Les deux églises d’Aiguilhe : la chapelle Saint-Michel et la chapelle Saint-Clair
La présente page contient trois paragraphes : introduction
aux monuments de la Haute-Loire, la
chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe, la
chapelle Saint-Clair d’Aiguilhe.
Introduction
aux monuments de la Haute-Loire
Nous remarquerons tout d’abord que le nombre de monuments,
17, que nous avons identifiés concernant la Haute-Loire est
nettement plus important que celui, 7, de ceux concernant la
Loire. Et il est plus faible que celui des monuments du
Puy-de-Dôme étudiés dans le chapitre suivant (environ une
trentaine). Il est possible que ces différences soient dûes
au hasard. Ou au fait que certains départements mieux
visités que d’autres soient aussi mieux connus. Mais nous ne
croyons pas trop à cela. Nous pensons qu’un département
comme le Puy-de-Dôme, aux terres très riches, a été plus
anciennement exploité et plus densément peuplé que les
départements voisins de la Loire et de la Haute-Loire.
La colonisation du département du Puy-de-Dôme, déjà
largement initiée par les Celtes Arvernes (on connaît
l’histoire de la bataille de Gergovie) se serait poursuivie
à l’époque romaine. La Haute-Loire, elle, était occupée par
une autre tribu dont on ne sait si elle était d’origine
celte, les Vellaves, qui ont donné leur nom au territoire du
Velay. Selon Jules César, ces Vellaves auraient fait partie
de la confédération des Arvernes. Étaient-ils pour autant
eux-mêmes des Celtes ? Il nous est difficile d’en être sûrs.
Ces Vellaves avaient pour capitale Ruessium, l’actuelle
agglomération de Saint-Paulien. On n’a retrouvé que peu de
traces d’une occupation romaine et il est probable que la
ville de Rome n’a eu que peu d’influence sur la colonisation
du Velay. Par contre, il est plus que probable que la ville
de Clermont-Ferrand, qui s’appelait autrefois Arverne, ait
pris le relais dans la colonisation du Velay. Grégoire de
Tours, qui écrit à la fin du VIesiècle, témoigne
de l’importance d’Arverne qui semble avoir été une ville
gallo-romaine indépendante de Rome mais dotée d’institutions
analogues.
Nous pensons que la colonisation du Velay s’est faite
progressivement à partir du Veou VIesiècle.
En conséquence, nous ne pensons pas trouver dans le
département de Haute-Loire de monument antérieur à l’an 500.
Et ceux datés entre les années 500 et 800 risquent d’être
rares.
La
chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe
Classée parmi les premiers monuments
français, la chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe occupe un site
impressionnant (images 1
et 21).
Concernant l’histoire de cette église, voici ce que nous
apprend la page du site Internet Wikipedia : « L’évêque
Gotescalc, premier pèlerin français de
Saint-Jacques-de-Compostelle, est à l’origine de la
fondation d'une chapelle. La première construction, par le
chanoine Truanus, remonterait à 969 et remplacerait un
temple dédié à Mercure. Il est probable que l'institution
religieuse ait voulu ainsi opérer une substitution de
cultes à la divinité lumineuse Lug-Mercure. Elle est
érigée en abbaye au
XIesiècle. »
Nous avons plusieurs remarques à faire au sujet de cet
exposé. D’une part, la vénération des reliques de
Saint-Jacques de Compostelle serait relativement récente
dans l’histoire de l’Église. Ces restes auraient été
découverts (ou redécouverts). aux alentours de l’an 800.
On nage en pleine incertitude concernant ces reliques. Il
faut comprendre que, au VIIIesiècle, la
découverte de reliques pouvait avoir une grande importance.
Sur le plan religieux d’abord. Mais aussi sur le plan
financier par la perspective de pèlerinages. Et enfin sur le
plan politique. Il est fort possible que Charlemagne, dans
sa perspective de s’emparer du Nord de la Péninsule
Ibérique, ait favorisé le pèlerinage de Saint-Jacques.
L’idée peut paraître farfelue, mais il ne faut pas oublier
qu’un autre pèlerinage, celui de Jérusalem, a été suivi
d’une guerre de conquête, les Croisades.
Le pèlerinage de Saint-Jacques aurait suivi de peu la
découverte des reliques, et, même s’il a pris de l’ampleur,
de nombreux pèlerins venus de France ont certainement afflué
à Compostelle bien avant l’arrivée de Godescalc, évêque du
Puy de 927 à 962. Celui-ci n’est donc assurément pas «
le premier pèlerin français de
Saint-Jacques-de-Compostelle ». Mais c’est
certainement le premier dont le nom est connu.
