La cathédrale Notre-Dame de Noyon
Nous avons effectué une visite rapide de
ce monument et la majorité des images de cette page a été
réalisée lors de cette visite.
Ami lecteur, vous êtes très certainement surpris de
découvrir que sur un site Internet décrivant des monuments
du premier millénaire, on ose parler d'un édifice gothique
manifestement construit au cours du deuxième millénaire. Il
faut comprendre que ce site est à la fois un site
d'information sur l'existence de monuments datables du
premier millénaire, mais aussi de recherche en
identification (datations, influences ethniques ou
religieuses). Pour le premier objectif que nous nous sommes
fixés - démontrer l'existence d'édifices du premier
millénaire, existence niée par la plupart des historiens de
l'art - cette démonstration sera plus crédible s'il apparaît
que le discours des historiens est déjà incohérent en ce qui
concerne les monuments du début du deuxième millénaire (art
roman et art gothique). Le second objectif est plus complexe
car il consiste à s'efforcer de détecter et de ranger dans
une période donnée des éléments caractéristiques de cette
période concernant l'architecture globale (plans au sol ou
en élévation, techniques de construction), les points de
détail en architecture (forme des baies, leur emplacement,
forme des chapiteaux ou des impostes), les thèmes
iconographiques (asymboliques, symboliques, héraldiques,
bibliques). Les rapprochements étant faits, l'idée est de
remonter dans le temps à partir de la période que l'on est
censé connaître le mieux : le XIIe siècle.
Venons-en justement à ce XIIe siècle et au
panneau de l'image 1 photographié
dans une église de l'Oise. Les diverses formes d'art sont
rangées sur une échelle chronologique allant de l'an 950 à
l'an 1400. La lecture est la suivante :
Préroman : de
l'an 950 à l'an 1000.
Premier art roman :
de l'an 1000 à l'an 1075.
Art roman : de
l'an 1075 à l'an 1160.
Premier art gothique :
de l'an 1160 à l'an 1185.
Gothique classique :
de l'an 1185 à l'an 1230.
Gothique rayonnant : de
l'an 1230 à l'an 1400.
À cela est superposée l'indication Transition
roman/goth. : de l'an 1100 à l'an 1170.
Cette répartition chronologique reproduit certains clichés.
Le premier d'entre eux consiste à affirmer que l'art roman
commence à l'an mille. En fait, l'idée est issue de diverses
définitions de dictionnaires : le «
Petit Larousse » : « Art
roman : se dit de l'art qui s'est épanoui en Europe aux XIe
et XIIe siècles. » ; et celle trouvée
sur Internet : « Le
terme d'art roman, définit, en histoire de l'art, la
période qui s'étend de 1030 à la moitié du XIIe
siècle, entre l'art préroman et l'art gothique. Il est
forgé en 1818 par l'archéologue normand Charles de
Gerville et passe dans l'usage courant à partir de 1835.
». La véritable ambiguïté ne se situe pas là mais dans la
définition du terme
« préroman». Celle du « Petit
Larousse », « Qui précède, prépare la période
romane », ne précise pas quelle est la date de départ de la
période préromane. On s'attendrait à avoir une réponse
analogue à celle-ci, trouvée sur Internet : « Art
préroman ou plus souvent Architecture préromane sont des
termes employés pour désigner la période entre l'art
paléochrétien qui se termine avec l'Empire romain
d'Occident en 476 et les premiers arts romans vers l'an
mille. » Cependant, il semblerait que la
plupart des chercheurs considèrent que l'art préroman débute
en l'an 950, comme il est écrit sur le tableau de l'image
1. Que se passe-t-il entre l'an 476 (de fait 350)
et l'an 950, les mêmes chercheurs ne le savent pas trop.
Nous apprenons par la lecture de ce tableau que l'art roman
se serait développé jusqu'à la moitié du XIIe
siècle et aurait été remplacé à cette date par l'art
gothique. L'idée avait été avancée dès 1818 par Charles de
Gerville. Qui plus est, on s'apperçoit que la période de
transition entre le roman et le gothique commence au tout
début du XIIe siècle. Le XIIe siècle
est-il roman ? Ou gothique ? On aurait tendance à dire, au
vu de ce tableau, qu'il est gothique (car l'an 1100
correspondrait aux débuts de l'art gothique). Pourtant ce
n'est pas dans les usages : une église romane est presque
toujours qualifiée « du XIIe siècle », et une
église gothique, soit « du XIIIe siècle », soit
« du XIVe siècle ». Et, dans nos visites
d'églises ou dans des livres d'art roman, nous avons souvent
rencontré des commentaires tels que « église romane de la
fin du XIIe siècle » ou « du début du XIIIe
siècle ».
