La nef en croix grecque 

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Dans la page précédente intitulée « Étude statistique sur les nefs à plan centré », nous avons établi une carte de ces édifices. Et bien sûr, parmi ces édifices, on trouve les nefs à plan en forme de croix grecque. Bien que cette carte doive être complétée (nous avons remarqué que les églises géorgiennes n’étaient pas indiquées, ce qui sera fait lors de la prochaine mise à jour), nous vous conseillons de la consulter.

Nous constatons sur ces cartes que les édifices à plan en croix grecque sont rares et assez dispersés sur le territoire français. Ils sont plus nombreux dans le monde d’influence grecque orthodoxe, en particulier en Géorgie et en Arménie. En fin de cette page, nous étudierons les églises à plan tréflé.


Image 1 : L’église d’Ateni (Géorgie ; province de Kartli) est datée du VIIesiècle.

Images 2 et 3 : Le monastère de Shuamta ( Géorgie ; province de Kakhéti) regroupe trois églises. La basilique située le plus à gauche sur le plan daterait du Vesiècle. Les deux autres dateraient, quant à elles, du VIIesiècle.

À voir les plans de ces deux édifices et plus particulièrement celui du centre, on aurait quelques doutes à parler de « plan en croix grecque ». En effet, ces deux plans ne s’apparentent pas à première vue à des croix grecques. Ainsi, pour celui du milieu, on aurait tendance à parler de « plan carré ». Et c’est aussi vrai pour les plans des images suivantes 5 et 8. Il faut cependant faire un effort d’abstraction en enlevant par la pensée les coins du carré pour remarquer que la partie obtenue est bien une croix grecque. En fait si on effectue, non pas un plan au sol, mais un plan horizontal à mi-hauteur on voit apparaître ce plan en croix grecque. Car les toits des « coins » du carré sont plus bas que les toits de la croix grecque.

Images 4, 5 et 6 : Église de Djvari. Cette église surplombe la localité de Mtskheta qui fut la première capitale de la Géorgie. Le principal intérêt de cette église est qu’elle est datée par l’inscription d’une dédicace sur un bas-relief (586-587 ; 604).


Images 7 et 8 : L’ensemble monastique d’Ikalto (Géorgie ; province de Karkétie) est lui aussi formé de plusieurs églises. La principale de celles-ci est l’église de la Transfiguration, ici représentée. Elle est datée des VIIIe, IXeet XIXesiècles. Le plan en croix grecque se trouve dans la partie centrale.

Image 9 : Le monastère de Guergueti (Géorgie ; province de Kazbégui) est lui aussi formé de plusieurs églises (2). Il serait daté du XIVesiècle. Nous l’avons présenté ici, d’une part pour montrer la continuité du modèle au cours des siècles, et d’autre part à cause du cadre impressionnant de ce monastère situé en plein massif du Caucase.

Images 10 et 11 : L’ensemble monastique de Samtavro est situé au cœur de la ville de Mtskheta. Cet ensemble contient cette petite chapelle qui abrite les tombes des saints patrons du lieu. Nous n’avons pas la datation de cette chapelle qui serait le plus ancien édifice de ce monastère.

Image 12 : C’est l’édifice le plus important du monastère de Samtavro. Il daterait du XIesiècle.


Images 13, 14 et 15 : La nef de l’église Sant Nicolau de Gérone possède elle aussi un plan en croix grecque. Selon la page du site Internet consacrée à cette église, elle daterait du XIIesiècle. Nous-mêmes l’avons datée, peut être hâtivement, de l’an 600 avec un écart de plus de 200 ans. Remarquons que pour cette église, le plan est vraiment en croix grecque.

C’est aussi le cas de l’église Sainte-Croix de Montmajour (images 16, 17). Son plan (image 18) est bien celui d’une nef en croix grecque. Sans les « coins du carré » que l’on a vus dans les églises géorgiennes. Nous nous sommes posés la question : pourquoi y a-t-il ces « coins du carré » dans les églises géorgiennes ? Nous pensons avoir trouvé la réponse. Imaginons à partir de ce plan de l'image 18 que l’on veuille passer d’une abside à l’abside voisine. Cela semble simple : il suffit de passer par le carré central. Mais voilà ! imaginons que le carré central soit un espace sacré, interdit à la circulation. Si cela est ainsi, il est impossible de passer d’une abside à l’autre. Mais alors que faire ? La réponse est la suivante : Il suffit de rogner les coins des murs. Ou carrément de les enlever. On peut ainsi contourner le carré central. Mais en faisant cela, on fait communiquer le carré central avec l’extérieur. Donc l’idée est de ménager une petite pièce dans le coin situé entre deux branches successives de la croix. Et ainsi on transforme le plan en croix en un plan carré. Une telle hypothèse peut paraître complètement farfelue. Cependant, il nous a bien semblé, en visitant une des deux églises de Shuamta, que les « coins » du carré de base avaient été « rognés » et non édifiés à partir d’un plan imaginé dès l’origine. Bien sûr, une fois que l’idée a été trouvée, il suffisait de la mettre en application pour tous les nouveaux monuments. Si bien que dans les autres cas, les pierres sont soigneusement appareillées.

