Diverses églises de l’Yonne susceptibles de dater du 1er millénaire (page 3/4)
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Les six monuments décrits dans cette page sont : l'église
Notre-Dame de Lucy-sur-Yonne, l'église
Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Moutiers-en-Puisaye, l'église
Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Nuits, les
sarcophages de Quarré-les-Tombes, la
Maison des Templiers de Saint-Bris-le-Vineux, l'église
Saint-Cydroine de Saint-Cydroine.
L'église
Notre-Dame de Lucy-sur-Yonne
Nous avons visité cette église en septembre 2024. Les images de 1 à 18
ci-dessous ont été prises lors de cette visite.
Un panonceau à l'entrée de cette église donne les
informations suivantes (extraits) : «
Au IXe siècle, Ermentrude, abbesse de Jouarre
(actuellement en Seine-et-Marne), est à la tête d'un
important monastère occupé lors d'une invasion des
Normands en 888. Sa parenté avec des habitants de
Lucy-sur-Yonne y aurait permis la fondation d'un couvent
dédié à Saint Potentien, deuxième évêque de Sens au IIIe
siècle, dont des reliques auraient été transférées de
Jouarre à Lucy. Ce couvent aurait disparu au tournant de
l'an mil ; époque de troubles violents lors de la
succession des Ducs de Bourgogne. L'église de Lucy aurait
été construite sur son emplacement au XIe
siècle.
À l'orée do XXIe siècle, l'artiste Luc Simon y
réalise des vitraux qui rehaussent la beauté originelle et
la symbolique de ce joyau d'art roman... Catherine
Kriegel. »
Nos commentaires
Le texte ci-dessus ne précise pas s'il existe des écrits
authentiques datés de l'époque montrant que Ermentrude a
fondé un couvent à Lucy-sur-Yonne. En tout cas,
l'utilisation du conditionnel (« y
aurait permis », « auraient
été transférées », « aurait
été construite ») fait planer un doute sur ces
informations.
Les images 2 et 3 faisant
apparaître un décrochement au niveau des toits font
envisager que l'on est en présence d'une nef à trois
vaisseaux voûtés. En effet, si la nef était charpentée, le
décrochement serait plus important et il y aurait des
fenêtres supérieures percées dans les murs latéraux du
vaisseau central. Les images
5 de la net et 6
du collatéral Nord confirment cette hypothèse. Les voûtes,
en croisées d'ogives, montrent que le voûtement est
caractéristique du gothique tardif, voire renaissance.
Tout ne date pas cependant de la période gothique. Ainsi,
l'arc de gauche, en plein cintre et à double rouleau, porté
par des chapiteaux romans de l'image
9, est lui-même roman, ce qui n'est peut-être pas
le cas de l'arc de droite.
L'image 7 montre
une rupture de continuité de la corniche surmontant les
chapiteaux. Celui de gauche est roman alors que celui de
droite serait de style classique ou renaissance. Il y aurait
donc eu deux étapes dans la construction du pilier. Le même
pilier est représenté sur l'image
8 sous un angle différent. Le chapiteau porte un
décor de masque crachant des entrelacs.
Nous avouons notre incompréhension
concernant l’avant-chœur précédant le chœur (image
10). Celui-ci est décoré d'arcades : trois arcs
portés par des piliers rectangulaires cannelés et des
chapiteaux à feuillages stylisés (image
11). La question est de savoir pour quelles raisons
ces arcades ont été posées. S'il y a bien une chose que nous
avons comprise dans l'art roman, c'est que l'acte gratuit
n'y existe pas : tout a une fonction, une utilité. Cet
avant-chœur n'est pas le seul à développer un système
d'arcades. Il en existe d'autres, en particulier dans le
Sud-Ouest de la France. Nous avions envisagé que ce système
avait été fait pour renforcer les murs d'un clocher en les
doublant. Et c'est ce qui se produisait pour d'autres
avant-chœurs utilisés comme clochers. Mais ce n'est pas le
cas ici : le clocher est du côté Sud de la nef.
Un arc en plein-cintre permet d'accéder à la salle Nord du
chevet (image 12).
Les chapiteaux qui soutiennent cet arc sont selon nous
préromans.
Sur celui de gauche, de larges feuilles entourées de cercles
(image 13) et des
entrelacs (image 14)
font penser à des décors dits carolingiens. On a la même
analyse pour le chapiteau de droite où apparaissent des
hybrides aux corps allongés (images
15 et 16). Il faut profiter de la visite de cette
église pour admirer les vitraux de Luc Simon (images
17 et 18).
Datation envisagée pour
l'église Notre-Dame de Lucy-sur-Yonne
Nous basons notre évaluation à partir du seul examen de l'image 12 et des
chapiteaux qui portent l'arc. Si les chapiteaux sont
préromans, l'arc lui-même qui fait corps avec ces chapiteaux
est préroman et donc l'accès à l'abside est préroman. Nous
aurions donc ici les restes d'une église primitive. Il
faudrait certes aller beaucoup plus loin dans la recherche
des restes de cette église. Mais, bien que cette église ait
été profondément modifiée ultérieurement, c'est le plan de
cette église primitive qui fixe sa datation.
