La chapelle du Château du Garrané à Seissan
Nous avons eu le privilège de visiter le
château du Garrané, restauré avec un grand goût et un grand
respect de sauvegarde et de mise en valeur des parties
anciennes, par Guilhem et Claire de Certaines. Nous ne
décrirons dans cette page que les parties les plus
anciennes, mais l'ensemble du château se révèle très
intéressant car on y découvre toute l'évolution des châteaux
gascons.
L'hypothèse selon laquelle le rez-de-chaussée de la tour
Nord-Ouest de ce château aurait été bâtie sur une chapelle
avait été émise en 1958 par Paul Mesplé (Un
édifice roman inconnu : la chapelle du château du Garrané
dans Société
Archéologique et Historique du Gers). Paul Mesplé
avait réitéré cette idée dans un autre ouvrage daté de 1989,
Églises
Romanes du Gers, 90 plans et notices. Il avait
rangé cet édifice parmi ceux à plan exceptionnel : simple
salle à plan carré, située en rez-de-chaussée de la tout
Nord du château. Voici son commentaire : « Chapelle
de château. Installée au rez-de-chaussée d'une tour du
château du Garrané, c'est un rare exemple de chapelle
domestique, prévue dès l'origine. ». Il faut
comprendre qu'à ce moment-là, Paul Mesplé ignorait
l'existence de restes de murs d'une grande salle située à
l'Ouest de la pièce carrée. Ces restes, enfouis dans la
végétation, ont été dégagés depuis. S'il en avait eu
connaissance, Paul Mesplé en aurait probablement déduit que
le plan n'avait rien d'exceptionnel : la grande salle était
la nef d'une église, la pièce du rez-de-chaussée de la tour
constituant le sanctuaire de cette église.
Cependant, en décembre 1994, alors que les restes de murs
avaient été dégagés, le rapport des fouilles opérées par
Sylvie Campech (Hadès) témoigne encore des hésitations des
chercheurs. Voici une partie des conclusions de ce rapport :
« L'intervention
menée sur le château du Garrané, trop ponctuelle et
limitée en surface, n'apporte pas vraiment des arguments à
l'hypothèse émise par P.Mesplé sur la fonction primitive
du bâtiment. Mais les faits observés sont troublants...
» . Sylvie Campech donne ensuite diverses justifications que
nous détaillerons plus loin, puis termine par la phrase : «
... Mais
tout ceci reste des conjectures qui demanderaient à être
étayées. ».
Les réticences sont plus fortes encore dans un autre
document que nous avons pu nous procurer. C'est un article
paru dans les Mémoires
de la Société Archéologique du Midi de la France, t.
LXXVII (2017) p. 23-40. Son titre :
Nouvelles données sur le château du Garrané (Gers).
Il a été rédigé par Catherine Viers qui a effectué des
fouilles sur le site de ce château en 2014, pour le compte
de l'Inrap Grand Sud-Ouest. Nous n'avons pas eu l'occasion
de lire le rapport de ces fouilles – si toutefois un tel
rapport a été rédigé – mais l'article de 2017 permet
d'appréhender le point de vue de Catherine Viers. Nous y
reviendrons un peu plus loin.
Mais regardons de plus près l'objet de cette discussion. L'image 1 est celle de
la façade Est du château. La bordure du toit de la tour
concernée est à peine visible sur le toit de l'habitation.
Cette tour est beaucoup plus apparente sur l'image
2 de la façade Ouest (à gauche). La vue satellite
(image 3) révèle
non seulement la tour, (le toit à 4 pentes en haut à gauche
du quadrilatère), mais aussi, à gauche de cette tour, les
murs arasés d'un bâtiment de forme rectangulaire. Ce
bâtiment ainsi que la base de la tour ont été représentés
sur l'image 4 (le
Nord est en haut). On repère sur ce plan les trois fenêtres
de la façade Est de la tour (décrites un peu plus loin), et
une fenêtre moins intéressante sur la façade Nord. Les trois
rectangles hachurés situés de part et d'autre de l'entrée
sur la façade Ouest de la tour localisent les sondages S1,
S2 et S3, effectués par Sylvie Campech en 1994.
Le plan de l'image 5,
analogue à celui de l'image
4, est l'aggrandissement d'un plan de l'article de
Catherine Viers. Une légende est associée à ce plan :
en violet, Phase
1 : IX-X e s.
en beige clair, Phase
2 : XI-XII e s.
en bleu, Phase
3 : XIII e s.
en gris, Phase
4 : XIV e s.
en vert, Phase
6 : XVI-XVIII e s.
