L'église Notre-Dame de La Berthenoux
Nous recommandons au lecteur occasionnel
de notre site de lire
cet avis, le lecteur assidu étant quant à lui habitué
à nos prises de position.
Voici des extraits de la page du site Internet Wikipedia
relative à cet édifice : « L'église
fut construite au XIIesiècle. L'abbaye de
Massay possédait un prieuré à La Berthenoux, fondé au IXesiècle,
incendié en 1171. Du prieuré ne subsiste aujourd'hui que
l'église devenue paroissiale depuis la Révolution.
C'est un édifice
entièrement de la seconde moitié du XIIesiècle,
à nef unique avec transept et chœur, terminée par une
abside circulaire. Deux absidioles ornent les bras du
transept. Un clocher s'élève sur la croisée. Une sacristie
a été ajoutée au chevet, côté sud, à la fin du XIXesiècle
....
La nef, primitivement
recouverte en charpente, a été rénovée. Elle est à nouveau
couverte d'un berceau de bois, qui a succédé aux ogives
montées à la fin du XIXesiècle. Le transept,
sur plan carré, est voûté en arc de cloître à huit pans
reposant sur trompes et supporté par quatre doubleaux
retombant sur huit colonnes aux chapiteaux sculptés
(feuillages, personnages). L'abside est éclairée par trois
fenêtres ornées de colonnettes aux chapiteaux sculptés.
Les décorations des chapiteaux ont été interprétées comme
représentant les sept pêchés capitaux. »
Effectuons d'abord une petite mise au point sur le texte
précédent. Il indique que l'abbaye a été incendiée en 1171.
C'est probablement la vérité. La précision de la date (1171)
permet de penser qu'elle se réfère à un texte écrit faisant
allusion à cet incendie. Cependant, il est possible que le
document en question soit de beaucoup postérieur à
l'événement et donc entaché d'erreurs. Mais surtout, il faut
comprendre qu'un incendie, aussi grave soit-il, n'est pas
forcément destructeur de tout un bâtiment. Qui plus est de
plusieurs bâtiments. Ce qui peut être le cas d'un prieuré (
église + logis du prieur et d'éventuels desservants).
Par ailleurs, si ce prieuré a été fondé au IXesiècle,
il devait fatalement y avoir une église à cette période.
Qu'est-elle devenue ? On ne peut pas faire comme si elle
n'avait pas existé.
Cela n'empêche pas que l'église dans son ensemble peut dater
du XIIesiècle. Nous avons cependant des doutes
en ce qui concerne la nef. Une vue extérieure de celle-ci
(image 4) fait
apparaître des différences notables dans l'appareil des
pierres ; dans la partie inférieure, un appareil irrégulier
de moellons de diverses provenances, dans la partie
supérieure, un appareil régulier fait de pierres grises. On
retrouve le même appareil dans les contreforts. Les fenêtres
inscrites dans la partie supérieure sont romanes, peut-être
du XIIesiècle. Les parties de mur bâties en
appareil irrégulier leur sont manifestement antérieures. En
admettant même que les fenêtres romanes soient de la
deuxième moitié du XIIesiècle, il est
difficile d'imaginer que ces parties leur soient antérieures
de moins d'un siècle. C'est-à-dire qu'elles soient aussi du
XIIesiècle. À plus forte raison de la seconde
moitié du XIIesiècle.
Un autre signe d'une construction effectuée en plusieurs
étapes de travaux : observons l'image
2 du portail de la façade Ouest. On a tout
d'abord, encadrant la porte, un arc dépourvu de décor porté
par des impostes à chanfrein vers l'intrados de l'arc. Puis,
portées par des chapiteaux à tailloirs montés sur des
colonnes, trois archivoltes (la première est torique, la
seconde est un simple ressaut, la troisième est décorée de
billettes). Nous pensons qu'il y a là deux parties bien
distinctes, construites dans des périodes différentes.
Initialement le portail, tout simple, se réduisait aux
impostes, à l'arc qui les surmonte. Ultérieurement, on
aurait plaqué contre la façade un mur porté par les colonnes
chapiteaux et archivoltes. Nous voyons une confirmation de
cette hypothèse dans l'image
1 : si on fait abstraction de la partie inférieure
contenant le portail, on obtient une copie de l'image
4. On
aurait donc eu au moins deux étapes de travaux. Pour la
première, la construction de murs en appareil irrégulier
avec sur la façade Ouest un portail simple. Pour la
deuxième, la construction d'un mur plaqué sur la partie
inférieure de la façade Ouest avec ouverture au centre de
cette façade (archivoltes portées par les colonnes et
chapiteaux), la pose de contreforts et la construction de
fenêtres dans la partie supérieure.
Image 3 : Chapiteau
à lions affrontés. Les lions ici représentés constituent une
variante du «lion à queue feuillue» : le lion crache un
feuillage.
L'intérieur de la nef (image
6) : L'existence d'étroits passages (dits
«passages berrichons») de part et d'autre des piliers, fait
envisager que, primitivement, la nef était à trois
vaisseaux.
