Le prieuré Sainte-Marie de Serrabone à Boule-d’Amont
La légende du plan de l'image
1 nous apprend que la partie la plus ancienne de
ce prieuré, en traits noirs,
datée du XIesiècle, n'est autre que le
vaisseau central de la nef. La même légende nous fait
découvrir la construction suivante ainsi notée, «
agrandissements du XIesiècle » . Cette
partie, en traits hachurés, est formée du collatéral Nord,
du « transept » et des trois absides.
Nous pensons qu'en fait, c'est le
contraire ! la partie en traits hachurés serait la plus
ancienne. Nous partons du principe que l'architecte de la
construction initiale a voulu construire une église
parfaite. Le plan de cette église devait, en conséquence,
être parfaitement symétrique par rapport à l'axe privilégié
(Est-Ouest). Le plan actuel ne présente pas une telle
symétrie mais un peu d'imagination y supplée. Il suffit en
effet de reproduire par symétrie le collatéral Nord. Une
fois cette transformation réalisée, on est en présence d'une
église à nef à trois vaisseaux avec trois absides en
prolongement des trois vaisseaux. Il s'agit là d'un plan
idéal qui, selon nous, a perduré pendant plusieurs siècles (
Lire sur ce sujet la page « Évolutions
du plan d'ensemble : les plans initiaux » de ce site
Internet).
Initialement, les églises de ce plan n'étaient pas pourvues
d'un transept mais, dans bien des cas, le transept aurait
été construit ultérieurement en remplacement d'une travée.
Dans ces cas-là le transept est le plus souvent « bas », de
hauteur inférieure à celle du vaisseau central de la nef.
C'est le cas ici (images
2, 3 et 9). Cependant, une telle idée d'église à
nef à trois vaisseaux est confrontée à l'objection suivante
: l'actuelle galerie Sud n'a rien de comparable à un
collatéral Sud. Est-il possible que l'édifice primitif ait
été à deux vaisseaux, la galerie Sud ayant été construite
après ? Nous pensons qu'il y avait, à l'emplacement de la
galerie Sud, une construction antérieure à celle-ci. Nous le
devinons dans le très beau parement en arêtes de poisson (
opus spicatum) du mur situé au dessous de cette galerie. Il
s'agit là d'une méthode de construction antérieure à l'an
1000 (images 7 et 8).
Il reste à analyser la partie centrale
de cette nef à trois vaisseaux. Nous pensons que
primitivement, le vaisseau central était soutenu par des
piliers. Lorsqu'il a été décidé durant la période gothique
de construire une voûte sur ce vaisseau central, les piliers
ont été supprimés ou noyés dans la maçonnerie (images
16 et 18).
L'idée d'une église à nef à trois vaisseaux semble donc
plausible. Quelle en est l'ancienneté ? Nous avons déjà vu
que les églises à nefs à trois vaisseaux et trois absides en
prolongement devaient être antérieures à l'an mille.
Celle-ci a une particularité : les deux absidioles sont
insérées dans la maçonnerie. En fait, cette particularité
n'en est pas une dans certaines régions, en particulier
celles en contact avec les terres d'Islam. Nous pensons que
cette disposition est plus symbolique qu'utilitaire : la
volonté de manifester le dogme de la Trinité : un seul Dieu,
à l'extérieur, en trois personnes, à l'intérieur. On sait
que le dogme de la Trinité a été un enjeu de l'hérésie
arienne qui prônait la primauté du Père sur le Fils et
l'Esprit.
Mais, concernant le prieuré de
Serrabone, l'essentiel n'est pas dans son ancienneté mais
dans son décor sculpté. Et, en particulier, celui de la
tribune. On n'est pas certain que ce décor soit dans son
emplacement d'origine. C'est en particulier le cas de,la
galerie Sud (images de 7
à 15). Nous envisageons que les éléments
constitutifs de cette galerie ont été récupérés sur un
ancien cloître.
Passons à une étude plus précise de ces décors :
Image 5 :
Chapiteau aux lions affrontés. L'image est devenue classique
; deux corps de lions sont développés sur chacune des
faces du chapiteau. Ils se rejoignent en une seule tête à
l'angle du chapiteau.
Image 6 : L'image
est bien moins classique que la précédente. Sur chacune des
faces du chapiteau, un ange encense l'homme situé à l'angle.
Celui-ci présente le livre
(évangile) et lève la main droite en signe de bénédiction.
On retrouve le signe énigmatique : index et majeur dressés,
annulaire et auriculaire basissés. Mais ici le pouce est
aussi dressé, ce qui n'est pas le cas dans d'autres
situations. À remarquer qu'aucun personnage n'est auréolé.
Image 11 : On
retrouve deux chapiteaux aux lions affrontés.
Image 12 : Le
chapiteau de droite présente des aigles aux ailes déployées,
thème déjà vu ailleurs. Celui de gauche est beaucoup moins
fréquent. Il représente des lions ayant dévoré le corps d'un
animal dont seules les pattes surgissent de la gueule. La
scène est présidée par un personnage (ailé ?). Il doit y
avoir un symbolisme attaché à ctte présentation, mais nous
ignorons lequel.