À remarquer que la Phase
1 : IX-X e s. n'apparaît que tout en
haut de l'image pour la sépulture découverte au cours d'un
sondage réalisé par Madame Viers. Les ossements auraient été
datés de cette période par la méthode du C14. La Phase
2 : XI-XII e s. concerne le premier
étage de la tour et les murs en ruine de la salle qui
précède cet étage de la tour. La
Phase 3 : XIII e s. est attribuée à la
petite fenêtre monolithe que l'on retrouve sur l'image
13.
Selon le rapport de Sylvie Campech : «
Auprès du site castral (de l'autre côté de la route
communale, parcelle n° 73), s'élevait une église
mentionnée dans le compte de procuration 1383-1384. Cet
édifice a été démoli en 1880. Il ne reste sur place que
les pierres tombales et les croix des dernières
inhumations (parcelle n° 167). La tradition rapporte que
cette église dédiée à Saint Jean Baptiste était romane
(XII e siècle). Ces deux pôles (château et
église) avaient attiré quelques habitations auprès d'eux.
Le cadastre napoléonien y figure encore un hameau-rue
aujourd'hui disparu. »
Le cadastre napoléonien est représenté sur l'image
6. Sur
cette image, le château du Garrané est le bâtiment situé à
l'extrême gauche. À sa droite, une dépendance. Encore à
droite et au nord de la route, sont représentés quatre
bâtiments. Au sud de la route, on découvre deux autres
bâtiments. L'église Saint Jean Baptiste est celui de gauche.
Ce bâtiment est repérable par le mot « église » écrit
verticalement. Il est aussi repérable par son abside
semi-circulaire orientée à l'Est.
On détecte enfin, à droite, au nord du chemin, deux autres
corps de bâtiment. Celui de gauche est désigné comme étant
le presbytère.
L'image 7 est une
vue par satellite du site. On remarque immédiatement le même
tracé de routes que celui du plan précédent. La route
principale n'a pratiquement pas changé. Le chemin qui
arrivait au carrefour du presbytère a, quant à lui, disparu,
mais sa trace reste encore visible dans le champ. Sur cette
image, le château du Garrané est le deuxième bâtiment à
partir de la gauche. Sa dépendance existe encore, mais les
quatre corps de bâtiments situés à sa droite, au nord de la
route, ont disparu. Il en est de même pour les deux
bâtiments (dont l'église) au sud de la route. De même encore
pour les deux bâtiments situés à l'extrême droite au nord de
la route. Par contre, un nouveau bâtiment a été construit au
sud de la route : c'est la nouvelle chapelle.
Ces explications peuvent sembler totalement inutiles.
Pourtant elles amènent à se poser une question : comment se
fait-il que, sur une même petite paroisse, trois chapelles
se soient succédé à des emplacements différents ?
Le cheminement pourrait être le suivant : la première église
paroissiale dont le chœur aunait servi de rez-de-chaussée à
la tour (hypothèse de plus en plus crédible) serait devenue
de plus en plus inutile, le chœur étant au fur et à mesure
séparé de la nef (l'hypothèse suggérée par par Sylvie
Campech, selon laquelle les deux fondations successives
auraient servi à porter le mur de soutien de l'arc triomphal
séparant le chœur de la nef devenant elle aussi crédible).
En conséquence, cette église aurait été abandonnée au profit
de la suivante. Pourquoi cette église suivante aurait-elle
été à son tour abandonnée ? Il existe de multiples raisons,
mais on doit pouvoir trouver une explication dans les
archives. Nous connaissons un exemple d'église qui a été
abandonnée par les fidèles parce que le prêtre qui l'avait
occupée avait été conventionnel pendant la Révolution.
Peut-être est-ce le cas ici ?
Les images 8, 9 et 1o
montrent les restes de la nef disparue. Sur l'image
11, on
peut voir la différence d'appareil des murs qui font
apparaître une succession de constructions.
L'image
12 fait apparaître l'intérieur du chœur restauré
par Monsieur et Madame de Certaines. Il est décoré de
fresques exécutées par des artisans locaux, imitant des
originaux principalement byzantins. Les sculptures ont été
réalisées par Guilhem de Certaines.
