Béziers : l’église Saint-Jacques - La nef wisigothique 

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L’église Saint-Jacques de Béziers est un édifice à première vue très simple mais dont l’étude se révèle complexe. On y distingue deux parties.

Une première partie, constituée d’un chevet et d’une nef de dimensions réduites, présente de fortes similitudes avec des églises identifiées comme wisigothiques
(du Veau VIIIesiècle).

La seconde partie, formée de trois travées, aurait été construite grâce aux libéralités de Charlemagne ou l’un de ses successeurs (IXesiècle).

L’étude approfondie de ces deux parties devrait être développée prochainement sur cette page et la page suivante de ce site.

Cependant, il faut noter qu’une conférence concernant cette église et qui devrait s’effectuer devant les membres de la Société Archéologique de Béziers, est envisagée. On comprendra aisément que ces personnes toutes bénévoles et qui ont tant œuvré pour le patrimoine de leur ville aient la primeur de ces informations.


Ajout des images 7 à 30 , avec commentaires sur ces images, le 14 janvier 2020.

Nous avions précédemment écrit que, selon nous, le chœur et les deux premières travées de l'église Saint-Jacques étaient wisigothiques. Mais nous avons un peu attendu avant d'apporter des preuves de ce que nous avancions. Il fallait auparavant trouver d'autres éléments de comparaison. De plus, il y avait un problème au niveau de la datation. On sait d'après divers documents que les Goths se sont installés officiellement en Narbonnaise à partir de l'an 410. Mais il est fort possible que, par suite de migrations, de fortes communautés de peuples barbares se soient établies auparavant. On sait aussi que la région autour de Narbonne, Béziers, Agde et, peut-être, Montpellier et Nîmes, a constitué le marquisat de Gothie jusqu'à l'an mille. Les Goths auraient donc vécu dans cette région durant près de 600 ans. S'ils ont laissé des restes de leur occupation du territoire - ce dont nous sommes persuadés - ces restes sont répartis sur cette longue période. Par ailleurs, les Goths n'étaient pas les seuls occupants de cette région. Il y avait aussi les descendants des peuples autochtones (gaulois?) plus ou moins romanisés. Il faut donc, d'une part s'efforcer de différencier non seulement les diverses cultures - principalement, la romaine et la gothe - mais aussi les âges de ces cultures. En résumé, deux questions sont posées. La première partie de l'église Saint-Jacques est-elle romaine ou wisigothique ? Et, si elle est wisigothique, appartient-elle à un premier âge de cette culture ou à un deuxième âge ?


Nous avons déjà eu l'occasion de voir cette première partie de l'église Saint-Jacques (images 3, 4 et 5). Nous allons les examiner plus attentivement.

Le collatéral Sud de la deuxième travée est le corps de de bâtiment situé au milieu de l'image 8. On peut voir, en arrière, le clocher à la verticale du collatéral Nord de cette travée. Nous pensons que primitivement, il y avait non pas un clocher mais deux, installés sur chacun des deux collatéraux de la deuxième travée. Ce n'étaient d'ailleurs peut-être pas des clochers au sens propre du terme - destinés à abriter des cloches - mais des tours de hauteur assez réduite. Nous avons vu que c'était probablement le cas à l'église de la Madeleine (Béziers) où des traces de la deuxième tour subsistent ( traces un peu semblables à celles qu'on voit sur l'image 8). Il existe cependant des différences avec l'église de la Madeleine. D'une part, à la Madeleine, le clocher subsistant est implanté sur le collatéral Sud et non comme ici, au Nord. Mais ce qui est plus important, et ce sur quoi nous aurons l'occasion de revenir, c'est que l'implantation s'effectue à la Madeleine sur le collatéral de la travée 1 et non, comme ici, de la travée 2.

Passons à présent à la travée 1 (images 8, 9, 10 et 11). On constate d'abord que cette travée est transverse (ou perpendiculaire) à l'axe de la nef. C'est une sorte de transept. Le mur Sud est doté d'un pignon (image 10). Une corniche de bord du toit suit le contour de ce pignon. On peut en voir un détail sur l'image 9. Cette corniche est ornée d'un motif de billettes. Après avoir suivi le contour du pignon, la corniche continue en assurant la bordure du toit sur le mur Est du croisillon de ce (faux?) transept (image 11). Elle vient buter sur la corniche à l'antique du mur Sud de l'abside. Et, fait important, elle recouvre une partie de cette corniche à l'antique. Cela signifie que ce mur Est du transept est postérieur à l'abside. Nous verrons cependant que, côté intérieur, le mur Est du croisillon est contemporain de l'abside. D'où l'idée que le mur Est a été renforcé, côté extérieur, par l'ajout d'un autre mur à décor de billettes. Notons par ailleurs que, toujours sur l'image 11 et en deuxième plan, le pignon de la partie centrale de la travée 1 est lui aussi doté d'une corniche à décor de billettes, mais en dessous (environ 50 cm) du bord du toit. Cela signifie qu'à une période donnée, le toit a été surélevé.

