Divers édifices de Gironde susceptibles de dater du Ier millénaire (page 5/5)
Les deux édifices étudiés dans cette page sont : l’abbatiale
Notre-Dame de La Sauve-Majeure, l’église
Saint-Martin de Villenave-d’Ornon.
Abbatiale
Notre-Dame de La Sauve-Majeure
Sur cette abbaye de La Sauve-Majeure,
voici ce qu’en dit la page du site Internet Wikipedia qui
lui est consacrée (nous ne citons que ce qui concerne la
datation initiale de l’abbaye) : « Sur
le lieu-dit d'Altus Villaris, à égale distance de la
Garonne et de la Dordogne, l'abbé Gérard de Corbie fonde
Notre-Dame de la Grande Sauve en 1079. Son nom est issu du
nom de la forêt occupant à l'époque l'Entre-deux-Mers
(Inter duo Maria) : La Silva Major. L'abbé construit alors
une première église abbatiale. Avec l'appui du duc
Guillaume VIII d'Aquitaine (1023-1058-1086), avec le
soutien du pape Grégoire VII (1015/1020-1073–1085), et
grâce à de généreux donateurs et protecteurs parmi
lesquels les rois de France et d'Angleterre, l'abbaye
prospère rapidement. Elle se trouve sur la route de
Compostelle et sert de point de départ régional pour le
pèlerinage. L'abbé Gérard y est enterré à sa mort en 1095.
Pierre Ier d'Amboise, élu septième abbé de
cette abbaye, en 1126, demanda à Rome la canonisation pour
l'abbé Gérard mais il fallut attendre 1197 pour que le
pape Célestin III le canonise. Elle passe sous la tutelle
des rois d'Angleterre à la suite du mariage d'Aliénor
d'Aquitaine avec Henri II Plantagenêt en 1152. L'église
actuelle fut consacrée en 1231. »
Nous avons écrit à de nombreuses reprises dans ce site que
les textes anciens peuvent fournir des indices en matière de
datation mais certainement pas des preuves. La dernière
phrase du texte ci-dessus, « L’église
actuelle fut consacrée en 1231 », laisse entendre,
si toutefois nous l’interprétons convenablement, que
l’église actuelle a été achevée en 1231. Or une date de
consécration ne correspond pas forcément à une date
d’inauguration, une date de fin de travaux. C’est un autel
que l’on consacre et non un bâtiment. En conséquence, un
autel peut être consacré dans une basilique en construction
ou dans une basilique construite depuis longtemps (par
exemple s’il a été profané). De même, une date de fondation
d’abbaye (ici en 1079) ne correspond pas forcément à la date
de construction de son abbatiale. En règle générale, les
textes ne disent rien sur les conditions d’installation
d’une communauté nouvelle. Cela ne signifie pas que cette
installation s’effectue sur le néant. Il y avait bien
quelque chose avant que les moines s’installent. En
admettant même que, comme on se l’imagine souvent, cette
installation se soit faite dans le désert, il fallait bien
que les moines disposent de certaines conditions de vie
(logement, droits de propriété) pour qu’ils décident de
s’installer à cet endroit. Bien sûr, plus tard, dans un
souci de glorification de cette période considérée comme
héroïque, d’installation de la communauté, les historiens de
cet événement ont pu déformer la vérité en exagérant les
difficultés rencontrées et en oubliant les aides diverses
qu’ils ont reçues.
Comme beaucoup d’autres textes analogues, celui écrit
ci-dessus semble ignorer que toute construction a une vie :
elle évolue, elle n’est pas figée. On le sait pour les
constructions qui nous entourent. C'est tout aussi vrai pour
les constructions du Moyen-Âge.
Concernant l’abbatiale de La Sauve-Majeure actuellement en
ruines, cela a sans doute été le cas. Le plan de l'image
1 fait apparaître deux parties distinctes : la nef
et le chevet. On constate en effet que les murs de la nef et
les murs des absides ne sont pas dans le même alignement.
Toujours d’après ce plan, la nef semble avoir subi plusieurs
modifications, ce qui n’est pas le cas du transept et du
chevet. Il est dommage que nous ne possédions pas d’image de
la nef (hormis l'image 2 insuffisante
à interpréter). Nous pensons que cette abbatiale a subi au
moins deux transformations avant le XIIesiècle.
Une première église a été construite. Elle était à plan
basilical (nef à trois vaisseaux) et terminée par une ou
trois absides (une abside et deux absidioles) situées dans
le prolongement des murs de la nef. Il est apparu que ces
absides étaient insuffisantes pour accueillir le chœur des
moines. On a donc décidé de garder la nef et d’agrandir le
chœur en détruisant le chœur ancien, en installant le
transept actuel et en greffant sur ce transept une abside et
cinq absidioles. Plus exactement, on a créé une nouvelle
église avec une nef à trois vaisseaux terminés par trois
absides et on l’a encadrée par deux absidioles (image
5). Cette nouvelle église devait être réservée
aux moines, les fidèles étant accueillis dans l’ancienne
nef.
