La chapelle du Château du Garrané à Seissan 

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Nous avons eu le privilège de visiter le château du Garrané, restauré avec un grand goût et un grand respect de sauvegarde et de mise en valeur des parties anciennes, par Guilhem et Claire de Certaines. Nous ne décrirons dans cette page que les parties les plus anciennes, mais l'ensemble du château se révèle très intéressant car on y découvre toute l'évolution des châteaux gascons.

L'hypothèse selon laquelle le rez-de-chaussée de la tour Nord-Ouest de ce château aurait été bâtie sur une chapelle avait été émise en 1958 par Paul Mesplé (Un édifice roman inconnu : la chapelle du château du Garrané dans Société Archéologique et Historique du Gers). Paul Mesplé avait réitéré cette idée dans un autre ouvrage daté de 1989, Églises Romanes du Gers, 90 plans et notices. Il avait rangé cet édifice parmi ceux à plan exceptionnel : simple salle à plan carré, située en rez-de-chaussée de la tout Nord du château. Voici son commentaire : « Chapelle de château. Installée au rez-de-chaussée d'une tour du château du Garrané, c'est un rare exemple de chapelle domestique, prévue dès l'origine. ». Il faut comprendre qu'à ce moment-là, Paul Mesplé ignorait l'existence de restes de murs d'une grande salle située à l'Ouest de la pièce carrée. Ces restes, enfouis dans la végétation, ont été dégagés depuis. S'il en avait eu connaissance, Paul Mesplé en aurait probablement déduit que le plan n'avait rien d'exceptionnel : la grande salle était la nef d'une église, la pièce du rez-de-chaussée de la tour constituant le sanctuaire de cette église.

Cependant, en décembre 1994, alors que les restes de murs avaient été dégagés, le rapport des fouilles opérées par Sylvie Campech (Hadès) témoigne encore des hésitations des chercheurs. Voici une partie des conclusions de ce rapport : « L'intervention menée sur le château du Garrané, trop ponctuelle et limitée en surface, n'apporte pas vraiment des arguments à l'hypothèse émise par P.Mesplé sur la fonction primitive du bâtiment. Mais les faits observés sont troublants... » . Sylvie Campech donne ensuite diverses justifications que nous détaillerons plus loin, puis termine par la phrase : « ... Mais tout ceci reste des conjectures qui demanderaient à être étayées. ».

Les réticences sont plus fortes encore dans un autre document que nous avons pu nous procurer. C'est un article paru dans les Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t. LXXVII (2017) p. 23-40. Son titre : Nouvelles données sur le château du Garrané (Gers). Il a été rédigé par Catherine Viers qui a effectué des fouilles sur le site de ce château en 2014, pour le compte de l'Inrap Grand Sud-Ouest. Nous n'avons pas eu l'occasion de lire le rapport de ces fouilles – si toutefois un tel rapport a été rédigé – mais l'article de 2017 permet d'appréhender le point de vue de Catherine Viers. Nous y reviendrons un peu plus loin.

Mais regardons de plus près l'objet de cette discussion. L'image 1 est celle de la façade Est du château. La bordure du toit de la tour concernée est à peine visible sur le toit de l'habitation. Cette tour est beaucoup plus apparente sur l'image 2 de la façade Ouest (à gauche). La vue satellite (image 3) révèle non seulement la tour, (le toit à 4 pentes en haut à gauche du quadrilatère), mais aussi, à gauche de cette tour, les murs arasés d'un bâtiment de forme rectangulaire. Ce bâtiment ainsi que la base de la tour ont été représentés sur l'image 4  (le Nord est en haut). On repère sur ce plan les trois fenêtres de la façade Est de la tour (décrites un peu plus loin), et une fenêtre moins intéressante sur la façade Nord. Les trois rectangles hachurés situés de part et d'autre de l'entrée sur la façade Ouest de la tour localisent les sondages S1, S2 et S3, effectués par Sylvie Campech en 1994.

Le plan de l'image 5, analogue à celui de l'image 4, est l'aggrandissement d'un plan de l'article de Catherine Viers. Une légende est associée à ce plan :

en violet, Phase 1 : IX-X e s.

en beige clair, Phase 2 : XI-XII e s.

en bleu, Phase 3 : XIII e s.

en gris, Phase 4 : XIV e s.

en vert, Phase 6 : XVI-XVIII e s.

