L’église Saint-Pierre de Vienne  

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Cet édifice constitue pour nous un élément de recherche d’un grand intérêt, et qui suscite plus d’interrogations que de réponses.

Déjà, lorsque nous l’avions visité en février 2009 (la plupart des images sont issues de cette visite), nous avions estimé qu’il devait être antérieur à l’an 1000. L’idée d’effectuer des recherches systématiques sur des édifices susceptibles d’être antérieurs à l’an mille ne nous est venue que bien plus tard, en partie grâce à cette visite et celle de monuments analogues.

Lors de notre visite de février 2009, nous ne disposions d’aucune information sur son architecture, hormis une indication globale du style, « église du Xesiècle ».
À l’heure actuelle, la page Internet du site Wikipedia qui lui est consacrée est beaucoup plus détaillée : « ... L'abside et le décor d’arcatures murales de la nef ont vraisemblablement été édifiés à la fin du Vesiècle. Des modifications interviennent dans les parties hautes (fenêtres) à l'époque carolingienne. Les premières transformations importantes ont lieu à la fin du XIe siècle et au XIIe siècle : la nef est divisée en trois vaisseaux par de grandes arcades ; le clocher-porche est ajouté à l'Ouest ; la chapelle Notre-Dame, en forme de croix grecque, est voûtée en berceau et dotée d'une coupole ; le portail Sud est orné de sculptures. Des vestiges de peinture murale du XIIe siècle sont toujours visibles (Saint Jean). Au XVe siècle, plusieurs chapelles sont aménagées (aujourd'hui disparues) et le décor de l'ensemble est repris. Peu d'interventions ont lieu avant 1780 où un décor de stuc néo-classique recouvre l'ensemble de l'édifice. Il est supprimé dans les années 1860. Du décor de l'église carolingienne (IXe siècle), subsistent de nombreux fragments des chancels en pierre qui formaient clôture entre le chœur réservé au clergé et la nef ; certains ont été remployés au XIIe siècle et se voient encore sur le clocher-porche élevé devant la façade primitive. Un autel monolithe du Xe ou du XIe siècle provenant de Saint-Pierre est conservé dans les musées de Vienne ...»

À ce texte on été ajoutées plusieurs images. L’une analogue à l'image 7 ci-dessous porte la légende : « Aspect actuel de la nef (abritant le musée lapidaire) vue depuis l'entrée, la nef mérovingienne a été divisée en trois nefs par des arcatures romanes. » . L’autre (image 15) est ainsi légendée : « Reconstitution de la structure de la nef à l'époque mérovingienne, vue depuis l'autel. L’existence d'un éventuel décor de peinture ou de mosaïque, qui a probablement existé, ne peut être reconstitué. »


Nous ne savons pas sur quelles bases l’auteur du texte de Wikipedia s’appuie pour estimer que l’église primitive date de la « fin du Vesiècle ». Nous estimons cependant qu’il y a déjà un progrès. La plupart des spécialistes ont daté invariablement du premier siècle de notre ère tous les monuments romains. Qu’un auteur envisage qu’un monument romain puisse dater du Vesiècle est donc une bonne chose.

Il est possible que l’attribution à la fin du Vesiècle vienne de l’attribution à Mamert de la construction de cette église comme l’indique la phrase du même auteur : « Elle fut utilisée comme basilique funéraire, abritant jusqu'au XIIesiècle la sépulture de la plupart des évêques de Vienne comme Mamert, son probable fondateur, mort vers 475 » . Nous sommes beaucoup plus réservés sur cette interprétation : de l’an 250 à l’an 600, à raison d’un évêque en moyenne tous les 25 ans, 14 évêques au moins se sont succédés sur le siège de Vienne. Il ne s’agit là que d’un minimum car les évêques des premiers siècles du christianisme n’étaient pas associés à des territoires, mais à des communautés vivant sur ces territoires : il pouvait y avoir un évêque des romains de Vienne mais aussi un évêque des Goths de Vienne. Dans des cas analogues à celui de Vienne, les auteurs ne connaissent le nom que d’un évêque sur les 14 ou plus et ont tendance à privilégier l’importance de cet évêque.

Mais il est aussi possible que l’auteur se soit inspiré de l’architecture d’autres monuments. Ainsi, par exemple, ceux de Ravenne en Italie. Ou encore le baptistère
Saint-Jean de Poitiers. Observons en particulier l'image 3 de la tour-porche. Cette tour-porche semble barrer le paysage. Cependant, on voit en arrière une partie de la façade occidentale de l’église. Le parement de briques, le fronton triangulaire, l’oculus, tout cela fait penser à la façade de Saint-Jean de Poitiers (voir celle-ci sur notre site).

De même, le décor du bâtiment visible sur l'image 6 fait immédiatement penser à celui des murailles du Mans datées du premier millénaire, avec une grande marge d’incertitude : an 600 avec un écart de plus de 200 ans. Notons que ce décor a été profondément restauré et apparaît presque neuf.