Cette disposition est exceptionnelle. Elle donne un plan en
forme d’escaliers successifs des absidioles. Il s’agit là
d’un plan que nous avions pressenti en visitant certaines
églises comme celle de La Charité-sur-Loire. Nous pensons
que les grands chevets des abbayes ont été, à un moment
donné, construits sur ce modèle. Ils auraient été plus tard
remplacés par des chevets à déambulatoires. La date de ce
changement d’architecture des chevets se situerait aux
alentours de l’an 1100 (réfection du chevet de la cathédrale
de Canterbury par Lanfranc). L’idée qui nous vient à
l’esprit est que cette date pourrait correspondre à celle de
la création des salles capitulaires dans les abbayes.
Primitivement, les réunions des chapitres devaient se faire
à l’intérieur des églises sous la protection de Dieu et,
s’il y avait comme ici un chœur important, à l’intérieur de
celui-ci. Mais ces réunions pouvant s’accompagner de débats
importants, voire de « prises de bec », il serait devenu
nécessaire de les déplacer à l’extérieur, le plus souvent
contre l’église. Les moines ou chanoines auraient continué à
occuper le chœur de l’église mais seulement pour les
offices, dans une plus grande sérénité. Le déambulatoire
entourant le chœur permettait aux fidèles de vérifier que
les moines respectaient cette sérénité.
Datation : compte tenu de ce que nous venons d’écrire, le
chevet de La Sauve-Majeure serait antérieur à l’an 1100. La
nef pourrait être plus ancienne. Mais seul un examen des
piliers subsistants pourrait permettre de le confirmer.
Datation envisagée pour la première construction : an 1050
avec un écart de 100 ans.
Église
Saint-Martin de Villenave-d’Ornon
Extérieurement, l’église de
Villenave-d’Ornon n’apparaît pas d’une très grande
ancienneté (images 8 et
9). Son chevet apparaît roman, du XIeou
XIIesiècle. C’est ce que confirme le plan de
l'image 7 qui nous
montre qu’une partie de l’édifice serait plus ancienne, du
XIesiècle selon le plan, mais nous savons que
des parties datées du XIesiècle peuvent être
plus anciennes encore.
Les images suivantes montrent que cette église pourrait
effectivement être plus ancienne que le XIesiècle.
Il y a d’abord le fait que cette église est charpentée.
Autant la nef (image 10) que les collatéraux (images
11 et 12). Nous estimons que le voûtement
systématique des églises débute aux alentours de l’an mille.
Les premiers essais de voûtement se seraient faits à partir
des bas-côtés. Nous constatons de plus sur ces images que le
voûtement n’a pas été tenté : les piliers sont de type R1010. Ce qui signifie
que des colonnes n’ont pas été accolées sur les piliers côté
Nord et côté Sud. Si cette opération avait été effectuée,
ces colonnes auraient servi à porter les doubleaux soutenant
les voûtes.
Les
images 13, 14 et 16 permettent d’observer les arcs
entre piliers. L'image 13
est celle de la deuxième travée (à partir du
transept), image vue en direction du Nord. L'image
14 est celle de la première travée vue en
direction du Nord. L'image
16 est aussi celle de la première travée, mais vue
en direction du Sud. Nous constatons que l’arc de l'image
13 est différent de celui de l'image
14, lequel
est semblable à celui de l'image
16. Ces deux arcs sont légèrement outrepassés.
Tous deux sont doubles.
L’analyse que nous sommes en train de faire sur les piliers
et les arcs permet de placer ce type d’architecture entre l
‘an 800 et l’an 1000.
Les chapiteaux de cette église sont
principalement à décor géométrique (images
17, 18, 19, 20, 24, 25).
On retrouve sur celui de l'image
17 le motif de feuilles dressées. Mais très
stylisées.
D’autres chapiteaux représentent des scènes énigmatiques.
Ainsi celui de l'image 21,
à moitié conservé, qui représente un homme brandissant une
épée et une sorte de drapeau. Ou celui de l'image
22 portant sur sa corbeille un lion crachant, un
oiseau et un serpent. Les têtes sculptées de l'image
23 font penser à des modèles celtes.
Celui de droite de l'image
27 porte le même type de têtes sculptées que
précédemment. Le chapiteau de l'image
26 porte deux oiseaux affrontés : c’est la scène
classique des « oiseaux au canthare » représentée depuis
l’Antiquité. Mais cette représentation se serait poursuivie
jusqu’au deuxième millénaire. Nous ne sommes pas certains
que les chapiteaux de ces deux dernières images, chapiteaux,
qui, à première vue, semblent situés à l’extérieur de
l’édifice sur un portail d’entrée, soient antérieurs à l’an
1000.
Par contre l’attribution à une date antérieure à l’an 1000
des chapiteaux précédents est fortement envisageable.
Plusieurs éléments militent en faveur de cette hypothèse :
le décor de ces chapiteaux ainsi que celui des tailloirs, le
caractère fruste des représentations, les différences de
formes globales, entre les chapiteaux ou entre les
tailloirs. Tout cela plaide en faveur d’une ancienneté de
cette partie de l’édifice.
Datation proposée : an 900 avec un écart
de plus de 100 ans.