À remarquer que la Phase 1 : IX-X e s. n'apparaît que tout en haut de l'image pour la sépulture découverte au cours d'un sondage réalisé par Madame Viers. Les ossements auraient été datés de cette période par la méthode du C14. La Phase 2 : XI-XII e s. concerne le premier étage de la tour et les murs en ruine de la salle qui précède cet étage de la tour. La Phase 3 : XIII e s. est attribuée à la petite fenêtre monolithe que l'on retrouve sur l'image 13.


Selon le rapport de Sylvie Campech : « Auprès du site castral (de l'autre côté de la route communale, parcelle n° 73), s'élevait une église mentionnée dans le compte de procuration 1383-1384. Cet édifice a été démoli en 1880. Il ne reste sur place que les pierres tombales et les croix des dernières inhumations (parcelle n° 167). La tradition rapporte que cette église dédiée à Saint Jean Baptiste était romane (XII e siècle). Ces deux pôles (château et église) avaient attiré quelques habitations auprès d'eux. Le cadastre napoléonien y figure encore un hameau-rue aujourd'hui disparu. »

Le cadastre napoléonien est représenté sur l'image 6. Sur cette image, le château du Garrané est le bâtiment situé à l'extrême gauche. À sa droite, une dépendance. Encore à droite et au nord de la route, sont représentés quatre bâtiments. Au sud de la route, on découvre deux autres bâtiments. L'église Saint Jean Baptiste est celui de gauche. Ce bâtiment est repérable par le mot « église » écrit verticalement. Il est aussi repérable par son abside semi-circulaire orientée à l'Est.

On détecte enfin, à droite, au nord du chemin, deux autres corps de bâtiment. Celui de gauche est désigné comme étant le presbytère.

L'image 7 est une vue par satellite du site. On remarque immédiatement le même tracé de routes que celui du plan précédent. La route principale n'a pratiquement pas changé. Le chemin qui arrivait au carrefour du presbytère a, quant à lui, disparu, mais sa trace reste encore visible dans le champ. Sur cette image, le château du Garrané est le deuxième bâtiment à partir de la gauche. Sa dépendance existe encore, mais les quatre corps de bâtiments situés à sa droite, au nord de la route, ont disparu. Il en est de même pour les deux bâtiments (dont l'église) au sud de la route. De même encore pour les deux bâtiments situés à l'extrême droite au nord de la route. Par contre, un nouveau bâtiment a été construit au sud de la route : c'est la nouvelle chapelle.

Ces explications peuvent sembler totalement inutiles. Pourtant elles amènent à se poser une question : comment se fait-il que, sur une même petite paroisse, trois chapelles se soient succédé à des emplacements différents ?

Le cheminement pourrait être le suivant : la première église paroissiale dont le chœur aunait servi de rez-de-chaussée à la tour (hypothèse de plus en plus crédible) serait devenue de plus en plus inutile, le chœur étant au fur et à mesure séparé de la nef (l'hypothèse suggérée par par Sylvie Campech, selon laquelle les deux fondations successives auraient servi à porter le mur de soutien de l'arc triomphal séparant le chœur de la nef devenant elle aussi crédible). En conséquence, cette église aurait été abandonnée au profit de la suivante. Pourquoi cette église suivante aurait-elle été à son tour abandonnée ? Il existe de multiples raisons, mais on doit pouvoir trouver une explication dans les archives. Nous connaissons un exemple d'église qui a été abandonnée par les fidèles parce que le prêtre qui l'avait occupée avait été conventionnel pendant la Révolution. Peut-être est-ce le cas ici ?

Les images 8, 9 et 1o montrent les restes de la nef disparue. Sur l'image 11, on peut voir la différence d'appareil des murs qui font apparaître une succession de constructions.


L'image 12 fait apparaître l'intérieur du chœur restauré par Monsieur et Madame de Certaines. Il est décoré de fresques exécutées par des artisans locaux, imitant des originaux principalement byzantins. Les sculptures ont été réalisées par Guilhem de Certaines.

