L’église Saint-Pierre-et-Saint-Benoît de Perrecy-les-Forges
L’excellent site Internet Bourgogne
romane nous apprend ceci : « Perrecy
occupe probablement l’emplacement d’un site gallo-romain.
Domaine de l’évêque de Bourges pendant le Haut Moyen-Âge,
les terres passent à Charles Martel vers 730. Il les donne
à son demi-frère Childebrand en 736 après une victoire
contre les Sarrazins. Un siècle plus tard, pendant les
années 830, une chapelle dédiée à Saint-Pierre est
mentionnée à Perrecy. Elle deviendra église paroissiale
plus tard. En 836, la possession des terres par Eccard II
est confirmée par Pépin II. Eccard, devenu comte de Chalon
et de Mâcon en 860, cède les terres avec la chapelle à la
grande abbaye de Fleury à Saint-Benoît-sur-Loire en 876,
peu de temps avant son décès. Un prieuré bénédictin y est
alors fondé à la fin du IXe siècle (peut-être
déjà vers 885, attesté en 908) et une église dédiée à
Notre-Dame-et-Saint-Benoît fut construite à cette époque.
Au Xe siècle, le monastère se développe et
Perrecy devient un prieuré très important de Saint-Benoît.
Les bâtiments sont reconstruits au début du XIe
siècle par Raoul, fidèle de Gauzlin, abbé de Fleury.
L’église romane fut élevée à cette époque. Le grand
narthex fut ajouté au début du siècle suivant. [...]
L’église
est toujours en majeure partie romane malgré l’histoire
mouvementée de sa construction. Son plan allongé est
orienté vers le Sud-Est. Le gros-œuvre, datant des années
1020-1030, se composait à l’origine d’une nef à bas-côtés,
d’un transept saillant avec une coupole-lanterne élevée et
d’un chœur de plan bénédictin avec une abside entre deux
paires d’absidioles échelonnées. Le grand narthex de deux
étages avec clocher a été ajouté du côté Ouest pendant une
deuxième phase romane vers 1120-1130. Jamais achevé, il
faisait peut-être partie d’un grand projet de
reconstruction totale de l’église. Le corps roman encore
debout a été plusieurs fois remanié et amputé. Le bas-côté
Nord de la nef a été détruit au XVIe siècle
quand la nef fut fermée par le mur Nord actuel.
[...] ».
Certaines images de cette page, ou d'autres pages concernant
la Bourgogne, peuvent provenir de ce site Internet.
Nous rappelons que nous sommes très réservés en ce qui
concerne les datations effectuées antérieurement. Nous y
reviendrons à la fin de cette page. Mais pour le moment,
procédons à la visite de cette église.
Les images
1 et 2 sont celles du porche d’entrée de l’enclos
du prieuré. Sur le plan de l'image
3, ce
porche est situé dans le coin supérieur droit. Nous
rappelons que ces constructions situées à l’entrée des
enclos monastiques étaient plus que de simples portails
d’entrée. C’étaient des portiques (voir la
page de ce site consacrée aux portiques). C’est-à-dire
des ouvrages ayant plusieurs fonctions. La première de ces
fonctions était d’être un espace sécurisé, interdit à tout
agresseur extérieur. La deuxième fonction était d’être un
espace d’accueil et d’hébergement vis-à-vis des visiteurs
(bien sûr les visteurs en question ne devaient faire partie
que de la haute société=.
Nous poursuivons la visite de cette église en en faisant le
tour : façades Nord (image
4), Ouest (image
5), Sud (images
6, 7, 8), chevet (image
9).
Revenons à présent à l’ouvrage Ouest ou
narthex. Nous n'avons pas encore pu faire d’étude globale de
ce type d’ouvrages, mais nous avons constaté que dans de
très nombreux cas (et c’est le cas ici), ces ouvrages Ouest
étaient des ouvrages ouverts. Leur rez-de-chaussée (image
10), est accessible à tout visiteur. Et ce, à la
différence des tours de défense, fermées à la base et dont
la porte, située à 3 mètres au-dessus du sol, n’est
accessible que par une échelle ou un pont-levis.
Il existe une forte ressemblance entre cet ouvrage Ouest et
celui vu précédemment de Paray-le-Monial (en faisant
abstraction des tours ou clocher ajoutés plus tard). On
constate cependant des différences de détail. Tout d’abord,
le narthex de Paray-le-Monial semble être de dimensions plus
modestes que celui de Perrecy. La deuxième différence tient
à la richesse de la sculpture de Perrecy-les-Forges. Si bien
que nous nous demandons si cette ornementation sculptée n’a
pas été ajoutée postérieurement à la construction. Ce
pourrait être en particulier le cas du décor du portail (image 11) : linteau et
tympan (image 12),
chapiteaux (image 13).
