L’église Saint-Martin de Tollevast
L’église Saint-Martin de
Tollevast (texte de février 2018)
L’église Saint-Martin de Tollevast est semblable à une des
églises précédentes : l‘église Sainte-Hélène d’Orval. Ce
sont toutes deux des églises de style que nous avons appelé«
anglo-normand », à nef unique et à abside unique séparées
par un massif clocher (images
1 et 8, plan en image
10).
Tous les murs gouttereaux sont couronnés
de modillons sculptés. On en voit un exemple sur l'image
2. Les
chapiteaux du portail sont à volutes (image
5) ou à feuillages (image
6), mais d’un type inusité. Sur l'image
6, le chapiteau du milieu semble représenter deux
quadrupèdes encadrant l’arbre de vie.
Comme pour l’église Sainte-Hélène
d’Orval, l’arc triomphal (images
11 et 12) et l’arc absidal (image
13) sont légèrement outrepassés. En fait, il est
difficile de définir avec exactitude ce type d’arc : est-il
outrepassé ? est-il surhaussé ?
Si la nef est charpentée (image
11), la base du clocher ainsi que l’avant-chœur
sont voûtés sur croisée d’ogives (images
13 et 14). Nous estimons que ce voûtement est
postérieur à la construction initiale, probablement du XIIIesiècle.
Par ailleurs, on constate sur l'image
1 qu’il n’y a pas continuité des toits de la nef
et de l’avant-chœur, de part et d’autre du clocher. Cette
discontinuité est probablement issue du voûtement de
l’avant-chœur.
Il existe plusieurs types de chapiteaux.
Il y a tout d’abord les chapiteaux supportant les arcs
transverses à l’axe central de la nef : arc triomphal, arc
absidal. Ces arcs dont a vu précédemment qu’ils étaient
outrepassés devaient appartenir à l’église primitive, à
l’origine entièrement charpentée. Ces 4 chapiteaux (images
15, 16, 17 et 18) ont la particularité de présenter
le même type de décoration. Leur corbeille est occupée par
deux quadrupèdes se faisant face. L’image a été déjà vue à
Portbail (image 14 de
sa page). Bien que les représentations de quadrupèdes
opposés soit relativement fréquentes, dans le cas présent
celles-ci nous semblent plus rares car les quadrupèdes sont
isolés dans une surface vide de décoration (images
15 et 17). Ce qui est contraire au style du
sculpteur roman qui a tendance à décorer la totalité de la
surface.
Il existe d’autres chapiteaux décorés. Plus exactement, ce
ne sont pas des chapiteaux mais des culots ou consoles
supportant les ogives (images
17 à 24). Ces images expriment une grande naïveté
et on aurait tendance à considérer qu’ils sont très anciens,
faisant partie de l’édifice primitif. Cette impression est
trompeuse. Ces culots supportent des croisées d’ogives dont
l’invention remonte selon nous au XIIesiècle. Qui
plus est, les croisées sont installées sur des culots et non
sur des colonnes annoncées, autre invention, selon nous plus
tardive (milieu du XIIIesiècle). On trouve le
même type de culots, décorés d’atlantes ou de têtes, dans
diverses églises de France comme, par exemple, l’abbatiale
de Cunault (Maine-et-Loire) ou la Cathédrale Saint-Nazaire
de Béziers (Hérault).
Certaines scènes de ces culots sont énigmatiques (image
24). Nous pensons que le bonhomme « Annus »
pourrait être le thème de l'image
21. Le bonhomme Annus, nu et accroupi, est censé
procéder au basculement des saisons. Ce basculement
s’effectue en un court intervalle de temps, le temps que le
bonhomme Annus « pose sa pèche ». Ce basculement est
confirmé au-dessus de lui : une saison, ou un signe du
Zodiaque, en chasse une autre.
Datation
Si nous pensons pouvoir dater les voûtements en croisée
d’ogives du milieu du XIIIesiècle, la datation de
l’église primitive nous semble plus délicate, le seul
élément de comparaison étant le chapiteau de l’église
Sainte-Marie de Portbail, église que nous avons datée de
l’an 1025 avec un écart de 75 ans.
Reprise de l'étude
(texte de décembre 2021)
Le texte précédent a été écrit en février 2018, soit peu de
temps après notre visite, en novembre 2017. Une nouvelle
visite a été effectuée en septembre 2021 par Alain et
Anne-Marie Le Stang. Les images
ci-dessous de 25 à 39
sont issues de cette nouvelle visite.
Grâce à ces nouvelles photographies,
nous pouvons étudier les sculptures plus en détail. Nous
avions déjà vu le chapiteau de l'image
26 qui présente deux quadrupèdes (des loups ?)
affrontés. Mais nous avions « raté » le chapiteau de l'image 27 qui se révèle
très surprenant. A priori, c'est le même chapiteau que le
précédent mais en regardant bien, on distingue une tête
humaine accrochée à la gueule de chaque animal.
Les consoles des images
28, 29 et 30 présentent des masques humains
disproportionnés par rapport aux mains ou aux pieds. Les
têtes des images 29 et 30
portent une belle moustache. Pourtant ce n'est pas
une moustache : elle est torsadée comme une corde et elle ne
part pas dessous le nez mais directement du nez.
On retrouve le personnage à tête humaine sur l'image
31. Là
encore il porte la drôle de moustache et une barbe. Il est
nu et accroupi. Il est asexué. Au dessus de sa tête, deux
quadrupèdes. Celui de droite est dressé sue ses pattes (un
singe ?).
Sur l'image 32, deux masques sont
représentés tête-bêche. Et de nouveau ils ont le même type
de moustache. Celui du dessus montre les dents. Par
ailleurs, on peut faire le lien avec le chapiteau de l'image 27. Chacun des
deux masques porte une tête humaine accrochée à gauche et à
droite de ses lèvres.
L'image 33 (voir
aussi l'image 24)
est nettement différente des précédentes. On y voit, à
gauche un personnage, normalement proportionné, vêtu d'une
longue robe et portant une auréole. Il tient la main d'un
autre personnage, non auréolé, entrelacé par un serpent dont
la tête, accolée à la bouche de l'homme, semble apporter un
fruit. La scène est peut-être en relation avec l'épisode
d'Adam et Ėve et du fruit défendu. Mais il peut ne pas
s'agir d'Adam et Ėve.
Nous avouons notre incompréhension. Ces
scènes ont bien un sens. Mais lequel ?
Les impostes des images
34 à 39 sont quant à elles un peu mieux connues.
Le thème des serpents entrelacés a été vu à plusieurs
reprises. Celui de « Samson et le lion » a lui aussi été
identifié ailleurs (en particulier en Saintonge). On le
retrouve ici deux fois (images
35 et 36). Il est fort possible que l'archer
représenté sur l'image 37
soit un centaure chassant (ou un sagittaire).
Le thème des deux têtes accolées (image
38) est plus rare. Remarquer que ces têtes portent
la « drôle de moustache ». Le visage grimaçant de l'image
39 fait penser à la scène de l'homme se tirant une
épine du pied représenté sur une église de Corse.
Après avoir visité cette église, en
novembre 2017, nous espérions que la visite d'autres églises
permettrait de répondre aux questions posées par ces
sculptures énigmatiques. Il n'en a rien été. Nous sommes
toujours à la recherche d'explications. Nous pensons que si
l'église semble remonter au XIe siècle, les
sculptures qui soutiennent les voûtes en croisée d'ogives
posées ultérieurement, dateraient du XIIIe
siècle.