Mais venons-en aux éléments permettant d'envisager une haute
datation. On peut détecter trois fenêtres ébrasées vers
l'intérieur. Avec, au centre, une petite fenêtre largement
ébrasée et, au-dessus, deux autres fenêtres disposées
symétriquement, plus larges et moins ébrasées.
La fenêtre centrale est représentée sur l'image
13, côté intérieur, et sur l'image
14, côté extérieur (à l'extérieur de la tour mais à
l'intérieur du château). La pierre qui encadre le vitrail (image 14) serait la
seule pierre monolithe, taillée pour servir d'ouverture, que
nous ayons rencontrée jusqu'à présent.
La fenêtre de gauche est représentée sur l'image
15 côté intérieur et sur l'image
16 côté extérieur. Elle contient une claustra
percée de trous circulaires. Les claustra sont rares au Nord
des Pyrénées et nous ignorons leur usage. Un usage qui
pourrait être différent de celui en vigueur dans les pays
tropicaux où elles servent à aérer les bâtiments tout en
préservant l'intimité des intérieurs. Les claustra
pourraient avoir précédé les vitraux, les trous à
l'intérieur de la claustra servant, non à l'aération mais à
la diffusion de la lumière. Nous pensons que certaines
claustra ont pu porter des verres colorés. Pour en revenir à
cette claustra, on remarque que l'encadrement de la fenêtre
est décoré d'une simple moulure (image
16).
La fenêtre de droite est représentée sur l'image
17 côté intérieur et sur l'image
18 côté extérieur. Elle contient aussi une
claustra, mais différente de la première. Le tour de la
fenêtre est, quant à lui, décoré de billettes.
On peut voir sur l'image
17, sous
la fenêtre de droite, une procession de saints avec, devant
la première sainte, un petit disque représenté agrandi sur
l'image 19. On y
distingue ce qui semblerait être une tête humaine entourée
de ses bras levés. Ce pourrait être un orant (les orants
sont surtout présents dans les images de l'antiquité
tardive). Nous avons à plusieurs reprises rencontré des
images d'orants mais c'est la première fois que nous en
voyons sous cette forme (sans être assurés qu'il s'agit bien
d'un orant). Le plus extraordinaire, c'est que l'on retrouve
la même image de l'autre côté du mur, et à peu près au même
emplacement, comme si elle était disposée en miroir (image
20).
On trouve d'autres fenêtres en forme de meurtrières (le
terme exacte serait plutôt « jour »). Ainsi, on en trouve
une à bossages, sur la façade Sud de la tour (images
2 puis 21,
puis 22). Cette
fenêtre serait à son emplacement d'origine. Par contre, il
est possible qu'un autre de ces jours, à moitié cassé
(l'autre morceau a été retrouvé), a été déplacé : il est
actuellement placé à l'intérieur de la tour (image
23). Il en est sans doute aussi de même de la
pierre évidée en forme de croix pattée qui était peut-être
une partie de claustra (image
24).
L'article
de Catherine Viers intitulé : « Nouvelles
données sur le château du Garrané (Gers) ».
Disons-le tout de suite, il s'agit d'une étude très fouillée
agrémentèe de beaux plans détaillés et d'explications
assorties de termes architecturaux précis. Nous avouons
avoir été parfois un peu perdus dans ces explications. Notre
visite du château du Garrané n'a duré qu'une heure et nous
avons eu parfois la difficulté pour localiser certaines
pièces de mobilier. Par ailleurs, après un long moment
d'incompréhesion, nous pensons qu'une erreur s'est glissée
dans l'image 27 :
le deuxième dessin à partir de la gauche est légendé «
Façade Ouest ». Ce serait « Façade Est ». Et, bien sûr, le
quatrième, légendé « Façade Est » serait en réalité « Façade
Ouest ». Il faudrait faire le même correctif pour les
dessins suivants des images
28 et 29, détails de l'image
27.
