L’église prieurale de Saint-Romain-le-Puy : page 2

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Hypothèses sur l’évolution de la construction de cet édifice

Les divers commentaires ou estimations de datations effectués sur cette église, et que nous avons recueillis à partir de divers documents, ne souffrent d’aucune ambiguïté. Ainsi, l’auteur du texte du livre Forez et Velay romans (texte cité en début de page précédente) adopte le ton de la certitude lorsqu’il affirme «C’est donc entre ces deux dernières dates (980 et 983) qu’il faut placer cette fondation.» Et il ne lui vient pas à l’esprit que le document qu’il mentionne, document de seconde main de 500 ans postérieur au supposé document primitif («Un libelle du prieur Jean de Bouteilhon, datant de 1488, nous apprend qu’il avait en main les actes primitifs de l’église»), puisse être un faux ou une mauvaise traduction, ou encore avoir été mal interprété. Par ailleurs, nous émettons de forts doutes sur la phrase «il avait en main les actes primitifs de l'église». Ce serait bien la première fois que l'on aurait détenu les actes primitifs d'une église antérieure à l'an 1300 (dans la quasi totalité des cas que nous avons étudiés, l'existence d'une église à une période donnée n'est connue que d'une façon très indirecte: legs, consécration d'autel, transfert de relique, visite papale).

On retrouve le même ton de certitude dans l’affirmation de l’association Aldebertus, qui gère ce monument : «Aldebertus, du nom du premier prieur. Un bas-relief est sculpté à ce nom, à l’extérieurn sur le chevet, au sud-est.» (image 1); voir le site web.

De même, sur l’encyclopédie en ligne Wikipedia : «Au XIe siècle, le prieur a fait agrandir l’église de Bouchetal vers l’est. Les travaux ont été signés par le maître maçon, Aldebertus. Il a démoli l’abside et les absidioles et a construit une crypte pour compenser la dénivellation, puis a édifié au-dessus le chœur et les absidioles.» (voir le site web).

Au sujet de ces deux dernières informations, on constate tout d’abord qu’elles se contredisent en partie. Pour la première, Aldebertus est prieur de l’abbaye. Il est même le premier prieur. Pour la seconde, ce n’est que le maître maçon sous les ordres d’un prieur qui n’est pas forcément le premier. Dans chacun des cas, la source semble être unique : c’est le panneau sculpté (image 1). Peut-être y a-t-il eu d’autres sources, mais en ce cas, on regrette qu’il n’en soit pas fait état, car l’interprétation donnée de cette signature peut être multiple. Il est certes probable que le nom Aldebertus soit celui d’une personne en lien avec la frise sculptée décrite dans la page précédente. Mais de quelle personne s’agit-il : le prieur qui l’a fait construire? Le maître-maçon? Un des sculpteurs? Un restaurateur du XVe ou XVIe siècle? Cette dernière hypothèse semble a priori totalement inadaptée à la situation, le nom Aldebertus étant écrit en latin. Elle nous semble pourtant envisageable : la latinisation des prénoms était fréquente au début de la période moderne (ainsi un certain Gotlieb Mozart a latinisé son prénom en Amadeus); de plus, la graphie des lettres de la plaque nous semble moderne (hypothèse à vérifier, nous ne sommes pas spécialistes de la question); les fameuses «marques de tâcheron» , que nous avions cru dater du Moyen-Âge, pourraient avoir été faites par des maçons de la période moderne, comme en témoignent celles faites sur certains ponts du Canal du Midi.