Toujours est-il qu'on arrive à une conclusion : les parties possédant des corniches à décor de billettes sont postérieures aux parties disposant de corniches à décor à l'antique. Or, le décor de billettes se retrouve dans la partie 2 que nous értudierons dans la page suivante. Mais il se retrouve aussi à d'autres endroits comme Saint- Aphrodise. Ce qui permet d'envisager de nombreuses datations.


Nous continuons avec l'examen du chevet (image 12). La corniche de pourtour du chevet en bordure du toit est décorée « à l'antique ». Cette décoration est difficilement observable sur les images du chevet que nous avons produites, mais elles sont comparables à celle de la corniche de pourtour du chœur située à l'intérieur
(image 18). Ce décor fait d'oves et de damiers est surtout comparable à celui de temples de l'antiquité. On retrouve en effet sur des temples antiques des décors de ce type sur des corniches en bordure de toit (voir sur ce site le temple de Pula en Croatie ). Remarquant cette anomalie, les historiens de l'art qui nous ont précédé ont estimé qu'il devait y avoir à Béziers un temple romain dont les constructeurs du Moyen-Âge ont imité la décoration. S'agit-il d'une explication fondée ou ces historiens n'ont-ils pas cherché à justifier une opinion préconçue et inamovible : que l'église date du XIIesiècle ? (remarquer que c'est écrit sur le plan de l'image 7). Nous penchons pour la seconde hypothèse. Il faut bien comprendre que le style de ce chevet est trop bien imité de l'antique pour être autre chose que de l'antique. À chaque époque, on assiste à des retours à un passé considéré comme un idéal perdu. C'est ainsi qu'en architecture, on a inventé les styles Renaissance, Néoroman, Néogothique, etc. Mais ce retour au passé n'est jamais à l'identique. Dans l'entre-temps il y a eu changement des techniques, des modes de vie, des priorités, des objectifs. Et ce changement influe sur l'architecture des bâtiments. La ménagère d'aujourd'hui acceptera l'idée que son habitation soit construite à l'image d'un temple romain. Mais elle voudra aussi que sa cuisine suréquipée dispose d'une grande baie sur le jardin. Et c'est elle qui finira par l'emporter.

Concernant le chevet de Saint-Jacques, on ne trouve sur celui-ci certains des éléments caractéristiques d'un chevet du XIIesiècle. Ce qui caractérise un chevet du
XIIesiècle, ce sont les fenêtres. Celles-ci sont en général grandes et très décorées. Le décor est formé de colonnettes encadrant l'ouverture ; ces colonnettes supportent un arc en forme de tore. C'est souvent le seul élément décoratif du chevet. Il peut exister aussi une corniche de bord du toit soutenue par de modillons. Mais cette corniche est de moindre épaisseur que celle de Saint-Jacques. Les fenêtres que l'on voit à Saint-Jacques ne sont pas décorées. Il est même possible que, à l'origine, il n'y ait pas eu de fenêtre. On le voit sur l'image 15 : l'assemblage de pierres, taillées en biais, au dessus du linteau, est typique des XVIIIeet XIXesiècles.

Les chapiteaux constituent un autre élément caractéristique de l'art roman. Pour un même édifice ils sont tous différents. Alors que dans un temple romain, ils sont tous identiques. Ceux qui sont disposés sur ce chevet sont identiques. Ils sont aussi identiques à trois autres chapiteaux situés à l'intérieur (images 21, 22, 28). En fait, ils sont très légèrement différents, comme on peut le voir sur les images 13 et 14. Cela est d'ailleurs compatible avec une construction de l'antiquité tardive, période au cours de laquelle les tailleurs de pierres « barbares » ont voulu s'affranchir des canons traditionnels romains.

Dernière remarque : les chapiteaux que nous venons de décrire sont installés sur des colonnes quasi cylindriques posées sur de lourds bahuts de forme parallélépipédique. Là encore, cette disposition n'existe pas dans l'art roman. Les seuls monuments de la région où on la trouve (cathédrale d'Alet, abbatiale de San Pere de Rodes, abbatiale de Nant) sont eux aussi estimés wisigothiques. Assez paradoxalement, on retrouverait cette disposition en Syrie dans des églises estimées du
VIeou VIIesiècle. Le paradoxe n'est peut-être qu'apparent : nous ignorons s'il n'existe pas d'autres églises en Europe où l'on puisse trouver la même caractéristique.


