L’église paroissiale de Sainte-Engrâce  

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Selon la page du site Internet Wikipedia : « Le village de Sainte-Engrâce s'est probablement formé autour de l'église du même nom, fondée en 1085 par l'abbaye de Leyre, en Navarre, à laquelle s'adjoignait un hôpital pour les pèlerins. C'était une étape sur le chemin de Compostelle, dont le nom fait référence à une jeune Lusitanienne qui fut martyrisée par les Romains vers l'an 300 alors qu'elle se rendait en Gaule pour épouser un noble chrétien. Le culte de la sainte prit naissance à Saragosse et la légende dit qu'au Xe siècle, des voleurs s'emparèrent d'un bras de la sainte et le cachèrent dans le tronc creux d'un chêne. Chaque jour, un taureau s'agenouillait devant le chêne et ses cornes flamboyaient. Une église fut alors édifiée à cet emplacement et devint lieu de pèlerinage. La précieuse relique disparut en 1569 au cours des guerres de religion. L'église fut classée monument historique en 1841 . Elle fut l'objet d'importants travaux de restauration dans le milieu des années 1980. »

Comme nous l’avons fait en d’autres occasions, nous relativisons la date de 1085 qui est celle de la fondation d’une communauté et non obligatoirement celle de la construction d’une église.

Dans ce texte, la partie la plus intéressante nous semble être la légende attachée à Sainte Engrâce. Nous estimons en effet que dans toute légende il y a une part de vérité. Mais une vérité qui a été tellement enjolivée et déformée qu’il peut être très difficile de la retrouver. Dans le cas présent, certains détails peuvent être authentiques. Tel par exemple le vol de reliques qui était relativement fréquent aux alentours de l’an 800. Mais en général, ce sont les moines de l’abbaye qui reçoit les reliques qui sont eux-mêmes les voleurs. Dans le cas présent, il est possible qu’ils aient volé les reliques, mais qu’ils aient voulu faire reporter sur d’autres la responsabilité du vol. Le miracle des taureaux pourrait aussi avoir une explication logique. On sait en effet que pas très loin de là, à Lectoure dans le Gers, ont été trouvés des autels tauroboliques, preuves d’un culte au dieu Mithra. De même, la légende de Saint Saturnin, évêque de Toulouse, raconte qu‘il a été martyrisé par un taureau. Il est possible que la légende des taureaux de Sainte Engrâce veuille exprimer que le vol des reliques a permis de convertir des populations adeptes du culte du Dieu Mithra ou héritières de traditions associées à celui-ci.


Les images 1, 2 et 3 révèlent un chevet composé de trois absides accolées et une absence de transept. Nous attirons l’attention sur les fenêtres de ce chevet. L’une d’entre elles, située sur la partie en arrière de l’absidiole Nord (image 2), est non décorée et très étroite, analogue à une archère. Elle est surmontée d’un linteau monolithe et non d’un arc. Trois autres fenêtres situées sur les murs extérieurs des absides (image 3) sont des fenêtres à ressaut. Nous envisageons d’effectuer une étude exhaustive sur l’ensemble des baies et plus particulièrement sur les fenêtres. Une telle étude est relativement complexe dans la mesure où une baie peut-être ouverte dans un mur préexistant. Cependant, d’ores et déjà nous, pensons que le type de fenêtre à ressaut que l’on voit ici est antérieur aux fenêtres encadrées de colonnettes et chapiteaux portant des arcs toriques qui constituent des éléments de décor. Ces dernières fenêtres sont romanes du XIIe siècle. Toute la difficulté est de traduire en chiffres le mot
« antérieur ». Le type de fenêtre de Sainte-Engrâce est-il antérieur de quelques décennies ou de plusieurs siècles à celui des fenêtres romanes du XIIesiècle ? Les partisans de la formule dogmatique, « Toutes les églises sont postérieures à l’an mille » parleront de quelques décennies. Nous-mêmes, qui avons observé des écarts de plus d’un siècle entre les formes de fenêtres de la renaissance et du baroque, envisageons des écarts tout aussi importants entre d’une part les fenêtres de Sainte-Engrâce et les fenêtres romanes du XIIesiècle.

Cela signifie-t-il pour autant que le chevet de Sainte-Engrâce soit de beaucoup antérieur à l’an mille ? Certainement pas : une autre donnée entre en jeu. Il s’agit de l’abside principale de grandes dimensions. Nous pensons que, un ou deux siècles avant l’an mille, l’effort de construction a été porté principalement sur les parties Est des édifices (création de transepts, d’avant-chœurs, de grandes absides principales, de cryptes).


