Évolution du plan d'ensemble d'une église : les plans initiaux 

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Plans d’églises à nef unique

Au début de notre recherche, nous avons privilégié les églises à nef triple. Il y avait plusieurs raisons à cela. La première d’entre elles est le résultat d’une constatation : les églises à nef triple sont plus faciles à dater. Mais il y avait aussi une autre raison : nous pensions que les églises à nef triple avaient été construites en premier. Pour nous, les églises à nef unique étaient plus tardives, consécutives à une évangélisation des campagnes qui, selon la plupart des historiens, avait été de beaucoup postérieure à l’évangélisation urbaine : le mot « païen » est issu du latin « « paganus » qui signifie « paysan ».

Nous sommes en train de remettre en question cette idée que nous trouvons à présent trop simplificatrice. Pour ne pas dire simpliste. Tout d’abord, il faut dire que l’évangélisation dans la religion catholique ne s’est pas faite spontanément grâce aux coups de baguette magique des édits de Constantin le Grand au milieu du
IVesiècle. Bien avant ces édits, la religion catholique avait gagné les cœurs d’une partie importante des populations. Et bien après ces édits, une autre partie des peuples restait hostile au catholicisme. Ces « païens » pouvaient pratiquer des cultes issus de traditions anciennes (préceltiques, celtiques, romains). Mais aussi de religions nouvelles (judaïsme, hérésies du catholicisme, etc.). Et il devait en être de même pour les campagnes. Avec cependant une plus grande importance attachée au catholicisme pour les populations urbaines, plus proches des élites cultivées.

Récemment, nous avons appris que dans les ruines d’une chapelle isolée située aux confins du Larzac, la chapelle Saint-Clément de Soubès (Hérault), avait été trouvée une monnaie de Constant Ier, fils de Constantin-le-Grand. On pourrait déduire de cette découverte que, dès le IVesiècle, le christianisme était présent, même au plus profond des campagnes. Nous n’en sommes pas encore là. Il faut attendre confirmation par d’autres découvertes.

Toujours est-il que ces églises primitives ont un plan très simple : une nef à plan rectangulaire prolongée par un chœur carré. Nous pensons que ce type de plan s’inspire plus ou moins directement d’un plan simplifié du Temple de Jérusalem, avec les blocs privilégiés nommés le Saint et le Saint des Saints. À moins que l’inspiration provienne des temples romains dont les salles saintes, cella et procella, dessinent le même type de plan.

Le plan de l’église de San Julián de Boada (image 1) est de ce type. On remarque toutefois un détail qui, selon nous, a de l’importance : le chœur et la nef n’ont sensiblement pas la même direction.

On constate que pour de nombreuses églises à nef unique, une tour est installée sur l’avant-chœur ou la première travée de la nef. Dans certains cas, la construction de cette tour pourrait être d’origine (image 2 : le parement des murs semble uniforme). Dans d’autres cas, elle serait postérieure à la construction d’origine (image 3 : on observe des différences concernant les baies).


Les églises à nefs triples

Il n’est pas question ici de reprendre ce que nous avons déjà écrit sur les nefs triples. Nous nous étions alors restreints aux seules nefs sans examiner l’édifice dans sa totalité. Or dans une église, il n’y a pas seulement la nef. On y trouve aussi d’autres parties comme le chœur.

L'image 4 est celle du plan des fouilles du site de Kourion, à Chypre. On y décèle non pas un, mais deux édifices à plan basilical. Les deux édifices sont orientés vers l’Est. Tous deux ont des nefs triples à piliers cylindriques. Le plus grand des deux, à gauche, est entouré sur trois côtés d’une sorte de couloir analogue aux péristyles des temples romains. On pense que ce péristyle était réservé aux catéchumènes qui n’avaient pas le droit de pénétrer dans l’église. Il existe d’autres églises témoins de ces péristyles. Ainsi celle de Bolnisi en Géorgie (image 8).