En visitant ce narthex, nous avons été surpris de découvrir
devant le portail Ouest un espace à plan carré libre aux
deux étages inférieur et supérieur et pourvu d’une galerie à
l’étage supérieur.
Dans un premier temps, nous avons envisagé que ce type
d’architecture à deux étages avec un « trou » au milieu,
était-ce que nous avons appelé un « parlement du Premier
Millénaire ». Lire la page : « Les
nefs à étage, à plan circulaire ou polygonal : des
Parlements au Premier Millénaire ? » Nous pensons à
présent que, concernant le narthex de Perrecy-les-Forges,
cette hypothèse est fausse. Notre idée est qu’on serait en
présence d’une « Cour des Miracles » : le rez-de-chaussée de
ce narthex, ouvert à tous, devait être occupé par une foule
de mendiants estropiés, veuves et orphelins. Peut-être pas
tout le temps, mais au moins pendant les mois d’hiver. Il
fallait pouvoir surveiller cette foule, lui distribuer de
menus travaux permettant d’assurer sa subsistance.
Lorsque nous avons visité pour la
première fois cette église, en juillet 2003, nous avons
négligé sa nef et pris une seule photographie de celle-ci.
C’est en voyant cette image que, beaucoup plus tard, en
février 2015, nous avons décidé de revisiter cette église.
Cette nef, actuellement à deux vaisseaux, était
primitivement à trois vaisseaux. Ces trois vaisseaux étaient
charpentés. Le vaisseau central primitif était porté par des
piliers de type R0000.
Seuls subsistent les piliers de la galerie Sud. Ils portent
des impostes à chanfrein vers l’intrados (images
17 et suivantes).
Nous rappelons que, d’après nos estimations, des nefs de ce
type sont antérieures à l’an 800.
Bien souven, des transepts ont été construits à l’intérieur
de ces nefs et postérieurement à la construction de celle-ci
. Il semblerait que ce soit le cas ici (image
23). En effet, on s’aperçoit sur l'image
24 qu’un autre arc analogue à ceux des arcs de la
colonnade Sud (image 21 )
est visible de l’autre côté du transept (c’est-à-dire côté
chœur).
Datation
Venons-en aux problèmes de datation.
Tout d’abord, il faut savoir que la critique que nous allons
faire n’est pas dirigée contre le rédacteur du site Internet
Bourgogne romane.
Celui-ci a très probablement rédigé son texte à partir de
données recueillies dans des livres divers. Il l’a fait
peut-être sans analyse critique de ces livres, mais en
faisant une confiance absolue en leurs auteurs aux titres
prestigieux : inspecteurs des monuments historiques,
architectes du patrimoine, professeurs d’histoire médiévale
à l’Université.
Cette analyse critique, la voici :
Tout d’abord l’historique commence par un inventaire très
détaillé de ce qui se serait passé avant l’an mille : « ...
les terres passent à Charles Martel vers 730. Il les donne
à son demi-frère Childebrand en 736 .... pendant les
années 830, une chapelle dédiée à Saint-Pierre est
mentionnée à Perrecy. ... Un prieuré bénédictin y
est alors fondé à la fin du IXe siècle
(peut-être déjà vers 885, attesté en 908) et une église
dédiée à Notre-Dame-et-Saint-Benoît fut construite à cette
époque. Au Xe siècle, le monastère se développe
et Perrecy devient un prieuré très important de
Saint-Benoît. Les bâtiments sont reconstruits au début du
XIe siècle par Raoul, fidèle de Gauzlin, abbé
de Fleury… L’église est toujours en majeure partie romane
malgré l’histoire mouvementée de sa construction. Son plan
allongé est orienté vers le Sud-Est. Le gros-œuvre, datant
des années 1020-1030, ... »
On a là des dates très précises. On peut remercier les
traducteurs des chartes d’avoir fait ce travail de fourmi.
Mais au bout du compte, rien ! La chapelle dédiée à
Saint-Pierre ? Rien ! L’église dédiée à
Notre-Dame-et-Saint-Benoît, construite vers l’an 900 ? Rien
! Ces églises ont disparu : évaporées ! Volatilisées !
Ce ne serait là qu’un cas exceptionnel, nous serions en
droit de nous interroger.
Ce n’est pas un cas exceptionnel mais la règle. À chaque
fois qu’une église est citée avant l’an mille, elle
disparaît subitement. Qu’elle disparaisse, on ne nous le dit
pas. Non ! on n’en parle plus. Exemple : « Une église sous
le vocable de X est citée en l’an 920. L’église que l’on
voit actuellement est du XIesiècle ». Entre les
deux phrases on ne dit rien : à chacun d’entre nous
d’imaginer ce qui a pu se passer. Une sorte de gomme
magique, intitulée « an mille », a tout effacé.