Datation estimée :
an 900 avec un écart de 150 ans.
L'église
Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Moutiers-en-Puisaye
L’église, à nef unique, est recouverte de fresques (images
19, 20 et 21). Ces fresques, romanes d’aspect,
seraient plutôt d’époque gothique.
La datation se révèle délicate. Une nef unique charpentée
est très difficile à dater.
Datation envisagée
pour l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de
Moutiers-en-Puisaye : an 1050 avec un écart de plus de 150
ans.
L'église
Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Nuits
Le portail de cette église (image
22) semble avoir été constitué à partir d’éléments
disparates. Ainsi, les tailloirs des chapiteaux (images
23 et 24) pourraient être des restes de deux
impostes. Quant aux chapiteaux eux-mêmes, leur aspect
fruste, le fait qu’ils soient identiques, font envisager une
haute datation. Nous attendons cependant de retrouver
ailleurs des chapiteaux identiques pour effectuer un essai
d’estimation.
Le tympan de ce portail (image
22) serait plus révélateur. Il est décoré d’une
croix pattée hampée (la hampe est à peine visible). Ce type
de croix (souvent associée à l’agneau pascal) est présent
sur des images du VIIe ou VIIIe
siècle, comme les mosaïques de Ravenne. Dans chacun des
quarts limités par les branches de la croix, est installé un
petit symbole : une croix, un disque contenant 4 petits
disques, et enfin deux disques qui pourraient être le Soleil
et la Lune.
Certaines miniatures datées du Xe siècle
représentent des crucifixions, avec, inscrits dans les
quarts ménagés par les branches de la croix, les symboles du
Soleil et de la Lune.
Nous choisissons une date intermédiaire entre les deux
estimations de datation.
Datation envisagée
pour le tympan de l’église Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de
Nuits : an 850 avec un écart de 150 ans.
Les
sarcophages de Quarré-les-Tombes
Nous avons visité ce site en septembre 2024. Les images de 25 à 33
suivantes ont été prises à cette occasion.
L'église Saint-Georges de Quarré-les-Tombes n'a pas été
construite au premier millénaire, ni même durant la période
romane (XIe-XIIe siècles). En
conséquence, elle présente pour nous peu d'intérêt. Voici
cependant ce qui est écrit sur elle :
« La
construction du chœur de l'église remonte au XVIe
siècle. Elle remplace une chapelle en bois, dédiée à Saint
Georges, qui, selon la légende, aurait sauvé
Quarré-les-Tombes des Sarrasins. On doit à l'abbé Blaise
Bégon, au XVIIIe siècle, les premiers grands
travaux de l'église. En effet, c'est en 1782, une époque
peu propice à l'architecture religieuse, que la nef, le
transept, le dôme et le clocher sont construits. Au XIXe
siècle, sous la houlette de l'abbé Henry, auteur des Mémoires
Historiques du canton de Quarré-les- Tombes,
l'église est agrandie de façon spectaculaire : ajout des
bas-côtés Nord et Sud, de deux tourelles de deux
chapelles, de la sacristie ; rehaussement de la nef et
édification du portail représentant une Sainte Trinité
encadrée des statues des quatre Évangélistes. »
Nous sommes un peu surpris par cette description. Si l'image 25 de la façade
Ouest correspond à une construction du XIXe
siècle (par l'abbé Henry), l'image
30 de l'intérieur de la nef ne correspond pas à
celle d'une construction de la fin du XVIIIe
siècle. Nous regrettons de n'avoir pas pris connaissance de
ce texte quand nous étions sur place. Nous aurions pu alors
vérifier la conformité de ce qui était avancé.
Les sarcophages
Selon un panonceau placé à l'intérieur de l'église :
« 112
éléments de sarcophages (46 cuves et 66 couvercles)
subsistent, répartis autour de l'église, derniers vestiges
d'un important ensemble de tombeaux – peut-être mille ou
plus_ amassés entre le VIIe et le Xe
siècle. En pierre calcaire, ils proviennent de carrières
éloignées de 25, 35 et 49 km de Quarré.
En dehors des légendes relatant les batailles, soit entre
Girard de Roussillon et le roi Charles le Chauve, soit
entre Renaud des Ardennes et les Normands, ou encore la
lutte entre les Sarrasins et Saint Georges lui-même, sorti
de son paradis sur son cheval blanc et brandissant son
terrible épieu, il n'existe aucun texte sûr.
Ces
sarcophages découverts très tôt dans l'ancien cimetière
(place actuelle) et à l'entour étaient depuis fort
longtemps vides de tout ossement et de tout mobilier. Ils
servirent sans doute de monuments funéraires jusque vers
1859. Ils furent plusieurs fois changés de place notamment
au XVIIIe siècle : le curé Blaise Bégon fit
abaisser le niveau de la place d'un à deux mètres, puis en
1869, au moment du transfert, dans le plus grand désordre,
de l'ancien cimetière dans son emplacement actuel.
