Église Saint-Gervais et Saint-Protais et nécropole de Civaux
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L’église de Civaux est dédiée aux Saints Gervais et Protais
martyrisés à Rome au premier siècle de notre ère et dont les
reliques ont été découvertes en 386 par Saint Ambroise,
évêque de Milan. Une église leur avait été dédiée à Rome.
Grégoire de Tours et Venance Fortunat les citent dans leurs
œuvres (VIesiècle). Les églises dédiées à ces
saints sont en général très anciennes.
Son plan (image 1)
est celui d’une basilique à trois nefs. Des fouilles ont été
faites côtés Nord et Est. Elles ont fait apparaître les
superstructures d’un petit temple
(« fanum ») dont subsiste l’espace sacré ou « cella » de
forme carrée (bâtiment au milieu de l'image
2). Fait remarquable : les murs de l’église sont
dans l’alignement (ou le parallélisme) des murs du fanum. Ce
qui fait envisager une occupation continue du site.
Sur l'image 3 on
découvre l’existence d’une piscine baptismale. C’est un peu
surprenant. En effet cette piscine baptismale se trouve dans
un périmètre supposé païen (daté par les archéologues du IIIesiècle
de notre ère). Il nous faut admettre que nous ne savons pas
grand-chose sur cette période. Et sur cette région qui était
à l’époque peu romanisée. La « piscine baptismale » que l’on
voit ici, peut en d’autres endroits être appelée « nymphée »
, sorte de piscine pour des ablutions païennes. Mais rien
n ‘empêche que ce soit réellement un aménagement réservé au
baptême chrétien.
Sur les images
5 et 6, on découvre le chevet et le clocher.
L’implantation de celui-ci est inusitée. Si, du côté ouest,
il s’appuie sur les murs de la nef, du côté est, il est
porté par deux piliers verticaux qui traversent le toit de
l’abside (images 1 et 5).
Le chevet est désigné comme étant « mérovingien ». Il s’agit
là d’une appellation que nous proscrivons (voir sur ce site
au chapitre « Histoire », la page «
Qui est le plus grand spécialiste des Mérovingiens ? »
qui nous apprend que les Mérovingiens n’ont pas existé).
Nous préférons dire « église du VIeou VIIesiècle
».
Pourquoi ce chevet est-il daté du VIeou du VIIesiècle
? Tout simplement parce qu’il y a des tombes datées de cette
période qui semblent entourer ce chevet. Les croyants, ne
pouvant enterrer leurs morts dans l‘église, ont placé les
tombes tout autour. Et donc la construction de l’église
précède l’installation des tombes.
A l’intérieur (images
7, 8 et 9), on constate que le plan est celui d’une
basilique à trois vaisseaux . Les murs gouttereaux du
vaisseau central sont portés par de hautes colonnes
cylindriques. Le plan de l'image
1 nous apprend que les murs de la nef seraient du
Xeou du XIesiècle. Par contre les
colonnes seraient du XIIesiècle. Nous pensons que
murs et colonnes font partie du même programme de travaux .
Quand cette nef a-t-elle été construite ? Nous pensons que
c’est à une période relativement tardive … du premier
millénaire. C’est-à-dire le IXeou le Xesiècle.
Tardive parce que les arcs séparant les colonnes sont
doublés. Mais du premier millénaire car, semble-t-il, le
vaisseau central de l’église primitive n’était pas voûté. On
le voit à plusieurs points de détail. D’une part sur l'image 11, la colonne
qui supporte le doubleau du vaisseau central s’appuie sur
une console et non directement sur le sol. Une telle
singularité semble n’apparaître que vers la fin du XIIIesiècle.
Sur l'image 13, la
base de la colonne qui supporte le doubleau du vaisseau
central déborde du tailloir inférieur ; preuve qu’elle a été
construite après. Alors que, sur l'image
12, le doubleau du collatéral semble s’inscrire
parfaitement sur le tailloir du chapiteau. En résumé, dans
la construction primitive, les collatéraux devaient être
voûtés mais pas le vaisseau central. A remarquer sur l'image 7 l’existence de
deux poutres transversales situées en haut de la voûte. Très
probablement ces poutres servent à soutenir le toit car la
voûte est trop fragile pour jouer ce rôle.
