour quelles raisons le caractère chrétien n’est il pas clairement affirmé par la présence de symboles chrétiens comme l’est la croix de l'image 15  

Nous sommes donc en face d’une série d’énigmes. La datation des sarcophages des images 4 à 13 fait partie de ces énigmes. Ils pourraient dater du Veou VIesiècle, mais nous n’avons pas d’argument convaincant pour soutenir cette opinion.