Le livre Forez et Velay romans nous a fourni cette autre donnée historique : «Nous avons sur les fortifications de Saint Romain à cette époque un témoignage précis, le dessin aquarellé de l’Armorial de Guillaume Revel  [Nota : établi au milieu du XVe siècle], recueil d’un grand intérêt qui présente des croquis perspectifs des principales places fortes de la région.» Alléchés par cette révélation fort prometteuse, nous avons recherché sur Internet les reproductions disponibles de cet armorial. On peut voir le résultat sur l'image 2, dont nous fournissons un détail agrandi dans l'image 3. Nous avouons avoir été déçus par ces représentations. Certes, on y a un aperçu des remparts qui entouraient l’église. Mais, ayant eu auparavant connaissance de l’existence de fortifications, nous nous attendions à quelque chose de ce genre. Inversement, ces images ne nous y apprennent rien ou presque concernant l’église. Nous ne sommes même pas certains de localiser la prise de vue (à partir du sud-ouest?). On repère bien le clocher de l’église ainsi que les baies de ce clocher : mais il y en a trois sur chaque face, alors que l’on en voit deux actuellement.

La vue satellite de l'image 4 est peu instructive sur l’architecture de l’église (on repère cependant le toit à quatre pentes du clocher) mais, fort heureusement, deux plans, l’un de la crypte (image 5), l’autre de l’église supérieure (image 6), insérés dans la notice du livre Forez et Velay romans, permettent une meilleure lecture de cet édifice. Nous avons été un peu surpris par les indications de datation fournies par les légendes du plan de l’église supérieure : Xe, XIe, XVIe siècles. En effet, nous sommes très habitués à assister à la manifestation de ce que nous avons appelé «les terreurs de l’an mille des historiens de l’art». Il s’agit là d’une affection psychologique qui empêche la majorité des historiens de l’art d’envisager pour un édifice donné une datation antérieure à l’an mille (sauf s’il est en ruines). Cela explique notre surprise en voyant pour une partie de l’édifice la datation du Xe siècle. Mais en regardant de plus près, le texte du livre Forez et Velay romans C’est donc entre ces deux dernières dates (980 et 983) qu’il faut placer cette fondation.»), nous avons réalisé que pour son auteur le péché commis devait être considéré comme véniel.


Deux plans très intéressants

Notons tout d’abord que tous les historiens de l’art n’ont pas la même attitude. Ainsi, selon le site de Wikipedia, «Pour Marguerite Gonon, c’est sans doute vers 550-600 que les moines bénédictins s’installèrent à Saint-Romain-le-Puy».

Récemment, grâce à Dominique Robert, nous avons pu obtenir deux autres plans (image 7) : un plan au sol presque semblable à celui de l'image 6 et un plan en élévation permettant d’obtenir des renseignements supplémentaires. Mais ce qui s’est révélé plus intéressant encore est la datation des différentes constructions révélées par ce plan : État 1 : Ve-VIIIe siècles; état 2 : VIIIe-Xe siècles; état 3 : XIe-XIIe siècles; état 4 : XVe siècle.

Nous avons envie de dire : «Enfin!». Enfin, on découvre des datations antérieures à l’an mille! Enfin, on découvre des évaluations non péremptoires, acceptant délibérément une forte marge d’incertitude, analogues à celles que nous faisons. Même si nous l’exprimons d’une autre manière. Ainsi, nous exprimerions chacun des états de la façon suivante : état 1 (Ve-VIIIe siècles) : an 650 avec un écart de 250 ans; état 2 (VIIIe-Xe siècles) : an 850 avec un écart de 150 ans; état 3 (Xe-XIe siècles) : an 1100 avec un écart de 100 ans; état 4 (XVe siècles) : an 1450 avec un écart de 50 ans. Donc, une marge d’erreur plus grande lorsqu’on remonte dans le temps, mais aussi susceptible de diminuer au fur et à mesure des découvertes. Ce style de datation diffère totalement de celui rencontré auparavant comme, par exemple, fortifications du IVe siècle (écart de 50 ans), ou chapiteau du premier quart du XIIe siècle (écart de 12,5 ans). Les auteurs de datations aussi précises seraient-ils capables d’en faire autant pour leurs propres maisons d’habitation?