Chacune des deux églises est dotée d’une abside unique à plan semi-circulaire. Cette abside dont le diamètre est égal à la largeur du vaisseau central se trouve en prolongement de ce dernier. Nous ne savons pas si cette abside était voûtée en cul-de-four autoportant. mais c’est peu probable. Il est cependant possible que des solutions aient été trouvées pour installer de fausses voûtes (en bois, en stuc, en encorbellement, ...).

Toujours au vu de ce plan, on constate que l’arrondi de l’abside est englobé dans une structure plus vaste. Comme si on avait voulu cacher l’abside aux yeux extérieurs.

Enfin, on remarque que les deux absides sont précédées d’un atrium, semblable au cloître d’une abbaye.


Doit-on envisager que toutes les églises des premiers siècles obéissaient à un même type de plan ? C’est à dire possédant des nefs à trois vaisseaux entourées d‘un péristyle. Avec, en prolongement du vaisseau central, une abside unique enserrée dans un corps de bâtiment plus anonyme. Et, comme ouvrage Ouest, un atrium imité des romains.

Les images suivantes ne permettent pas de le penser. Très probablement le modèle de Kourion était réservé à de grands ensembles. Pour de plus petits ensembles, on était moins ambitieux.

Sur la basilique de Casa Herrera (image 5), on peut voir deux absides : une abside et une contre-abside.

On retrouve le modèle d’une nef triple prolongée par une abside unique dans l'image 6 de la basilique wisigothique de Tarragone située à l‘intérieur de l’amphithéâtre.

Et de nouveau dans les images 7, de l’église Saint-Barthélemy de Farges-lès-Macon (Saône et Loire), et 9, de l’église Saint-Didier de Voreppe (Isère).


Nous avons voulu regrouper dans les images de 10 à 17 toutes les églises présentant les caractéristiques suivantes : elles sont à nef triple ; avec une seule abside en prolongement du vaisseau central ; à l’extérieur, le chevet est plat. Ce type d’église est-il caractéristique d’une période donnée ? Il nous est difficile de le prouver ; d’autant qu’il existe de nettes différences entre les divers plans.

Sur les plans des images 18 et 19, les absides et absidioles des églises sont proéminentes.


Nous pensons que la proéminence des absides (le fait que les absides soient visibles de l’extérieur) ou au contraire leur non-proéminence soient vraiment caractéristiques d’une période donnée. Et ce bien que, à partir d’un certain moment, toutes les absides aient été proéminentes.

L'image 19 des basiliques de Paphos est en cela intéressante. On y voit trois basiliques représentées, en noir, en rouge et en bleu. La plus ancienne pourrait être celle tracée en noir. Sa nef, à trois vaisseaux, entourée d’un péristyle, s’apparente à celle de Kourion. Côté Ouest, on peut voir comme à Kourion, un atrium.

Cette nef a été partiellement détruite lorsqu’une autre basilique (en rouge) a été construite à l’intérieur. La basilique tracée en traits bleus est selon nous postérieure à ces deux basiliques : son plan, à trois nefs prolongées par trois absides proéminentes, est le même que celui d’églises étudiées un peu plus loin dans la même page et qui selon nous sont probablement postérieures aux églises précédemment citées.

Il reste que la première basilique (en traits noirs) de Paphos possèderait, elle aussi, des absides proéminentes (non insérées dans un massif quadrangulaire comme celle de Kourion). Le caractère « proéminent » ou « non proéminent » ne serait donc pas distinctif d’une période. Peut-être d’un groupe religieux ou dépendant de conditions particulières ?

Remarquons aussi que le plan du chevet de cette première basilique est légèrement différent de celui des basiliques vues par la suite (images 20 et suivantes). Dans celles-ci en effet, les absides sont réellement dans le prolongement des vaisseaux. Leurs diamètres correspondent aux largeurs des trois vaisseaux.