Les chapiteaux sont de facture
archaïque. Nous essaierons prochainement de faire une étude
très poussée des thèmes iconographiques.
Signalons seulement que le thème dit des « oiseaux au
canthare » (à droite sur l'image
14) est fréquent dans l’antiquité (IIIe-
IVesiècle). Il semble avoir disparu à l’époque
romane (XIe- XIIesiècle).
La nécropole «
mérovingienne »
Entièrement clôturée de couvercles de sarcophages enfoncés
verticalement dans le sol (image
20), et située à une centaine de mètres de
l'église, elle est aujourd'hui l'enceinte du cimetière du
village.
Le plan de l'image 19 nous
indique la disposition des sarcophages à l'intérieur de
cette enceinte. La surface de la nécropole a été beaucoup
plus importante. En effet, un dépliant fourni par l'office
du tourisme nous apprend : «
Des dessins du XVIIIesiècle montrent que la
nécropole couvrait encore une superficie de plus de 2
hectares, d’où l’estimation du nombre de tombes entre 7
000 et 15 000. Cette nécropole, qui constituait une
extension du cimetière romain, a accueilli des défunts
tout au long du Moyen-Âge et jusqu’à nos jours. »
La nécropole est, ici encore, qualifiée
de « mérovingienne ». Dans ce cas l’appellation pourrait
désigner non seulement une date (VIeou VIIesiècle),
mais aussi un peuple, en l’occurrence les Francs, puisque,
comme nous l’avons dit , les mérovingiens n’ont pas existé.
Nous ne pensons pas qu’il s’agit là de tombes franques. En
effet, elles semblent appartenir à un groupe localisé aux
alentours de Poitiers. Les couvercles des sarcophages (images 21, 23, 25, 27)
ressemblent énormément à d’autres vus au baptistère
Saint-Jean de Poitiers (voir la page : Baptistère
Saint-Jean de Poitiers image
14). A cette époque, la région de Poitiers était
occupée par le peuple des Pictons.
D’autres tombes ont un couvercle en forme de demi-cylindre.
On trouve des tombes de ce type au cimetière de Cellefrouin
en Charente. Peut-être s’agit-il d’un autre peuple que les
Pictons?
Ajout
postérieur (octobre 2022)
Nous avons profité d'un court voyage dans le centre de la
France, en septembre 2022, pour nous arrêter dans le village
de Civaux. Le site avait été auparavant visité par Alain et
Anne-Marie Le Stang en février 2017. Les images
de
1 à 27 prises à cette occasion avaient permis de
construire la page ci-dessus. Notre propre visite avait pour
but de compléter l'information. Il faut savoir en effet
qu'une seule visite est en général très insuffisante.
L'analyse d'un édifice exige plusieurs allers-retours
entrecoupés d'études « en laboratoire », essentiellement
l'analyse des photographies prises lors de la visite.
Concernant la nécropole « mérovingienne », les images
d'Anne-Marie Le Stang se sont révélées bien meilleures aux
nôtres. Nous ne reprendrons donc pas la partie de la page
consacrée à cette nécropole. Avec cependant une réserve déjà
signalée dans le texte ci-dessus : nous n'aimons pas
l'expression « nécropole mérovingienne », car elle amène à
croire qu'il existait un peuple appelé « mérovingien ». Ce
qui n'est pas le cas. Par contre, il existait bien un peuple
habitant le Poitou : les pictons. Nous adopterons donc
l'expression « nécropole pictonne ».
Les images de 28 à 33
représentent des éléments extérieurs à l'église, comme les
sarcophages de forme trapézoïdale (images
29 et 31), un chapiteau (image
30), un plan de l'enclos paroissial un peu
différent de celui de l'image
1 (image 32),
et enfin deux vues de l'église montrant que le clocher
semble traverser le toit de l'abside (images
28 et 33).