Image 13 : Encore
des lions sur le chapiteau de gauche. Mais ici on ne voit
pas de symétrie. Et-ce bien un chapiteau d'inspiration
romane ? Sur le chapiteau de droite, on constate bien une
symétrie, mais le motif de grandes palmes est vu ici pour la
première fois (inspiration wisigothique ?).
Image 14 : Animaux
hybrides affrontés sur le chapiteau de gauche. Lions
affrontés sur le chapiteau de droite.
L'étude que nous venons de faire de ces chapiteaux est très
superficielle. Il y aurait beaucoup de détails à examiner
plus attentivement, comme par exemple les pattes des animaux
ou les petits personnages supervisant les scènes en haut et
au milieu. La question est de savoir si ces détails riches
d'exubérance sont le résultat d'une imagination féconde du
sculpteur ou d'un processus organisé lié à l'expression d'un
symbolisme dont le sens profond a été perdu.
Nous passons maintenant au décor de la
tribune (image 22).
Cette tribune est portée par une série de colonnettes
portant des arcs en croisée d'ogives. La présence de ces
croisées d'ogives fait envisager un art roman déjà évolué.
Cela étant, on a déjà vu dans d'autres cas que des
voûtements évolués ont pu avoir été installés sur des
éléments (colonnes, chapiteaux) nettement plus anciens.
On retrouve sur les images
19 et 21 des chapiteaux aux lions affrontés ou
adossés. Le chapiteau visible sur l'image
20 représente selon nous un dérivé de la scène du
« lion dévorant » ou encore du « lion dominant » ; dans le
coin du chapiteau, une tête de lion semble dans certains cas
dévorer un homme ou sa tête et dans d'autres cas, dominer et
protéger l'homme. Ici ce sont les bras d'un homme enserrant
le corps d'un autre homme imitant ainsi la gueule du lion
dévorant.
La façade côté Ouest de cette tribune (image
22) déploie une décoration d'une grande richesse.
Sur cette façade, on reconnaît de gauche à droite :
Deux anges (images 23 et
25).
Les symboles (lion et aigle) des évangélistes Marc et Luc
(images 23 et 26).
L'agneau Pascal (à gauche sur l'image
27).
Le symbole de l'évangéliste Mathieu (homme, à droite sur l'image 27).
Le symbole de l'évangéliste Luc (taureau sur l'image
28).
À remarquer dans cette description la présence inhabituelle
de l'Agneau Pascal. L'Agneau Pascal accompagné d'une croix
pattée hampée est, selon nous, préroman
(VIIe ou VIIIesiècle). La présence
des symboles des évangélistes est normale sur un monument
estimé roman (XIeou XIIesiècle
). Il faut néanmoins dire que le tétramorphe (symbole des
quatre évangélistes) a été représenté sur une longue
période, du préroman au gothique.
Nous constatons aussi une absence : le Christ en Gloire. Le
tétramorphe est en général représenté entourant ou aux pieds
d'un Christ en Gloire. Il est peu probable que l'Agneau
Pascal de même taille que les symboles des évangélistes ait
fait fonction de Christ en Gloire. En conséquence, nous
devons envisager que ces éléments de la tribune aient pu
faire partie d'un ensemble plus vaste (contenant un Christ
en Gloire) réaménagé ultérieurement pour constituer
l'actuelle tribune.
Sur l'image
29, on
peut voir deux chapiteaux accolés représentant deux lions
dans des attitudes différentes. Ces deux chapiteaux si
différents sont ils le résultat d'une restauration ?
Le chapiteau de l'image 30
est quant à lui taillé dans une seule pièce. Il
représente, à gauche, un centaure (ou un sagittaire) et, à
droite, un animal à corps de lion mais à tête de bélier. Un
personnage souriant est placé entre les deux animaux comme
s'il voulait les réconcilier. Un temps nous avions envisagé
que le centaure (sagittaire) pouvait représenter un des
signes du Zodiaque. Le lion ou le bélier seraient un des
deux autres signes du Zodiaque. Cependant ni le bélier ni le
lion ne sont diamétralement opposés au Sagittaire dans le
cercle du Zodiaque. Donc on n'est pas en présence d'un
symbole de réconciliation de deux extrêmes. La question du
symbolisme du centaure et du lion reste donc posée.
Datation envisagée
Pour une bonne lecture des cartes interactives, nous ne
devons fournir qu'une seule date. Nous avons le choix entre
deux dates : celle de la construction du premier bâtiment (
église à nef à trois vaisseaux et trois absides en
prolongement) : an 800 avec un écart de 200 ans.
Et celle de la fabrication des décors (chapiteaux et
tribune) : an 1050 avec un écart de 100 ans.
Ces décors étant l'élément le plus représentatif de
l'édifice, c'est cette dernière date que nous adopterons.