Passons maintenant à l'intérieur de l'édifice. On commence par l'abside (image 16). L'arc triomphal est soutenu par des tailloirs, eux-mêmes supportés par des chapiteaux très dégradés. Ces chapiteaux étaient eux-mêmes soutenus par des colonnes quasi cylindriques dont les bases, dégradées, subsistent.

L'image 17 présente le mur de fond de cette abside. On peut voir au dessus des fenêtres la corniche de pourtour de ce mur. Cette corniche est décorée à l'antique (image 18). Ce qui est moins visible mais qui est manifeste au cours d'une visite, c'est qu'il existait d'autres bandes de décor analogues à la corniche et ayant le même type de décor qu'une pierre déposée à proximité (image 19). Ces bandes de décor étaient disposées verticalement de part et d'autre des arêtes d'angle. Et horizontalement au dessous des actuelles fenêtres. Ces bandes de décor réalisaient un véritable cloisonnement des surfaces. Dans cette perspective d'un tel cloisonnement, l'existence de grandes fenêtres (non pourvues de décor) ne se justifie pas. Donc, primitivement, soit les fenêtres étaient de très petites dimensions, soit il n'y en avait pas.

Venons-en à présent à l'image 20 du collatéral Sud de la travée 1. Un grand arc marque l'entrée de ce collatéral. Il est soutenu à gauche par un chapiteau (tout en bas à gauche, à peine visible). On s'attendrait à ce, qu'à droite, il y ait aussi un chapiteau. Il n'en est rien. On en déduit que le pilier de droite a été probablement refait. Probablement lors de la pose de la voûte en berceau brisé, à l'époque gothique. Mais revenons à ce chapiteau de l'image 20. Il est représenté sur les images 21 et 22 (lui ou son analogue situé côté Nord). On s’aperçoit que la face avant de ce chapiteau a été bûchée. Nous pensons que cette destruction est volontaire pour faire disparaître le caractère outrepassé de l'arc.

Sur l'image 23, la nef wisigothique est vue en enfilade à partir de la deuxième nef dont un arc est observable au premier plan. Un pilier quadrangulaire sur lequel est adossé une colonne apparemment semi-cylindrique est installé au deuxième plan. Un examen plus attentif nous a permis de déterminer que, en fait, la colonne est quasi cylindrique. Mais elle a été en partie incluse dans la maçonnerie. C'est plus manifeste en ce qui concerne le chapiteau situé au=dessus de la colonne (images 24 puis 25).  On constate que ce chapiteau ainsi que son symétrique (image 26) sont très dégradés côté extérieur, mais dans un bien meilleur état côté intérieur. Le style est en apparence identique à celui des autres chapiteaux.

Les images 27 et 28 sont celles de l'intérieur des collatéraux. Sur l'image 27, l'arc est nettement outrepassé. Cela n'apparaît pas sur l'image 28 mais on découvre un chapiteau dont la face avant a été supprimée.

L'image 29 permet de découvrir une partie de la travée 1 et la travée 2 vues vers le Sud. On constate que les arcs sont de dimensions différentes, celui de la travée 1 étant nettement plus grand que celui de la travée 2.


Cette image 29 est en elle-même très intéressante, car elle permet de différencier l'église Saint-Jacques des églises de la Madeleine et de Saint-Aphrodise. Et aussi d'un grand nombre d'autres églises identiques à la Madeleine ou Saint-Aphrodise. Dans ces églises, toutes les travées de nef sont identiques, tant en largeur qu'en hauteur. Bien sûr, ce n'est pas le cas des églises pourvues d'un transept. Mais on sait que les transept ont été introduits vers le VIIIeou le IXesiècle. Et on vient de voir que pour cette église, la transformation de l'église en transept est postérieure à la première construction.

On a donc un édifice à plusieurs travées telles que la travée 1 est plus grande que la travée 2. Cet édifice tranche avec tous les autres. Fort heureusement, nous avons un autre témoin. Il s'agit de l'église San Pedro de la Nave étudiée sur ce site. Tout dans cette église témoigne d'une influence wisigothique (arcs outrepassés, croix pattées, entrelacs). Son plan (image 30) est à comparer à celui de l'église Saint-Jacques. L'espace sacré est constitué de trois travées : une travée de chœur à plan carré, une travée à collatéral et une autre travée de dimension plus petite que la précédente mais faisant office de transept.



Conclusions

Au vu de ces analyses, nous estimons d'une part que cette église est wisigothique, et d'autre part qu'elle fait partie des églises bâties durant la première partie d'occupation du territoire par les wisigoths. Datation estimée : an 525 avec un écart de 125 ans.

Par ailleurs, cette occupation de la colline Saint-Jacques par les wisigoths nous invite à croire que c'était sur cette colline qu'était implantée la ville wisigothe. On sait en effet que durant le premier millénaire, les villes étaient divisées en quartiers indépendants les uns des autres mais soucieux de s'aider les uns les autres en cas d'agression extérieure.