L’auteur de l’article nous dit ensuite
que cette chapelle a remplacé un temple païen dédié au dieu
Lug-Mercure. Comment le sait-il ? A-t-on retrouvé des restes
de ce temple ?
Notons enfin que les phrases : « L’évêque
Gotescalc... est à l’origine de la fondation d'une
chapelle. La première construction, par le chanoine
Truanus, remonterait à 969 ... » manquent de
précision. S’agit-il de la même chapelle fondée par
Gotescalc et construite par Truonus ? Ces noms de Gotescalc
et de Truonus ne seraient-ils pas les deux seuls noms connus
d’une longue liste d’évêques et de chanoines ? Des noms mis
en exergue pour la seul raison qu’ils sont connus alors que
d’autres, ceux des vrais constructeurs, ne le sont pas ?
En attendant d’en savoir plus, examinons le porche d’entrée
de cette église (image 3).
Dans la partie supérieure (image
4), on peut voir sous des arcades des bas-reliefs
représentant successivement Saint Jean, la Vierge, le
Christ, l’archange Saint Michel et Saint Pierre. La facture
semble un peu malhabile, mais les visages des saints
légèrement tournés en direction du Christ font penser à une
œuvre relativement tardive, du XIesiècle. Il en
est de même du décor polychrome. Un temps, nous avions
imaginé que les décors polychromes pouvaient être antérieurs
à l’an 1000. C’est peut-être le cas pour certaines églises
du Sud de la France. Mais concernant les églises d’Auvergne,
ce décor doit être postérieur à l’an 1100. Nous le
démontrerons lors de notre étude des églises d’Issoire ou de
Notre-Dame du Port à Clermont-Ferrand.
Il y avait probablement un tympan au-dessus de ce linteau.
Au-dessus encore, l’archivolte est trilobée. Dans chacun des lobes, une scène est représentée. Dans celle de gauche (image 6), quatre personnages sont représentés portant des calices. On retrouve la même scène dans le lobe de droite (image 8). Nous avions imaginé que la scène représentée semblait être l’Adoration des Mages, mais cela ne semble pas être le cas. Les personnages en question seraient plus des clercs que des rois. Ces clercs célèbreraient le culte à l’agneau Pascal représenté dans le lobe supérieur (image 7).
Nous nageons en plein mystère. Il faut comprendre que toute l’information qui nous vient semble privilégier les relations entre le Puy et Saint-Jacques-de-Compostelle. Or, rien dans le décor sculpté ne rattache le Puy à Saint-Jacques.. La vénération de l’Agneau Pascal serait présente à Ravenne au VI ème ou VIIe siècle. Cet Agneau Pascal est représenté avec une croix hastée (il s’agit d’une petite croix pattée surmontant une hampe). C’est exactement ce que l’on a ici.
Concernant la forme trilobée, le texte de Wikipedia nous apprend ceci : « L'église, édifiée en pierre volcanique, possède un portail orné d'un arc polylobé, caractéristique de l'architecture omeyyade du califat de Cordoue qui se répandit dans l’architecture romane française par le biais de l'influence des pèlerins le long des grandes routes françaises du Pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle et, en particulier, le long de la Via Podiensis qui passe par Aiguilhe. »
Concernant l’origine omeyyade des arcs polylobés, nous sommes un peu moins catégoriques que les auteurs du texte de Wikipedia. D’une part, nous savons que l’arc outrepassé est d’origine wisigothique. Il est donc possible que les Wisigoths aient aussi inventé l’arc polylobé. Par ailleurs, si l’arc polylobé est répandu dans le monde musulman, il l’est surtout dans des œuvres qui nous semblent plus tardives que le XI ème ou XIIe siècle. Il faudrait aussi étudier la répartition en France des arcs polylobés. Nous ne sommes pas certains que ces œuvres longent des routes de Pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Pour terminer, nous avons eu l’occasion d’aller en Espagne en direction de Compostelle. Nous n’avons pas vu beaucoup d’arcs polylobés. Peut-être moins qu’en France. Nous pensons que l’influence des chemins de Saint-Jacques sur l’architecture romane reste à prouver.
L’intérieur de l’édifice est orné de
très belles fresques sur lesquelles nous n’avons aucune
précision. En règle générale, les fresques dites « romanes »
sont datées par les historiens de l’art du XIIesiècle.
Ce qui pose problème, c’est que nombre d’entre elles sont
dites « d’inspiration byzantine « à une époque où Byzance
n’inspirait plus beaucoup l’Occident. Nous estimons que,
pour nombre d’entre elles, la datation devrait être
remontée. Ne serait-ce que par le fait que les bâtiments qui
les contiennent voient leurs propres datations remonter.
