La basilique San Nicola de Bari 

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La présente page débute par une introduction à l'étude des monuments des Pouilles, qui sera suivie de l'étude de la basilique San Nicola de Bari.



Introduction à l'étude des monuments des Pouilles

Lors d'un voyage effectué dans le Sud de l'Italie en avril 2015, nous avons eu la surprise de découvrir l'importance des églises romanes de la région des Pouilles. Cette importance, on la pressent déjà dans la dimension d'églises comme celle de San Nicola de Bari. Voir à ce sujet les images 7 puis 1 : pour la première, la taille des personnes permet d'évaluer les dimensions de la porte, et pour la seconde, les dimensions de la porte permettent d'évaluer celles de l'ensemble. Mais l'importance peut se deviner aussi dans l'originalité d'un plan d'édifice à absides peu ou pas proéminentes.

Cette visite des Pouilles n'a duré qu'une petite semaine. Elle a cependant suffi à nous faire apparaître que la basilique Saint Nicolas de Bari n'était pas un édifice unique et isolé. Nous avons eu l'occasion de découvrir d'autres églises comparables à Bari et ses environs, à Barletta, à Trani, ... Une récente recherche sur Internet nous a permis d'en trouver d'autres encore. Les prochaines pages que nous sommes en train de construire devraient enrichir notre étude sur les monuments du premier millénaire (période étendue jusqu'à l'an 1100).



La basilique San Nicola de Bari

Nous avons effectué une visite rapide (en moins d'une heure) de cette église en avril 2015. Certaines images de cette page ont été prises lors de cette visite. Les autres sont issues des galeries d'images d'Internet.

Selon la page du site Internet Wikipédia relative à cette église :

« Historique : La basilique a été construite entre 1087 et 1197, à la suite du siège de Bari lors de la Conquête normande de l'Italie du Sud, à la suite de laquelle les Pouilles furent rattachées au royaume de Sicile. La zone était précédemment occupée par le Catépanat d'Italie dépendant de l'Empire byzantin, dont Bari était le siège.

Sa fondation est liée à l'arrivée des reliques de saint Nicolas depuis le temple originel du saint à Myre, en Asie Mineure. Lorsque Myre passa aux mains des Turcs Seldjoukides, les reliques du saint furent emportées par des chrétiens qui voulaient les mettre à l'abri en terre chrétienne. Selon une légende, le saint, en passant sur le chemin de Rome, avait choisi Bari comme lieu de sa sépulture. Il y avait alors une grande concurrence entre Venise et Bari pour l'accueil des reliques.

Celles-ci ont été emportées à l'insu des gardiens byzantins et de leurs maîtres musulmans, et le 9 mai 1087, ont été débarquées sans problème à Bari. Une nouvelle église a été construite pour les abriter, honorée de la présence du pape Urbain II lors la consécration de la crypte en 1089.

L'édifice a été officiellement consacré en 1197, en présence du vicaire impérial, l'évêque Conrad de Hildesheim, et de nombreux évêques, prélats et des nobles. Elias, abbé du monastère voisin de Saint-Benoît, a été le premier archevêque. Sa cathèdre (trône épiscopal) est encore aujourd'hui dans l'église.
»

Concernant la datation, le site Basilica Pontificia San Nicola Bari a un point de vue un peu différent : « La basilique qui abrite les reliques de Saint Nicolas, se dresse de manière imposante dans la vieille ville de Bari, [...] Le style est roman, c’est-à-dire qu’il a un aspect massif et sobre, caractéristique de l’architecture normande. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas d’une église construite à partir de zéro, mais d’un temple construit sur la zone de la résidence du Catepano (le gouverneur gréco-byzantin du sud de l’Italie entre 968 et 1071) et donc avec une réutilisation cohérente des matériaux du bâtiment précédent. »


