L’église Saint-Étienne de Neuvy-Saint-Sépulchre  

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La page du site Internet Wikipedia concernant la commune de Neuvy-Saint-Sépulchre nous donne des indications de toponymie du village et de l’église :
« Neuvy : du bas latin novus vicus (bourg neuf).

Saint-Sépulchre : tire son nom de son principal édifice, la basilique, qu'y fit construire le seigneur de Déols, à son retour de Terre Sainte, une des rares copies qui nous soient parvenues du Saint Sépulcre de Jérusalem. Le « h » au Sépulcre de Neuvy n'est pas une erreur de graphie. Il a été ajouté par les clercs médiévaux pour souligner la splendeur des lieux. En effet, ce « Sépulchre » est la concaténation des mots sépulcre et de l'adjectif latin pulcher qui signifie beau
. ».

Une autre page de Wikipedia décrit l’église d’une façon très succincte : « L'édifice se présente comme une rotonde couronnée à l'extérieur d'un chapeau chinois. Une nef a été accolée à celle-ci au XIII e siècle. À l'intérieur de la rotonde, la voûte est soutenue par des piliers avec des chapiteaux historiés. La rotonde n'est pas symétrique, et elle n'a que onze colonnes, symbolisant chacune un Apôtre (après le départ de Judas).

Vers 1840, la basilique a été restaurée par Eugène Viollet-le-Duc ...
».

Fort heureusement, un opuscule, en vente dans l’église, se révèle plus prolixe. Il raconte en effet que selon plusieurs chroniqueurs, et parmi eux, Guillaume Godel, mort vers 1173, la construction de la rotonde aurait été effectuée entre 1034 et 1049.


Avant de faire l’étude de cette église, nous souhaitons faire la remarque suivante : notre démarche d’étude d’un édifice (en général une église) est exactement inverse du compte-rendu de cette analyse. Lorsque nous procédons à l’étude d’une église, nous commençons par la visite de l’intérieur (dans la mesure du possible) dont nous photographions les éléments les plus caractéristiques. Puis nous photographions l’extérieur. Ce n’est qu’après nous être fait une idée sur cet édifice que nous consultons les informations à leur sujet. Ce afin de n'être pas influencés par ces informations.

Le compte rendu de nos recherches sur cet édifice, publié dans une page analogue à celle-ci, commence par les données fournies soit par Internet, soit par des panneaux explicatifs. En ce qui concerne les images, nous commençons par celles de l’extérieur, puis celles de l’intérieur.


Les images de 1 à 9 font apparaître l’extérieur, puis l’intérieur de la rotonde. La première impression en entrant dans celle-ci est une impression de déjà vu. En effet, nous avons déjà vu des rotondes analogues à Aix-la-Chapelle, Ottmarsheim ou Saint-Donat de Zadar. Il s’agit d’un édifice à plan centré, circulaire, à étage. Ce type d édifice très rare fait l’objet d’une étude spécifique du chapitre datation : La nef centrée à étage et déambulatoire/ Autres édifices / Les évolutions dans l’architecture des monuments du Premier Millénaire. Nous estimons que ces édifices ont été avant tout des monuments civils. Des monuments que nous avons appelés des « parlements ».

Mais il n’y a pas que cette rotonde. Un autre édifice jouxte celui-ci (plan de l'image 2). Il s’agit d’une nef à trois vaisseaux.

Nous allons immédiatement régler un des problèmes liés à cet édifice. Selon toutes les informations qui nous ont été données, il daterait du XIIIesiècle. L’examen des images 10, 11, 12, 13 nous fait affirmer que ce ne peut être le cas. Sur l'image 11 plus particulièrement, on remarque les 3 arcs en plein cintre et immédiatement au dessus trois autres arcs en plein cintre. Les arcs du milieu sont incomplets, mais si on fait abstraction des colonnes et des pilastres adossés aux piliers, on se trouve en présence d’un mur porteur du vaisseau central d’une nef à trois vaisseaux. Cette nef devait être primitivement charpentée. Les pilastres ou colonnes adossées aux piliers ont servi à voûter le vaisseau central ultérieurement.

Les voûtes comme celles de l'image 13 datent bien du XIIIeou du XIVesiècle. On en est moins certain pour les voûtes de l'image 12 qui sont romanes et qui dateraient du XIeou du XIIesiècle. Il faut bien comprendre que, si une construction est censée dater du XIIIesiècle, c’est l’ensemble de la construction qui doit dater du XIII e siècle et non seulement les voûtes. Les constructions du XIIIesiècle utilisent des arcs brisés et non des arcs en plein cintre comme celles des siècles antérieurs. Nous sommes certains que les maçons du XIIIesiècle étaient capables de réaliser des constructions analogues à celles des siècles antérieurs. Mais nous sommes tout aussi persuadés qu’ils ne l’ont pas fait. Car ils ont estimé que les constructions nouvelles étaient plus évoluées que les précédentes.