Mais venons-en aux éléments permettant d'envisager une haute datation. On peut détecter trois fenêtres ébrasées vers l'intérieur. Avec, au centre, une petite fenêtre largement ébrasée et, au-dessus, deux autres fenêtres disposées symétriquement, plus larges et moins ébrasées.

La fenêtre centrale est représentée sur l'image 13, côté intérieur, et sur l'image 14, côté extérieur (à l'extérieur de la tour mais à l'intérieur du château). La pierre qui encadre le vitrail (image 14) serait la seule pierre monolithe, taillée pour servir d'ouverture, que nous ayons rencontrée jusqu'à présent.

La fenêtre de gauche est représentée sur l'image 15 côté intérieur et sur l'image 16 côté extérieur. Elle contient une claustra percée de trous circulaires. Les claustra sont rares au Nord des Pyrénées et nous ignorons leur usage. Un usage qui pourrait être différent de celui en vigueur dans les pays tropicaux où elles servent à aérer les bâtiments tout en préservant l'intimité des intérieurs. Les claustra pourraient avoir précédé les vitraux, les trous à l'intérieur de la claustra servant, non à l'aération mais à la diffusion de la lumière. Nous pensons que certaines claustra ont pu porter des verres colorés. Pour en revenir à cette claustra, on remarque que l'encadrement de la fenêtre est décoré d'une simple moulure (image 16).

La fenêtre de droite est représentée sur l'image 17 côté intérieur et sur l'image 18 côté extérieur. Elle contient aussi une claustra, mais différente de la première. Le tour de la fenêtre est, quant à lui, décoré de billettes.

On peut voir sur l'image 17, sous la fenêtre de droite, une procession de saints avec, devant la première sainte, un petit disque représenté agrandi sur l'image 19. On y distingue ce qui semblerait être une tête humaine entourée de ses bras levés. Ce pourrait être un orant (les orants sont surtout présents dans les images de l'antiquité tardive). Nous avons à plusieurs reprises rencontré des images d'orants mais c'est la première fois que nous en voyons sous cette forme (sans être assurés qu'il s'agit bien d'un orant). Le plus extraordinaire, c'est que l'on retrouve la même image de l'autre côté du mur, et à peu près au même emplacement, comme si elle était disposée en miroir (image 20).

On trouve d'autres fenêtres en forme de meurtrières (le terme exacte serait plutôt « jour »). Ainsi, on en trouve une à bossages, sur la façade Sud de la tour (images 2 puis 21, puis 22). Cette fenêtre serait à son emplacement d'origine. Par contre, il est possible qu'un autre de ces jours, à moitié cassé (l'autre morceau a été retrouvé), a été déplacé : il est actuellement placé à l'intérieur de la tour (image 23). Il en est sans doute aussi de même de la pierre évidée en forme de croix pattée qui était peut-être une partie de claustra (image 24).


L'article de Catherine Viers intitulé : « Nouvelles données sur le château du Garrané (Gers) ».

Disons-le tout de suite, il s'agit d'une étude très fouillée agrémentèe de beaux plans détaillés et d'explications assorties de termes architecturaux précis. Nous avouons avoir été parfois un peu perdus dans ces explications. Notre visite du château du Garrané n'a duré qu'une heure et nous avons eu parfois la difficulté pour localiser certaines pièces de mobilier. Par ailleurs, après un long moment d'incompréhesion, nous pensons qu'une erreur s'est glissée dans l'image 27 : le deuxième dessin à partir de la gauche est légendé « Façade Ouest ». Ce serait « Façade Est ». Et, bien sûr, le quatrième, légendé « Façade Est » serait en réalité « Façade Ouest ». Il faudrait faire le même correctif pour les dessins suivants des images 28 et 29, détails de l'image 27.