Comment se fait-il que ce tableau entre en contradiction
avec les écrits de spécialistes de l'art roman ? Peut-être
parce qu'on est dans une région qui s’enorgueillit de
posséder les premières grandes églises gothiques.
Les photographies des images
2, 3 et 4 ont été prises sur des panneaux situés à
l'intérieur de la cathédrale de Beauvais. Elles décrivent 6
cathédrales emblématiques du Nord de la France : Noyon,
Senlis, Laon, Soissons, Saint-Quentin, Amiens. Les dates de
début des constructions sont indiquées (exemple : 1145 pour
Noyon). À remarquer que toutes les dates, hormis celle
d'Amiens, sont antérieures à l'an 1200. À noter aussi que
ces dates sont cohérentes avec l'évolution des édifices :
les édifices les plus récents sont les édifices de plus
grandes dimensions. Ils sont témoins des progrès de
l'architecture. Il reste cependant à vérifier un point
important : l'exactitude de ces dates. Cette vérification,
nous ne pouvons pas la faire pour les 6 cathédrales. Ce
n'est pas notre objectif principal. Nous pouvons cependant
essayer de la faire sur la plus ancienne : Noyon.
La page du site Internet Wikipédia consacrée à cet édifice
nous apprend ceci :
« Les cathédrales
mérovingiennes : Une première cathédrale aurait
été construite au début du Haut Moyen-Âge, peut-être
lorsque l'évêque Médard déplaça le siège de son diocèse de
Vernand (près de Saint-Quentin) à Noyon, ville entourée de
remparts, en 531. Elle est attestée vers 658 ou 659 et
semble avoir été alors en mauvais état. Elle fut
probablement détruite lors d'un incendie qui ravagea la
ville en 676, malgré un récit de la vie de Sainte
Godeberthe qui raconte comment la sainte aurait
miraculeusement protégé la cathédrale des flammes. La
cathédrale fut probablement reconstruite après l'incendie
de 676. Le nouvel édifice était sans doute celui qui
accueillit le couronnement de Charlemagne en 768.
La cathédrale carolingienne
: En 859, une attaque des Normands, qui pillèrent
la ville et massacrèrent les habitants, conduisit à une
nouvelle destruction. La reconstruction eut lieu à une
date inconnue : l'édifice est attesté en 932 dans les
Annales de Flodoard, il devait alors occuper sensiblement
le même espace qu'aujourd'hui. Aucun vestige de ces trois
premiers édifices n'a pu être retrouvé lors des fouilles
archéologiques de 1921-1923. Certains chercheurs, parmi
lesquels Eugène Lefèvre-Pontalis, ont également envisagé
l'existence d'une quatrième cathédrale avant celle que
nous connaissons, dont la construction aurait eu lieu au
XIe siècle, mais cette hypothèse est remise en
cause aujourd'hui. L'église carolingienne aurait plutôt
été restaurée et redécorée à la fin du XIe
siècle.
La cathédrale gothique. La
construction de la cathédrale aux XIIe et
XIIIe siècles : En 1131, un incendie
détruisit la cathédrale et ravagea une bonne partie de la
ville de Noyon. La question de la reconstruction se posa
alors, mais la date précise du début du chantier est mal
connue.
Le chantier de l'actuelle Notre-Dame de Noyon débuta par
la construction des chapelles rayonnantes après 1150. Ce
chantier fut lancé par l'évêque Baudouin II. Cependant,
depuis 1146, le diocèse de Noyon était séparé de celui de
Tournai, ce qui représentait une perte de revenu
substantielle. La translation des reliques de Saint Éloi
en 1157 peut alors être interprétée comme un événement qui
avait pour but de recueillir des fonds pour le chantier en
cours : il s'agit très probablement des chapelles
rayonnantes.
En
1167, eut lieu une nouvelle translation de reliques. Il
s'agissait cette fois de celles de Sainte Godeberthe. Là
encore, le but était probablement la collecte de fonds
pour le chantier. À cette époque, les bâtisseurs
construisaient les parties basses du transept. Ce dernier
fut peut-être achevé en 1183, date à laquelle se termina
le chantier de la chapelle épiscopale Saint-Nicolas, qui y
est relié : l'un et l'autre ont dû être construits à la
même époque. En 1185, un règlement de l'évêque Renaud sur
le rôle de deux sergents au service de l'église laisse
entendre que le chevet, le transept et les travées
orientales de la nef étaient achevés.
Enfin,
en 1231, un acte indiquant que les marguilliers devaient
faire sonner les grandes cloches, nous apprend que la nef
et la façade, notamment le beffroi de la tour nord,
étaient terminés. »
Cette page de Wikipédia, a priori peu
informative sur l'architecture du bâtiment est en fait
révélatrice si on accepte de l'étudier avec objectivité. On
y apprend que trois cathédrales au moins auraient précédé
l'actuelle. Selon l'auteur de ce texte, la première aurait
été détruite par un incendie. Quand à la seconde, elle
aurait été détruite par les Normands lors de l'invasion de
la ville.
