La collégiale Saint-Mexme de Chinon
Nous recommandons au lecteur occasionnel
de notre site de lire
cet avis, le lecteur assidu étant quant à lui habitué
à nos prises de position.
La page du site Internet Wikipedia relative à cette église
nous apprend ceci :
« Historique
: Grégoire de Tours, dans son livre De
la gloire des confesseurs, raconte l'installation
au Vesiècle de Mexme, disciple de saint
Martin, dans un ermitage troglodytique à Chinon, à l'est
du castrum romain qui deviendra le château actuel. Saint
Mexme aurait fondé là une première église, qui sert de
centre à un petit monastère, transformé en collégiale vers
l'an Mil. L'église est alors reconstruite sur un plan
basilical, puis agrandie dès 1050 par l'adjonction d'un
massif occidental comprenant un narthex encadré de deux
tours. Au XIIesiècle, la nef est prolongée
vers l'ouest, un transept et un chœur à déambulatoire et
chapelles rayonnantes achèvent de transformer la
collégiale en vaste édifice de pèlerinage. Après la
Révolution, des travaux sont nécessaires pour rendre
l'édifice au culte, mais en 1817, l'effondrement du
clocher de la croisée du transept entraîne la ruine des
parties orientales. Les parties subsistantes, nef et
massif occidental, sont alors transformés en école
jusqu'en 1980. Démarre ensuite un vaste chantier de
restauration accompagné de fouilles qui permettent de
mieux connaître l'histoire de l'édifice. [...]
La nef de l'an Mil :
Conservée dans sa totalité, la nef de l'an Mil construite
en moyen appareil comprend deux niveaux d'élévation ; au
rez-de-chaussée, de grandes arcades en plein cintre, au
niveau supérieur des fenêtres hautes également en plein
cintre, soulignées par un cordon à billettes.
À l'intérieur, la nef a
toujours été charpentée. Elle est aujourd'hui couverte
d'une fausse voûte en bois datant du XVIIe siècle.
[...}
Le
massif occidental : Il
semble avoir été rajouté peu de temps après la
construction de la nef, autour de 1050. C'est un exemple
exceptionnel de façade harmonique en Touraine à cette
époque, qui témoigne de l'importance et de la volonté de
prestige du chapitre canonial. Il se compose d'une partie
centrale à deux niveaux : au rez-de-chaussée, un narthex
voûté en plein cintre, animé d'arcatures sur les murs
latéraux, et à l'étage une tribune voûtée, clôturée
postérieurement vers la nef par un mur mince percé de
trois baies. [...] »
On retrouve dans ce texte la focalisation sur l'an mille des
historiens, et en particulier des historiens de l'art,
focalisation que nous avons dénoncée à de nombreuses
reprises. Nous l'avons même définie comme étant une «terreur
de l'an mille des historiens». L'expression, «les terreurs
de l'an mille» est censée décrire les peurs des populations
appréhendant le passage de l'an mille. Appliquée aux
historiens, cette expression traduit l'appréhension de
franchir la barre de l'an mille en sens inverse. Pour eux,
l'an mille a existé mais pas l'an 900. Ni l'an 800. Et non
plus l'an 700, Encore moins l'an 600. Et moins encore l'an
500. Et ... Ah! non ! l'an 400 a existé ! Puisque
c'est en l'an 410 que le Goth Alaric a envahi Rome. C'est
après cette date qu'il y a eu les Grandes Invasions.
Celles-ci ont tout détruit. En particulier les ans 500, 600,
700, 800 et 900. Ami lecteur, cette diatribe peut vous
paraître complètement farfelue. Elle traduit pourtant une
réalité. En essayant de détruire des superstitions
religieuses, les historiens en ont créé d'autres : les
superstitions historiques.
Cela étant, le texte ci-dessus reste important sur au moins
un point : la légende de Saint Mexme. Pour la plupart
d'entre elles, les vies de saints sont peu révélatrices.
Souvent écrites plusieurs siècles après la vie réelle ou
inventée du saint, elles l'exaltent sans se soucier de la
vérité et de détails importants. En ce qui concerne la vie
de Saint Mexme, c'est nettement différent. D'abord parce que
Grégoire de Tours (+594) est un auteur fiable, soucieux des
détails. Il décrit la vie d'un de ses prédécesseurs au siège
de Tours, saint Martin (+397), ayant vécu 200 ans
auparavant. Ce qui est relativement peu. Il a très
certainement eu connaissance d'écrits se rapportant à la vie
de ce saint. Sa connaissance du monde qui l'entoure est
vaste, de Braga jusqu'à Cologne ou Rome. À plus forte
raison, comme évêque de Tours, il est censé connaître
Chinon, village de son diocèse. En conséquence de ces
remarques, nous estimons que la légende de Saint Mexme doit
être proche de la réalité. L'existence d'un disciple de
Martin de Tours dénommé Mexme, ayant vécu à Chinon, mort
vers l'an 400 et vénéré par les populations locales est
probable. Nous verrons un peu plus loin les conclusions que
l'on peut en tirer.
