L'abbatiale Saint-Genou de Saint-Genou 

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Nous recommandons au lecteur occasionnel de notre site de lire cet avis, le lecteur assidu étant quant à lui habitué à nos prises de position.

Par la page du site Internet Wikipedia réservée à l'abbatiale de Saint-Genou, nous apprenons ceci : « Le comte de Bourges, Wilfred, et sa femme, Ode, ont fondé une abbaye, en 828, au hameau de Strada, devenu Estrées et confirmée par Pépin I er, roi d'Aquitaine, en 830. L'abbaye a été confiée à Dodon, abbé de Saint-Savin-sur-Gartempe jusqu'en 843/844. L'abbaye a été détruite successivement par les Normands et les Hongrois, puis reconstruite à proximité du lieu initial.

La Vita sancti Genulphi raconte que le pape Sixte IV a envoyé saint Genulphe ou Genou, pour évangéliser la Gaule, au IIIesiècle. Il est consacré évêque de Cahors avant de mourir à Selles-sur-le Diable, aujourd'hui Selles-sur-Nahon. Il y aurait provoqué de nombreux miracles. À une date inconnue, les moines d'Estrées ont reçu le corps de saint Genou dans des circonstances inconnues.

Le corps de saint Genou est transporté dans la nouvelle abbatiale, ainsi que d'autres reliques données par Pépin le Bref en 868 avec un diplôme (douteux). La reconstruction de l'abbatiale aurait commencé en 994. Elle a été consacrée en 1066 par l'archevêque de Bourges, Aymond de Bourbon. C'est le seul document important sur l'histoire de l'abbaye, car les archives ont été détruites en 1580 par l'abbé commendataire Gilles Quinault.

Cependant, pour François Deshoulières, le chœur actuel est très influencé par l'abbatiale de Saint-Benoît-sur-Loire construite entre 1080 et 1110, et se rapproche de l'architecture de l'abbatiale de Plaimpied du début du XIIesiècle, et de Neuilly-en-Dun. Cette partie de l'abbatiale qui subsiste doit donc dater du début du XIIesiècle. L'acte de consécration de 1066 devrait concerner un autel provisoire dans la nef qui a disparu.

En 1676, l'abbatiale ayant été mal entretenue, la nef avait besoin de travaux urgents de réparation, mais l'abbé commendataire, Louis Fumé, a préféré la faire démolir plutôt que de la réparer. »


Étudions tout d'abord le texte ci-dessus afin de remettre quelques idées en place.

« Le comte de Bourges, Wilfred, et sa femme, Ode, ont fondé une abbaye, en 828 » : cette première phrase prouve l'existence d'une abbaye, donc d'un lieu de culte associé à cette abbaye, dès la première moitié du IXesiècle. Elle ne signifie pas cependant qu'un lieu de culte n'existait pas auparavant en cet endroit.

« L'abbaye a été détruite successivement par les Normands et les Hongrois, ... » : il s'agit là d'une phrase que nous avons rencontrée pour de nombreux autres monuments. Et qui, selon nous, ne doit reposer sur aucun document précis (si de tels textes existent, nous aimerions en avoir les copies, texte latin et traduction en français). En effet, en ce qui concerne l'histoire relativement récente, la destruction d'une abbaye est relativement rare. Il y a eu certes des attaques d'abbayes, attaques suivies de pillages et parfois d'incendies. Mais de destruction complète, nous n'en connaissons pas. À plus forte raison lorsque les attaques sont faites par des bandes de pillards comme devaient l'être les Normands et les Hongrois, dont la stratégie était l'attaque surprise et la retraite tout aussi rapide. Ces pillards-là n'avaient pas le temps de tout détruire.

« ... puis reconstruite à proximité du lieu initial. » : il s'agit là sûrement d'une série de déductions construite sur des «a priori». «A priori», l'abbatiale a été détruite par les Normands puis par les Hongrois (donc, comme elle avait été détruite par les Normands, elle avait été reconstruite entre-temps). Une fois cette église deux fois détruite, il a fallu la reconstruire. Mais pas dans le lieu actuel. Car si elle avait été reconstruite dans le lieu actuel, on retrouverait des traces de cette construction dans le lieu actuel or, «a priori», il n'y en a pas, puisque cette église est, «a priori», du XIIesiècle.

« La reconstruction de l'abbatiale aurait commencé en 994. » : quid des Normands et des Hongrois ? Il serait intéressant de connaître les années de leur passage à Saint- Genou, si la reconstruction de l'abbatiale a dû suivre de peu sa destruction (si toutefois destruction et reconstruction ont eu lieu).

