L'église Notre-Dame de Châtillon-sur-Indre
Nous recommandons au lecteur occasionnel
de notre site de lire
cet avis, le lecteur assidu étant quant à lui habitué
à nos prises de position.
La page du site Internet Wikipedia relative à cette église
est très peu documentée : « L'église
fut construite entre ke XIIeet le XIIIesiècle.
L'édifice est classé au titre des monuments historiques en
1862 ». La page du site patrimoine-histoire est
quant à elle plus instructive : « À
Châtillon-sur-Indre, la collégiale romane Saint-Outrille
aurait été fondée au Xe ou au XIe
siècle pour accueillir les reliques du saint. La
construction de l'église actuelle commence dans le dernier
quart du XIe siècle (chœur, abside) et se
poursuit au XIIe(transept, absidioles). Qui
étaient ses commanditaires ? Selon les historiens,
vraisemblablement les Plantagenêt, comtes d'Anjou et
suzerains de Châtillon jusqu'en 1205. Au cours du XII
e siècle, le projet initial se vit transformé, la
nef fut rehaussée et élargie par l'adjonction d'étroits
collatéraux. Une chapelle latérale (qui demeure la seule)
fut construite au XVesiècle en style gothique.
C'est aussi en gothique que nous apparaît la croisée du
transept. Tout le reste est en roman. Au XIXe
siècle, les campagnes de restauration se sont succédé.
Loin d'être toujours respectueuses du passé, elles ont
néanmoins permis à l'essentiel du remarquable décor
sculpté de la collégiale d'arriver jusqu'à nous.
L'église Saint-Outrille perdit son appellation et devint
Notre-Dame avant la Révolution. En 1791, elle devint
église paroissiale et fut réquisitionnée pour un curé
constitutionnel. En 1862, elle fut classée Monument
Historique.
À part quelques statues anciennes, l'église Notre-Dame
regorge de très beaux chapiteaux romans historiés ou à
motifs floraux, que ce soit à l'intérieur ou à
l'extérieur... »
Nous avons effectué une visite rapide de
ce monument en août 2009. La majorité des images de cette
page a été réalisée lors de cette visite.
Lorsque nous avons visité cette église, il y a onze ans,
nous n'avions pas encore élaboré les techniques d'analyse
que nous utilisons aujourd'hui. Et que nous continuons à
perfectionner. Aussi il est possible que nous soyons passés
à côté de détails intéressants.
Mais commençons par analyser un décor installé sur le pignon
du croisillon Sud du transept (images
3 puis 4 et 5).
Il s'agit en fait d'un ensemble de trois panneaux sculptés
en bas-relief. Ces panneaux sont dépareillés et il semble
évident que ces pièces proviennent d'autres décors et ont
été placés là lors de l'obstruction d'une fenêtre.
Commençons d'abord par les panneaux inférieurs, de forme
rectangulaire, de dimensions presque identiques. Sur le
panneau de gauche, on voit, à gauche, Saint Pierre,
reconnaissable à ses clés, accueillant un élu aux portes du
Paradis. Et à droite, une probable scène de martyre. Le
panneau de droite représente quant à lui l'Enfer. Remarquer
l'absence d'auréole pour Saint Pierre.
Le panneau supérieur est lui de forme trapézoïdale. Le côté
inférieur est incliné par rapport à l'horizontale. Il est
possible qu'il ait été auparavant placé sur un linteau en
bâtière. C'est Dieu le Père (et non le Fils) qui est
représenté au centre de la mandorle. Il est encadré par deux
archanges. Nous pensons que cette représentation est
préromane. Il est possible qu'il en soit de même pour les
panneaux inférieurs.
L'édifice est décoré de beaux portails
romans. Ainsi celui de la façade Sud (image
7), dépourvu de tympan, mais décoré de beaux
chapiteaux aux thèmes classiques : oiseaux affrontés,
entrelacs de feuillages (image
8).
Le portail de la façade Ouest est lui aussi remarquable (images 9 et 10). Il
était précédé d'un porche : les départs des arcs soutenant
la voûte de ce porche sont encore visibles. Nous pensons
qu'il y a eu au moins deux étapes dans la construction de
cette façade. D'abord le portail central reconnaissable à
ses arcs en plein cintre. Puis le porche (arcs brisés). Bien
que les chapiteaux de ces deux parties ne soient pas
antérieurs à l'an mille, nous avons voulu les étudier plus
particulièrement dans le but d'effectuer des comparaisons.
Image 11 : trois
chapiteaux. Pour celui du milieu, thème vu pour la première
fois : deux monstres hybrides, réunis en une seule tête,
sont alimentés par deux oies. Pour celui de droite, thème vu
pour la première fois. : un diable cornu saisit deux loups
par le cou.
Image 12 : autre
détail du chapiteau précédent : deux singes semblent
dialoguer entre eux.
Image 13 : trois
chapiteaux. Pour celui de gauche on a une variante d'un des
chapiteaux de l'image 11 :
deux oiseaux plongent leurs becs dans la gorge de deux
autres oiseaux situés au-dessus d'eux. Pour celui du milieu,
deux sphinx à tête humaine. La finesse des traits des
personnages fait envisager une datation tardive, du XIIIesiècle.