Nous considérons que les datations proposées sur les deux sites Internet indiqués ci-dessus, ont été élaborées avec une vision événementielle de l'histoire. Que signifient, selon nous, les mots « vision événementielle de l'histoire » ?  (l'écriture historique est faite uniquement à partir de la connaissance d'événements qui se sont passés. Une telle écriture est à la fois partielle et partiale. Plus encore lorsqu'on remonte dans le temps. Les historiens croyant ne disposer que de renseignements
« événementiels » privilégient et maximisent leur importance, au détriment de toute autre analyse objective)
. En l’occurrence, dans le cas présent, la phrase « La basilique a été construite entre 1087 et 1197, à la suite du siège de Bari lors de la Conquête normande de l'Italie du Sud », est très probablement issue du raisonnement suivant :
« Nous savons que la ville de Bari a été assiégée par les normands en 1087. Donc tous les monuments de la ville ont été détruits. La basilique a été construite sur les ruines. Donc ce ne peut être qu'à partir de 1087. Un autre document nous apprend que l'édifice a été consacré en 1197. Et donc la basilique a été construite entre 1087 et 1197. ». Ce raisonnement, apparemment très logique, doit être confronté aux constatations suivantes : un siège de ville n'entraîne pas automatiquement la destruction totale de ses monuments ; la ville de Bari a très probablement subi d'autres sièges avant 1087 (mais de ces sièges, on n'en parle pas, parce qu'on ne les connaît pas), la consécration d'une église (ou d'un autel de cette église) ne correspond pas forcément à un achèvement de travaux sur cette église.

Il existe une autre idée contraire à toute logique. Reprenons le raisonnement qui nous est proposé : dans les années qui suivent le siège de Bari de 1087, il est décidé de construire l'église San Nicola. Les travaux sont achevés en 1197. Soit une construction effectuée en un peu moins de 110 ans. « Sur le papier », cela apparaît logique. Ça ne l'est pourtant pas en logique humaine, car tout concepteur d'un projet veut assister à l'achèvement de ce projet : une construction humaine doit être achevée dans les vingt ans qui suivent sa mise en œuvre.

Bien sûr, il est possible que les rédacteurs de ces divers sites Internet aient eu connaissance de documents que nous ignorons. Par expérience, nous savons que ce n'est très probablement pas le cas. La construction d'un édifice est en général considérée comme un non-événement et les documents qui concernent des constructions sont rares et peu détaillés. À l'heure actuelle, la seule démarche envisageable pour effectuer une datation est celle que nous essayons de mettre en œuvre sur notre site.


Les principaux éléments qui caractérisent cet édifice sont les suivants :

1. Sa nef est formée de 3 vaisseaux. Le vaisseau central est charpenté. Les vaisseaux secondaires sont voûtés d'arêtes sur doubleaux plein-cintre (images 17, 18, 20 et 23).

2. Le vaisseau central est porté par des piliers cylindriques de type C0000.

3. Les arcs reliant les piliers sont à deux rouleaux.

4. Le vaisseau central est haut et une galerie (ou triforium) court au-dessus des collatéraux.

5. Il existe un transept haut et débordant.

Le plan d'ensemble est typique du plan des églises des Pouilles : nef à trois vaisseaux, le vaisseau central étant charpenté ; vaisseau central porté par des colonnes monolithes cylindriques, arcs doubles, transept haut et débordant terminé par trois absides insérées dans la maçonnerie ou peu apparentes extérieurement. Pour ce dernier point, voir la vue par satellite de l'image 6 et les images 4 et 5 du chevet.


Anomalies de construction

Depuis notre étude effectuée sur l’architecture de la cathédrale de Béziers, nous sommes très attentifs en ce qui concerne les anomalies de construction. Celles-ci sont en général traitées avec dédain par les historiens de l'art qui les qualifient de « repentirs de maçons » comme-si ces derniers, réalisant qu'ils s'étaient trompés, avaient essayé de rectifier leurs erreurs. En fait, ces anomalies révèlent souvent l'existence de plusieurs campagnes de travaux s'étant succédées dans des délais probablement importants (supérieurs à 50 ans). Nous avons détecté trois anomalies.

