Église paroissiale de Nant
Au premier abord (image
1), l’église paroissiale de Nant semble
totalement dépourvue d’intérêt. Et ce n’est qu’en découvrant
son chevet (image 2)
que l’on commence à appréhender son importance. L'image
2 fait apparaître en effet une absidiole
pentagonale (signe d’une possible ancienneté) et une abside
centrale à plan presque carré. En fait il est possible que,
à l’origine, le plan ait été carré. Mais ultérieurement les
coins ont été rognés afin d ‘installer de puissants
contreforts. La maçonnerie témoigne de ce type de
modifications.
Le plan de l’église (image
3) témoigne lui aussi d’une forme très
particulière des absides : polygonales à l’extérieur, elles
sont de forme circulaire outrepassé à l’intérieur.
Le plan des parties anciennes (en noir) est régulier et,
semble-t-il, symétrique par rapport au plan vertical de
direction Est-Ouest.
On déduit de cette cohérence que, à l’origine, la nef était
formée de trois vaisseaux. Elle était prolongée par un
transept débordant. Sur ce transept étaient greffées une
abside alignée avec le vaisseau principal et deux absidioles
non alignées avec les collatéraux.
Ce type de plan est rangé en Veou VIeposition
dans le classement d’évolution du plan des nefs.
L’intérieur de l’église révèle quelques
surprises (images 4, 5 et
6). En effet, les arcs en plein cintre sont
portés par des chapiteaux doubles portés des colonnes
jumelles. Il s’agit là d’une première surprise. Mais il en
existe une autre : à la différence de la plupart des églises
romanes où les colonnes sont demi-cylindriques, ici les
colonnes sont cylindriques. Et de plus elles sont portées
sur de hauts piliers à section rectangulaire.
Dernière surprise et non des moindres ; l’arc porté par ces
chapiteaux doubles est nettement outrepassé tant par la
forme des voussoirs inférieurs que par le dépassement des
tailloirs vers l’intrados de la courbure (image
6).
Pour trouver des analogies avec ces particularités
architecturales, il faut aller à la cathédrale du
Puy-en-Velay (malheureusement un peu défigurée par les
restaurations), à San Pere de Rodes en Catalogne Espagnole,
à Saint-Jacques de Béziers.
L'image
8 fait apparaître le passage entre le collatéral
sud et le transept. C’est, dans les images que nous
possédons, la seule fois où nous voyons un arc posé sur une
imposte (image 9)
et non sur le couple chapiteau-tailloir. Rappelons que,
selon nous, l’imposte serait antérieure au
chapiteau-tailloir. Y aurait-il eu une construction
antérieure à l’actuelle ?
Le décor de cette imposte rappelle ceux de Saint-Michel de
Castelnau-Pégayrols (voir sur ce site cette
page).
Il arrive très souvent que les décors
des arcatures logées à l’intérieur des absides principales (image 10) soient
différents des décors des nefs. C’est tout à fait normal. En
effet l’abside principale abrite l’élément le plus important
de l’édifice : le sanctuaire. Vu que c’est l’élément le plus
important c’est aussi l’élément le plus susceptible d’être
embelli et donc d’être modifié au cours du temps.
Mais ici les formes « arabisantes » des chapiteaux de
l’arcature ainsi que leurs décors sont semblables à ceux de
la nef. Ceux de l'image 11
sont décorés d’entrelacs de feuillages dans la partie
inférieure. On découvre, dans la partie supérieure de
ceux-ci, un lion affrontant un cerf, sur celui de gauche,
deux lions affrontés broutant un arbre de vie, dans celui de
droite.
L’entrée de l’absidiole sud est surmontée d’un bel arc
outrepassé (image 12).
Une des portes qui permettait d’accéder
au narthex est aussi surmontée d’un bel arc outrepassé (image 13).
Dans les images suivantes, on découvre un bel assortiment de
chapiteaux à entrelacs ou à feuillages caractéristiques d’un
art préroman.
Les représentations d’humains ou
d’animaux sont rares. On en a vu deux dans l'image
11. On découvre un molosse attaquant un bouquetin
dans l'image 20 et
des têtes humaines dans l'image
21. Ainsi qu’un bas-relief représentant un lion
dans l'image 22.
Essai
de datation
Par bien des aspects cette église apparaît antérieure à l’an
1000. Mais quels sont donc ces « aspects » ?
Il y a d’abord les entrelacs. Ces entrelacs caractérisent
des peuples dits « barbares » et une période allant du Vesiècle
au XIesiècle. Il est difficile de définir un
style d’entrelacs. Tout au plus peut-on remarquer que les
entrelacs les plus anciens semblent les plus « débridés »,
les plus fantaisistes. Les entrelacs dit « carolingiens »
sont plus réguliers, plus répétitifs. Les entrelacs imitant
la vannerie seraient les plus récents.
Les entrelacs mais aussi les feuillages et les motifs
géométriques que l’on voit ici révèlent une grande
inventivité qui, pour nous, est significative d’ancienneté.
Un autre élément caractéristique d’ancienneté réside dans
les piliers porteurs du vaisseau central. D’après la
nomenclature que nous avons imaginée, ils seraient
cruciformes de type R1111. C’est-à-dire qu’ils se
situeraient dans la phase finale de l’évolution des piliers.
Mais ici nous sommes dans un cas très particulier.
Le cas particulier que l’on trouve ici c’est que les arcs
portés par les piliers maitres du vaisseau central (image 6) sont simples. Ils ne sont pas doublés
(un arc au-dessus d’un arc de moindre largeur) comme ceux
que l’on voit dans la plupart des églises les plus récentes
(dans l’art roman). En fait cela correspondrait au type de
pilier R0101 de notre nomenclature. Et situerait la
construction au milieu de la période [400 - 1200] soit vers
l’an 800.
Dernière remarque : observons sur l'image
23 les chapiteaux portant le doubleau de la voûte
du collatéral (en haut à gauche). Ils sont analogues à ceux
situés un peu de dessous du centre de l’image. Par contre
ils sont différents des chapiteaux porteurs des doubleaux du
vaisseau central (en haut à droite). On retrouve la même
particularité sur l'image
24. Il faut aussi noter sur ces images que les
fenêtres éclairant le vaisseau central sont percées
directement dans la voûte.
Que déduire de ces observations ? Qu’il y a eu au moins deux
étapes de construction. Le vaisseau central de l’église
primitive devait être charpenté et non voûté comme il est
actuellement. Par contre les collatéraux devaient être
voûtés en plein cintre sur doubleaux plein cintre
(outrepassé). Pour soutenir ces doubleaux, on a utilisé le
même type de chapiteaux que ceux portant les arcs des murs
gouttereaux du vaisseau central.
Dans un deuxième temps (fin XIIe - début XIIIesiècle
?) il a été décidé de voûter le vaisseau central. Pour cela
il a fallu rabaisser les murs gouttereaux de ce vaisseau
central, et ce faisant, supprimer les fenêtres qui
l’éclairaient. Ce qui a nécessité de prévoir l’ouverture de
fenêtres au moment de la construction de la voûte et les
situer dans cette voûte. Pour porter cette voûte il fallait
des doubleaux. Et pour porter ces doubleaux, il fallait des
chapiteaux. Le mode était aux chapiteaux cylindriques : on a
mis des chapiteaux cylindriques. Ce qui explique la
différence existant entre ces chapiteaux et ceux placés
au-dessous.
Après ces diverses observations on peut proposer la date de
la construction primitive : an 800 avec un écart estimé de
150 ans.