Nous avons consacré deux pages à l'étude de l'abbaye de Montmajour : page 1, page 2.


Images 19, 20 et 21 : Nous avons le même plan en croix grecque pour l'église du Saint Sépulcre de Peyrolles-de-Provence. Une légère différence cependant avec l’église Sainte-Croix de Montmajour qui était quadri-conque (des absides en cul-de-four por chaque branche de la croix), celle-ci est triconque (il n’y a pas de cul-de-four du côté de l’entrée). La datation que nous avions estimée est l’an 700 avec un écart de 200 ans.

Images 22, 23 et 24 : Église Sainte-Croix de la Baume-de-Transit (Drôme). À remarquer le caractère difforme du plan. À l’origine, l’édifice devait être quadri-conque mais une des absides a été supprimée par une nef et une autre a été modifiée. La datation que nous avons estimée est l’an 900 avec un écart de 150 ans.


Il est intéressant de comparer lesimages 25, 26 et 27 : l'image 25 est une maquette de l’oratoire de Germigny-des-Prés tel que cet édifice était au moment de sa construction par Théodulf, évêque d’Orléans entre l’an 803 et 806 (selon la page du site Internet Wikipedia qui lui est consacrée). Les images 26 et 27 montrent des maquettes d ‘églises idéalisées. Leur plan est en croix grecque pour la première, en deux croix grecques superposées pour la seconde.

Nous avons constaté, en relisant les estimations de datation, leur grande diversité. Il sera important de les reprendre. Pour le moment, nous envisageons une datation aux alentours de l’an 800. L’hypothèse selon laquelle les églises de France auraient pu être construites par des maîtres d’œuvre ayant fait le pèlerinage à Jérusalem est plausible. D’une part, on constate que les dédicaces d’églises sont faites à Sainte-Croix ou au Saint Sépulcre. D’autre part, on sait que des églises arméniennes (donc à plan en croix grecque) ou géorgiennes ont été construites à Jérusalem.



Les chevets à plan tréflé


Certaines églises présentent la caractéristique d'avoir un chevet à plan tréflé, c'est à dire de posséder trois absides semi-circulaires orientées respectivement au Nord, à l’Est et au Sud, comme le montrent les images suivantes de 28 à 39. Dans ce site, nous commençons seulement à essayer d'identifier les édifices à plan tréflé. On s’aperçoit qu’il en existe un peu partout en Europe, mais ils sont relativement rares. Ils sont plus fréquents en Grèce, au Proche-Orient, en Géorgie et en Arménie, où on donne un autre nom à ce type d'église : triconque.

Nous estimons que les églises à plan tréflé sont datables des alentours du Xe siècle. Mais il ne s’agit là que d’une évaluation très approximative liée à l’étude d’un petit nombre d’édifices.

Nous pensons que le plan tréflé a une signification particulière. La dédicace à la Trinité peut constituer un angle d’approche. Lorsque nous avons étudié l’Espagne, nous avons envisagé que pour certaines églises, l’existence de trois absides pourrait provenir d’une référence à la Trinité. Et permettrait du même coup d’attribuer la construction de ce type d’édifice à trois absides à la conversion de populations hérétiques ariennes (goths, vandales, lombards) à l’orthodoxie catholique.



Pour l'instant, notre site Internet décrit plus d’une douzaine d’églises à chevet à plan tréflé, ce nombre devrait augmenter au fil de nos recherches. Ce sont les suivantes :

L’église Saint-Sauveur-et-Saint-Martin de Saint-Macaire (Gironde) (images 31 et 32).

L’église Saint-Sulpice de Marignac (Charente Maritime) (image 37).

L’église Saint-Pierre de Montgauch (Ariège) (image 36).

L’église de Vernaux (Ariège).

L’église Sainte-Marie d’Aubiac (Lot-et-Garonne) (image 33).

L’église Saint-Jean-Baptiste de Savignac-sur-Leyze (Lot-et-Garonne).

L’église paroissiale de Saint-Pierre-du-Mont (Landes) (image 34).

