Le Centaure 

Évolution des éléments de décor et de l’iconographie   • Article précédent   • Article suivant  


La page du site Internet cosmovisions.com, consacrée aux centaures, nous apprend ceci : « Les Centaures sont des personnages de la mythologie grecque. Le sens primitif du mot Centaure, qui désigne tout un groupe de monstres mythologiques, illustrés autant par l'art que par la poésie des anciens Grecs, ne peut guère être déduit de considérations étymologiques. [...] En grec, le mot centaure peut signifier : tueur ou chasseur de taureaux, de kentein et tauros, ou simplement cavalier coureur, kentwr [...]

Les légendes qui les concernent sont originaires des pays montagneux de la Grèce, des environs du Pélion en Thessalie, de l'Arcadie où Héraclès combat contre eux, de l'Élide, dans la région du mont Pholoé. Chez Homère, ils ne sont encore que des humains sauvages, semblables aux bêtes, habitant les montagnes ; ils entrent en lutte contre les Lapithes, durant les noces de Pirithoüs, roi de ces derniers, avec Hippodamie. L'origine de cette lutte est ainsi expliquée par les poètes postérieurs à Homère : les Centaures emportés par leurs instincts brutaux, se jettent sur la mariée et ses compagnes; dès qu'ils ont senti l'odeur du vin, ils repoussent le lait servi sur la table ; ils vident les coupes d'argent et, emportés par l'ivresse, commettent des excès qui dégénèrent en lutte sanglante avec leurs hôtes [...]

Les Centaures, hommes sauvages, ne sont, comme les Cyclopes, les Géants, etc., qu'une conception dérivée. Tous les traits de leur être portent à croire qu'à l'origine ils étaient des personnifications animistes de quelque force de la nature, des esprits de la montagne et de la forêt, analogues aux hommes sauvages, aux chasseurs sauvages de la mythologie germanique D'une façon plus spéciale, on peut voir en eux les démons du vent qui souffle en tempête; de là, la forme mélangée qui leur fut attribuée par la poésie et par l'art après Homère On les représente en effet. avec un buste humain fixé à un corps de cheval. [...]
»


Les images 1, 2 et 3 seraient celles d’un même sarcophage du musée antique d’Arles, l'image 1 représentant la face avant, l'image 2, la face arrière, l'image 3, une des deux faces latérales. Suivant la légende donnée à l’ensemble de ces trois images, le sphinx est censé être représenté sur les images 1 et 3. 

Mais l’affaire semble plus complexe. Et tout d’abord, qu’est-ce que le sphinx ?

En mythologie égyptienne, le sphinx est un hybride à corps de lion et tête d’homme.

En mythologie grecque, le sphinx est aussi un hybride, mais à tête de femme, corps de lion et ailles d’oiseau de proie. Cette description correspondrait à la figure de l'image 3. Mais pas à celles de l'image 1 pour lesquelles les têtes sont des têtes d’oiseaux de proie.

On songe plutôt à des griffons. Voici une partie des commentaires de la page du site Internet Wikipedia consacrée aux griffons : « Le griffon apparaît en Elam à la fin du IVe millénaire av. J.-C. et en Égypte vers -3000, avec un corps de lion, une tête et des ailes d'aigle. Tout au long de l'histoire antique, cette forme première ne cesse d'être nuancée par divers apports iconographiques, notamment dans les cultures mésopotamienne, grecque, puis romaine [..}.

Le griffon intègre sans difficulté le monde du Moyen-Âge Il est en effet considéré comme un animal réel appartenant au genre des oiseaux, et personne ne paraît douter de son existence. Il se rencontre très tôt dans l’art et la littérature chrétienne . Il gagne ensuite l'ensemble des formes d’art et des régions occidentales, fait l’objet de nombre de commentaires savants dans les bestiaires et encyclopédies médiévales, et parcourt même plusieurs œuvres littéraires romanesques. Citons, entre autres, le commentaire d'Isidore de Séville dans ses Étymologies, qui trouve des répercussions durant tout le Moyen Âge, ou encore certaines versions du Roman d’Alexandre. Le griffon ne bénéficie que d'un symbolisme réduit.
»

Quant à l'image 2, elle représente le combat entre deux centaures et un lion.


Il faut bien comprendre que les mythologies mésopotamiennes, égyptiennes, grecques et romaines, en général antérieures à l’an 1 de notre ère, ne constituent pas un thème central de notre étude. Nous sommes cependant obligés de les aborder lorsque certaines images, comme celle du centaure, traversent le premier millénaire.

La religion et les mythologies grecques ont fait l’objet de si nombreuses études que l’on pourrait penser à une grande richesse d’informations. Nous pensons le contraire. L’abondance des commentaires a en fait caché une grande misère d’informations. On songe ici à des expressions telles que le « complexe d’Œdipe », ou celui « d’Icare » laissant s’imaginer que les mythologies de l’époque grecque étaient imprégnées de psychanalyse freudienne.