Étudier objectivement ce texte revient tout d'abord à
vérifier la réalité des sources. Concernant l'incendie de
676 qui aurait détruit la cathédrale primitive,
nous n'avons pas retrouvé la source. C'est
probablement la Vie
de Sainte Godeberthe. Indépendamment du récit de
cette Vie qui témoigne du contraire, nous devons nous poser
la question du lien entre incendie, destruction et
reconstruction. Car le raisonnement du texte de Wikipédia
semble être le suivant : il y a eu un incendie, donc
destruction de la cathédrale et donc reconstruction d'une
autre cathédrale en remplacement de l'ancienne. Un tel
raisonnement ne peut être accepté que si on y introduit une
notion de probabilité. À l'heure actuelle, il n'est pas rare
que les pompiers soient appelés pour maîtriser un incendie.
Mais il est beaucoup moins fréquent que cet incendie
provoque la destruction totale d'un immeuble et son
remplacement par un nouvel immeuble.
Concernant l'événement de 859 ainsi décrit, «
En 859, une attaque des Normands, qui pillèrent la ville
et massacrèrent les habitants, conduisit à une nouvelle
destruction. », nous disposons du texte « Nouvelles
annales ou mémoires chronologiques pour servir à
l'histoire de la ville et de l'église de Noyon »
par le chanoine Claude Sézille (1707-1775), annoté par Éloi
Delbecque. En voici la lecture : « En
859, ils (les normands) firent
le dégât au-delà de l'Escaut […] Deux
mois après, ils avancèrent jusqu'à Noyon, surprirent la
ville pendant la nuit, la pillèrent et firent prisonniers
l'évêque Emmon avec les principaux [membres] du clergé et
de la noblesse. Après le pillage, ils les emmenèrent, et,
en chemin, ils les massacrèrent inhumainement pour
s'épargner la peine de les garder. […] ». On le
voit, il n'est pas ici question de destruction mais de
pillage. De plus il n'y a pas massacre de tous les habitants
mais des personnages les plus riches, peut-être capturés
pour l'obtention d'une rançon et exécutés pour non paiement
de cette rançon.
Étudier objectivement ces textes consiste en premier lieu à
prendre conscience d'un éventuel manque d'objectivité des
textes initiaux. Ainsi, en ce qui concerne les événements de
859, nous ne connaissons qu'un point de vue : celui,
rapporté par Claude Sézille, d'un clerc de Noyon qui n'avait
peut-être pas assisté à ce conflit. Un des normands ayant
participé à cette action l'aurait peut-être décrite d'une
façon toute différente. Si déjà, on est en droit de laisser
planer un doute sur l'objectivité du texte initial, on doit
s'abstenir d'en rajouter en acceptant comme inéludable la
destruction de la cathédrale. En conséquence, nous estimons
que les deux destructions, par un incendie en 676, et par
les normands en 859, ne font pas partie des certitudes
acquises mais des hypothèses sans réel fondement.
Il reste cependant un dernier bâtiment appelé « la
cathédrale carolingienne » mais qui peut être
nettement antérieur à la période dite carolingienne.
L'existence passée de ce bâtiment est fortement probable
même s'il n'en existe aucune trace. Une question : comment
se fait-il qu'il n'ait pas été décelé par les fouilles ?
Pour le savoir, il faudrait d'abord connaître le plan de
fouilles. Mais, en admettant que tout l'intérieur de la
cathédrale a été fouillé, il reste des parties de celui-ci
qui ne l'ont certainement pas été : les fondations des murs
et des piliers de l'actuelle cathédrale. Et ce, en
respectant une berme (accotement) de sécurité. Si donc les
constructeurs de la nouvelle cathédrale ont conservé le plan
au sol de l'ancienne, il est normal qu'on n'ait pas retrouvé
de reste de cette ancienne cathédrale.
Parlons à présent de cette cathédrale qui aurait été
construite à partir de 1145 (construction du chœur et du
transept) d'après le panneau de l'image
3 , et après 1150, de
la phrase du texte de Wikipédia : « En
1131, un incendie détruisit la cathédrale et ravagea une
bonne partie de la ville de Noyon. La question de la
reconstruction se posa alors, mais la date précise du
début du chantier est mal connue. Le chantier de
l'actuelle Notre-Dame de Noyon débuta par la construction
des chapelles rayonnantes après 1150. [...] ».