Examinons à présent les 8 chapiteaux du transept. Comme il
est indiqué ci-dessus, sept de ces huit chapiteaux ont été
interprétés comme les péchés capitaux. Ci-dessous le texte
explicatif trouvé sur place. Nous en ferons le commentaire
plus loin.
Image 9 : À
gauche, chapiteau intitulé «Chapiteau à lions adossés. LA
LUXURE».
Image 9 : À
droite, chapiteau intitulé «Chapiteau à bustes d'angle.
L'ORGUEIL».
Image 10 : À
gauche, chapiteau intitulé «Chapiteau à bustes d'angle. LA
GOURMANDISE».
Image 10 : À
droite, chapiteau intitulé «Chapiteau à bustes d'angle. LA
PARESSE».
Image 11 : À
gauche, chapiteau intitulé «Chapiteau à lions adossés.
L'ENVIE».
Image 11 : À
droite, chapiteau intitulé «Chapiteau à Atlantes.
L'AVARICE».
Image 12 : À
gauche, chapiteau intitulé «Jeux de Foire. LA COLERE».
Image 12 : À
droite, chapiteau intitulé «Chapiteau végétal à volutes
inversées».
Nous pensons qu'il faut beaucoup de bonne volonté pour
accepter ces explications, qui, selon nous, ne sont que de
circonstance : on y voit ce qu'on a envie d'y voir. Il n'y a
rien dans ces chapiteaux qui puisse faire penser aux péchés
capitaux. Et d'ailleurs à notre connaissance, les sept
péchés capitaux n'apparaissent pas dans l'art roman. Il
existe certes quelques œuvres dont le caractère symbolique a
été interprété par un des péchés capitaux : la femme dont un
serpent dévore les seins = la luxure, l'homme portant une
bourse jeté en enfer - l'avarice. Mais nous ne sommes pas
certains de la justesse de l'interprétation. Et de plus, ces
images symboliques sont isolées parmi d'autres décrivant des
symboles différents des péchés capitaux, alors qu'on devrait
les voir tous les sept apparaître en un même lieu. Qui plus
est, il est évident que l'affichage des péchés
capitaux est destiné à l'édification des foules de croyants
incultes. Il faut donc que le symbolisme soit clair et
accessible au commun des mortels. Un symbolisme clair que
les artistes du Moyen-Âge étaient parfaitement capables de
maîtriser.
Cela étant, nous sommes obligés de dire qu'il existe dans
ces images uns sorte de symbolisme sous-jacent. Ce que nous
voulons dire, c'est qu'elles n'ont pas été faites par un pur
hasard.
La plupart d'entre elles représentent des animaux adossés ou
affrontés. Nous avons traité ce thème des animaux adossés ou
affrontés dans
cette page de notre site. Cependant, nous n'avons pas
suffisamment approfondi la question. Examinons de plus près
le chapiteau de l'image 9
, intitulé : «LA LUXURE». Un corps de lion est disposé sur
chacune de deux faces perpendiculaires. À l'angle formé par
les deux faces, les deux corps se réunissent en une seule
tête. Au dessous de la tête, un corps d'homme nu. Chaque
lion pose une patte sur une épaule de l'homme. Il existe
beaucoup de variantes à cette scène : le lion peut être
remplacé par un hybride, le corps humain, par une tête
humaine. Mais la représentation globale est toujours la même
: deux corps d'animaux réunis en une seule tête animale qui
domine une forme humaine. On peut certes imaginer que cette
représentation est issue des volutes d'angle. Mais sa
fréquence n'est pas le fruit du hasard. Nous ne savons pas
encore lui donner un nom : lion dévorant ? lion dominant ?
lion protégeant ? Peut être tout cela à la fois. Nous
pensons à présent que ces chapiteaux pourraient être des
signatures. Des ouvrages comme le transept de La Berthenoux
devaient mobiliser des capitaux importants en grande partie
financés par des personnages importants (princes, évêques,
comtes). Ceux-ci, représentés par des lions, devaient
rappeler à tous qu'ils détenaient le pouvoir : ils
dominaient, ils protégeaient, et en cas de besoin, ils
sévissaient.
Concernant les autres chapiteaux, le symbolisme doit être
sensiblement le même, mais nous avons plus de difficulté à
les ranger dans une catégorie.
Le chapiteau de l'image 11,
à droite, intitulé «L'AVARICE», ainsi que le chapiteau
de l'image 12, à
gauche, intitulé «LA COLERE», pourraient éventuellement être
en relation avec le thème des singes cordés (voir cette
page de notre site).
Datation
envisagée pour l'église Notre-Dame de La Berthenoux :
an 1050 avec un écart de 150 ans (cette datation a été
effectuée en fonction de notre hypothèse d'une construction
de la nef en au moins deux étapes de travaux. Les chapiteaux
du transept, et donc le transept lui-même, peuvent être
datés du XIIesiècle).