Ces images suivantes sont toutes caractérisées par le même plan :

Image 20 : L’église Saint-Martin de Volonne (Alpes-de- Haute-Provence).

Image 21 : La chapelle la Madeleine de Bédouin (Vaucluse).

Image 22 : L’église Notre-Dame de l’Assomption de Brageac (Cantal).

Image 23 : L’église paroissiale de Saint-Aventin (Haute-Garonne).

Image 24 : L’église paroissiale de Saint-Généroux (Deux-Sèvres).

Image 25 : L’église San Salvador de Leyre (Navarre/Espagne).

Image 26 : L’église de Méthéki à Tbilissi (Géorgie).

Image 27 : L’église San Clemente de Taüll (Catalogne /Espagne).

Une remarque doit cependant être apportée concernant cette dernière église : son chevet est un peu différent des autres. L’abside principale, dans le prolongement du vaisseau central, est en avancée par rapport aux absidioles. Cette abside est précédée d’un avant-chœur. Il est possible que cette particularité soit le fait d’une réfection ultérieure à la construction initiale.

Nous avons voulu représenter plus particulièrement une de ces églises : l’église paroissiale d’Escales (Aude) : son plan (image 28), sa façade Ouest (image 29), son chevet (image 30). On remarque les arcatures lombardes du chevet. Par contre, les murs latéraux ainsi que la façade Ouest ne sont pas décorés d’arcatures lombardes. Nous pensons que les arcatures lombardes ne sont pas un seul élément de décor. Elles auraient un rôle architectonique en permettant le voûtement des églises par renforcement des parties hautes des murs.

On peut raisonnablement envisager que le plan type des églises à nef à trois vaisseaux et chevet à trois absides dans le prolongement des vaisseaux, plan observé dans les images 20 à 30 a été utilisé durant une longue période. Il pourrait même partiellement subsister dans le plan d’églises profondément restaurées.


L’église de Saint-Laurent-des-Arbres (images 31 et 32) pourrait être une de ces églises à plan primitif de nef à 3 vaisseaux avec trois absides en prolongement. Son chevet, très élevé, fait penser à celui de Leyre (Aragon). Nous pensons que la nef, primitivement à 3 vaisseaux, a été remplacée par une nef à un vaisseau par suppression des collatéraux. Mais, pour confirmation, il faudrait pouvoir visiter l’intérieur.

Concernant l’église Saint-Martin de Thuret (Puy-de-Dôme) (image 33), on constate que les absidioles ne sont pas dans le prolongement des collatéraux. Deux hypothèses sont envisageables. La première envisagerait que l’église a été construite en une seule étape de travaux, à une date relativement tardive du premier lorsque la mode des transepts a commencé à s’imposer. La deuxième hypothèse est celle de deux étapes de travaux, le transept et le chevet étant construits lors de la deuxième étape.
C’est cette hypothèse de deux étapes de travaux qui doit être privilégiée en ce qui concerne l’église paroissiale de Saint-Saturnin !Puy-de-Dôme) (image 34). On constate en effet que les entrées du déambulatoire du chœur sont situées dans le prolongement des collatéraux. D’où l’idée suivante : dans un premier temps, l’église a un plan analogue à celui des images 20 à 30. Dans un deuxième temps, on supprime l’ancien chevet et on le remplace par un transept débordant sur lequel sont greffées deux absidioles. L’ancien chevet qui possédait une abside et deux absidioles est remplacé par une grande abside à déambulatoire.

Avec les églises Saint-Étienne de Nevers (Nièvre) (image 34) et Saint-Pierre d’Airvault (Deux-Sèvres) (image 35), il semblerait que les constructions aient été faites en une seule étape de travaux. De tels plans dans lesquels toutes les dispositions nouvelles semblent être prévues dès l’origine (transept, chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, ouvrage Ouest) caractériseraient les nouvelles églises construites à l’épque romane : XIeou XIIesiècle.