La première concerne l'existence de ces grands arcs traversant transversalement la nef (images 17, 18, 19). Une deuxième anomalie concerne les piliers doubles en partie situés sous ces arcs. Ces piliers et les chapiteaux qu'ils portent apparaissent dépareillés et mal ajustés (images 21 et 22). Nous pensons que ces deux anomalies sont liées entre elles. L'image 20 fournit une explication. On y voit à droite le collatéral Sud dont la voûte d’arêtes est portée par des arcs doubleaux. Ceux-ci exercent une poussée latérale qui se transmet à la fois sur le mur extérieur Sud et aussi sur le mur gouttereau Sud du vaisseau central. En conséquence, le mur gouttereau Sud a tendance à s'incliner vers l'intérieur du vaisseau central. Si ce vaisseau central était voûté, la poussée serait contrebalancée par celle de la voûte. Mais il ne l'est pas. En fait, les grands arcs que l'on voit ne sont autres que des arcs-boutants, mais des arcs-boutants intérieurs. Ces arcs-boutants ont été placés après la construction initiale et pour les construire, il a fallu auparavant accoler à chaque colonne initiale une autre colonne portant chapiteau.

Une troisième anomalie se manifeste sur l'image 24. On y voit à droite, sur le mur gouttereau Sud, les arcs de deux travées de la nef et plus à gauche, l'arc de la travée de nef la plus proche du transept. Que constate-t-on ? Cet arc est plus petit que les deux autres. Ce qui dénote une belle « faute de goût artistique ». En fait, nous ne pensons pas qu'il y ait là une faute de goût artistique. À l'origine, tous les arcs devaient être semblables aux deux premiers. Mais il n'y avait pas de transept. Lorsqu'il a été décidé de construire un transept, il a sans doute était envisagé de l'édifier sur une seule travée de la nef initiale. Mais le choix a été fait de sacrifier une demi-travée et d'édifier le transept soit sur une travée et demie, soit sur le chœur et une demi-travée de l'ancienne nef. Il ne restait plus qu'à rectifier la demi-travée de nef qui avait été préservée. On voit que si cette hypothèse est la bonne, la qualification de « faute de goût artistique » est totalement injustifiée, car la modification ainsi faite est peu visible et de très bon goût.


Quelques thèmes iconographiques

Les portails (images 7 et 10), considérés comme moins importants que le gros œuvre, sont en général édifiés en fin de construction, voir au cours d'une campagne de travaux suivante. Il ne faut donc pas envisager que les sculptures de ces portails soient antérieures à l'an mille. Cependant, les thèmes développés peuvent avoir une origine bien antérieure. Il est dons important de mieux les connaître et les identifier.

Image 8 : Canthare et Arbre de Vie. Il s'agit là d'un thème récurrent, semble-t-il issu du thème des « Oiseaux au canthare », décrit et abondamment représenté sur notre site. Dans le cas présent, l'Arbre de Vie est une liane qui s'enracine dans ce que nous appelons « canthare » mais qui est en fait une cuve baptismale.

Image 9 : Entrelacs habité. L'homme ici représenté porte une sorte de short.

Image 11 : Sur la voussure, une scène de bataille se déroule en arc de cercle. À la base de cet arc de cercle, on peut voir,, de part et d'autre, un sphinx. De chaque côté une file de cavaliers converge en direction de la partie supérieure où l'on peut voir une porte de ville défendue par deux groupes de deux hommes armés qui s'opposent aux cavaliers. Les casques à pointe et côtes de mailles sont typiques de l'armement défensif des XIe et XIIe siècles. Nous ne voyons pas à quoi cette scène peut faire allusion. Il est possible que ce soit une allusion au roman des Chevaliers de la Table Ronde (voir sur ce site, à la page consacrée au duomo de Modène, l'image 15 du portrait de la Poissonnerie).

Image 13 : Canthare et Arbre de Vie.

Image 14 : Centaures et lions. On a ici plusieurs thèmes qui sont rassemblés. Celui des « Oiseaux au canthare ». Ici ce ne sont pas des oiseaux qui encadrent le canthare, mais des lions et des centaures. Il y a aussi le thème du « centaure chasseur » . Ici le centaure ne tire pas à l'arc mais chasse avec un épieu. Il y a enfin le thème du lion. Sans oublier le thème des entrelacs qui investissent toute la scène.