À l’intérieur (images de 7 à 12), on découvre une nef triple voûtée. Mais on découvre aussi des anomalies de construction. Il y a tout d’abord les piliers dont un exemplaire apparaît sur l'image 12. À première vue, tout semble normal ; le pilier est constitué de deux parties : en bas, une partie à plan circulaire d’une hauteur voisine de 80 cm et au-dessus, une partie à plan cruciforme. Les colonnes demi-circulaires qui flanquent les piles centrales de cette partie cruciforme reposent sur des bases quadrangulaires qui elles-mêmes reposent sur la grande base cylindrique. On songe ici à une grande faute de goût architectural : les constructeurs n’auraient pas dû employer cette base cylindrique et auraient dû faire partir directement du sol le pilier cruciforme ... avec éventuellement une partie cylindrique de très faible épaisseur (10 à 20 cm) pour un meilleur entablement.

Cependant, nous sommes persuadés que les architectes du Moyen-Âge ne commettaient pas de faute de goût. Si cette disposition est ainsi faite, c’est pour une autre raison. Nous pensons que l’église primitive était bâtie sur des piliers cylindriques qui ont été arasés pour constituer la base des piliers actuels.

Mais il y a plus ! Observons les piliers côté Nord-Ouest (images 9 et 10). Ce sont des piliers de type R1212 à pilastres et impostes portant des arcs doubles. Les piliers côté Sud-Est (image 11) sont eux aussi de type R1212 et ils portent des arcs doubles. Cependant, les colonnes adossées aux piliers ne sont pas des pilastres mais des colonnes demi-cylindriques portant des chapiteaux et des tailloirs. La construction de piliers à section cruciforme est réalisée en vue du voûtement de la nef. La différence de construction des piliers montre qu’il y a eu deux constructions successives de cette nef. Trois, si l’on tient compte d’une première construction sur piliers cylindriques d’une nef qui n’était probablement pas voûtée.




Les sculptures

Image 6 : Le tympan du portail représente un chrisme encadré par deux anges. Le thème du chrisme a été développé dès l’époque paléochrétienne. Initialement, c’était le monogramme du Christ qui aurait été adopté par Constantin le Grand. Ce thème du chrisme qui était peut-être un symbole de l’hérésie arienne (Constantin est soupçonné d’avoir flirté avec cette hérésie) a disparu au cours des siècles. Sauf sur et autour des Pyrénées, où les représentations de chrisme sont nombreuses, pouvant remonter, comme celle-ci, à une période romane (XIeou XIIesiècle). L’étude fine de l’évolution de ces chrismes entre le IVesiècle et le XIIesiècle est envisagée, mais il faut pour cela disposer d’un plus grand nombre d’images que celles présentes sur ce site.

Image 15 : Scène énigmatique : à gauche, une représentation érotique. Sur la partie centrale, un animal fabuleux. Peut-être un éléphant ?

Image 16 : Personnages barbus en attitude d’orants.

Image 17 : L’Adoration des Mages.

Image 18 : Personnages accroupis.

Image 19 : Personnage maniant une sorte de goupillon face à un diable. Nous doutons de l’authenticité de ce chapiteau : les traits du visage de l’homme au goupillon ne semblent pas romans.

Image 20 : Combat entre centaures tendant des arcs.

Ces images de chapiteaux ont été insérées dans cette page en vue d’accumuler une documentation. Il faut bien comprendre que les scènes que nous avons ici sont représentées en d’autres endroits. Chacune des scènes doit avoir une signification profonde. Si certaines comme l’Adoration des Mages peuvent avoir une explication - soumission du pouvoir temporel au pouvoir spirituel - d’autres semblent plus hermétiques (par exemple : pourquoi des centaures tirant à l’arc ?). Seule l’étude exhaustive d’un grand nombre de représentations pourrait lever un coin du voile.




Datation envisagée

Si les chapiteaux décrits ci-dessus semblent dater du XIesiècle, la construction initiale à nef à colonnes cylindriques devrait être nettement plus ancienne. Et en admettant même que dès la première construction, les piliers aient été à section cruciformes (donc nef voûtée), le fait qu’il y ait eu deux étapes de construction de ces piliers fait apparaître un écart d’au moins un demi-siècle entre ces deux étapes bien différenciées. En conséquence, nous envisageons la date de l’an 950 avec un écart de plus d’un siècle pour la construction initiale.