L'église Notre-Dame de l'Assomption de Bastanous 

• France    • Occitanie    • Article précédent    • Article suivant  
 

La commune de Manas-Bastanous contient deux hameaux, Manas et Bastanous, situés à proximité l'un de l'autre. Le château était situé à Manas. Chacun des hameaux a son église. Le deux églises, toutes deux anciennes (romanes ?), seraient dédiées à la Vierge Marie. Nous verrons un peu plus loin que ce point de détail peut avoir de l'importance.

En abordant cette église, ce qui frappe en premier est son chevet, à plan carré. Nous avons déjà rencontré des églises à chevet carré. On en trouve un bon nombre dans le Bas-Languedoc (Aude, Hérault, Aveyron, Gard). Nous avons d'ailleurs étudié certaines d'entre elles. Ce sont, pour la plupart, des chapelles rurales de très petite dimension. Nous avons aussi identifié des restes plus importants à la cathédrale de Saint-Lizier (Ariège) ou à Saint-Just-de-Valcabrère (Haute-Garonne). Les images 1 (façade Sud), 4 (façade Est), 8 (façade Nord) font apparaître un chevet nettement développé, non seulement en surface au sol, mais aussi en hauteur. Alors que pour les églises du Bas Languedoc, les toits des chevets sont nettement plus bas que ceux des nefs, pour cette église, les deux parties sont couvertes par un seul toit.

Mais, au fur et à mesure de l'examen détaillé, on découvre d'autres singularités. Il en est ainsi des trois fenêtres (images 2, 3, 5, 6 et 7). Elles sont toutes les trois non débordantes sur le mur, chanfreinées et décorées sur le chanfrein. Sur celle de la façade Sud (images 2 et 3), deux colonnettes torsadées supportent un arc de décharge décoré de billettes. Les deux autres fenêtres sont disposées sur la façade Est. Les piédroits de celle de gauche (image 5) sont ornés de pommes de pin alors que le chanfrein de l'arc de décharge (image 6) porte un ensemble de disques aux figures toutes différentes. On y discerne plusieurs formes de croix : croix latine, croix grecque, croix pattée, croix à lacets. Celle de droite (image 7) est décorée de petites pointes de diamant.

À cela, il faut ajouter le parement très particulier des murs. Il est formé d'une alternance de panneaux carrés (ou de blocs parallélépipédiques), soit en pierre de taille, soit constitués de galets de rivière reliés entre eux par un ciment. Ce type de parement, que nous n'avons pas étudié de près, fait l'objet de débats entre chercheurs. Malgré l’aspect esthétique dont témoignent les images 1, 4 et 8, il semblerait que c'est plutôt le caractère fonctionnel (économie de matériau) qui ait été privilégié. L'image 8 témoigne de plusieurs périodes de construction. On constate en effet la nette séparation verticale entre la partie avant et la partie arrière. Une autre séparation, celle-ci horizontale, moins visible, est présente sur la partie avant au niveau du croisillon. Cette seconde séparation témoignerait selon nous du vôutement du chœur à la période gothique (image 9).


Faisons une petite interruption de la description de cet édifice, afin d'effectuer un essai de compréhension. Et nous devons avouer la difficulté de l'opération. D'une part, certains éléments militent en faveur d'une ancienneté. Et même d'une grande ancienneté (bien antérieure à l'an mille) en ce qui concerne le plan carré du chevet. Par ailleurs, les décors de billettes et de colonnes torsadées (image 2) ou de diverses rosaces (image 6) ont été développés sur une période de plusieurs siècles centrée dans le premier millénaire mais débordant sur le XIe siècle.

D'autre part, la forme des fenêtres à ébrasement, la dimension relativement importante des ouvertures, font envisager une datation plus récente (XIIe siècle).