L'image 11 nous incline à penser que l’église primitive, à nef à trois vaisseaux charpentés, devait être installée sur des piliers de type R0000. Les arcs inférieurs semblent simples alors que les arcs de la tribune supérieure sont doubles. Nous datons cette nef primitive de l’an 750 avec un écart de 200 ans.

Il existe un autre problème concernant l’orientation de cette nef. Si on accepte l’idée que le sanctuaire primitif devais se trouver à l’opposé de la rotonde, l’orientation est approximativement dans la direction Sud-Sud-Est. Et donc plus proche de la direction Sud de l’Est. Il nous semble qu’il y a là un réel problème. Est-il possible que, à l’origine, cette nef à trois vaisseaux n’ait pas été à l’origine une église ? Question qui peut être relayée par le fait que, actuellement, l’église n’a pas de chevet semi-circulaire.

Est-il aussi possible que, toujours à l’origine, cette nef à 3 vaisseaux ait été détachée de la rotonde ? Le plan de l'image 2 révèle une discontinuité entre les deux : si l’on prolonge à travers les parois de la rotonde les murs des collatéraux de la nef (murs disposés symétriquement par rapport à l’axe central ), ils n’aboutissent pas à des piliers de la rotonde symétriques par rapport à l’axe central. On peut comparer cette discontinuité des plans de deux édifices différents à la continuité observée sur le plan de la crypte de Saint-Bénigne de Dijon, église considérée comme similaire à celle-ci.

Nous devons cependant nuancer nos conclusions. Il est possible que, à l’origine, il y ait eu continuité des deux bâtiments. Nous verrons plus loin que, très probablement, l’intérieur de la rotonde a subi des modifications. Modifications qui auraient provoqué la discontinuité que nous avons constatée.


  • Nous avons voulu présenter la presque totalité (9 sur 11) des chapiteaux des piliers centraux (images 6 et 7 ). Ce sont les images de 14 à 22.

    Ces chapiteaux nous posent un sérieux problème. Ils ne nous semblent pas de facture romane ! Alors que logiquement, ils devraient l’être.

    Observons celui situé au premier plan de l'image 14. La posture de l’homme accroupi est romane. Mais son visage barbu témoignerait d’une période postérieure. Il en est de même pour la tête de lion.

    Les atlantes de l'image 15 sont rares dans l’art roman. Ils sont nettement plus fréquents sur des chapiteaux du XIIIeou XIVesiècle. On retrouve les mêmes interrogations en ce qui concerne les images 16 et 17.

    Les visages humains de l'image 18 ne nous semblent pas non plus romans. Mais cette image est plutôt révélatrice d’un autre anomalie. Ce chapiteau est composé de deux étages (au moins). Celui du bas est formé de feuillages et de palmes liés par un cordon. Celui du haut contient les visages humains. On constate une discontinuité très nette entre ces deux parties. Remarque : une autre discontinuité existe au niveau de la partie supérieure du cordon.

    Les observations faites à partir de l'image 18 se retrouvent presque à l’identique sur l'image 19. Et pareillement pour l'image 22.

    Concernant les images 20 et 21, la discontinuité au niveau du cordon est moins avérée. Ce cordon peut avoir été sculpté sur une pièce unique afin de séparer deux scènes : une frise en bas, un thème « historié » en haut.

    Ce n’est pas la première fois que nous rencontrons des chapiteaux à plusieurs étages. Nous en avons vu en particulier à la tour de Charroux qui, selon nous, est la partie centrale d’une autre rotonde. Mais à Charroux, la séparation en deux étages des chapiteaux était plus régulière et homogène. Ici, elle apparaît nettement plus disparate. Comme si l’ordonnancement primitif avait été modifié au cours du temps, avec un mélange de parties très anciennes (les feuillages des parties inférieures) et de parties plus récentes (les visages des parties supérieures).


    Les chapiteaux des images de 23 à 30 sont ceux des piliers du mur circulaire de la rotonde. Celle-ci étant peu éclairée, les photographies que nous avons prises sont de mauvaise qualité. On distingue cependant :

    Sur l'image 23 : un homme remettant un agneau à un autre. Scène de sacrifice ? Sacrifice d’Abraham ?

    Sur les images 24 et 25 : deux lions affrontés.

    Sur l'image 26 : un lion se retournant.

    Sur les images 27 et 28 d’un même chapiteau : en face avant, une sorte de dragon ailé crachant des flammes et, à sa gauche, un centaure lançant une flèche.

    Sur l'image 29 : des feuilles dressées.

    Sur l'image 30 : un lion se retournant.


    Les photographies des trois dernières images 31, 32 et 33 sont d’une moins grande netteté encore. Ce sont les bases de deux piliers situés à l’Ouest.

    Sur les images 31 et 32 : un oiseau picore aux pieds d’un homme étendu. Peut-être le symbole de la montée d’une âme au ciel.

    Sur l'image 33 : deux corps (un homme et une femme) entrelacés.

    Les bases de piliers à décor historié sont rares. On en trouve dans les Asturies et en Bretagne. Nous n’en connaissons aucune qu’on puisse attribuer à la période romane (XIeou XIIesiècle).