La chapelle Saint-Germain de Querqueville (Manche) (images 28 et 29).

La chapelle Saint-Saturnin de l’abbaye de Saint-Wandrille-Rançon (Seine-Maritime) (image 30).

L’église de Saint-Martin-de-Londres (Hérault) (images 38 et 39).

La chapelle de la Trinité, Île Saint-Honorat (Archipel des Lérins, Alpes-Maritimes).

L’église paroissiale de Saint-Félix-de-Pallières (Gard) (image 35).


Hors de France, nous trouvons :

L’église Gross Sankt Martin de Cologne (Allemagne/Rhénanie du Nord-Westphalie).

L’église Santa Eulàlia d’Erill la Vall (Espagne/Catalogne).


Nous allons tenter d'apporter une réponse à la question suivante : « Les chevets à plan tréflé peuvent-ils être considérés comme des nefs à plan en croix grecque ? »

Les églises à plan tréflé rentrent bien dans le cadre des églises à plan en croix grecque ! Mais la construction de nefs à plan tréflé découle du fait qu'il faut trouver une solution à deux choix contradictoires. D’une part, le plan idéal de l’édifice est celui d’une croix grecque. Si chacune des absides est plate, il n'y a pas de problème. Mais ce type idéal d’édifice est prévu pour pouvoir célébrer le culte dans toutes les directions. En conséquence, il doit y avoir un autel dans chacune des branches de la croix et une abside voûtée en cul-de-four (ou conque) pour abriter cet autel. Donc l’église idéale à plan en croix grecque doit être quadriconque. Mais c’est là qu’intervient le problème : il faut pouvoir rentrer dans cette église. Certes, on peut ménager une entrée dérobée dans un des coins. Mais les processions, les grandes cérémonies exigent des entrées triomphales, en général côté Ouest. Donc, si la nef est quadriconque, l'entrée doit passer par une des conques. Ce qui fait que le culte ne peut être célébré dans cette partie de nef. Et, par la-même, la conque devient inutile. D’où l’idée de construire des nefs à trois conques au lieu de quatre (images 28, 29, 30).


En fait, le problème est complexe. Car il est rare que l'on ait conservé des églises intactes comme Sainte-Croix de Montmajour. Très souvent, ces églises à plan en croix sont prolongées par des nefs orientées droites : la branche de croix côté Ouest est plus longue que les trois autres. Et dans ce cas, toutes les situations sont possibles : la nef existait auparavant et on a décidé de la prolonger par un chevet tréflé. Ou le contraire : une nef à plan en croix grecque a été construite en premier et afin d ‘accueillir davantage de fidèles, on l’a prolongée côté Ouest par une autre. C’est le cas de l’église de Saint-Macaire (images 31 et 32). On peut voir sur l'image 32 que la première travée de la nef, côté chœur, est différente des suivantes. C’est très probablement le reste de la branche Ouest de la croix grecque. On a eu sans doute le même type d’opération pour les églises d’Aubiac et de Saint-Pierre-du-Mont (images 33 et 34). On constate sur ces images que les conques sont d’égales dimensions.

Tous les chevets tréflés ne sont pas forcément issus de nefs à plan en croix grecque ! C’est le cas des chevets de églises de Saint-Félix-de-Pallières et de Montgauch
(images 35 et 36) : les branches de la croix ne sont pas d’égales dimensions.

Mais le plan en croix grecque a pu être source d’inspiration pour certains chevets tréflés. Ainsi, en ce qui concerne l’église Saint-Sulpice de Marignac, les conques sont de dimensions différentes (image 37). Il en est de même pour l’église de Saint-Martin-de-Londres (images 38 et 39). Son plan n’est pas tout à fait issu de celui d’une église en croix grecque. Mais il résulte d’une logique : parmi les trois chœurs, celui situé à l’Est doit être le plus important. Et précédé d’un avant-chœur pour accueillir les stalles des officiants. Que ce soit à Marignac, comme à Saint-Martin-de-Londres, les absides inégales ont été construites simultanément (même type d’arcatures lombardes pour chacune).

Les particularités de ces deux églises les rendent très intéressantes en vue d’envisager une datation des nefs en croix grecque. En effet, ces deux églises sont à arcatures lombardes. Nous datons ce type d’architecture à arcatures lombardes des alentours de l’an mille. Et dans le cas présent, plutôt avant l’an 1000 (an 975 avec un écart de 75 ans). Et comme, selon nous, le plan de ces édifices se déduit du plan en croix grecque, nous estimons ce dernier plan antérieur d’au moins un siècle.