Nous envisageons cependant une solution possible. Il manque en effet quelque chose à ce chevet : la fenêtre axiale. Pour la plupart des chevets que nous connaissons, il existe une fenêtre axiale et non deux fenêtres disposées symétriquement sur la façade Est. Il y a donc là un anachronisme qui doit d'une façon ou d'une autre être expliqué. Or nous avons un exemple à citer : celui de la chapelle du château de Garrané où il existe, comme ici, un chevet carré et deux fenêtres symétriques. Mais il existe aussi une fenêtre axiale, de petites dimensions, en dessous des grandes fenêtres. Qui plus est, il semblerait que cette fenêtre axiale ait précédé les grandes fenêtres. Nous formulons donc l'hypothèse suivante concernant le chevet de Bastanous : il était primitivement charpenté et éventuellement percé d'une fenêtre axiale. Il aurait été rehaussé et voûté au XIIIe siècle. Mais, pour ce faire, il aurait fallu renforcer les murs. Ce qui expliquerait l'appareil en alternance et l’absence de traces d'une fenêtre axiale.



À l'intérieur, la voûte en berceau brisé est portée par deux arcs doubleaux, en cintre brisé, eux-mêmes portés par quatre pilastres. Nous nous intéressons plutôt aux deux pilastres d'entrée du chœur qui pourraient avoir porté l'arc triomphal primitif. Leurs impostes se révèlent d'un intérêt particulier. Celle du pilastre de gauche (image 12) fait coexister deux dessins géométriques représentant une sorte de feuillage et des zigzags (symbole de l'eau ?). Pour la seconde (image 13), on voit s'opposer une sorte de mille-pattes et un oiseau. Il est possible que l'on soit ici en présence d'une légende analogue à celle des « deux autruches » : l'oiseau vient déposer un ver sur la cage transparente qui emprisonne la deuxième autruche et ce faisant, la libère (voir sur ce site la page intitulée « Les deux autruches »).

Venons-en à présent à l'objet le plus intéressant de l'édifice : les fonts baptismaux (image 14).

Un texte signé de Constant Escudé nous fournit des explications sur ce chef-d’œuvre. Nous reproduisons une partie de celles-ci : « [...] Classés par les Beaux Arts [...], ils dateraient du XI e siècle, véritable chef-d’œuvre d'art Roman. Selon Paul Mesplé, ces fonts associent une expression archaïque rarement conservée à un art populaire des plus savoureux. [...]

Ils sont constitués d'une pièce cubique de 96 cm de côté, de 83 cm de haut, creusée d'une demi-sphère de 72 cm de diamètre et 58 cm de profondeur, d'une capacité de 75 litres, prévue pour les baptêmes par immersion [...] ». Interrompons cette lecture pour quelques précisions. Tout d'abord, une petite remarque perfide, en guise d'humour : d'après les dimensions fournies, la pièce n'est pas exactement cubique et la demi-sphère n'est pas exactement sphérique. Plus importante nous semble être une autre correction à faire. Cette cuve n'a pas été fabriquée pour un baptême par immersion mais par aspersion (on dit encore : « par infusion »). Dans le baptême par immersion, le catéchumène est plongé dans l'eau. Ici, la profondeur est insuffisante pour y plonger un être humain adulte. Le futur baptisé est debout dans la cuve emplie d'eau et le célébrant verse l'eau baptismale au-dessus de la tête. Le baptême par aspersion serait apparu vers le VIe ou VIIe siècle. Mais on ne peut pas donner de date précise, car les décisions de le pratiquer ont été prises parfois ponctuellement à la suite de conciles régionaux. D'ailleurs, la pratique du baptême par immersion (pratique d'origine) existe encore de nos jours dans certaines communautés chrétiennes.

Poursuivons notre lecture : « [...] La face où figurent deux bandes de circonférences entrelacées (image 14) représente la création des énergies divines concourant à la naissance de la vie. La bande de dessous possède huit circonférences représentant la nuit d'avant la création. Elles symbolisent le Nord, axe du froid et des périls démoniaques, le départ du cycle quotidien, du soleil, et analogiquement de tous les autres cycles du temps et de l'espace des Eaux Primordiales de la Genèse contribuant par un Influx solaire à l'origine obscure de la Création. La bande du haut en possède sept. Elles symbolisent la source du mouvement créateur, la divinité par excellence, le septième jour biblique ; Dieu se repose, c'est Dimanche. Les circonférences à demi fermées aux extrémités expriment l'évolution de la création au cours des ères géologiques. [...] »

Commentaire de cette partie du texte : Nous sommes toujours à la recherche d'une explication sur les figures répétitives comme celles-ci (décors de billettes, cercles entrelacés). Est-ce que ce sont les éléments d'un décor ? ou existe-t-il un symbolisme caché ? L'auteur de ce texte s'exprime en faveur de la seconde hypothèse et il est même très précis sur ce point. On aimerait cependant qu'il nous dise d'où il tient ces informations. Et surtout savoir si elles ne sont pas issues d'une imagination un peu fertile. C'est en tout cas ce que la dernière phrase nous invite à penser. Il est en effet très peu probable que le sculpteur de ces fonts baptismaux ait eu connaissance des théories de Darwin en matière d'évolution des espèces.

