L'église San Pietro al Monte et la chapelle Saint-Benoît de Civate 

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Nous n'avons pas visité cet ensemble de deux églises. Les images ci-dessous sont extraites d'Internet.

Elles ont toutes deux fait l'objet d'une description détaillée écrite par Sandro Chierici dans l'ouvrage « Lombardie Romane » de la collection Zodiaque. En voici des extraits :

« Nous abordons un monument  (il s'agit de l'église San Pietro al Monte) dont les origines se perdent encore dans les légendes. La majeure partie de ceux qui l'ont étudié se sont arrêtés devant la disparition de tout repère, une fois dépassé le seuil du Moyen-Âge. Ils se sont contentés de reporter les rares mentions évoquant la fondation de l'abbaye tandis que certains, en particulier Bognetti, ont cherché à aller au fond du problème, mais les faits indiscutables sur lesquels ils s'appuyaient se sont révélés fort peu nombreux et si, trop souvent, il leur a fallu suppléer à ceux-ci par de simples hypothèses, cependant on doit savoir gré à ces chercheurs d'avoir bâti une hypothèse de travail qui, dans limites du genre, reste fondamentale. [...] La légende raconte que lors d'une battue de chasse, Adelchi, fils du roi lombard Didier (Desiderius) fut frappé de cécité, puis guéri par un ermite qui vivait près d'un oratoire sue le mont de Civate. En souvenir de ce miracle, Didier aurait fait ériger une église, dédiée aux saints Pierre et Paul. Une seconde légende rapportée par l'Histoire de Milan de Corlo, au début du XVIe siècle, remonte également au roi Didier, mais donne à la construction de cette église une toute autre cause : une victoire remportée sur les Sarrasins. Enfin, dans un manuscrit de Trivulziano datant du XVesiècle, la construction de l'église est datée de 706. Au-delà du désaccord entre les dates, on doit noter que toutes les sources font remonter l'érection de cette église à l'époque lombarde.

Bognetti a essayé de vérifier si l'hypothèse d'une fondation lombarde du monastère avait quelque solidité et il est arrivé à tisser un réseau de références, [...] parmi lesquelles se situe l'abbaye de Civate. Cette reconstruction a le seul tort de ne rencontrer aucun document écrit où serait expressément cité le monastère, ni aucune trace architectonique certaine remontant à l'époque lombarde : elle reste par conséquent pure hypothèse, encore qu'elle se révèle passionnante.

Pour s'en tenir aux documents de datation certaine, le plus ancien, remontant à environ la moitié du IXesiècle, consiste dans une liste nommant les moines qui devaient résider à Civate à cette époque ; leur nombre de 35, cependant, pose un problème : en effet l'ensemble des bâtiments du monastère de Saint-Pierre ne permet pas d'abriter une communauté aussi nombreuse. [...] »


On retrouve dans ce discours de M. Chierici la logique du « C'est pas ça! ». Une personne avisée émet une hypothèse ; réponse : « C'est pas ça! ». La même personne essaie d'argumenter ; nouvelle réponse : « C'est pas ça! » Et ainsi de suite. Dans le cas présent, le dénommé M. Bognetti s'efforce de développer une argumentation.
M. Chierici lui répond en substance : « C'est pas ça! ». Oh bien sûr, il y met les formes en ajoutant : « elle reste par conséquent pure hypothèse, encore qu'elle se révèle passionnante ». Passionnante ... comme le sont les contes de fées ? Ou bien il oppose des arguments contradictoires. Ainsi en ce qui concerne le nombre de 35 qui, selon lui, « pose un problème : en effet l'ensemble des bâtiments du monastère de Saint-Pierre ne permet pas d'abriter une communauté aussi nombreuse. [...] ». Sauf que si l'église Saint-Pierre date de cette période, il devait y avoir suffisamment de place dans les combles du toit pour loger plus de 100 moines. De plus M. Chierici ignore sans doute que nombre des monastères de cette période étaient des monastères de cénobites. C'est-à-dire des moines vivant comme des ermites hors du monastère.