La détection des anomalies


Une de nos méthodes de recherche consiste à détecter les anomalies de construction grâce à des photographies ou des plans. Nous avons en effet remarqué que, pour la période considérée, la construction des églises obéissait à des règles simples inspirées par des considérations symboliques ou religieuses souvent intemporelles. Ce qui n’était pas le cas pour des fortifications qui, elles, sont édifiées en fonction des configurations et des conditions du moment. Les anomalies de construction sont donc assez facilement détectables sur des églises.

La première anomalie constatée sur l’église Saint-Romain est dans la forme du plan de l'image 6. Deux églises semblent imbriquées l’une dans l’autre. On reconnaît en effet à l’intérieur du plan l’image d’un chevet à trois absides.

Mais ce n’est pas tout : les murs extérieurs de la crypte (image 5) semblent nettement plus épais que les murs de l’église supérieure. Et cela apparaît bien dans la superposition des deux plans : le tracé des murs de la crypte englobe celui des murs de l’église supérieure (image 8). Autre anomalie : le chevet de l’église supérieure est à trois absides et celui de la crypte n’est qu’à une abside. Nous avons constaté à de nombreuses occasions que le plan du chevet est identique au plan de la crypte. Nous attribuons cette disposition au fait que, dans ces cas-là, la crypte a été obtenue en séparant en deux l’église par un plancher horizontal. Pour Saint-Romain-le-Puy, la réponse se trouve dans le plan de l'image 9. Les murs extérieurs sont représentés striés sur fond bleu. Les parties intérieures sont représentées en couleur ocre. On constate que crypte et église supérieure ne se superposent pas intégralement. Très probablement, la crypte à abside unique est antérieure à l’église supérieure.

Une autre anomalie est repérable sur les plans des images 6 et 10 : l’absidiole sud est plus développée vers l’est que l’absidiole nord, alors que d’habitude, pour des raisons de perfection symétrique, elles sont au même niveau. Mais il s’agit là selon nous d’une anomalie conjecturelle liée à la configuration du terrain et au fait que, dès ce moment-là, l’église devait être conçue comme un ouvrage fortifié construit au plus près du précipice.

Le plan en élévation de l'image 9 révèle une autre anomalie : le sol de la partie grise (considérée comme la plus ancienne) est en pente légèrement inclinée en direction de la crypte, ce qui amène à revoir le plan de la crypte (image 5). Son accès se serait fait par l’intermédiaire de couloirs étroits encadrant le massif rectangulaire porteur du chœur primitif. Ces diverses anomalies repérées sur le plan en élévation sont indiquées sur le plan de l'image 11.

La façade sud de l’église est représentée sur l'image 12 et un détail de cette façade sur l'image 13. On remarque tout d’abord sur ces images qu’il existe une ligne de rupture verticale entre les deux parties de cette façade (en rouge sur l'image 14) : à gauche, un parement peu esthétique fait de moellons grossiers, et à droite, une recherche esthétique plus élaborée. En détaillant de bas en haut : un bandeau de petits blocs losangiques, un bandeau de dalles sculptées dont certaines ont été décrites dans la page précédente, une corniche à billettes, et enfin, au-dessus encore, les grandes baies encadrées de colonnettes. La rupture entre ces deux parties est encore plus apparente lorsqu’on remarque la présence, à gauche de cette ligne, d’arcs (soulignés en bleu dans l'image 14) non présents dans la partie droite. Ces dernières images sont très intéressantes car elles révèlent qu’il y a bien eu là au moins deux étapes de travaux bien différenciées. Or, ces deux étapes de travaux ne sont révélées par aucun des trois plans dont nous disposons (images 5, 6, 10). Ce qui laisse supposer que ces plans sont incomplets, et nous permet d’envisager qu’il ait également pu y avoir des transformations du côté nord.