En rédigeant le texte ci-dessus, nous
avions écrit ceci : « Nous
essaierons prochainement de faire une étude très poussée
des thèmes iconographiques ». C'est ce que nous
allons faire. Les images sont malheureusement trop
éclairées. L 'éclairage issu de projecteurs placés juste
au-dessus des chapiteaux se déclenche dès qu'on pénètre dans
l'église.
Les images 34, 35 et 36
présentent l'intérieur de la nef. Nous avions précédemment
affirmé que les arcs étaient doubles. Nous en sommes moins
certains. L’apparence
« d'arc double » est peut-être due à la décoration. Le reste
de ce qui a été dit est cependant plausible : les
collatéraux devaient être voûtés et le vaisseau central,
charpenté.
La description des chapiteaux de la nef correspond aux images suivantes de 37 à 54. Ces
chapiteaux sont désignés en fonction de leur disposition
dans l'église, s'ils sont au Sud (à droite en entrant) ou au
Nord (à gauche en entrant), et leur rang de 1 à 3 à partir
de l'entrée.
Image 37 :
chapiteau de la nef ; emplacement Sud 1. Observons tout
d'abord la forme de ce chapiteau. Sa base, en contact avec
la colonne cylindrique, est circulaire. Par contre, son
sommet a un plan en croix. À cause de cette forme, le
chapiteau présente quatre faces quasi planes. Sur deux faces
de ce chapiteau, deux bâtons terminés par des spirales se
croisent comme une croix de Saint André. Pour le chapiteau
de droite, les bâtons ressemblent à des crosses d'évêques.
Images
38, 39, 40, 41 : chapiteau de la nef ; emplacement
Sud 2. Ici la base du chapiteau est circulaire alors que le
sommet est carré. Ce chapiteau est entièrement décoré de
monstres hybrides.
Image 38. À gauche,
l'hybride est un hybride dévorant : un corps humain est
représenté dans la gueule de l'hybride.
Image 39.
Les deux corps de lion se rejoignent au centre pour
former une seule tête.
Images 40 et 41.
Une tête humaine est dévorée par deux serpents. Une sorte de
moustache tressée part des narines de l'homme. Le même type
de moustache existe aussi sur la tête de lion (image
39).
Images
42, 43, 44, 45 : chapiteau de la nef ; emplacement
Sud 3. Ici la base du chapiteau est circulaire alors que le
sommet est en forme de croix.
Image 42.
Nous avons précédemment commis une erreur sur la
scène représentée. Nous avions parlé de «
lions
entrelacés ». En fait, c'est un peu plus complexe.
Il n'y a qu'un seul corps et deux têtes montées sur de longs
cous. Un des cous est fixé sur le corps de l'animal. Cette
image a été déjà vue ailleurs. Nous ne connaissons pas la
symbolique associée.
Image 43. Deux
corps de serpents dont les têtes se rejoignent dans les
coins. Les deux corps de lion se rejoignent au centre pour
former une seule tête.
Image 44. Entrelacs
de feuillages.
Image 45. Deux
crosses à têtes de serpents.
Image 46 :
chapiteau de la nef ; emplacement Nord 1. Ici la base du
chapiteau est circulaire alors que le sommet est carré.
Chapiteau à feuille dressée (ou chapiteau à crochets).
Images
47 , 48, 49 : chapiteau de la nef ; emplacement
Nord 2. Ici la base du chapiteau est circulaire alors que le
sommet est à plan carré. Chapiteau à monstres hybrides.
Images 50, 51, 52, 53, 54
: chapiteau de la nef ; emplacement Nord 3. Ici la base du
chapiteau est circulaire alors que le sommet est à plan en
croix.
Image 50.
Nous avions appelé cette scène une «
scène de mariage ». Elle pourrait peut-être
représenter un donateur (le constructeur de la nef) et son
épouse.
Image 51.
Représentation classique des « oiseaux au canthare ».