Mais nous avouons ne pas connaître grand-chose aux fresques.
Nous décrirons seulement l’une d’entre elles qui orne le
plafond d’une des salles. C’est celle de l'image
13. Il
faut la comparer avec celle de l’église de Saint-Chef en
Isère. (page vue précédemment, image
12 de cette page). Les deux scènes sont analogues.
Elles représentent un Christ Pandokrátor qui est situé au
centre de l’image. Cependant, il existe entre les deux
scènes des différences remarquables. Tout d’abord le Christ
de Saint-Chef est entouré d’une mandorle, en forme d’amande.
Cette mandorle, on la retrouve dans nombre de tympans de
portails romans qui décrivent la même scène. Pourquoi cette
forme d’amande ? Il nous est difficile de l’expliquer. Plus
exactement il nous était difficile de l’expliquer. Car la
fresque de Saint-Michel d’Aiguilhe nous donne l’explication.
Le Christ est entouré non d’une mandorle, mais de deux
cercles. Le plus grand des deux entoure le haut du corps du
Christ, le plus petit le bas. La coloration différente des
disques formés par ces cercles accentue la différence entre
les deux. Il est manifeste que celui du haut aux couleurs
dorées et chatoyantes symbolise la demeure céleste des
dieux, alors que le disque du bas symbolise le ciel
terrestre. Le Christ fait le lien entre les deux cieux : ses
vêtements, dorés en haut, deviennent plus sombres en bas.
Ses pieds s’appuient sur un losange (ou un carré vu de
profil) qui représente la terre.
Cette description a pu paraître longue. Elle était néanmoins
nécessaire pour donner une explication raisonnable à
l’utilisation de la mandorle. Cette mandorle est selon nous
une sorte d’avatar de la figure formée de deux cercles
superposés. Mais, alors que le symbolisme de cette dernière
figure est explicable, celui de la mandorle ne l’est pas.
En conséquence, nous estimons que des deux représentations,
celle de Saint-Michel d’Aiguilhe est la plus ancienne. Nous
pensons qu'entre les deux représentations, le symbolisme des
deux cieux circulaires imbriqués l’un dans l’autre a été
oublié. Un tel oubli ne peut être l’affaire que de plusieurs
générations : au moins quatre. Plus d’un siècle sépare la
réalisation de ces deux fresques.
Aux quatre angles entourés de cercles dorés (toujours des
symboles du ciel), on retrouve les symboles des évangélistes
(le lion et le taureau en bas, l’homme et l’aigle en haut).
Ces symboles issus de l’Apocalypse de Saint-Jean peuvent
difficilement servir de témoins de datation, car ils ont été
représentés sur plusieurs siècles. Par contre, l’image du
soleil et de la lune entourant le corps du Christ daterait
des environs de l’an mille. Nous avons dans cette fresque
d’autres signes d’ancienneté.
Au dessus de la tête du Christ et en sens inverse, on peut
voir Saint Michel terrassant le dragon. Il est entouré de
deux anges aux ailes croisées.
Datation de la chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe
Il s’agit là d’une affaire délicate. D’une part, et compte
tenu de ce que nous avons dit plus haut, il nous est
difficile de nous fier à une construction par Gottescalc ou
Truanus. Mais bien sûr, l’un de ces deux personnages a très
bien pu procéder à une telle réalisation. Notons par
ailleurs que s’il est vrai que cette chapelle a pu remplacer
un temple à Mercure, il doit exister des restes de ce temple
dans les structures même de la chapelle. Ce temple n’a pu
être bâti à côté de la chapelle et s’il a été construit avec
des blocs de pierre, on n’a très probablement pas descendu
ces blocs pour en remonter d’autres à leur place. N’ayant
pas vu de tels blocs de pierre (mais le contour de l’édifice
nécessite de bonnes qualités d’alpiniste et n’a pas été
fait), nous ferons comme si ce temple n’a pas existé.
En conséquence, seules les données architecturales que nous
avons observées pourraient donner un élément de réponse.
Certains éléments du porche comme le décor polychrome
pourraient dater de la première moitié du XIIesiècle.
Mais la scène de l’Adoration de l’Agneau Pascal serait
nettement antérieure. Bien que l’Agneau Pascal soit peu
souvent représenté (et donc difficile à étudier d’une façon
statistique), il nous semble plus présent dans des
structures préromanes (antérieures à l’an 1000) que romanes.