Par la suite, M. Chierici s'efforce de proposer pour cette église la datation de la fin du XIesiècle : « En septembre 1097, fut enseveli à San Pietro de Civate l'archevêque milanais Arnolfo III. Il convient de s'arrêter un instant sur ce point, car à la présence du corps de cet évêque au monastère, se trouvent probablement liés des changements profonds dans l'aspect de l'édifice principal : l'église Saint-Pierre. [...] Bien qu'il ne s'agisse là que d'une hypothèse - mais bâtie sur un fait certain - la sépulture de l'évêque à Civate - on a cherché un rapprochement avec la datation, soit de certaines parties, soit de l'architecture, soit de la décoration de l'édifice. Aux dernières années du XIesiècle, est en effet communément attribuée la réalisation définitive de l'abside orientale dans la forme qu'elle revêt actuellement, et celle de l'atrium en hémicycle qui l'entoure, ainsi que la construction de l'abside occidentale et la plus grande partie des stucs et fresques qui couvrent l'intérieur de l'église. ». Déduire de l'ensevelissement d'un archevêque la datation au XIesiècle d'une église nous semble plus audacieux encore que les hypothèses d'une construction par les lombards.



L'église San Pietro al Monte de Civate

Nous pensons que, comme la plupart des historiens de l'art, M Chierici est obnubilé par les textes écrits, bien rares dans le cas présent. Et qu'il ne songe pas à regarder l'architecture de cet édifice. Une architecture qui nous a immédiatement surpris : le plan de cette église (image 7) ne ressemble à aucun autre vu auparavant. Résumons-nous : il y a là deux absides opposées, l'une à l'Est, l'autre à l'Ouest. C'est une église à nef unique. L'entrée se fait au centre de l'abside Est et non côté Ouest.

Nous connaissons certes des églises à deux absides opposées. Certaines, la plupart en ruines, datent de l'Antiquité tardive. D'autres sont un peu plus récentes, du VIIIeou IXesiècle de notre ère. On les trouve principalement dans l'ancienne Germanie : Trèves, Mayence, ... mais aussi, en France : Verdun, Dijon, ou même Nevers (cathédrale). Il existe aussi des églises à nef unique. Mais des nefs de cette dimension sont plutôt rares. Et ce sont le plus souvent d'anciennes nefs triples. Celle-ci en fait-elle partie ? C'est ce que nous essaierons de voir.

Dernière observation : l'entrée se fait côté Est. Là encore, on connaît quelques églises qui ont cette particularité de posséder un plan inversé par rapport à la normale. Pour elles, l'entrée est à l'Est et le sanctuaire à l'Ouest. Mais pour la plupart, ce changement d'orientation est purement accidentel. Ainsi, à la cathédrale de Saint-Pons de Thomières, dans l'Hérault, à la suite de la destruction d'un magnifique chœur roman lors des Guerres de Religion, l'autel principal a été installé côté Ouest. Plus rarement, ce renversement d'orientation peut avoir été délibéré. C'est certainement le cas à Arles-sur-Tech/Pyrénées-Orientales/France.


À Arles-sur-Tech, tout se passe comme si le plan de l'édifice avait été retourné à 180° : le chevet est un vrai chevet ... mais il est à l'Ouest. L'ouvrage Ouest est un vrai ouvrage Ouest ... mais il est à l'Est !

À San Pietro al Monte, c'est un peu plus que cela ! Regardons le plan de l'image 7. On accède à cette église depuis la vallée (en haut du plan de l'image 7). On gravit une série de marches (image 5) pour accéder à une galerie semi-circulaire. L'entrée est juste en face (image 9) . Elle est inscrite dans une abside à plan semi-circulaire
(image 10). On devine une fresque affichant un Christ en Gloire encadré par Saint Pierre et Saint Paul dominant un Ciel représenté par un arc outrepassé. Après avoir franchi la porte, on pénètre dans un corridor formé de deux pièces successives voûtées (image 11). Dans la première sont représentés, sur la paroi de droite, le pape Marcel accueillant des fidèles, et, sur la paroi de gauche, le pape Grégoire accueillant aussi des fidèles (image 12). Pour mémoire, Marcel a été pape de 308 à 309, et Grégoire, de 590 à 604. La voûte d'arêtes est quant à elle décorée d'une représentation de la Jérusalem Céleste décrite dans l'Apocalypse de Saint-Jean : une cité de plan carré, dotée de 12 portes, chaque porte étant gardée par un homme. Au centre, le Christ, assis sur une sphère représentant le monde. L'Agneau est à ses pieds. De part et d'autre, se trouvent les deux arbres du Paradis ( image 13). La voûte d'arêtes de la pièce suivante du corridor est partagée en quatre parties. Sur chacune d'entre elles, un fleuve du paradis jaillit d'une outre portée par un homme. Un chrisme est dessiné à l'intersection des arêtes (image 14). En se retournant (image 15), on retrouve les scènes précédentes, et, à l'extrême gauche et à l'extrême droite, les deux absidioles. En continuant la marche vers l'Ouest, on pénètre dans la nef. On dépasse le ciborium. En se retournant, on obtient la vue de l'image 16. Puis l'image 17 montrant l'entrée Est, faisant apparaître, de part et d'autre du corridor central, les deux absidioles. Celles-ci sont visibles sur les images 18 et 19.