« Elle a été consacrée en 1066 par l'archevêque de Bourges, Aymond de Bourbon. » : Nous rappelons ce que nous avons dit à de nombreuses reprises : un acte de consécration ne doit pas forcément être rattaché à une fin de travaux : ce n'est pas une pendaison de crémaillère. C'est un autel que l'on consacre. L'auteur du texte confirme d'ailleurs ce point de vue un peu plus loin : « L'acte de consécration de 1066 devrait concerner un autel provisoire dans la nef qui a disparu. ». Une autre remarque doit être faite : selon l'auteur, le début des travaux aurait commencé en 994 et la consécration effectuée en 1066. Si la date de fin des travaux est bien l'an 1066, cela signifie que les travaux ont duré 72 ans. Ami lecteur, vous avez décidé de faire construire votre maison d'habitation. Vous décidez la faire construire dès maintenant .... et vous voulez qu'elle soit terminée dans 72 ans ! Ne trouvez-vous pas qu'il y a quelque chose qui cloche dans ce raisonnement ? Allons donc ! Tout concepteur d'un projet d'envergure veut assister à la réalisation de ce projet. La construction est en général programmée sur au plus une dizaine d'années, mais il peut y avoir des retards. Et un délai de 20 ans pour une construction semble être le maximum.

Ces diverses mises au point n'empêchent que, au final, nous pouvons très bien proposer une datation proche de celle qui est avancée dans le texte.


Nous avons effectué une visite rapide de ce monument en août 2009 et la majorité des images de cette page a été réalisée lors de cette visite.

Les images de 1 à 7 ne font pas apparaître une très grande ancienneté de cette église. À première vue, on peut l'estimer romane et le raisonnement proposé par M. François Déhoulières, « Cependant, pour François Deshoulières le chœur actuel est très influencé par l'abbatiale de Saint-Benoît-sur-Loire construite entre 1080 et 1110, et se rapproche de l'architecture de l'abbatiale de Plaimpied du début du XIIesiècle, et de Neuilly-en-Dun. Cette partie de l'abbatiale qui subsiste doit donc dater du début du XIIe siècle », qui se fie non à l'étude de textes mais à des comparaisons architecturales, semble tout à fait approprié. Il existe cependant quelque chose qui ne «colle» pas : le plan de l'image 7.C'est le plan d'une église à nef à trois vaisseaux avec trois absides en prolongement des vaisseaux. C'est-à-dire d'un édifice, selon nous, antérieur à l'an mille. Il y a autre chose qui ne «colle» pas : si cet édifice avait été construit après l'an 1100, il y aurait un chevet à déambulatoire. Et un transept débordant. Nous n'avons rien de tout cela.

Une information importante nous est donnée : « En 1676, l'abbatiale ayant été mal entretenue, la nef avait besoin de travaux urgents de réparation, mais l'abbé commendataire, Louis Fumé, a préféré la faire démolir plutôt que de la réparer. ». Elle signifie qu'il y avait une nef, disparue depuis. Où était cette nef ? Probablement à l'Ouest de l'église actuelle. Et donc l'église actuelle n'est autre que le chœur de l'église ancienne. Nous avons dit précédemment qu'il devait y avoir normalement un chevet à déambulatoire. C'est à dire un vaste ensemble faisant office de chœur. Mais ce vaste ensemble formant le chœur,  il existe : c'est l'église.

L'idée est la suivante : l'ancienne église construite avant l'an 1000 a été conservée et a formé le chœur de l'église romane. La nef de cette église romane a été détruite en 1676. Mais alors ? Comment se fait-il que l'édifice actuel de création préromane soit estimé par divers spécialistes (et nous-mêmes) comme essentiellement roman, sans doute de la première moitié du XIIesiècle ? Tout simplement parce que cette partie aurait été entièrement refaite au XIIesiècle. Nous pensons en particulier aux parties hautes de l'extérieur (images de 1 à 6).

Il est possible que certains des chapiteaux situés à l'intérieur sur les piliers cylindriques appartiennent à l'édifice primitif.


Lors de notre visite, nous avons photographié certains chapiteaux qui nous semblaient intéressants.

Chapiteau des «singes cordés». Le chapiteau dit du «singe cordé» présente un singe tenu en laisse par un homme. Nous ignorons quelle est sa signification . Dans le cas de ce chapiteau, la scène du singe cordé est présente sur les 4 faces : image 10 = face 1 ; image 11 = faces 2 et 3 ; image 12 = faces 3 et 4.

Image 13 : Représentation du prophète Daniel dans la fosse aux lions.

Images 14 et 15 d'un même chapiteau. Le thème est énigmatique. On reconnaît cependant un orant aux bras levés.

Image 16 : Chapiteau aux lions adossés. Représentation fréquente.

Image 17 : Fonts baptismaux taillés dans un chapiteau à crochets.

Image 18 : Lanterne des morts. Les lanternes des morts sont en général estimées du XIVeou XVe siècle.


Comte tenu de ce qui a été dit précédemment sur une possible construction antérieure à l'an mille, nous sommes obligés d'élargir la fourchette d'estimation : la datation envisagée pour l'abbatiale Saint-Genou de Saint-Genou est l'an 1025 avec un écart de 125 ans.


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