Un orant semble s'extraire du tailloir au-dessus. Pour celui
de droite, deux oiseaux affrontés. Leur becs sont reliés
entre eux par de petits cylindres (des vers ?). Peut-être
s'agit-i de la représentation des «deux autruches» (voir la page consacrée à
cette légende). Là encore, l’œuvre apparaît plus
gothique que romane.
Image 14 : trois
chapiteaux. Pour celui de gauche, représentation d'un diable
dévorant un être humain dont seule la partie inférieure du
corps est visible. Pour celui du milieu, encore une
représentation de sphinx à tête humaine. Il semblerait que
dans cette représentation d'animal fantastique, l'artiste
ait voulu rassembler des anciens clichés. L'arrière-train
est celui du lion à queue feuillue, les ailes sont celles
des évangélistes, les têtes sont couronnées.
Image 15 : trois
chapiteaux. Celui de gauche est illisible. La scène de celui
du milieu_ un sphinx affronté à un oiseau_ est inconnue dans
l'art roman. Sur le tailloir, une utre scène nouvelle pour
nous : un homme nu est saisi par la barbe par un oiseau. Sur
le chapiteau de droite, deux oiseaux affrontés.
Image 16 : quatre
chapiteaux. Pour le troisième à partir de la gauche, un
hybride à torse d'homme semble émerger du feuillage.
Image 17 : quatre
chapiteaux. Le premier à partir de la gauche semble être le
Péché Originel. Le deuxième à partir de la gauche montre un
être humain encadré par deux sphinx. Le tailloir au-dessus
du troisième met en scène le Sacrifice d'Abraham. On
retrouve un personnage encadré par deux sphinx sur le
quatrième chapiteau. Au-dessus, deux sirènes à corps de
poisson. À remarquer que les têtes sont masculines.
Dans l'ensemble, ces images semblent plus apparentées à
celles d’œuvres gothiques du XIVesiècle que
d’œuvres romanes du XIeou du XIIesiècle.
Pourtant ces images de chapiteaux et tailloirs sont
qualifiées de «romanes». D'ores et déjà, ces sculptures qui
nous font penser à d'autres vues en Italie -à Modène en
particulier- ou à des enluminures nous amènent à poser la
question : la transition entre la période romane et la
période gothique aurait-elle été plus importante que ce que
l'on pensait auparavant?. De même, nous avons une idée des
changements de style dans le domaine de l'iconographie :
durant la période romane, les traits des personnages sont
grossiers. Ils s'affinent énormément dans la période
suivante. Nous pensons à présent qu'il pourrait y avoir plus
que cela. On parle de «symbolique romane». L'art gothique
serait-il «asymbolique» (dans le sens : absence de symbole)
? Ce qui signifierait qu'il y aurait eu durant cette
transition un changement profond des mentalités.
Passons à l'étude de l'intérieur de
l'édifice.
Il s'agit d'une église à nef à trois vaisseaux (images 18, 19, 20, 21, 22). Les trois vaisseaux
sont voûtés. On remarque cependant que les collatéraux sont
très étroits et très élevés (image
20) et que le vaisseau central est privé de
fenêtres supérieures (images
21 et 22). On en déduit qu'il est possible que le
voûtement, en berceau brisé sur doubleaux brisés (plus
ancien que le voûtement sur croisée d'ogives), soit
postérieur à une première couverture en charpente. Malgré
ce, l'édifice ne semble pas d'une très grande ancienneté ;
les arcs reliant les piliers, doubles et brisés, ne peuvent,
selon nous, être antérieurs à l'an mille (image
21).
Remarquons sur l'image
19 ce qui semble être une anomalie. Cette image
19 fait apparaître à gauche une partie de la nef
et à droite le croisillon Nord du transept. On peut voir sur
le mur Ouest de ce croisillon, une fenêtre (ou une porte).
On retrouve cette fenêtre (ou cette port), en partie
obstruée, sur l'image 23.
On retrouve la
même fenêtre, mais pas au même endroit (probablement sur le
mur Est du même croisillon Nord) sur l'image
24. La
présence de ces deux fenêtres en ces endroits prouve qu'il y
avait autre chose en ces emplacements. Pour celle de l'image 23,
ou songe à une porte permettant d'accéder à un étage
supérieur du collatéral Nord. Mais cette porte n'est pas
dans l'axe de l'actuel collatéral Nord. Alors ? le
collatéral Nord d'une nef antérieure à celle-ci ? On peut
ajouter à cela que le collatéral Nord était probablement
charpenté à l'origine. Le pilastre vertical que l'on voit
sur l'image 23 est
un ajout postérieur (il couvre en partie l'arc d'entrée dans
le collatéral Nord ainsi que l'arc de la fenêtre
supérieure). Il en est de même pour les pilastres et arcs
qu'ils portent sur l'image
24. Ces pilastres et arcs ont été ajoutés pour
permettre la pose d'une voûte en berceau sur ce croisillon
Nord.
Comme on le voit, une étude détaillée de cette architecture
reste à faire.
Dernière remarque : la très belle voûte en huit parties de
la croisée du transept a été probablement réalisée au XIVesiècle
(image 25).
Datation
envisagée pour l'église Notre-Dame de Châtillon-sur-Indre
:
Hormis les anomalies signalées ci-dessus, nous n'avons pas
vu d'éléments qui nécessitent un réexamen, et nous n'avons
pas décelé d'indice permettant de remettre en question la
datation suivante : an 1100 avec un écart de 75 ans.