L’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Souvigny
Lorsque nous avons visité cette église en février 2009, nous
commencions à peine à envisager que des édifices pouvaient
être antérieurs à l’an mil et nous n’avions pas commencé à
élaborer les critères de datation des édifices. Nous
rappelons par ailleurs que ces critères ne sont pas encore
totalement établis, que la recherche est en cours et que les
résultats peuvent être modifiés en fonction des progrès de
cette recherche.
Nous avouons avoir été un peu déçus lors de cette première
et unique visite. On nous disait que cette église était
romane. Or, nous n’avons rien vu de tel. Le chevet avec ses
arcs-boutants (image 2)
ainsi que la nef, elle aussi dotée d’arcs-boutants et de
fenêtres en arcs brisés (image
3), nous apparaissaient gothiques. Et non romans.
Encore moins préromans. Nous avons cependant photographié
les chapiteaux qui nous semblaient relever d'un certain
archaïsme ou inusités.
Un panneau situé à l’entrée du lieu
fournit les indications suivantes : « C’est
Aimard qui, ancêtre des Bourbon qui, en 915 ou 920, donna
à l’abbaye de Cluny - elle-même fondée en 910 - quelques
biens qu’il possédait à Souvigny ainsi qu’une église
dédiée à Saint Pierre. Le modeste monastère établi vers
960, connaîtra très rapidement un essor providentiel.
Saint Mayeul et Saint Odilon, abbés clunisiens, y
décédèrent successivement en 994 et 1049. Souvigny devint
alors un des centres de pèlerinage les plus fréquentés de
l’occident chrétien. Jusqu’au milieu du XIIesiècle,
alors que sa puissance temporelle s’affirmait , le prieuré
fut source d’un très grand rayonnement spirituel. »
Nous nous sommes efforcés jusqu’à
présent de ne pas trop tenir compte des commentaires placés
à l’entrée des églises ou diffusés sur Internet. Bien
souvent en effet, ces commentaires citent diverses chartes
en rapport avec l’édifice concerné mais les interprètent
insuffisamment ou partialement à la suite d’idées
préconçues. Dans le cas présent, on aurait l’interprétation
suivante : « une église Saint-Pierre est citée en 915 ou
920. Mais ce n’est pas l’église que l’on voit actuellement
puisque l’église que l’on voit actuellement est du XIIesiècle
». Alors, bien sûr, ce n’est pas exactement ce que raconte
le panneau, mais des expressions comme « une
église », et non, « l’église
», ou « le
modeste monastère, établi vers 960 » laissent
envisager que, pour l’auteur du texte du panneau, l’église
Saint-Pierre citée en 910 ou 915 était de taille « modeste
» et qu’elle a totalement disparu.
Après avoir eu l’occasion de rencontrer ce type
d’interprétation à de nombreuses reprises, nous avons décidé
de prendre leur exact contrepied. En conséquence, dans le
cas présent, nous lançons l’affirmation suivante : «
L’église citée en 910 ou 915 est l’église que l’on voit
actuellement. »
Il s’agit bien sûr d’une boutade. Manifestement, entre l’an
910 et l’époque actuelle, il a dû y avoir des ajouts et des
modifications. Il est même envisageable que l’église ait
entièrement disparu. Mais dans ce cas, le contestataire est
obligé d’en fournir la preuve. Alors que précédemment
l’auteur de la phrase, «
l'église Saint Pierre est citée vant l’an 1000 mais ce
n’est pas l’église que l’on voit actuellement puisque
l’église que l’on voit actuellement est du XIIesiècle
», ne se sentait pas obligé de fournir une preuve de ce
qu’il avançait.
Voyons à présent les indices qui
permettraient de montrer l’ancienneté de cet édifice. Nous
avons déjà dit que le chevet nous paraissait gothique. C’est
très probablement le cas. Certaines parties dateraient même
du XIVesiècle (image
14). Tout permet de penser que le chevet primitif
a été remplacé ultérieurement par un ouvrage beaucoup plus
important : deux bâtiments faisant office de transept et un
chevet à déambulatoire (image
2 et plan de l'image
1).
La seule partie vraiment ancienne pourrait être la nef. Et
encore ! ce ne serait pas toute la nef. Sur le plan de l'image 1,
on constate que la nef est à 5 vaisseaux. La nef
primitive devait être à 3 vaisseaux : le vaisseau principal
et les deux collatéraux voisins de ce vaisseau principal.
Les images 11, 12 et 13
permettent d’avoir une idée de cette nef qui, primitivement,
devait être charpentée. Le vaisseau principal a été voûté
sur croisée d’ogives au
XIVesiècle grâce à l’adjonction de colonnes
demi-cylindriques permettant de soutenir les doubleaux de la
voûte (image 12).
`
Plusieurs indices permettent d’envisager une antériorité par
rapport à l’an mille de cette nef.
Il y a tout d’abord l’étroitesse des collatéraux (nous avons
constaté cette étroitesse des collatéraux pour des églises
anciennes, étroitesse que nous n’arrivons pas à justifier si
ce n’est par des utilisations des collatéraux pour des
processions).
Il y a aussi le fait que les arcs joignant les piliers sont
simples.
Il y a enfin le caractère archaïque des chapiteaux.
Nous venons juste de commencer à étudier
les scènes représentées dans les chapiteaux en recherchant
les caractéristiques communes.
Image 16 : c’est
la scène des « oiseaux au canthare » rencontrée un grand
nombre de fois dans notre site et qui a été représentée
durant tout le premier millénaire. Ici, les oiseaux sont en
fait des êtres hybrides à corps de mammifère, tête d’oiseau
à patte en forme de colonne.
Image 17 : Scène
avec des musiciens. L’un tient une sorte de harpe, un autre
une sorte de vielle. Peut-être une évocation du Roi David ?
Image 18 : Hommes
dans des entrelacs.
Image 19 : Scène
classique. Homme dévoré par un lion. En fait ,nous ne sommes
pas certains qu’il soit dévoré. Il est possible qu’il soit
protégé par le lion.
Image 20. Cette
scène est beaucoup moins fréquente . Elle est peut être à
rapprocher de la scène précédente. Elle pourrait
représenter un enfant protégé par un moine des ennemis qui
pourraient l’atteindre. Les historiens de l’antiquité font
assez souvent référence à des histoires d’enfants accueillis
dans des monastères afin d’assurer leur protection par
rapport à des ennemis, souvent de leurs parentés, désireux
de s’approprier leur héritage (exemples : l’empereur Julien,
Sainte Radegonde, Sainte Agnès).
Image 21 : Scène
classique. Combat d’un Sagittaire (ou Centaure) et d'une
Sirène. Nous savons identifier la scène mais pas le
symbolisme sous-jacent.
Image 22 : Scène
classique. Daniel dans la fosse aux lions. Nous savons
identifier la scène mais pas le symbolisme sous-jacent.
Image 23 : Scène
classique. Orant. Image probablement héritée de l'Antiquité.
Image 24 : Scène
inusitée ... et difficilement compréhensible.
Datation
Une étude de la seule architecture et des chapiteaux
(c’est-à dire en faisant abstraction des textes écrits) nous
a conduits à envisager une datation de cette nef antérieure
à l’an mille : an 950 avec un écart de plus de 100 ans.
L’information selon laquelle une église existait vers l’an
910 nous conduit à réviser cette datation : an 900 avec un
écart de plus de 100 ans.