Les termes mêmes de « religion grecque », de « civilisation grecque » sont, pour nous, incorrects. Nos contemporains ont trop souvent réduit le territoire de l’ancienne Grèce au territoire de l’actuelle Grèce. On oublie que ce territoire s’étend aux côtes de l’Anatolie, aux pourtours de la Mer Noire, à la Sicile et au Sud de l’Italie. Ce que l’on appelle, le monde grec, est principalement, un ensemble de villes portuaires, dispersées sur les pourtours de la Méditerranée. Ces villes étaient liées entre elles par une vision commune du commerce et une langue commune : le grec. Mais ces villes étaient rattachées à un territoire local qui avait ses propres coutumes, sa propre religion. Lorsque les grecs s’installent à Alexandrie, ils y rencontrent la religion égyptienne et finissent par adopter certaines de ses caractéristiques (Exemple : le temple de Philae). Nous estimons donc qu’il n’y a pas une seule religion grecque, mais plusieurs, dépendant des divers peuples ayant adopté au moins superficiellement la culture grecque.

En fait, nous ne savons pas grand-chose de ces diverses religions. Il en est de même pour les mythologies.

Reprenons, par exemple, la ou les mythologies associées aux centaures, vues au tout début de cette page. Ces histoires nous semblent incohérentes. À l’inverse, les personnages du tétramorphe (aigle, taureau ailé, lion ailé, homme ailé), hybrides tout aussi complexes que les centaures ou les sphinx, nous paraissent nettement plus compréhensibles. Tout simplement parce qu’il existe un fil conducteur : l’Apocalypse de Saint Jean.

Mais, concernant les centaures, est-il possible qu’il y ait eu un fil conducteur ? que les légendes concernant ces centaures ne soient que la partie émergée d’un iceberg ? Nous pensons que oui. Les centaures, les sphinx et les griffons, se retrouvent sur le sarcophage des images 1, 2 et 3. Nous pensons qu’une tombe témoigne de l’importance des croyances de celui qui l’a fait édifier. Si ce sarcophage porte des représentations de centaures, de griffons et de sphinx, c’est parce que celui qui l’a fait construire attachait de l’importance à ces représentations. Une importance dont ne témoignent pas a priori les diverses légendes sur ces êtres hybrides.


Pourtant, à y regarder de près, les représentations témoignent elles-mêmes de cette importance. Ainsi la scène de l'image 1 (deux griffons encadrant un vase) fait immédiatement penser à une autre scène, les oiseaux au canthare, dont nous avons eu l’occasion de mesurer l’importance pour les chrétiens des premiers siècles. La scène que nous avons ici est probablement d’origine païenne.

L'image 2 (deux centaures s’attaquant à un lion) est plus difficile à interpréter. Remarquons d’abord que le centaure a évolué au cours du temps pour devenir le sagittaire, signe du zodiaque. C’est d’ailleurs le seul signe du zodiaque que l’on puisse identifier sur les chapiteaux romans du XIesiècle. On voit certes des signes du zodiaque sur les portails romans, mais souvent associés aux travaux des mois, ils sont plus tardifs. En tout cas, si dans certaines églises le sagittaire est représenté sur des chapiteaux (images de 7 à 12), on ne voit pas dans les mêmes églises des chapiteaux portant des décors d’autres signes du zodiaque. Cependant, on peut penser que dans les premiers siècles de notre ère, le centaure-sagittaire qui se termine par le solstice d’hiver ait revêtu une importance plus grande que les autres : il procède au basculement des saisons.

Nous savons que le soleil qui meurt chaque nuit et renaît chaque matin, est symbole d’immortalité. Il peut en être même pour l’année qui meurt le 31 décembre et renaît l’instant d’après.


Les images 4, 5 et 6 présentent des modèles de centaures assez étonnants. Des centaures moustachus sur l'image 4. Ceux de l'image 5 saisissent des pampres de vigne. Quant à ceux de l'image 6, ils attrapent des lapins.

Le centaure de l'image 8 bande son arc contre un sphinx.

Sur l'image 9, plusieurs centaures à têtes féminines sont représentés.

Le centaure de l'image 10 est lui aussi féminin.

Celui de l'image 11 porte une sorte de bonnet à pointe.

Sur un très beau chapiteau en marbre rouge du prieuré de Serrabone, on peut voir un centaure opposé à un lion (image 12). Est-ce tout à fait un hasard si cette scène est analogue à celle de l'image 2, pourtant antérieure d’environ 6 siècles ?



Carte interactive des monuments de France comportant un décor de centaure



Présence de décor de centaure   Absence de décor de centaure    Région non encore étudiée
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