Il y a vraiment de quoi être désorienté par cette disposition. On rentre dans l'église par l'Est. Le plan de l'image 7 montre que la grande abside Est semble englober trois absides, l'abside centrale étant le corridor. On soge au classique chevet à trois absides. Sauf que, dans un chevet à trois absides, l'abside centrale est plus grande que les deux autres. On se retrouve donc devant un modèle inconnu. Il doit y avoir un sens qui nous échappe totalement. Le seul modèle qui pourrait ressembler à celui-ci est le Tempietto de Cividale del Friuli : même partition en trois parties identiques côté Est, même ambiguïté concernant l'emplacement de l'autel principal, même utilisation de stucs (images 26 et 27). Le Tempietto ayant été estimé être une création lombarde, en serait-il de même pour l'église Sant Pietro al Monte ?

De toute façon, en admettant l'idée que ce n'est pas une création lombarde mais une œuvre de la fin du XIesiècle, comme l'envisage M. Chierici, on est obligé de se poser la question : qu'est-ce qui a motivé la construction de cet édifice bien différent des autres qui lui étaient contemporains ? Si inversement, on accepte l'idée d'une création bien antérieure au XIesiècle par une culture différente de celle du milieu méditerranéen (les francs ? les lombards ?), on peut envisager que cette disposition étonnantre est liée à une pratique liturgique aujourd'hui disparue.

Revenons aux images 26 et 27. Les figurines en stuc sont celles, en haut, de la résurrection de Lazare et, en bas, de la Crucifixion. Dans cette dernière scène, sont représentés, outre le Christ en croix, la Vierge et Saint Jean, le centurion Longin et un autre soldat. La scène avec le centurion Longin est très caractéristique. Celle de l'église Santa Maria Antiqua de Rome serait datée de (741-752). Les bas-reliefs des images 23 et 24 sont placés dans le corridor d'entrée. Ils représentent un dragon
(image 23) et un hybride (image 24). Le dragon est un animal légendaire. À l'origine, c'est le cheval solaire commun à de nombreuses cultures antiques (le cheval qui accompagne le soleil dans sa marche diurne (dans le ciel) et nocturne (dans les enfers)). L'hybride quant à lui est moins souvent représenté. Il symboliserait l'alternance des saisons été et hiver : le loup devient cerf puis le cerf devient loup. Ici le loup est remplacé par le lion, le cerf par une antilope. Nous ignorons quel est le rôle du serpent.



La chapelle Saint-Benoît de Civate

Cette chapelle a un plan en forme de croix grecque. Ce plan centré a attiré l'attention des chercheurs qui ont voulu savoir si cette église avait pu être un baptistère. Les fouilles n'ayant pas révélé de cuve baptismale, il semblerait que ce ne soit pas le cas. En fait, jusqu'à présent, nous n'avons pas eu l'occasion de rencontrer de baptistère à plan cruciforme de dimensions réduites comme celui-ci. Certains sont dédicacés à la Sainte Croix ou au Sépulcre (tombeau du Christ). Certains aussi sont entourés de tombes datant du Haut Moyen-Âge. Pour d'autres, nous envisageons qu'ils aient pu servir de reliquaires. En tout cas, leur petitesse et leur forme empêchent de les considérer comme des lieux de palabres, comme ont pu l'être les édifices à plan circulaire ou polygonal.

En résumé, nous ne savons pas très bien quel a pu être l'usage de ces bâtiments. Il y a là un signe d'ancienneté : le temps a effacé le souvenir de l'usage.

À noter le décor d'arcatures lombardes sur cette église (image 31). Mais aussi sur Saint-Pierre (image 6).

L'autel est décoré de belles fresques : de face, le Christ entre la Vierge et Saint Jean. Sur les côtés, Saint Benoît et Saint André (image 32).

Un sarcophage antique ferait office de source sacrée (image 33). C'était semble-t-il l'usage de faire passer l'eau des sources dans des sarcophages ayant recueilli les ossements d'un saint.


Datation envisagée pour l'église San Pietro al Monte de Civate : an 850 avec un écart de 150 ans.

Datation envisagée pour la chapelle Saint-Benoît de Civate : an 850 avec un écart de 150 ans.