Malgré la qualité du texte, nous sommes cependant « restés sur notre faim ». Vu que notre site est consacré au premier millénaire, nous nous attendions à ce que cette période soit en grande partie traitée. Voire même jusqu'au XIIe siècle. Or il n'en est rien. Sur les 17 pages de l'article, l'auteure en réserve moins de deux à la période antérieure à l'an 1200. Voici de larges extraits de ce qu'elle nous révèle :

« Un rapide bilan historiographique : En 1958, Paul Mesplé découvre le rez-de-chaussée de la tour Nord-Ouest du château et son attention est attirée par la présence de jours de facture romane ouvrant dans la façade orientale. Il en déduit que ces jours témoignent de la chapelle du château primitif roman, sise au rez-de-chaussée de la tour..... Les jours, qu’il date du XII e siècle, pourraient appartenir au remaniement d’un édifice antérieur, du XI e siècle, illustré par le jour central, de facture simple...
En 1986, René Caïrou, dans
Architecture militaire des XIIIe et XIVe siècles dans les châteaux et bastides du Gers fait une description détaillée du château du Garrané, illustrée par un plan. Il propose 5 phases d’édification : une tour XII e siècle, un premier château XIII e siècle doté d’un corps de logis carré jusqu’au premier refend, une extension de ce corps au XIV e siècle, et des remaniements aux XV e et XVII e siècles. Son interprétation de la chapelle diffère de celle de Paul Mesplé. Pour lui, elle ne peut qu’être postérieure à la tour, l’ouverture du rez-de-chaussée par une porte ne pouvant s’accorder avec celle d’une tour féodale. De ce postulat, il date le bâtiment adjacent de la même époque que la chapelle...

Les données archéologiques. Suite à une prescription de diagnostic établie par la DRAC Occitanie, l’Inrap intervient début 2014 et dix sondages sont répartis dans la pente au nord du château. La plupart des sondages s’avèrent négatifs et le substrat molassique ou calcaire est rencontré rapidement. Il semble que l’éminence sur laquelle la tour est édifiée soit un profil naturel. Un sondage, tout contre la tour Nord-Ouest, révèle quelques structures et la présence d’une sépulture. Le sujet, un enfant de moins de cinq ans, est inhumé en pleine terre. Cette découverte a été l’occasion d’une datation radiocarbone qui a révélé une fourchette comprise entre la fin du IX e siècle et la première moitié du X e siècle, faisant remonter de un à deux siècles l’histoire du site. Cette sépulture confirme, avec celle de Sylvie Campech et d’autres découvertes fortuites d’ossements humains, la présence d’une aire funéraire dès l’époque carolingienne.

Un premier édifice, la dite chapelle. Dans un second temps, s’est implanté un bâtiment barlong, légèrement trapézoidal de 12,70 m sur 6,80/7,30 m de large et prolongé par une abside de plan carré (5,90 x 5,60 m) à l’est. En effet, le chaînage entre la base de la tour et les murs arrachés du bâtiment adjacent montre leur contemporanéité. […] Deux jours à l’orient et une porte à l’occident appartiennent au premier état de l’édifice. […]

Synthèse des résultats. L’occupation la plus ancienne identifiée sur le site est illustrée par des inhumations. En l’absence de fouilles extensives, il n’est possible de préciser ni l’extension ni la durée d’utilisation de l’aire funéraire. On sait que l’une des tombes, un enfant, a été enterré durant l’époque carolingienne (fig. 13). Au XII e siècle, est édifié un bâtiment constitué d’un corps rectangulaire dans le prolongement de la base d’une tour de plan carré (fig. 13). Sa destination reste imprécise. L’interprétation communément admise comme chapelle de ce premier édifice se heurte en effet à la présence d’un cloisonnement entre le chœur et la nef supposés. L’analyse des maçonneries ne permet pas de déceler de reprise témoignant d’une fermeture a posteriori. Il faut donc peut-être envisager l’hypothèse d’un premier château, dont la facture des jours au rez-de-chaussée de la tour permet d’assurer une construction dans le XII e siècle. […] »

Les conclusions de Catherine Viers sont, semble-t-il, proches de celles de René Cayrou. Bien que, sur son plan, elle fait apparaître que les murs de la salle Ouest et ceux du rez-de-chaussée de la tour sont contemporains (XI-XIIe siècle), elle doute que l'ensemble ait pu constituer une chapelle. C'est en tout cas le sens de sa phrase :
« L’interprétation communément admise comme chapelle de ce premier édifice se heurte en effet à la présence d’un cloisonnement entre le chœur et la nef supposés. ».