Des sarcophages vides. Aucun texte sûr... Alors ?
Première hypothèse :
celle d'un entrepôt. Les gens de Quarré auraient été des
“tombiers” spécialisés dans la fabrication des sarcophages
à partir de blocs dégrossis amenés des pays calcaires et
se seraient livrés au négoce de ces sarcophages grâce à la
voie romaine Autun-Auxerre qui passe à proximité du bourg.
Deuxième hypothèse :
il s'agirait d'une nécropole. On aurait enterré les
gens ici sous la protection de Saint Georges (patron de la
paroisse et du pays). Un certain nombre de sarcophages
vides aurait été tenu en réserve pour servir au fur et à
mesure des besoins. »
Nos commentaires
Nous penchons en faveur de la deuxième hypothèse.
En effet, l'hypothèse d'une fabrication en série d'objets
sculptés de grande taille hors du lieu d'extraction de la
pierre ne correspond à aucune réalité archéologique (à moins
de s'imaginer que des structures archéologiques comme les
alignements de Carnac ne sont qu'un entrepôt de pierres
destinées à l'exportation). Nous pensons que la théorie
exposée dans la première hypothèse est due au fait que les
spécialistes n'ont pas cru qu'une agglomération aussi petite
avait pu accueillir une aussi vaste nécropole. Ils se sont
de plus imaginé que dans le cas d'une nécropole, les
tombeaux devaient contenir des ossements ou des artefacts.
Or la visite du musée de l'Avallonais nous a permis de
découvrir la nécropole de Bierry-les-Belles-Fontaines dont
une petite partie seulement a été fouillée et où l'on a
découvert 51 sarcophages. Tout comme Quarré, la localité de
Bierry est très petite par rapport à l'importance de la
nécropole. Enfin, il existe un grand nombre de tombes
rupestres vides de tout ossement ou artefact.
Remarque :
Il est possible que la dédicace à Saint Georges de l'église
ne soit pas due au simple hasard. Nous avons constaté que
les diverses nécropoles antiques à sarcophages identiques à
ceux que l'on a ici pouvaient être associées à des peuples
barbares vivant à côté des anciennes cités romaines et
fédérés des romains. Par ailleurs, les fouilles de
Bierry-les-Fontaines ont fait apparaître des bijoux
barbares, peut-être burgondes. Durant cette période, la
Bourgogne et la Provence étaient, semble-t-il, en relation
avec l'empire d'Orient. Or Saint Georges est un saint plus
présent en chrétienté orientale qu'en chrétienté
occidentale.
Les images de 26 à 29
montrent ces sarcophages. Certaines cuves sont de forme
trapézoïdale. Pour d'autres, le couvercle est bombé.
Deux sarcophages ont été placés à l'intérieur de l'église (image 31). La cuve de
l'un d'entre eux est ornée de stries formant des croix de
Saint-André (images 32 et
33).
Datation envisagée
pour les sarcophages de Quarré-les-Tombes : an 550 avec un
écart de 100 ans.
La Maison
des Templiers de Saint-Bris-le-Vineux
Au sujet de cette Maison des Templiers, nous n’avons retenu
que ce tympan (image 34).
Le thème représenté ici nous est inconnu. Pourquoi l’ange de
droite est-il en train de diriger un lion ? Pourquoi l’ange
de gauche semble-t-il flotter au-dessus des eaux ?
Datation envisagée pour
la sculpture de la Maison des Templiers de
Saint-Bris-le-Vineux : an 900 avec un écart de 150 ans.
L'église
Saint-Cydroine de Saint-Cydroine
L'image 35 montre
que le toit du croisillon Sud du transept est de même
hauteur que le toit de l’avant-chœur. On est donc en
présence d’un « transept haut ». Ce qui fait envisager que
la construction de ce transept était prévue dès l’origine.
Le plan de l’église Saint-Cydroine (image
37) confirme cette impression : transept, abside,
et absidioles font partie du même plan de construction.
L'image 38 révèle
l’existence d’une sorte de couloir surmonté d’un arc en
plein cintre porté par des impostes à chanfrein vers
l’intrados.
Les images 39 , 40, 41 et
42 sont celles de chapiteaux aux caractéristiques
exotiques. Ainsi, le chapiteau de l'image
39 représente des éléphants. Les feuillages ou
excroissances en forme de parasols font aussi partie du
caractère exotique de la sculpture.
On retrouve le caractère exotique sur l'image
40 représentant la scène classique des « oiseaux
au canthare ».
L'image 41 est
celle, tout aussi classique, du masque crachant des
feuillages, ici sous forme d’entrelacs.
L'image 42 quant à
elle est très imprégnée de symbolisme, un symbolisme que
nous n’arrivons pas à décrypter : deux oiseaux à tête
humaine (des sphinx ?) se font face. Leurs pattes sont
posées sur une tête humaine. Des mains humaines émergent de
leurs bouches. Sur cette scène, le mystère reste entier.
Datation envisagée pour
l’église Saint-Cydroine de Saint-Cydroine : an 1100 avec un
écart de 100 ans.