Image 15 : Chasseurs et animaux. Deux chasseurs sont à l'affût. Ils visent un quadrupède (lion ?) et un oiseau (hibou ?). La scène pourrait être purement anecdotique sans recherche de signification symbolique, ou sans source explicite telle que fable, conte ou légende.

Image 16 : Scène énigmatique. Deux hommes sont ici représentés dans une attitude analogue. Ils sont allongés. Sur le dos de chacun, émerge une tête humaine. Dans le cas présent, on ignore si la tête est saisie par le bras gauche de chacun ou si elle est posée sur un cou émergeant du dos de la personne (une telle disposition a déjà été observée sur au moins une image de ce site).


La crypte (images 26 et 27)

Selon la page du site Internet Wikipédia, cette crypte aurait été construite en 1089 (« Celles-ci (les reliques) , [...] le 9 mai 1087, ont été débarquées sans problème à Bari. Une nouvelle église a été construite pour les abriter, honorée de la présence du pape Urbain II lors la consécration de la crypte en 1089. »).

En fait ce raisonnement est aussi douteux que celui que nous avons critiqué précédemment. Il faut d'abord savoir que si, pour nous, le monument a le plus d'importance, pour les gens de l'époque, c'étaient les reliques qui avaient la primeur sur tout le reste. Lorsque, le 9 mai 1087, les reliques de Saint Nicolas sont débarquées à Bari (si l'information est exacte), elles sont immédiatement mises à l'abri en attendant qu'une cérémonie officielle vienne confirmer leur présence à Bari. Cette cérémonie officielle, c'est la consécration de 1089. Cette consécration n'est pas forcément celle d'un bâtiment. Ce peut être la consécration d'un autel, l'autel des reliques. Et c'est probablement ce qui s'est passé en 1089.

La plupart des historiens de l'art pensaient (ou pensent encore) que les cryptes sont antérieures ou contemporaines des églises qui les surmontent. Nous pensons le contraire : la plupart des cryptes seraient postérieures ! Cette idée semble illogique. On a tendance à croire que la crypte a été construite en premier puis elle a été surmontée par l'église. Nous pensons qu'en fait les cryptes ont été édifiées à l'intérieur d'une église déjà construite en lançant un plancher horizontal séparant l'église en deux. Dans de très nombreux cas, des matériaux de remploi (colonnes et chapiteaux) ont été utilisés afin de porter ce plancher horizontal. Ce matériau de remploi issu de bâtiments plus anciens a pu donner une impression de plus grande ancienneté de la crypte.

C'est le cas ici. On note les différences de dimensions des colonnes et des chapiteaux. Et aussi les différences de formes des chapiteaux. Certains d'entre eux (images 29, 30, 33) semblent plus archaïques que d'autres (images 28, 31, 32).

On retrouve le thème classique des oiseaux affrontés sur les images 28, 29, 30, le thème des entrelacs et palmettes sur les images 31 et 32, le thème des lions dévorants sur l'image 33.



Datation

Il faut tout d'abord écarter l'idée exprimée il y a une cinquantaine d'années selon laquelle le Nord de l'Europe, plus évolué, aurait inventé l'art gothique alors que le Sud, moins évolué, aurait gardé l'art roman. Nous pensons que l'innovation en architecture se propage très rapidement. Et si, dans certaines régions du Sud de l'Europe, l'art gothique est peu présent, cela peut avoir deux causes : soit les églises avaient été construites auparavant et on ne voyait pas l'utilité dans construire d'autres, soit la région en question était trop pauvre pour financer la construction d'églises nouvelles.

Concernant cette église, nous raisonnons ainsi : si elle avait été construite après 1150, l'architecte se serait inspiré de l'architecture gothique qui commençait à se manifester en utilisant l'arc brisé. Si elle avait été construite après 1050, l'architecte aurait prévu la pose d'un transept dès le plan d'origine. Nous raisonnons ainsi de proche en proche. Inversement, la présence d'arcs doubles plus évolués que les arcs simples empêche de remonter encore dans les datations.

Datation envisagée pour la basilique San Nicola de Bari : an 950 avec un écart de 150 ans.