Hypothèses sur le déroulé des constructions


Nous allons reprendre l’étude à partir du plan de l'image 6. Nous avons déjà envisagé que la partie centrale du plan, supposée par tous la plus ancienne, pouvait témoigner de la présence d’un chevet à trois absides. Nous avons voulu visualiser dans l'image 15 les restes de ce chevet : en bleu les parties subsistantes, en pointillés bleus les parties disparues, et en rouge les parties ajoutées postérieurement. Parmi ces parties rouges, certaines ont été identifiées, comme celle située en haut à droite, qui correspond au pan de mur de l'image 14. Et, par déduction, la partie symétrique de celle-ci. Nous avons également identifié les autres parties en rouge par déduction. Il nous semble en effet difficile d’admettre qu’un chevet aussi important soit complètement fermé et non prolongé par une nef. Cependant, une vérification s’impose.

Revenons à ce chevet. Si l’hypothèse envisagée d’un chevet à trois absides est la bonne, la classification devient simple. Car nous n’avons rencontré que deux types d’églises dotées d’un chevet à trois absides. Le premier type est le chevet à trois absides accolées (image 16). Dans ce type de chevet, la nef est à trois vaisseaux, généralement charpentés (initialement), et les trois absides sont en prolongement des vaisseaux. Le deuxième type est le chevet à trois vaisseaux détachés (image 17). Dans ce cas-là, la nef peut être à un vaisseau ou à trois vaisseaux. Mais surtout, la nef est prolongée par un transept, et ce transept est suffisamment large pour que les absides soient détachées entre elles, car les absidioles sont greffées sur le transept.

Dans le cas présent, les trois absides seraient accolées. Et donc le reste s’en déduit aisément. L’église primitive était à trois vaisseaux avec trois absides en prolongement des vaisseaux. Si on se réfère à notre système de classification, on constate que les nefs anciennes à trois vaisseaux, comme semblerait être celle-ci, avaient des piliers à section rectangulaire de type R0000 ou à section circulaire de type C0000. Et c’est ce qui semble être le cas ici (les 4 petits carrés bleus de l'image 15).

Les explications données ci-dessus (église primitive à trois vaisseaux avec trois absides en prolongement) peuvent apparaître bien hasardeuses et non justifiées. Certains éléments très ténus militent pourtant en faveur de cette théorie. Observons la façade sud de l’église vue en direction du sud-ouest (image 18). On y voit à gauche la nef unique, et à droite, les restes de l’absidiole sud de l’église primitive (ou du moins ce que nous envisageons l’être), puis l’absidiole sud de l’église définitive. L’image 19 est un détail de cette façade. On y voit à gauche un arc de décharge qui devait servir à protéger une porte. Cette porte n’est pas celle que l’on voit au-dessous. Celle-ci est en effet décentrée par rapport à l’arc. La porte appartient selon nous au XVIIe siècle, mais là n’est pas le plus important! Le plus important se trouve selon nous à droite, où l’on voit les restes d’un autre arc, souligné en bleu sur l’image 20. Cet arc pourrait être le reste de l’arc d’entrée dans l’absidiole sud (arc séparant le collatéral sud de l’absidiole sud, sorte d’arc triomphal de l’absidiole sud). Cet arc est en effet, semble-t-il, différent des arcs de décharge rencontrés auparavant, dans la mesure où il s’appuie sur des impostes et piédroits, visibles à droite.

L’image 21 est celle de la nef, côté entrée. Elle est vue en direction du sud-ouest. À l’heure actuelle, cette nef est à un seul vaisseau. Elle est actuellement voûtée. Mais, compte tenu des diverses transformations qu’elle a subies, elle devait être initialement charpentée. Il faut comprendre que le voûtement d’une église préalablement charpentée exige des modifications de structure: la voûte, structure beaucoup plus lourde qu’une charpente, ne peut pas être installée sur des murs préalablement porteurs d’une charpente, sans renforcement préalable de ceux-ci. La méthode la plus répandue pour ce faire consiste à accoler aux murs gouttereaux des pilastres, et par-dessus ceux-ci des arcs doubleaux transverses portant directement les voûtes. Une autre méthode consiste à accoler aux murs gouttereaux des pilastres, par-dessus ceux-ci des arcs, eux aussi accolés aux murs, et encore par-dessus ces arcs un autre mur vertical, accolé à l’ancien. C’est cette dernière méthode qui a été utilisée pour l’église de Pommiers vue précédemment et qui est ici utilisée.