En ce qui concerne l'incendie de 1131, voici le texte de
Claude Sézille : « En
1131, la cathédrale de Noyon, l'évêché, les maisons du
cloître et une grande partie de la ville furent presque
entièrement consumés par un incendie, fortuitement arrivé.
Le pape Innocent 2 (alors à Compiègne) [...] adressa
des lettres aux archevêques de Sens et de Rouen,
[…] et
à tous les fidèles pour les engager à concourir par leurs
largesses au rétablissement de cette église. ».
Le texte de Claude Sézille, pourtant bien documenté, ne
parle pas d'une construction de la cathédrale aux dates de
1145 et de 1150. Par contre, à la date de 1152 : « Cette
même année, le feu prit à la ville de Noyon et elle fut
entièrement brûlée. Un nommé François des Rues qui a écrit
sur les antiquités de Noyon en excepte les églises. Leur
structure en pierre a pu les garantir de l'incendie.
». Dans la suite du texte de Claude Sézille, pourtant bien
fournie, nous ne voyons pas d'allusion à la construction de
la cathédrale. Il ne faudrait cependant pas en déduire que
les dates de 1145 et 1150 ont été purement inventées. Il est
possible que ceux qui les citent aient eu connaissance
d'autres textes que celui de Claude Sézille.
Venons-en à présent à l'analyse de
l'architecture de cette cathédrale. Et disons-le tout de
suite, elle se présente d'une grande homogénéité. S'agit-il
d'un édifice de transition entre le roman et le gothique ?
Si on se base sur le schéma simpliste - arc en plein cintre
= art roman, arc brisé = art gothique - le chœur (images
8 et 9) et le croisillon Nord du transept (image
10) apparaissent de transition, car on y trouve à
la fois des arcs en plein cintre et des arcs brisés. Mais la
propriété caractéristique qui a fait de l'arc brisé un arc «
gothique » (l'arc brisé est plus performant que l'arc en
plein cintre) n'apparaît pas ici. Car c'est l'aspect
esthétique qui est privilégié.
Sur l'image 9, on constate que dans
l'arrondi du chœur, les colonnes sont plus proches entre
elles que celles situées dans l’avant-chœur à plan
rectangulaire. Avec des colonnes de même hauteur, s'il n'y
avait que des arcs en plein cintre, le rendu serait
inesthétique. Donc on ne voit que deux solutions : soit les
arcs plein-cintre de l'arrondi sont surhaussés ou les mêmes
arcs brisés. Dans le premier cas, le déambulatoire
apparaîtra roman. Dans le second cas, il apparaîtra
gothique. Mais il est possible que les deux modèles aient
été construits durant la même période.
En fait cette église nous apparaît entièrement gothique. Il
est néanmoins possible que cette apparence gothique soit
artificielle. Qu'est-ce qui apparaît vraiment gothique? À
l'extérieur, ce sont les arcs-boutants (image
18). Mais ces arcs-boutants peuvent être un ajout
postérieur. À l'intérieur, ce sont les voûtes en croisée
d'ogives (images 6, 7, 11).
Nous sommes persuadés que l'invention de la voûte en croisée
d'ogives est le vrai élément fondateur de l'art gothique. Et
cette invention apparaîtrait selon nous durant la deuxième
moitié du XIIe siècle. Dans le cas présent, les
ogives et arcs doubleaux porteurs des voûtes sont soutenus
par des colonnettes engagées réunies en faisceaux (images
8 et 9). Ces colonnettes engagées reposent
directement sur les chapeaux des grandes colonnes par
l'intermédiaire de consoles ou culs-de-lampe (image
12). Nous estimons que la technique d’utilisation
de consoles, courante au XIVe siècle, est
relativement tardive (milieu du XIIIe siècle).
Auparavant, imitant les descentes d'eaux pluviales qui
canalisaient ces eaux jusqu'au sol, les poussées exercées
par le poids des voûtes étaient canalisées jusqu 'au sol par
les colonnes adossées aux murs. En conséquence, le voûtement
en croisée d'ogives de l'ensemble du bâtiment pourrait être
postérieur à l'an 1250.
Un autre approche pourrait être faite grâce à l'examen des
chapiteaux. Ceux à crochets des images
12 et 13 sont caractéristiques de l'époque
gothique. Celui, à feuilles d'acanthe de l'image
14, serait
plutôt d'art roman tardif. Il en serait de même pour celui
de l'image 15, à
entrelacs habités par des personnages réels ou imaginaires.
Quant à ceux des images
16 et 17, la représentation de dragons hérissés les
rangent parmi les créations d'art gothique tardif, voire du
néogothique du XIXe siècle.
La datation envisagée pour
la cathédrale Notre-Dame de Noyon est l'an 1175 avec un
écart de 25 ans, datation effectuée sur la base des seules
données archéologiques.