Suite du texte : « La face aux arcatures en plein cintre sur colonnes rondes (image 15) représente le Narthex, vestibule mal éclairé où l'on plaçait les catéchumènes en attente du Baptême. [...] Sous chaque arc, il y a un personnage nu debout. »

Commentaire : En voyant cette image, nous n'avions pas du tout envisagé cette explication qui nous semble à présent très plausible et en rapport avec ce que nous connaissons déjà. Une différence cependant : les arcatures ne représenteraient pas un narthex, mais les arcades séparant le vaisseau nef central d'un collatéral d'une nef à trois vaisseaux. Nous pensons en effet que, dans les temps anciens, les collatéraux étaient réservés aux catéchumènes qui ne pouvaient pas pénétrer dans la partie réservée aux purs, aux baptisés. Tout ici semble montrer qu'on est en présence de catéchumènes : la nudité, l'absence d'auréole et la présence d'une arcade (possibilité d'accéder à un autre monde).

Suite du texte : « L'autre face (images 16 et 17) représente Saint Jean Baptiste, les mains levées à hauteur de la tête, la gauche tenant un olifant. Il prêche dans une forêt au milieu d'animaux sauvages au nombre de quatre : cerfs, lions, dont parle l'Apocalypse (IV.6.7.8). À gauche, se trouve un arbre petit, rabougri et recourbé, contre lequel est dressé une hache. La forêt est représentée par les deux grands bâtons recourbés, à droite. Contre la colonne de droite, on aperçoit un grand bâton se recourbant dans sa partie haute et se terminant par des feuilles. Ce bâton a un pendant sans feuille de l'autre côté de la colonnette, et recourbé sur la face aux trois personnages nus qui, eux, représentent le bon fruit, ici les catéchumènes. Baptisés, ils rentreront à l'intérieur de l'église dans la lumière du Christ. Le poids des fruits fait recourber la branche, tant étaient nombreux les baptêmes. Saint Jean Baptiste montre aux Pharisiens et aux Sadducéens, opposés au Baptême de conversion prêché par lui et à l'enseignement de Jésus, cet arbre rabougri qui ne donne pas de fruit, contre lequel est dressée la hache pour qu'il soit coupé et jeté au feu. Au-dessus, à gauche, on voit les griffes du Diable qui s'en va. Contre le mur, préside la Vierge. Elle foule sous ses pieds le serpent et lui écrase la tête, image de la purification finale du monde. »

Commentaire de cette partie : Nous avouons notre scepticisme en présence de cette description un peu déroutante. L’hypothèse selon laquelle le personnage aux bras levés portant un olifant représente Saint Jean-Baptiste est plausible. Ce personnage aux bras levés est un orant, souvent représenté dans les images paléochrétiennes. Le fait qu'il porte un olifant l'associe à Saint Jean Baptiste qui annonce la venue du Seigneur. Nous avons par contre beaucoup de difficultés à adhérer à la suite du discours. Quels sont les quatre animaux dont parle l'auteur ? Où est représentée la Vierge Marie ? Faut-il pour autant rejeter d'emblée de telles explications ? Nous ne le pensons pas. Il est possible que ce discours soit inspiré par d'autres sources que nous ne connaissons pas. Par exemple, l'existence d'une scène analogue à celle-ci mais dans laquelle les arbres ressemblent à des arbres et non à des bâtons, et les cerfs, à des cerfs. Cependant, même si nous ne rejetons pas cette explication, nous ne pouvons pas non plus l'accepter d'emblée.

Suite du texte : « Sur l'autre face (image 18), se trouve la croix dressée sous le firmament représenté par le soleil, la lune, les étoiles. Signifie Mort et Résurrection suivies par le départ de la liturgie chrétienne animée par des ministres ordonnés, évêques, prêtres. [...] » .