Dans le cas présent nous sommes confrontés à deux possibilités. Pour la première de ces possibilités, l’église primitive est à nef unique. Dans ce cas, on utilise la deuxième des deux méthodes. Pour la deuxième possibilité, la nef est à trois vaisseaux. Le vaisseau central est porté par des arcs, eux-mêmes soutenus par des piliers. Au cours d’une première étape, les collatéraux sont supprimés par la destruction des murs extérieurs. Il reste donc le seul vaisseau central, porté par les arcs et les piliers. Pour voûter ce vaisseau central, il suffisait d’accoler une muraille aux murs gouttereaux, côté extérieur. Les arcs et les piliers porteurs de l’ancien vaisseau central deviennent accolés aux murs que l’on vient de construire, et on peut installer les voûtes par-dessus ces arcs. C’est une situation analogue à la précédente, avec cependant une différence: dans le premier cas, il n’est pas nécessaire que les pilastres soient d’une grande épaisseur, ce qui n’est en effet pas le cas ici. La possibilité d’une nef à trois vaisseaux est donc en partie confirmée.



Nous allons à présent effectuer un essai de reconstitution de cet édifice.

Pour les images suivantes 22, 23, 24, 25 et 27, l'image 7 contenant les deux plans, au sol et en élévation, de cet édifice, a été inscrite en arrière-plan avec une opacité réduite de 50%.

Étape 1 : image 22. Nous avons essayé de représenter dans la partie supérieure le plan en coupe verticale suivant l’axe principal est-ouest. Et, dans la partie inférieure, les plans au sol de la nef supérieure et de la crypte. L’église primitive est représentée avec un tracé bleu. Cette église devait être, selon nous, une basilique à trois vaisseaux avec trois absides en prolongement. Les traits pointillés indiquent une extension possible vers l’ouest. D’autres traits en pointillés donnent une idée de la forme des absides (plan du dessous). Si la forme des absidioles est probablement semi-circulaire, nous en sommes beaucoup moins certains pour celle de l’abside principale. Nous avons eu l’occasion de connaître des plans (rares) de chevets comportant des absidioles semi-circulaires et des absides principales rectangulaires.

Dans le prolongement de cette nef, et en contrebas, on peut voir une chapelle (en traits rouges) à nef unique et abside semi-circulaire.

Il faut bien comprendre que ces deux églises n’ont probablement pas été construites au même moment. Il est même probable que plusieurs siècles les séparent.

Étape 1 : image 23. Cette image est analogue à la précédente. Il existe cependant deux différences. Pour le plan du dessus, la vue est extérieure (il en sera de même pour les plans des images 24, 25 et 27), alors que précédemment, elle était en coupe. En ce qui concerne le plan au sol du dessous, nous avons dessiné en noir les chemins d’accès à l’église inférieure. Ces deux chemins sont symétriques, de part et d’autre de l’église.

Étape 2 : image 24. Pour cette étape, qui a pu suivre de près l’étape précédente, nous avons voulu montrer que les deux chemins d’accès à l’église inférieur vus précédemment ont été canalisés et isolés par une muraille. Revenons au plan de la crypte (image 5) : on constate sur ce plan qu’il existe deux entrées à cette crypte, presque parfaitement symétriques. Les deux chemins d’entrée, au nord et au sud, encadrent le chœur de l’église supérieure. Cette disposition fait penser au déambulatoire d’un martyrium. Dans un martyrium, la foule des pèlerins est tellement dense, et le désir de chacun de s’approcher au plus près des précieuses reliques, quitte à endommager le tombeau, est si fort, que celui-ci est isolé derrière des grilles ou des fenestellæ. Les pèlerins empruntent un sens de circulation unique. Dans un martyrium, il doit y avoir trois portes. L’une, réservée au seul desservant, lui permet d’accéder à l’endroit (en général le chœur) où se trouve le tombeau. Les deux autres portes, l’une d’entrée, l’autre de sortie, encadrent la salle (en général la nef ou un couloir) servant de déambulatoire aux pèlerins. Ici, la disposition des lieux fait penser à un martyrium. Le fait que le couloir sud soit plus long que le couloir nord fait envisager que la porte permettant au célébrant d’accéder à la nef pouvait être côté sud, à l’est de l’actuelle porte sud.