Nous sommes surpris qu'elle parle si peu des fouilles qu'elle a effectuées en 2014. Elle nous apprend que sur 10 sondages, la plupart se sont avérés négatifs . Et ne nous dit pas pour quelles raisons on les a faits à cet endroit, « dans les pentes au Nord du château ». Ne serait-ce pas parce qu'on espérait trouver là les restes d'une motte ou d'une autre fortification féodale ayant précédé le château ? Et n'ayant pas trouvé ces restes, ne devait-elle pas en déduire qu'un autre type de construction avait peut-être précédé le château ? Pourquoi pas une chapelle ?

Elle ne tient pas compte des indices principaux qui ont conduit Paul Mesplé à émettre l'hypothèse d'une chapelle : les trois « jours » qui décorent la façade Est (images de 13 à 18). Pourtant elle parle bien de « jours » et non de « meurtrières ». Si c'étaient des meurtrières, on serait en présence d'une fortification. Ce n'est pas le cas : la tour Nord de Garrané, ouvrage fortifié, a été construite sur un ouvrage non fortifié ! Or quels sont les monuments non fortifiés du Moyen-Âge ? La réponse, bien que, selon nous, en partie fausse, est évidente : les églises !

Elle prend soin de dire que, parmi les jours, celui du milieu, situé en dessous des deux autres, leur est postérieur : « Au cours du XIII e siècle, la tour est surélevée en pierre. Un jour est percé au rez-de-chaussée, entre les deux ouvertures romanes d’origine, qui sont très probablement bouchées à cette occasion. » Nous ne voyons pas comment elle justifie ces affirmations. Et d'autre part, la forme de ce jour dont la partie principale est une ouverture monolithe creusée, nous paraît bien archaïque pour une œuvre du XIIIe siècle. Sur le plan de l'image 26, elle a fait apparaître une anomalie que nous n'avions pas vue au premier abord : les trois ouvertures identifiées par les nombres 181, 182 et 183 sont disposées à des hauteurs différentes. Ce qui signifierait que ces trois ouvertures ont été percées à des dates différentes. Or l'édification d'une nouvelle baie n'est pas un événement banal dans un processus de construction. On le sait pour les constructions actuelles et ce devait en être de même pour les temps anciens. Il est donc possible qu'un siècle sépare la construction de la plus ancienne de ces trois baies de la plus récente, un demi-siècle étant, nous semble-t-il, l'écart minimum. Autre remarque concernant cette fois-ci l'image 27. On y voit, à gauche, la façade inférieure Est de la tour, et, à droite, la façade inférieure Nord de la tour. Sur celle-ci, un trait horizontal sépare le rez de chaussée du premier étage. Il semblerait que ce trait coïncide avec les petits rectangles identifiés par le nombre 193 sur la façade Est. Nous ignorons ce que signifient ces rectangles (trous de boulins ? Trous de pose d'une charpente ?). Toujours est-il que la ligne horizontale pourrait marquer l'emplacement d'un plancher. Or cette ligne traverse les deux fenêtres supérieures. Il est difficile d'imaginer qu'on ait pu installer ces deux fenêtres au travers d'un plancher. Par contre la fenêtre inférieure est bien adaptée au modèle. Nous estimons donc que c'est la fenêtre inférieure qui appartient à l'état original, les deux autres fenêtres étant installées plus tard dans la foulée de la suppression du plancher et de l'exhaussement du choeur.

Concernant la datation de ces deux fenêtres à claustras, les historiens de l'art qui les ont vues, les attribuent au XIIe siècle. Nous les estimons antérieures d'au moins un siècle. Nous pensons que les belles fenêtres romanes du XIIe siècle étaient encadrées de colonnettes et de chapiteaux. Celles-ci apparaissent plus archaïques. De plus, le décor de billettes aurait été développé durant une période de plusieurs siècles, avec un centre de cette période antérieur à l'an mille (ce qui signifie que l'existence d'un décor de billettes postérieur à l'an 1100 est peu probable).