    Les problèmes relatifs à cette rotonde :


    Le premier d’entre eux concerne le nombre de piliers (11) et l’absence de symétrie du monument.

    Les sites Internet et l’opuscule cités ci-dessus justifient le nombre de piliers par le même nombre des apôtres lors de la mort de Jésus-Christ. L’absence de symétrie est seulement signalée sans être commentée.

    Nous estimons que cette absence de symétrie constitue quelque chose d’essentiel. Les architectes du Moyen-Âge avaient une obsession de la symétrie. Surtout concernant un monument de cette importance. Il faut être conscient que, à l’origine, cet édifice devait être parfaitement symétrique. Les rotondes que nous avons étudiées ont un contour circulaire ou polygonal bâti à partir d’un système (tel que alignement de colonnes) à plan polygonal. Le polygone étant un polygone régulier facilement constructible « à la règle et au compas ». Ces polygones réguliers ont 4 côtés (carré), 6 côtés (hexagone), 8 côtés (octogone), 12 côtés (dodécagone). Nous n’en connaissons qu’un seul à 7 côtés (Rieux-Minervois). Ce dernier ne présente pas une symétrie parfaite comme les précédents, mais le plan à 7 cotés a été clairement voulu. Les sept piliers sont formés de 3 piliers à plan circulaire et de 4 autres à plan quadrangulaire. À l’inverse, les 11 piliers de Neuvy-Saint-Sépulchre ne présentent pas de caractères permettant de les distinguer les uns des autres (comme, par exemple, les noms des onze apôtres), et permettant de justifier cette absence de symétrie.

    Par ailleurs, le plan de l'image 2 montre que la plupart des voussoirs reliant les piliers centraux aux pilastres des murs extérieurs ne convergent pas vers le centre. Certains divergent même notablement.

    Nous estimons que l’église primitive était bâtie sur un plan polygonal à 12 cotés. Et non à 11 cotés comme le disent les divers commentaires.


    Le plan initial était parfaitement symétrique, avec au centre 12 piliers au lieu de 11. Nous sommes persuadés qu’on doit pouvoir reconstituer ce plan original, en prenant pour côté du dodécagone le pan de mur situé à l’Ouest entre les deux piliers, dont les bases sont représentées sur les images 31 , 32, 33. La reconstitution devrait permettre de retrouver les piliers des murs latéraux faisant partie de la construction initiale.

    La précédente analyse peut être considérée comme purement hypothétique, non étayée par des documents écrits. En fait, l’opuscule cité plus haut nous révèle ceci :
    « Vers 1360, ... les voûtes de l’église, surchargées de meubles et de denrées abritées dans les combles par des réfugiés, s’effondrèrent en grande partie en même temps que le grand pignon. Les chanoines durent réparer les dégâts et, leurs ressources étant épuisées, firent appel au roi Charles V pour obliger les habitants à participer à leur effort de reconstruction. En 1524, ce sont des aventuriers, les « 6000 diables » qui assiégèrent la population repliée dans l’enceinte ... ». Ces diverses données permettent d’accepter l’idée que cet édifice a pu subir des dommages importants, en 1360, d’abord, puis en 1524, et peut-être après lors des guerres de religion. Dommages qui ont entraîné de couteuses réparations. On le sait pour ceux de 1360. Il n’est pas du tout impossible que, lors de ces réparations, le plan de l’édifice ait été changé passant de 12 piliers à 11 piliers.

    Dernière remarque : l’opuscule nous affirme que la rotonde a été bâtie entre 1034 et 1049 par un pèlerin venu de Terre Sainte qui aurait construit cette église à l’imitation du Saint Sépulcre de Jérusalem. Notons d’abord que cette histoire nous est rapportée par un moine qui serait mort en 1173, donc près de 150 ans après les événements. Il s’agit là d’un intervalle de temps suffisant pour transformer une histoire en légende. Car plus de 100 ans après un événement, et hors d’un témoignage écrit, il ne reste plus de témoin de cet événement permettant d’infirmer une relation de cet événement. Par ailleurs, les divers renseignements dont nous disposons sur l’édifice du Saint Sépulcre de Jérusalem de cette époque nous invitent à imaginer, non un édifice, mais deux. Il y a d’abord le dôme du Saint Sépulcre, un grand édifice à dôme unique enfermant un vaste espace. Un édifice analogue au Panthéon de Rome ou à Sainte-Sophie de Constantinople. Sous le dôme, il y avait une autre construction, un édicule. Cet édicule avait un plan en croix à branches égales. Aucun de ces deux édifices ne s’apparente réellement à la basilique de Neuvy-Saint Sépulchre, une rotonde dont seule la partie centrale pouvait être recouverte d’un dôme. Il est cependant possible que des pèlerins revenus de Terre Sainte aient fait le lien entre leur église et celle de Jérusalem. L’achat de reliques provenant du Saint Sépulcre aurait parachevé la comparaison.

    Datation envisagée pour la rotonde : an 750 avec un écart de 200 ans.