Quant à la fresque du Christ en Gloire, nous l’estimons de
peu antérieure à l’an 1000. Nous envisageons une
construction en plusieurs étapes. D’abord, la construction
de la chapelle et la pose de son décor de fresques. Puis la
construction du portail aux arcs polylobés. Et enfin, plus
tard, l’embellissement de ce portail par les 5 bas-reliefs
et le décor polychrome.
Datation envisagée
pour la chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe : an 900 avec un
écart de 100 ans.
La
chapelle Saint-Clair d’Aiguilhe
Un panneau situé à l’entrée de l’église
nous révèle entre autres informations celle-ci : « ... Édifiée
à la fin du XIIesiècle, elle est dédiée à
Saint-Clair depuis le XVIIesiècle. Elle est
aussi nommé « Temple de Diane » en raison d’un linteau
ornementé d’une représentation des phases de la lune qui
sont les attributs astronomiques de la déesse Diane.
De dimensions modestes, la chapelle Saint-Clair épouse un
plan octogonal ... »
Concernant le linteau en question, nous pouvons l’examiner
sur l'image 26.
Nous y découvrons 5 disques (et non les 4 qui
représenteraient les phases de la lune). Ces disques sont
d’inégale grandeur et seul le quatrième à partir de la
gauche contient un croissant lunaire. Nous ne pensons pas
que ces disques représentent les phases de la lune. Par
contre, nous comparons les trois disques centraux à ceux que
l’on voit au centre de l'image
13 du Christ Pandokrátor : de gauche à droite, le
soleil, le Ciel (comme demeure de Dieu) et la lune. C’est
selon nous l’explication la plus probable.
Notons de plus que le portail de l'image
26 est dans son ensemble de facture préromane. Il
est protégé par un grand arc s’appuyant sur les côtés sur un
linteau en bâtière. Le vide entre le linteau et l’arc est
comblé par une résille de pierres. Plus tard, ce vide sera
remplacé par un bas-relief : le tympan.
L'image 27 sort de
l’ordinaire. La première chose que l’on voit est le
chapiteau blanc qui se détache du reste, des pierres, en
gris sombre presque uniforme. Ce chapiteau est surmonté d’un
tailloir de basalte. Le fait que le chapiteau soit de
couleur différente n’est pas dû à une volonté esthétique,
mais à la nature du matériau (sans doute du marbre) plus
facile à sculpter que le basalte. Un examen plus attentif
révèle, tout à côté du chapiteau, une imposte moulurée de
teinte et de décor forts différents de ceux du chapiteau.
L’idée est que ces deux pierres différentes révèlent deux
étapes de constructions différentes. Dans nos estimations de
datation, d’une façon générale, l’imposte est antérieure au
système chapiteau-tailloir. Nous pensons que l’église
primitive était charpentée. Elle aurait été voûtée
ultérieurement en installant les voûtes sur des arcs portés
par des chapiteaux comme celui qu’on voit ici. L’imposte,
quant à elle, posée avant le voûtement, soutient l’arc
d’entrée de l’église primitive.
Il reste une question importante : le plan octogonal de cet
édifice. Il s’agit là de quelque chose d'exceptionnel. Du
moins en France. Notre site a déjà identifié plus de 800
monuments. La grande majorité de ces édifices est constituée
d’églises à plan orienté, en général de direction Est-Ouest.
Une petite minorité est formée d’édifices à plan centré (ou
plutôt quasi centré car la nécessité d’un unique portail
d’entrée modifie la structure du plan). Ces édifices à plan
centré ont de multiples formes de plan. Parmi ceux que nous
avons étudiés, le plus fréquent est le plan en croix. Le
plan octogonal existe aussi, mais il est en général employé
pour des édifices de grandes dimensions dotés d’un noyau
central (Aix-la-Chapelle, Ottmarsheim). C’est la première
fois que nous le rencontrons sur un édifice de petites
dimensions. On peut toutefois faire le rapprochement à
d’autres édifices, eux aussi de petites dimensions, de plan
circulaire situés en Europe de l’Est.
Nous pensons que les édifices à plan orienté ou à plan en
croix étaient des églises. Par contre, les édifices à plan
centré octogonal, ou circulaire, n’étaient pas prévus pour
être des églises, même si la plupart le sont devenus. Nous
pensons que c’étaient des lieux de rencontre, de discussions
ou de négociations, les points centraux. Un peu comme le
sont, encore à l’heure actuelle, les cases centrales, à plan
circulaire, des chefferies Bamiléké du Cameroun.
Datation envisagée pour la chapelle Saint-Clair
d’Aiguilhe : an 950 avec un écart de 100 ans.