Autre chose, le texte nous dit : « Le
gros œuvre - c’est-à-dire la nef, le transept et le
chœur (ultérieurement refait) - datant
des années 1020-1030... ». D’où vient cette
datation 1020-1030 qui ne semble être associée à aucun texte
écrit contemporain ?
Nous pensons qu’elle est purement artificielle. Le
raisonnement est le suivant : tous les bâtiments antérieurs
à l’an 1000 ayant disparu, ce « gros-œuvre » ne peut-être
que postérieur à l’an mille. Mais postérieur de quelques
décennies, car si à chaque fois que l’on rencontre de tels
cas - et il y en a beaucoup - la datation était 1000-1010,
certains néophytes pourraient commencer à poser des
questions du genre : « que s’est-il passé le I er
janvier 1000 ? ». Donc l’année 1020 peut-être
raisonnablement avancée. Mais pas beaucoup plus tard, car il
existe des différences entre cette nef et celle de Vézelay,
construite vers 1080. Différences faisant envisager que
cette nef est plus ancienne que celle de Vézelay.
Autre caractéristique de ce type de discours : son ton
catégorique n’admettant pas la discussion. La nef date des
années 1020-1030 ! Un point, c’est tout ! Aucune place au
doute scientifique ! Le doute, c’est fait pour les
scientifiques. Ici nous ne sommes pas en présence de
scientifiques, mais d’historiens de l’art, la quintessence
de l’intelligence, l’oracle divin du Patrimoine Français.
Amen !
Dans ce discours, on constate un oubli quasi total :
l’architecture du bâtiment. Cet oubli se manifeste en
premier lieu dans le détail. L’auteur nous dit que la nef et
le transept ont été construits entre 1020 et 1030. Donc dans
la même période de construction. Or il suffit de comparer
les arcs de la nef (image
21) et du transept (image
23) pour déceler des différences fondamentales.
Par ailleurs, nous avons vu précédemment que le transept
avait été très probablement construit à l’intérieur de la
nef et postérieurement à celle-ci.
Mais l’oubli se manifeste surtout dans le global. Comparons
cette nef (image 17)
avec d’autres vues précédemment comme Beaune, Nevers, Autun,
Cluny, Paray-le-Monial. Et surtout celle que nous verrons
prochainement, Vézelay, nef dont la datation des années
1085-1100 est presque sûre. La différence architecturale
entre cette nef de Perrecy et toutes les nefs que nous
venons de citer est énorme. Et on voudrait nous faire croire
qu’il existe un écart de moins de quatre-vingt ans entre la
construction de cette nef et celle de Vézelay. Quatre-vingt
ans justement ! c’est l’écart de temps qui sépare la
construction de l’Empire State Building de NewYork, en 1931,
de celle la Kingdom Tower de Djeddah en 2018. Deux
constructions, certes de hauteurs différentes, mais
d’architectures analogues.
Par son architecture, la nef de Perrecy est beaucoup plus
proche des nefs des basiliques romaines du IVesiècle
de notre ère que des nefs de Vézelay, de Jumièges, ou de
Bernay. Que des spécialistes du patrimoine n’en soient pas
conscients relève pour nous du mystère.
Datation envisagée
pour la nef de Perrecy : an 650 avec un écart de 200 ans.
Datation envisagée
pour le transept de Perrecy : an 950 avec un écart de 100
ans.
Pour l’ouvrage Ouest (ou narthex) de Perrecy, nous
envisageons deux possibilités sans être en mesure de
trancher : an 900 avec décoration sculptée vers l’an 1100,
ou an 1100 (avec bien sûr, à chaque fois, une marge
d’erreur).
Cette nef au grand développement nous invite à penser, que
ce que l’on appelle actuellement prieuré, devait être en
réalité une véritable abbaye durant le Premier Millénaire.
Et une abbaye importante.
Nous envisageons que la réputation que l’on a donné à Cluny,
ait été un peu « l’arbre qui cache la forêt ». Il est fort
possible qu’il y ait eu avant la fondation de l’abbaye de
Cluny des abbayes tout aussi prestigieuses et tout aussi
importantes par leur rayonnement. Mais seul le souvenir de
Cluny aurait été conservé. Peut-être naturellement à cause
de la disparition progressive des archives. Peut-être
volontairement, les moines de Cluny s’empressant de faire
disparaître les archives d’abbayes fondées par des ordres
non clunisiens.