Commentaire de cette partie : l'auteur de ce texte n'a pas vu l'importance de cette scène. La croix que l'on voit ici est une croix pattée portée sur une hampe. Nous pensons que la croix pattée, aux branches égales et évasées, a été diffusée dès les premiers temps de l'église primitive. Peut-être dans les communautés ayant adopté l'hérésie arienne. La croix pattée hampée qui imite sans doute un modèle de croix processionnelle serait un peu plus tardive. On trouve des représentations de croix pattées hampées associées à l'Agnus Dei (en particulier à Ravenne). Elles dateraient du VIe ou VIIe siècle. Le soleil et la lune (mais pas les étoiles) sont associés à des crucifixions plus tardives (IXe ou Xe siècle).

Commentaire sur ces fonts baptismaux. Nous avons là une œuvre très intéressante car elle fait coexister tout un ensemble d'éléments caractéristiques a priori fort différents : le décor de billettes, le décor de cercles entrelacés, l'orant, l'olifant, les animaux (Lion ? Cerf ? Poisson ? Oiseau ?), les bâtons recourbés, les hommes nus, les arcades, la croix pattée hampée, le soleil et la lune, les étoiles. La coexistence de ces éléments peut permettre d'évaluer des datations non seulement de ces fonts baptismaux mais aussi des fonts baptismaux similaires. Elle peut aussi permettre d'identifier des peuples ou des pratiques religieuses. Nous avons écrit ci-dessus que la croix pattée avait pu être adoptée par la liturgie arienne. Donc par certains peuples barbares comme celui des Goths. Nous ne devons pas en conclure immédiatement que ces fonts baptismaux ont été à l'usage des Goths, mais peut être faire un petit rapprochement en espérant que, par touches successives, on pourra obtenir des conclusions plus pertinentes.

En guise de rapprochement, nous pouvons en faire un, suggéré depuis le début : cette église est dédiée à Notre-Dame de l'Assomption. Or, depuis notre étude des monuments d'Italie, nous avons constaté que la plupart des cathédrales étaient dédiées à la Vierge Marie, et plus particulièrement à Notre-Dame de l'Assomption. Et, par un retour en arrière, nous avons vu que c'était aussi le cas dans une moins grande mesure en France et en Espagne. La cathédrale est l'endroit où siège l'évêque. Il faut savoir par ailleurs qu'aux débuts de l'ère chrétienne, l'évêque 'episcopus' était responsable d'une communauté parfois très réduite à l'image d'un doyenné (chef-lieu de canton) de l'époque moderne. Il y avait donc beaucoup plus d'évêques qu'il y en a maintenant.

Pourquoi les cathédrales (à l'origine, toutes les cathédrales !) auraient-elles étaient dédiées à la Vierge Marie ? Il faut savoir qu'après la mort (l'Ascension au ciel pour les croyants) de Jésus-Christ, tous les apôtres étaient réunis autour de la Vierge Marie et c'est à partir de ce groupe d'apôtres qu'elle a réalisé son Assomption vers le Ciel.

Quelle hiérarchie simpliste doit-on déduire de ces explications ? Dans chaque communauté chrétienne, il y a un patron, souvent désigné par les fidèles : c'est l'évêque. Mais il y a aussi un patron au-dessus des patrons : c'est la Vierge Marie. Attention ! Ce n'est pas l'évêque de Rome, appelé « papa » (comme d'ailleurs beaucoup d'autres évêques). L'évêque de Rome, le pape, s'improvisera comme « patron » des évêques, beaucoup plus tard.

En conséquence, il est possible que cette petite église ait été dans des temps très anciens la cathédrale d'un petit territoire. La présence de fonts baptismaux (les baptêmes étaient présidés par des évêques) conforte, au moins en partie, ce point de vue.

À ce sujet, un lecteur, nettement plus observateur que nous, nous a fait remarquer que le bâton recourbé situé à gauche de l'arcature, sur l'image 15, pourrait être une crosse d'évêque.



Datation envisagée

Pour l'église Notre-Dame de l'Assomption de Bastanous : an 800 avec un écart de 150 ans.

Pour les fonts baptismaux de l'église Notre-Dame de l'Assomption de Bastanous : an 700 avec un écart de 200 ans.