L'ouvrage Ouest de l'abbaye Saint-Michel-de-Cuxa  

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La page du site Internet Wikipedia consacrée à l'abbatiale Saint-Michel-de-Cuxa nous apprend ceci concernant le massif occidental de l'abbatiale :

« Le massif occidental

À l'ouest de l'église et profitant de la déclivité du terrain, l'abbé Oliba qui est aussi abbé du monastère de Ripoll, lieu de grande culture avec un scriptorium où l'on traduit de l'arabe des textes grecs et romains, construit un ensemble complexe d'une grande valeur symbolique. Deux églises superposées sont reliées à l'abbatiale préromane Saint-Michel. Au niveau inférieur, une crypte qui donne sa signification à l'ensemble est dédiée à la Vierge encadrée et protégée par deux espaces pour les archanges Gabriel et Raphaël, symboles de l'annonciation de l'enfant et de la gloire virginale. Un espace transversal à l'est voûté en berceaux soutient l'atrium. Comme la grotte de la Nativité, l'église de la Vierge est souterraine. De forme circulaire dans un carré, sa voûte annulaire est soutenue par un important pilier central. Seule une petite absidiole pour l'autel fait saillie.


Au dessus, l'oratoire de la Sainte Trinité unit le Père et le Fils après avoir célébré la Mère et se superpose exactement sur le plan de la crypte. Son plan complexe est connu par des restes de murs déblayés en 1952. Alignés sur un même axe est-ouest, deux cercles et un ovale de dimensions différentes se recoupent. L'espace principal de la chapelle est d'un diamètre de 9.50 m avec à l'est, une abside demi-circulaire de 3.70 m et à l'ouest un ovale de 6,00 m. Dans les angles est, sont ménagés deux espaces et à l'ouest, deux escaliers en colimaçon. Le mur de la chapelle centrale est creusé de six niches elliptiques.

Sur le plan de 1779, on trouve sur ce niveau supérieur des constructions importantes avec au nord des chambres, à l'ouest, un salon, d'autres chambres, un cabinet, une alcôve et le parterre de la sacristie correspondant à l'atrium d'aujourd'hui. Les liaisons anciennes avec l'église se faisaient par deux couloirs nord et sud bordant l'atrium et on peut voir les arrachements dans les murs sud et ouest de la nef et du collatéral sud de l'abbatiale.



La symbolique

L'ensemble des deux églises superposées est un programme architectural cohérent qui reflète une pensée théologique fermement établie et dans cette architecture romane, il y a une pensée qui va bien au-delà de la simple adéquation entre la forme et la fonction. Par chance, on possède un texte de 1043-1046 et un manuscrit des années 1100 provenant de Cuxa, qui nous éclairent sur les motivations de cette construction. C'est d'abord la rencontre entre un commanditaire qui veut dire quelque chose et un architecte qui va la traduire dans une réalité matérielle. Si la crypte traduit des spéculations théologiques sur le mystère de L'Incarnation du fils de Dieu, la chapelle du haut représente l'église du Ciel. Elle est construite comme le trône de la grâce pour représenter la Trinité. On peut y voir dans une mandorle une représentation de la Majesté de Dieu qui est assise, qui tient un crucifix pour le représenter à la vénération des fidèles, avec l'Esprit Saint représenté sous la forme d'une colonne (sic : colombe?). Deux feuilles du manuscrit nous montrent une représentation qui peut correspondre au plan complexe de l'église supérieure, avec dans une mandorle les bras de la croix qui peuvent être représentés par les trois portes et la tête par l'autel.


À Cuxa au XIe siècle, il n'est pas question de sculpture et la pensée symbolique préfère encore s'exprimer à travers l'architecture, ce qui implique la pluralité et la diversité des édifices. »


La première fois que nous avons visité l'abbatiale Saint-Michel, nous avons été surpris de voir dans la partie inférieure de l'ouvrage Ouest le pilier central (voir les  images 1 et 2). Ce pilier qui suscite pour beaucoup de visiteurs une grande admiration apparaissait pour nous incongru. À quoi pouvait-il servir ? Malgré toute la beauté qu'il pouvait représenter, il apparaissait inutile. Voire même nuisible au spectacle des célébrations qui auraient pu se dérouler dans une petite abside (image 3).

