L'abbatiale Sainte-Marie d'Arles-sur-Tech 

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L'ancien monastère d'Arles-sur-Tech était environné de tours (images 1, 2 et 4). De quand datent-elles ? Il nous est difficile de le savoir. Elles sont de même style, un style différent des tours d'Elne ou de Saint-Michel-de-Cuxa, à arcatures lombardes. Nous allons prochainement étudier ces dernières tours. Peut-être arriverons-nous à définir à partir de ces études une chronologie de construction ?

Sur les images 3 et 14, nous pouvons voir une très belle « façade Ouest ». Mais le plan de l'image 33 nous révèle qu'il ne s'agit pas d'une façade située à l'Ouest du bâtiment, mais à l'Est. La surprise est d'autant plus grande que, sur ce plan, on constate que les absides circulaires qui d'habitude sont situées à l'Est sont en fait à l'Ouest du bâtiment. D'où vient cette inversion de l'orientation ? Nous l'ignorons.

Les images 5 et 6 sont celles d'un cloître gothique. On peut voir en arrière-plan la façade Sud de l'église.


Le plan de l'image 33 ainsi que les images de 7 à 11 de l'intérieur de la nef font apparaître une nef à 3 vaisseaux. Ces vaisseaux sont voûtés en berceau brisé. Ces trois vaisseaux étaient primitivement charpentés. Ils ont été voûtés par la suite. Ce voûtement a été effectué d'une façon inusitée. De gros pilastres ont été accolés aux piliers, côté vaisseau central. Ces pilastres ont été prolongés sur les murs gouttereaux du vaisseau central. Ils ont été reliés par des arcs de même rayon que les arcs reliant les piliers de l'église primitive, mais situés nettement plus haut (image 10). Ces arcs ont permis de soutenir les murs porteurs de la voûte du vaisseau central. Mais où est la preuve de cet ajout de pilastres adossés aux piliers ? Cette preuve, nous la voyons sur l'image 11 : le pilastre et le pilier apparaissent accolés. La distinction entre pilastre et pilier se manifeste par l'existence d'une imposte à chanfrein vers l'intrados.


L'image 16 est celle de la fenêtre centrale de la « façade Ouest » (qui en fait est située à l'Est). Cette fenêtre est presque entièrement encerclée d'un décor de palmettes. La seule partie pourvue d'un décor différent est l'entablement (image 17). Mais cette partie est formée de pièces disparates. Elle est très probablement le résultat d'une restauration.


Le portail de l'image 18 a aussi été remanié. La voussure est romane ; elle est terminée par deux lions dévorant (ou protégeant) un homme (images 19 et 20).

L'image 21 est celle d'un tétramorphe en forme de croix. Au centre de cette croix, est représenté un Christ en Gloire. Il tend la main levée. Le geste est très symbolique ; deux doigts dressés ( index et majeur), trois doigts baissés. Il semblerait que ce symbole, dont on ne connaît pas la signification exacte, ait perduré pendant des siècles, de la période romaine jusqu'à la période romane.


Le sarcophage de l'image 24 a été intégralement conservé (couvercle + cuve ). Il date selon nous de l'antiquité tardive. Il est orné d'un beau chrisme (image 25). En fait, il ne s'agit pas d'un chrisme qui devrait porter le symbole « P » du « rho ». Ce serait plutôt le symbole de la croix à 6 branches. La croix à 6 branches pourrait représenter la vue en perspective des six directions de l'univers, la branche verticale représentant la direction Bas-Haut, les branches du X représentant les directions Nord-Sud et Est-Ouest.