Étape 3 : image 25. Les martyria n’étaient pas forcément enterrés. Celui-ci va le devenir. Au cours de cette étape 3, il est décidé de fortifier l’église. Pour cela on accole aux murs extérieurs de la nef une autre muraille afin de l’épaissir. On fait de même pour les murs de l’église inférieure et on construit sur ces murs ce qui deviendra le clocher, l’avant-chœur et le chœur de l’église supérieure.

Image 26 : on voit sur cette image l’ouvrage de fortification situé au sommet des murs, à cheval entre les absides sud et centrale. Assez paradoxalement, les sommets des murs sont protégés alors que les fenêtres ne semblent pas l’être. Il est possible que le caractère sacré du lieu ait eu un rôle protecteur, ou qu’ait existé un autre dispositif dont il ne subsiste plus rien aujourd’hui.

Étape 4 : image 27. Nous ne connaissons pas l’histoire du lieu, mais très probablement les fortifications ont été démantelées. Et si l’on en juge par ce qui reste de celles révélées par l’Armorial de Guillaume Revel, ce démantèlement a été systématique, sur ordre d’un prince. Nous pensons que de l’église, seule la partie sacrée a été conservée. Les murs extérieurs de la nef ont été démolis. Seuls seraient restés les arcs portant les murs du vaisseau central. La nef primitive, privée de ses collatéraux, aurait été laissée à l’abandon. Plus tard, quelques éléments de cette nef primitive auraient été restaurés. Puis, on aurait accolé des murs contre les piliers et construit une voûte par-dessus pour réhabiliter deux travées de nef.


«C’est pas ça !»

Voilà un propos que nous avons entendu à plusieurs reprises à la suite d’hypothèses que nous avions évoquées pour d’autres monuments que Saint-Romain-le-Puy. C’est sans doute un propos souvent formulé à notre encontre, mais dans notre dos, et sans que nous ayons la possibilité de nous justifier ou de dialoguer avec le contradicteur. Mais surtout sans que la personne qui affirme «Ce n’est pas ça» nous dise «ce que c’est que ça», c’est-à-dire qu’elle s’efforce de reconstituer une logique, une autre histoire du bâti que celle que nous proposons. Cela étant, nous sommes bien d’accord pour dire que «ce n’est pas ça», mais sans en faire une polémique. Nous sommes bien persuadés que les hypothèses que nous avons émises (dont certaines peuvent être erronées) ne sont qu’un tout petit élément d’un ensemble complexe. Il faut savoir en effet que, si les églises peuvent être assez simples à étudier, il n’en est pas de même des fortifications qui peuvent être, en fonction des alternances entre périodes de guerre et de paix, montées, démontées, réhabilitées, rehaussées, détruites, relevées. Cette église, insérée dans une fortification, n’a pas échappé à ces diverses transformations. Nous ne pouvons l’étudier à fond, mais nous espérons que d’autres pourront prendre la relève.


Datation envisagée

Pour la nef à plan basilical et le chevet de l’église primitive de Saint-Romain-le-Puy : an 700 avec un écart de 200 ans.

Pour la chapelle inférieure devenue ultérieurement crypte : an 900 avec un écart de 100 ans.

Pour le clocher et la partie supérieure à la crypte : an 1025 avec un écart de 100 ans (plusieurs constructions différentes ont pu être faites au cours de cette période : voûtement de la crypte, clocher, partie supérieure de l’avant-chœur).



  Images 1, 12, 13, 18, 19, 21, 26 de Dominique Robert : http://www.drobert-photo.com/