Lorsque nous sommes revenus beaucoup plus tard à Saint-Michel-de-Cuxa, nous avons pu voir la partie supérieure de l'ouvrage Ouest et réaliser que nous étions peut-être en présence d'une rotonde. Il s'agit d'un type particulier de monument décrit dans ce site au chapitre « Datation », au sous-chapitre « Les évolutions dans l'architecture des monuments du Premier Millénaire C.3.»,  à la page : « Les nefs à étage, à plan circulaire ou polygonal ». Il s'agit d'un type de construction à plan centré dont les principaux représentants sont la chapelle palatine d'Aix-la-Chapelle en Allemagne et Ottmarsheim en Alsace. Ces édifices, à au moins deux étages, ont la particularité d'être construits autour d'un espace intérieur vide. Un balcon situé à l'étage supérieur permet aux occupants de l'étage supérieur de superviser la foule située à l'étage inférieur.

L'ouvrage Ouest de Saint-Michel-de-Cuxa pourrait donc être une de ces rotondes. Le massif pilier « roman » de l'étage inférieur ne serait pas roman mais d'une époque plus tardive, lorsqu'il a été décidé de voûter cet espace inférieur. Le choix d'un massif pilier au lieu d'une forêt de fines colonnettes, comme on en voit dans les cryptes, pourrait provenir du fait que le plafond de cet étage inférieur était destiné à supporter une grande charge localisée dans la partie supérieure.

Le texte sur la symbolique qui nous est ici raconté nous a semblé, en début de lecture, de peu de clarté. La même perplexité semble aussi affecter le traducteur lorsqu'il dit ceci : « À Cuxa au XI e siècle, il n'est pas question de sculpture et la pensée symbolique préfère encore s'exprimer à travers l'architecture, ce qui implique la pluralité et la diversité des édifices. » La phrase est certes très belle mais il est difficile de voir quelle pensée symbolique peut s'exprimer à travers l'architecture grâce à la pluralité et la diversité des édifices. Par ailleurs, à l'époque préromane, les artistes étaient parfaitement capables de s'exprimer par la sculpture et surtout par la peinture (des fresques comme celles de Tahull (Catalogne) peuvent représenter soit le Christ Pantocrator encadré par les symboles des Évangélistes, soit la Vierge Marie en Reine Mère).

Pourtant, réflexion faite, il semble bien que cette création architecturale révèle un contenu symbolique fort.

Notons tout d'abord la fréquence des dédicaces à la Vierge Marie de cathédrales. Nous le voyons encore à l'heure actuelle : Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Chartres, Notre-Dame du Puy, et d'autres encore, sont des cathédrales. C'est vrai pour la France. Ce l'est encore plus pour l'Italie ou l'Espagne. Et c'était encore plus vrai durant le Premier Millénaire. Il n'y avait pas alors une seule cathédrale comme maintenant, mais un groupe d'églises à l'intérieur d'un enclos. L'évêque avait son siège (sa cathèdre) dans une de ces églises. Nous pensons que l'église où il siégeait était dédié à la « Mère de tous les hommes », la Vierge Marie. Plus tard, cet ensemble d 'églises a été ramassé en une seule grande église qui parfois a été dédicacée au Saint du lieu. Ainsi, la cathédrale de Béziers est consacrée à Saint Nazaire, mais il existe dans cette cathédrale une chapelle « Notre Dame de la Sède » (le mot sède peut être traduit par « siège »).

Par ailleurs, il faut comprendre que l'empereur Constantin a fait beaucoup plus que reconnaître l'existence de la Religion Catholique. Il en a fait une religion d’État. Les diverses juridictions ont été confiées à des chrétiens. Cela ne s'est pas fait au niveau global mais au niveau local. Dans chaque ville, l'évêque du lieu est devenu respoonsable de la justice, de la protection des citadins, de la collecte des impôts, etc. C'est un système politico-religieux qui a été mis en place.

Concernant la Sainte Trinité, nous songeons en premier lieu à l'hérésie arienne. Les adeptes de cette hérésie croyaient en la Sainte Trinité mais estimaient qu'il y avait primauté du Père sur le Fils et le Saint-Esprit. Cette hérésie, qui a influencé Constantin, a perduré chez certains peuples barbares, et en particulier les Wisigoths. A la fin du VIesiècle, le roi wisigoth Récarrède a abjuré cette hérésie. Mais il a fallu attendre beaucoup plus de temps avant que cette hérésie soit oubliée.

Cependant il existe une autre explication à l'expression du symbole de la Sainte Trinité. En effet, les princes carolingiens (Xesiècle) signent leurs documents en invoquant la Sainte Trinité. Les mêmes princes ont voulu resserrer les relations avec Rome et l'évêque de cette ville, le Pape.

Le symbole architectural apparaît clair. Les peuples locaux protégés par leurs évêques sous l'égide de la Vierge Marie sont au niveau inférieur. Ils dépendent du Pape pour le côté religieux, de l'Empereur pour le côté politique, qui eux, sont sous l'égide de la Sainte Trinité et à un niveau supérieur.