Nous avons effectué une visite rapide de
ce monument en août 2005, c'est-à-dire bien avant que nous
ayons entamé nos recherches sur les édifices du premier
millénaire et que nous ayons élaboré les premières méthodes
d'investigation. Nous n'avons d'ailleurs examiné que la
façade occidentale sans réaliser que le reste de l'édifice
pouvait être plus intéressant encore. Une partie seulement
des images de cette page a été réalisée lors de cette
visite. Les autres images sont tirées d'Internet.
N'ayant pas visité le massif occidental (images
1 et 5), nous ne pouvons le décrire. S'agit-il
bien d'un massif occidental ? Ce que nous avons appelé un
ouvrage Ouest ? Pour nous l'ouvrage Ouest est un corps de
bâtiment accolé au mur Ouest de la nef ayant une fonction
indépendante par rapport à celle-ci. Il semblerait que dans
le cas présent, le massif occidental soit constitué de deux
tours placées sur les collatéraux de part et d'autre de la
façade Ouest du vaisseau principal.
Cette façade Ouest (image
2) semble préromane en dépit de transformations
(percement de deux baies) apportées à des périodes plus
tardives. En particulier, le pignon (image
3) décoré de bas-reliefs à feuillages et
d'arcades fait penser à celui d'Azay-le-Rideau (page
précédente). Si le décor du pignon, très dégradé, semble
cohérent, l'organisation des panneaux sculptés, eux aussi
préromans, de l'image 4,
ne l'est pas. Ce serait un ajout postérieur.
Venons-en à la nef en reprenant le commentaire ci-dessus du
texte de Wikipedia : « Conservée
dans sa totalité, la nef de l'an Mil construite en moyen
appareil comprend deux niveaux d'élévation : au
rez-de-chaussée de grandes arcades en plein cintre, au
niveau supérieur des fenêtres hautes également en plein
cintre, soulignées par un cordon à billettes. À
l'intérieur, la nef a toujours été charpentée. ».
Il semblerait que le commentateur n'ait pas vu que la nef
n'avait pas en fait été conservée dans sa totalité. La nef
primitive devait être à trois vaisseaux, les trois vaisseaux
étant charpentés. Le collatéral Sud aurait été supprimé. Il
ne resterait donc que le vaisseau central et le collatéral
Nord. La vue en coupe de cette ancienne nef, on la devine à
travers l'image 6 avec,
au centre, le grand arc séparant la nef du transept (des
chapiteaux de la croisée de ce transept sont encore en
place), à droite, un arc plus petit séparant le collatéral
Nord de la nef du croisillon Nord du transept, et, à gauche,
tout au fond, adossés à la tour, les restes du toit en pente
qui couvrait le collatéral Sud.
Concernant cette nef à trois vaisseaux, les piliers porteurs
du vaisseau central sont à section rectangulaire de type R0000. Les arcs reliant
ces piliers sont simples. Le modèle de référence est
l'église Sainte-Madeleine de Béziers estimée antérieure à
l'an 800.
Une des images recueillies sur Internet se révèle
intéressante. Il s'agit d'un bas-relief sculpté d'une
Crucifixion (image 9).
L’œuvre doit être associée à d'autres estimées préromanes
(an 900 avec un écart de 125 ans). On y trouve nombre
d'éléments caractéristiques : le soleil et la lune
personnifiés, le soldat Longin porteur de la lance qui a
percé le Corps du Christ, le Christ vêtu d'un long pagne
dans une attitude d'accueil. Il manque cependant la Vierge,
Saint Jean et l'autre soldat témoin de la mort du Christ. À
leur place, un personnage sous arcade (le donateur ? Saint
Jean ? saint Mexme ? saint André ?).
Venons en à présent à la datation. En
cela, l'histoire de Saint Mexme se révèle intéressante. Il
faudrait lire et relire le texte de Grégoire de Tours (ce
que nous n'avons pas le temps de faire). Il faudrait en
effet savoir si le culte de Saint Mexme existait avant les
écrits de Grégoire de Tours ou si ces écrits ont permis de
faire naître ce culte. Il faut comprendre que la dévotion à
un saint a une durée limitée et hormis le cas des plus
célèbres (Saint Pierre de Rome, Saint Jacques de
Compostelle, Sainte Bernadette de Lourdes), la désaffection
peut être aussi rapide que l'avait été l'engouement. S'ils
veulent que le culte soit maintenu après la mort du saint,
ses partisans doivent y mettre les moyens. Et, parmi ces
moyens, le plus spectaculaire d'entre eux est la
construction d'une église à lui dédiée. Et ce, dans un délai
assez court (moins de 100 ans).
La connaissance du début du culte associé à Saint Mexme
devrait donc permettre d'estimer la datation de la
collégiale qui lui est dédiée. Bien sûr, cette estimation
devrait être associée à d'autres pour, par convergence,
assurer une meilleure datation.
Datation envisagée
pour la collégiale Saint-Mexme de Chinon : an 600 avec un
écart de 150 ans.