Mais ce qui nous étonne peut-être le plus dans cet article de Catherine Viers, c'est sa négligence par rapport aux fouilles dirigées par Sylvie Campech quelques années auparavant. Au cours de ces fouilles, cette dame a repéré deux niveaux successifs de fondations. Et, au dessous du niveau le plus bas, la présence d'ossements humains dispersés en dessous des fondations les plus anciennes. Voici un extrait de son rapport :  « La présence d'une sépulture sur un site castral, même si elle apparaît antérieure à toutes les constructions (car coupée par les deux fondations F01 et F02), pose la question de la présence d'un lieu de culte (chapelle castrale ? Ou église romane ?). De même, cette reprise dans les fondations du rez-de-chaussée de la tour apparaît comme une anomalie dans la construction d'un rez-de-chaussée de donjon. On pourrait être tenté de l'associer à un arc triomphal d'église ou de chapelle. ».

Cette remarque de Sylvie Campech doit être mise en relation avec les divers plans de fouilles des images 28, 29, 30. Sur le plan de l'image 28, le Nord est placé à droite (et l'Ouest en haut). Il s'agit d'une vue de dessus du murs Ouest de la tour. On y voit les relevés AA'et BB' des coupes stratigraphiques effectuées lors des sondages 01 et 02. La coupe stratigraphique BB' est représentée sur l'image 29, la coupe AA' sur l'image 30. La coupe stratigraphique AA', orientée Est-Ouest, se situe au niveau de la porte d'entrée alos que la coupe BB, de même orientation, passe en dehors de cette porte d'entrée. Sylvie Campech a repéré deux fondations successives, la plus ancienne étant celle de la coupe BB'. Comment interprêter ces résultats ? Il nous semble que la réponse suggérée par Sylvie Campech est la suivante : dans un premier temps, il existe une grande ouverture dans le mur Ouest, peut-être l'arc triomphal d'une chapelle. Puis on décide de rehausser la pièce Est de cette chapelle. Mais l'arc triomphal de cette chapelle risque de ne pas supporter le poids. Donc on décide boucher cette ouverture. Mais dans ce cas, on construit un mur et, pour cela, les fondations de ce mur (ce qui correspond à la fondation F02).

Il faut reconnaître que la suggestion pourtant bien timide de Sylvie Campech, « On pourrait être tenté de l'associer... », a de quoi susciter l'adhésion. Surtout si on tient compte du fait que dans l'environnement immédiat, a été trouvée une sépulture datée de la fin du IXe siècle.


Datation envisagée pour la chapelle du Château du Garrané à Seissan


Plusieurs raisons militent en faveur d'une grande ancienneté de cette chapelle.

Mais d'abord y a -t-il bien eu une chapelle à l'origine du château de Garanné ?

Voici quelques justifications. Les églises à chevet carré sont nombreuses dans le Sud de la France. En particulier dans l'Hérault, l'Aveyron, l'Aude et les Pyrénées- Orientales. On en retrouve aussi en grand nombre de l'autre côté des Pyrénées. Concernant le fait qu'une tour soit à l'emplacement d'un chevet carré, les exemples concernent plus particulièrement le Gers : Bastanous, que nous venons d'étudier, Saramon et Peyrusse-Grande, autres objets de nos études.

Les fenêtres symétriques supérieures se retrouvent à Bastanous, église que nous avons estimée préromane.

Les données archéologiques vont dans le même sens. Il y a d'abord la datation des ossements estimée antérieure à l'an mille. Mais il y aussi la question posée par Sylvie Campech des deux fondations successives.

Nous proposons les datations suivantes.

Pour la chapelle primitive (configuration envisagée : nef rectangulaire, chœur carré, les deux parties charpentées, une seule petite fenêtre axiale) : an 800 avec un écart de 150 ans.

Premier rehaussement du choeur (configuration envisagée : nef conservée, chœur carré rehaussé, construction des deux fenêtre supérieures) : an 1000 avec un écart de 100 ans.

Deuxième rehaussement du chœur (configuration envisagée : nef conservée, chœur carré rehaussé d'un étage, fenêtre-jour des images 21 et 22) : an 1150 avec un écart de 100 ans.

Autres rehaussements au cours des siècles suivants. Mais il ne s'agit plus d'un chœur. C'est devenu une tour. La fonction cultuelle a disparu au profit de la deuxième chapelle. La nef est probablement conservée mais transformée en grange ou en salle de réunion.