Image 52.
Représentation de feuilles dressées (symbolique ?).
Images 53 et 54,
Sur une même face de chapiteau, on peut voir, à gauche (image 53), un hybride
homme-poisson. C'est peut-être une sirène. On voit parfois
la représentation d'une sirène tenant dans chaque main une
longue tresse de cheveux.
Mais ce pourrait être aussi Jonas dévoré par le gros
poisson. Ce qui expliquerait l'attitude du personnage de
droite tombant dans l'eau (image
54).
Images
55 et 56. On y voit la salle de rez-de-chaussée de
la tour-lanterne (on ne peut pas l'appeler « croisée du
transept » car celui-ci est réduit à sa plus simple
expression). Une pièce existait au dessus : une fenêtre
permet d'observer du haut de cette pièce ce qui se passe
dans la nef (image 55).
Des trous dans le plafond ont été utilisés pour le passage
des cordes des cloches (image
56).
On constate que pour toute la base du clocher, les arcs sont
portés, non par le système chapiteau-tailloir, mais par des
impostes (image 58).
Et ces impostes sont à chanfrein vers l'intrados de l'arc,
spécificité qui selon nous caractériserait une forme tardive
de l'imposte (image 59).
La différence existant entre le système chapiteau-tailloir
dans la nef, et le système d'imposte sous la tour n'est pas
selon nous anecdotique. Elle traduirait l'existence de deux
campagnes de travaux pour la nef et pour la tour-clocher.
On remarque la présence de deux couloirs de part et d'autre
de la tour (image 60).
Actuellement ces couloirs sont murés. Ils ne l'étaient sans
doute pas à l'origine, permettant de créer un déambulatoire
autour de la base du clocher.
Venons-en à présent à l'étude des plans.
Image 61 : Selon
le texte des légendes qui décrivent ce plan, le tracé de
murs en couleur ocre définirait les murs antiques. Le tracé
noir serait celui des murs
« mérovingiens ». Le tracé en gris celui des réalisations
des XIe ou XIIe siècles.
Image 62 : Nous
avons voulu représenter cela d'une façon schématique en ne
montrant que l'abside. En rouge, les murs dits «
mérovingiens » ; en vert, les piliers du clocher datés du XIe
ou XIIe siècle. Nous trouvons cela vraiment
surprenant. Supposons que vous disposiez, ami lecteur, d'une
salle de séjour très spacieuse. Auriez-vous l'idée de
construire au milieu de cette salle une haute tour qui perce
le toit de cette salle de séjour ? Nous pensons que si c'est
le cas, il faudrait un minimum d'explications sur cette
démarche audacieuse.
Image 63 : Cette
image décrit une autre conception. Nous avons tracé en
couleur parme les murs actuels de la nef de l'église ainsi
que les piliers. Nous avons constaté que les piliers du
clocher se situaient dans le prolongement des colonnes de la
nef. Et nous avons envisagé que la base du clocher pouvait
être l’ancienne abside, à plan carré. Ce type de plan est,
quant à lui, assez fréquent. Pour ce plan, l'abside
pentagonale (tracée en noir) ne serait pas antérieure au
clocher, mais postérieure. Il reste cependant des
contradictions à résoudre. La première de ces contradictions
est que, semble-t-il, les murs actuels seraient plus récents
que le plan. En fait, ce plan serait celui d'une première
église à nef à trois vaisseaux. Mais il ne resterait pas
grand-chose de cette première église. Le chœur de cette
église aurait été surélevé et serait devenu le clocher. La
nef aurait été reconstruite par remplacement des piliers et
des chapiteaux. Ce remplacement aurait été progressif (ce
qui expliquerait les différentes formes de chapiteaux) ;
l'abside pentagonale aurait été construite après le clocher,
et autour de celui-ci, afin de créer une sorte de
déambulatoire.
Datation envisagée
pour la base du clocher, partie qui nous semble la plus
ancienne de cette église (mis à part des restes probables de
murs antiques) : an 900 avec un écart de 150 ans.