Malgré la qualité du texte, nous sommes cependant « restés
sur notre faim ». Vu que notre site est consacré au premier
millénaire, nous nous attendions à ce que cette période soit
en grande partie traitée. Voire même jusqu'au XIIe
siècle. Or il n'en est rien. Sur les 17 pages de l'article,
l'auteure en réserve moins de deux à la période antérieure à
l'an 1200. Voici de larges extraits de ce qu'elle nous
révèle :
« Un rapide bilan
historiographique : En 1958, Paul Mesplé découvre
le rez-de-chaussée de la tour Nord-Ouest du château et son
attention est attirée par la présence de jours de facture
romane ouvrant dans la façade orientale. Il en déduit que
ces jours témoignent de la chapelle du château primitif
roman, sise au rez-de-chaussée de la tour..... Les jours,
qu’il date du XII e siècle, pourraient
appartenir au remaniement d’un édifice antérieur, du XI
e siècle, illustré par le jour central, de facture
simple...
En 1986, René Caïrou, dans Architecture militaire
des XIIIe et XIVe siècles dans les
châteaux et bastides du Gers fait
une description détaillée du château du Garrané, illustrée
par un plan. Il propose 5 phases d’édification : une tour
XII e siècle, un premier château XIII e
siècle doté d’un corps de logis carré jusqu’au premier
refend, une extension de ce corps au XIV e
siècle, et des remaniements aux XV e et XVII
e siècles. Son interprétation de la chapelle
diffère de celle de Paul Mesplé. Pour lui, elle ne peut
qu’être postérieure à la tour, l’ouverture du
rez-de-chaussée par une porte ne pouvant s’accorder avec
celle d’une tour féodale. De ce postulat, il date le
bâtiment adjacent de la même époque que la chapelle...
Les données archéologiques.
Suite à une prescription de diagnostic établie par la DRAC
Occitanie, l’Inrap intervient début 2014 et dix sondages
sont répartis dans la pente au nord du château. La plupart
des sondages s’avèrent négatifs et le substrat molassique
ou calcaire est rencontré rapidement. Il semble que
l’éminence sur laquelle la tour est édifiée soit un profil
naturel. Un sondage, tout contre la tour Nord-Ouest,
révèle quelques structures et la présence d’une sépulture.
Le sujet, un enfant de moins de cinq ans, est inhumé en
pleine terre. Cette découverte a été l’occasion d’une
datation radiocarbone qui a révélé une fourchette comprise
entre la fin du IX e siècle et la première
moitié du X e siècle, faisant remonter de un à
deux siècles l’histoire du site. Cette sépulture confirme,
avec celle de Sylvie Campech et d’autres découvertes
fortuites d’ossements humains, la présence d’une aire
funéraire dès l’époque carolingienne.
Un
premier édifice, la dite chapelle.
Dans un second temps, s’est implanté un bâtiment barlong,
légèrement trapézoidal de 12,70 m sur 6,80/7,30 m de large
et prolongé par une abside de plan carré (5,90 x 5,60 m) à
l’est. En effet, le chaînage entre la base de la tour et
les murs arrachés du bâtiment adjacent montre leur
contemporanéité. […] Deux
jours à l’orient et une porte à l’occident appartiennent
au premier état de l’édifice. […]
Synthèse des résultats.
L’occupation la plus ancienne identifiée sur le site est
illustrée par des inhumations. En l’absence de fouilles
extensives, il n’est possible de préciser ni l’extension
ni la durée d’utilisation de l’aire funéraire. On sait que
l’une des tombes, un enfant, a été enterré durant l’époque
carolingienne (fig. 13). Au XII e siècle, est
édifié un bâtiment constitué d’un corps rectangulaire dans
le prolongement de la base d’une tour de plan carré (fig.
13). Sa destination reste imprécise. L’interprétation
communément admise comme chapelle de ce premier édifice se
heurte en effet à la présence d’un cloisonnement entre le
chœur et la nef supposés. L’analyse des maçonneries ne
permet pas de déceler de reprise témoignant d’une
fermeture a posteriori. Il faut donc peut-être envisager
l’hypothèse d’un premier château, dont la facture des
jours au rez-de-chaussée de la tour permet d’assurer une
construction dans le XII e siècle. […] »
Les conclusions de Catherine Viers sont, semble-t-il,
proches de celles de René Cayrou. Bien que, sur son plan,
elle fait apparaître que les murs de la salle Ouest et ceux
du rez-de-chaussée de la tour sont contemporains (XI-XIIe
siècle), elle doute que l'ensemble ait pu constituer une
chapelle. C'est en tout cas le sens de sa phrase :
« L’interprétation
communément admise comme chapelle de ce premier édifice se
heurte en effet à la présence d’un cloisonnement entre le
chœur et la nef supposés. ».