Un panonceau nous donne des renseignements sur ce sarcophage ainsi que sur le gisant situé à proximité : « La Sainte Tombe : Sarcophage de marbre blanc, antique pense-t-on, orné d'un chrisme. Il provient certainement de l'abbaye primitive. Selon la tradition, les reliques des Saints Abdon et Sennen y auraient été déposées lorsqu'elles furent amenées de Rome à Arles vers l'an 963, en attendant d'être placées dans l'église abbatiale qui n'était pas encore achevée. Le sarcophage produit de l'eau dont les scientifiques n'ont pas encore expliqué l'origine. » Ce que le panonceau ne dit pas c'est que cette production d'eau inexpliquée a suscité un engouement populaire, la croyance en un miracle et la dévotion qui lui est attachée. L'allusion à une translation des reliques des Saints Abdon et Sennen pourrait ne pas être une simple légende, comme le laissent penser les mots, « Selon la tradition », mais l'expression d'une réalité. En effet, les légendes sont en général très imprécises en ce qui concerne les dates. Ici la date de 963, sans lien avec des événements historiques qui pourraient l'expliquer, entre en contradiction avec l'hypothèse d'une légende bâtie de toutes pièces. Nous pensons que cette date a probablement été trouvée dans une charte relatant l'histoire de cette translation. Comme cela arrive souvent, la charte aurait été perdue dans une opération de vide-greniers. La suite de la phrase, « les reliques des Saints Abdon et Sennen y auraient été déposées ... en attendant d'être placées dans l'église abbatiale qui n'était pas encore achevée », confirme cette hypothèse. Le culte des reliques a été constant durant toute la période chrétienne. Mais il semblerait que dans les deux siècles précédant l'an mille, on ait commencé à aménager des espaces spécifiques réservés à l'accueil de ces reliques, les cryptes, confessions, martyriums. Dans le cas présent, l'église abbatiale devait être achevée depuis longtemps. Mais le nouvel aménagement prévu pour accueillir dignement les reliques n'était pas encore fait ... et ne l'a sans doute jamais été.


Le gisant de Guillaume Gaucelme

Le panonceau cité plus haut décrit ce gisant : « Le gisant de Guillaume Gaucelme, seigneur de Tailhet, mort en 1204, est l'oeuvre du sculpteur Ramon de Bianya. Ce seigneur fit un legs à l'abbaye avant d'y être enterré. Un manuscrit de 1591, écrit par Michel LLOT, mentionnait déjà la présence du sarcophage et du gisant à l'endroit où ils se trouvent aujourd'hui. » Ce gisant pose question. Tout d'abord, il ne s'agit pas d'un gisant mais d'un monument funéraire formé de 4 pièces bien distinctes. Il y a tout d'abord le gisant proprement dit. Il devait être, à l'origine, placé à l'horizontale sur la tombe. Sa forme trapézoïdale évoque plutôt une tombe du VIIesiècle qu'une tombe du début du XIIIesiècle. Il en est de même pour les vêtements du personnage plus apparentés à ceux d'un abbé que ceux d'un seigneur local (image 27).

La dalle sculptée en bas-relief placée au-dessus du gisant se révèle tout aussi intéressante (image 28). Tout d'abord, elle est issue d'une pièce en bas-relief différente du gisant. Elle est ornée d'une croix pattée caractéristique de l'antiquité tardive. Sur cette croix, on retrouve le symbole de la main dressée décrit ci-dessus « deux doigts dressés, trois doigts fermés ». Une inscription obituaire est marquée en haut de cette plaque. Elle se déroule en partie sur la branche supérieure de la croix et les deux doigts dressés. Sa lecture est délicate mais nous pensons que cette inscription est à l'origine du texte ci-dessus. Elle nous confirme dans l'idée que le gisant et la plaque supérieure pourraient être nettement antérieurs à la date de 1204. Ils auraient été récupérés pour servir à orner le monument funéraire de Guillaume de Gaucelme.

Le dernier décor de ce monument funéraire n'est autre que les deux plaques sculptées placées de part et d'autre du gisant (images 29 et 30 ). Ces deux plaques représentant des anges pourraient provenir d'un tympan sculpté roman antérieur d'au moins un siècle à la pose du monument funéraire datée de 1204 (si la lecture du texte obituaire est correcte).

La contre-abside située à l'Est est ornée d'une fresque représentant probablement le Christ en Gloire entouré du Tétramorphe (image 31). Notons aussi la présence de fonts baptismaux ornés d'un décor d'arcades (image 32). Jusqu'à présent, nous n'avions poas attaché d'importance à ce type de décor. Nous pensons à présent, au vu de sa fréquence dans les représentations, qu'un symbolisme doit lui être attaché sans savoir exactement lequel.


Datation envisagée pour l'abbatiale Sainte-Marie d'Arles-sur-Tech (datation proposée à partir de l'examen des piliers de la nef) : an 850 avec un écart supérieur à 150 ans.