Nous sommes surpris qu'elle parle si peu des fouilles
qu'elle a effectuées en 2014. Elle nous apprend que sur 10
sondages, la plupart se sont avérés négatifs . Et ne nous
dit pas pour quelles raisons on les a faits à cet endroit, «
dans
les pentes au Nord du château ». Ne serait-ce pas
parce qu'on espérait trouver là les restes d'une motte ou
d'une autre fortification féodale ayant précédé le château ?
Et n'ayant pas trouvé ces restes, ne devait-elle pas en
déduire qu'un autre type de construction avait peut-être
précédé le château ? Pourquoi pas une chapelle ?
Elle ne tient pas compte des indices principaux qui ont
conduit Paul Mesplé à émettre l'hypothèse d'une chapelle :
les trois « jours » qui décorent la façade Est (images
de 13 à 18). Pourtant elle parle bien de « jours »
et non de « meurtrières ». Si c'étaient des meurtrières, on
serait en présence d'une fortification. Ce n'est pas le cas
: la tour Nord de Garrané, ouvrage fortifié, a été
construite sur un ouvrage non fortifié ! Or quels sont les
monuments non fortifiés du Moyen-Âge ? La réponse, bien que,
selon nous, en partie fausse, est évidente : les églises !
Elle prend soin de dire que, parmi les jours, celui du
milieu, situé en dessous des deux autres, leur est
postérieur : « Au
cours du XIII e siècle, la tour est surélevée
en pierre. Un jour est percé au rez-de-chaussée, entre les
deux ouvertures romanes d’origine, qui sont très
probablement bouchées à cette occasion. » Nous ne
voyons pas comment elle justifie ces affirmations. Et
d'autre part, la forme de ce jour dont la partie principale
est une ouverture monolithe creusée, nous paraît bien
archaïque pour une œuvre du XIIIe siècle. Sur le
plan de l'image 26, elle a fait
apparaître une anomalie que nous n'avions pas vue au premier
abord : les trois ouvertures identifiées par les nombres
181, 182 et 183 sont disposées à des hauteurs différentes.
Ce qui signifierait que ces trois ouvertures ont été percées
à des dates différentes. Or l'édification d'une nouvelle
baie n'est pas un événement banal dans un processus de
construction. On le sait pour les constructions actuelles et
ce devait en être de même pour les temps anciens. Il est
donc possible qu'un siècle sépare la construction de la plus
ancienne de ces trois baies de la plus récente, un
demi-siècle étant, nous semble-t-il, l'écart minimum. Autre
remarque concernant cette fois-ci l'image
27. On y
voit, à gauche, la façade inférieure Est de la tour, et, à
droite, la façade inférieure Nord de la tour. Sur celle-ci,
un trait horizontal sépare le rez de chaussée du premier
étage. Il semblerait que ce trait coïncide avec les petits
rectangles identifiés par le nombre 193 sur la façade Est.
Nous ignorons ce que signifient ces rectangles (trous de
boulins ? Trous de pose d'une charpente ?). Toujours est-il
que la ligne horizontale pourrait marquer l'emplacement d'un
plancher. Or cette ligne traverse les deux fenêtres
supérieures. Il est difficile d'imaginer qu'on ait pu
installer ces deux fenêtres au travers d'un plancher. Par
contre la fenêtre inférieure est bien adaptée au modèle.
Nous estimons donc que c'est la fenêtre inférieure qui
appartient à l'état original, les deux autres fenêtres étant
installées plus tard dans la foulée de la suppression du
plancher et de l'exhaussement du choeur.
Concernant la datation de ces deux fenêtres à claustras, les
historiens de l'art qui les ont vues, les attribuent au XIIe
siècle. Nous les estimons antérieures d'au moins un siècle.
Nous pensons que les belles fenêtres romanes du XIIe
siècle étaient encadrées de colonnettes et de chapiteaux.
Celles-ci apparaissent plus archaïques. De plus, le décor de
billettes aurait été développé durant une période de
plusieurs siècles, avec un centre de cette période antérieur
à l'an mille (ce qui signifie que l'existence d'un décor de
billettes postérieur à l'an 1100 est peu probable).
Mais ce qui nous étonne peut-être le
plus dans cet article de Catherine Viers, c'est sa
négligence par rapport aux fouilles dirigées par Sylvie
Campech quelques années auparavant. Au cours de ces
fouilles, cette dame a repéré deux niveaux successifs de
fondations. Et, au dessous du niveau le plus bas, la
présence d'ossements humains dispersés en dessous des
fondations les plus anciennes. Voici un extrait de son
rapport : « La
présence d'une sépulture sur un site castral, même si elle
apparaît antérieure à toutes les constructions (car coupée
par les deux fondations F01 et F02), pose la question de
la présence d'un lieu de culte (chapelle castrale ? Ou
église romane ?). De même, cette reprise dans les
fondations du rez-de-chaussée de la tour apparaît comme
une anomalie dans la construction d'un rez-de-chaussée de
donjon. On pourrait être tenté de l'associer à un arc
triomphal d'église ou de chapelle. ».
Cette remarque de Sylvie Campech doit être mise en relation
avec les divers plans de fouilles des images
28, 29, 30. Sur le plan de l'image
28, le
Nord est placé à droite (et l'Ouest en haut). Il s'agit
d'une vue de dessus du murs Ouest de la tour. On y voit les
relevés AA'et BB' des coupes stratigraphiques effectuées
lors des sondages 01 et 02. La coupe stratigraphique BB' est
représentée sur l'image 29,
la coupe AA' sur l'image
30. La coupe stratigraphique AA', orientée
Est-Ouest, se situe au niveau de la porte d'entrée alos que
la coupe BB, de même orientation, passe en dehors de cette
porte d'entrée. Sylvie Campech a repéré deux fondations
successives, la plus ancienne étant celle de la coupe BB'.
Comment interprêter ces résultats ? Il nous semble que la
réponse suggérée par Sylvie Campech est la suivante : dans
un premier temps, il existe une grande ouverture dans le mur
Ouest, peut-être l'arc triomphal d'une chapelle. Puis on
décide de rehausser la pièce Est de cette chapelle. Mais
l'arc triomphal de cette chapelle risque de ne pas supporter
le poids. Donc on décide boucher cette ouverture. Mais dans
ce cas, on construit un mur et, pour cela, les fondations de
ce mur (ce qui correspond à la fondation F02).
Il faut reconnaître que la suggestion pourtant bien timide
de Sylvie Campech, « On
pourrait être tenté de l'associer... », a de quoi
susciter l'adhésion. Surtout si on tient compte du fait que
dans l'environnement immédiat, a été trouvée une sépulture
datée de la fin du IXe siècle.
Datation
envisagée pour la chapelle du Château du Garrané à Seissan
Plusieurs raisons militent en faveur d'une grande ancienneté
de cette chapelle.
Mais d'abord y a -t-il bien eu une chapelle à l'origine du
château de Garanné ?
Voici quelques justifications. Les églises à chevet carré
sont nombreuses dans le Sud de la France. En particulier
dans l'Hérault, l'Aveyron, l'Aude et les Pyrénées-
Orientales. On en retrouve aussi en grand nombre de l'autre
côté des Pyrénées. Concernant le fait qu'une tour soit à
l'emplacement d'un chevet carré, les exemples concernent
plus particulièrement le Gers : Bastanous, que nous venons
d'étudier, Saramon et Peyrusse-Grande, autres objets de nos
études.
Les fenêtres symétriques supérieures se retrouvent à
Bastanous, église que nous avons estimée préromane.
Les données archéologiques vont dans le même sens. Il y a
d'abord la datation des ossements estimée antérieure à l'an
mille. Mais il y aussi la question posée par Sylvie Campech
des deux fondations successives.
Nous proposons les datations suivantes.
Pour la chapelle primitive (configuration envisagée : nef
rectangulaire, chœur carré, les deux parties charpentées,
une seule petite fenêtre axiale) : an 800 avec un écart de
150 ans.
Premier rehaussement du choeur (configuration envisagée :
nef conservée, chœur carré rehaussé, construction des deux
fenêtre supérieures) : an 1000 avec un écart de 100 ans.
Deuxième rehaussement du chœur (configuration envisagée :
nef conservée, chœur carré rehaussé d'un étage, fenêtre-jour
des images 21 et 22)
: an 1150 avec un
écart de 100 ans.
Autres rehaussements au cours des siècles suivants. Mais il
ne s'agit plus d'un chœur. C'est devenu une tour. La
fonction cultuelle a disparu au profit de la deuxième
chapelle. La nef est probablement conservée mais transformée
en grange ou en salle de réunion.