Nous n’avons pas eu l’occasion de visiter la chapelle Notre-Dame « en forme de croix grecque » citée dans le texte. Nous ignorons même son emplacement. Cette chapelle pourrait être d’un grand intérêt. De telles chapelles sont rares en France : nous n’en avons compté que 5 ou 6.

Les images suivantes de 7 à 14 montrent l’intérieur de fa nef et sa complexité. La reconstitution de la nef primitive (aux alentours de l’an 500 : image 15) est selon nous assez cohérente. Cependant, elle pèche par un petit défaut. Pourquoi les constructeurs de l’époque romane (nous verrons plus loin que c’est en fait l’époque préromane) ont-ils cru devoir ajouter ces hauts piliers surmontés d’arcs qui bloquent la perspective d’une si belle nef ?

Avant de répondre à cette question, posons nous la question de savoir si les auteurs ont raison de dire que ces hauts piliers ont bien été ajoutés après la construction d’un premier édifice.

La réponse à cette question se trouve dans l'image 16. Deux des hauts piliers sont présents à droite de l’image. Ils supportent trois arcs. L’arc de gauche est adossé à un mur. Il devrait en toute logique reposer sur un pilier issu du sol. Ce n’est pas le cas : il repose sur un autre arc. Mettons nous à la place de l’architecte qui a conçu le plan de l’édifice. S’il veut installer des murs transverses à la façade Ouest, il prévoit de les placer en face des piliers du rez-de-chaussée de cette façade et non entre les piliers de cette façade. Ou bien il prévoit de remplacer les trois arcs semi-circulaires de diamètre 1, situés à la base de cette façade Ouest, par un seul de diamètre 2. L’explication a l’air bien compliquée, mais c’est exactement ce qu’on observe pour toutes les nefs à trois vaisseaux. Il ressort de cette explication que la séparation de la nef en trois vaisseaux par de hauts piliers supportant des arcs est postérieure, sans doute de plusieurs siècles, à la construction primitive.

Une autre objection à cette image 15 tient au fait que la largeur de la nef est trop importante pour la construction d’un toit. D’ailleurs, si la nef a été divisée en trois parties, c’est afin que les piliers intermédiaires soutiennent en partie le toit.

Examinons à présent l'image 17. Sur cette image 17, nous avons mis l’accent sur les arcs remarqués sur l'image 8. Les arcs ont été surlignés en bleu alors que les colonnes qui les soutiennent sont en rouge. Il faut bien reconnaître qu'en l’état actuel des choses, ces arcs ne servent à rien : on pourrait s’en passer. Mais s’ils ont été posés là, c’est sans doute parce qu’ils devaient servir à quelque chose. Et l’idée vient qu’ils ont pu abriter de grandes baies analogues à celles que l’on voit sur les côtés. Plus tard, ces baies ont été bouchées. Seule la baie centrale partiellement obturée a accueilli une fenêtre plus petite qui, à son tour, a été bouchée. L’existence de ces grandes baies régulièrement espacées disposées sur deux étages fait plus penser à un de nos immeubles modernes de type HLM qu’à une église. Et nous envisageons l’hypothèse suivante : l’édifice primitif n’était pas une église, mais plutôt une sorte d’HLM, un bâtiment à plan rectangulaire divisé en trois étages (rez-de-chaussée, premier étage, étage sous les combles du toit). Chacun des étages aurait été divisé en pièces d’égales dimensions. La structure externe correspondrait à l’actuelle. La structure interne (piliers planchers, cloisons) aurait été édifiée dans un matériau moins durable comme le bois.


Il reste à étudier les hauts piliers et arcs permettant de séparer la nef en trois parties. Le texte du site Internet nous apprend que ces piliers dateraient de la période
« romane » : fin XIe- XIIesiècle. Il nous apprend aussi qu’il y aurait les restes d’un chancel dit « carolingien » (IXe- Xesiècle). Sans préciser pour autant quelle pouvait être la forme de cette église carolingienne.

En fait, on retrouve dans ces explications et comme en leitmotiv, toute la légende courant sur les églises du premier millénaire, légende que nous n’avons cessé de dénoncer tout au long des pages de ce site. Selon cette légende, toutes les églises auraient subitement disparu vers l’an mille. Il ne resterait d’elles que des ruines ou à la limite quelques bâtiments un peu bizarres, comme les baptistères ou l’église Saint-Pierre de Vienne de style proche des monuments édifiés. Et selon les propagateurs de cette légende, la reconstruction de ces édifices ou construction de nouveaux édifices n’aurait été réalisée qu’à partir de l’an 1050 et jusqu’à l’an 1200 pour les édifices dits
« romans ». Ce qui correspond bien à la phrase citée plus haut (fin XIe- XIIesiècle) . Le raisonnement est le suivant : « Toutes les églises antérieures à l’an 1200 sont romanes. Les églises romanes datent de la fin XIeou XIIesiècle. Donc toutes les églises antérieures à l’an 1200 datent de la fin XIeou XIIesiècle. ». Il s’agit là d’un type de raisonnement en forme de « serpent qui se mord la queue », duquel les esprits les plus éclairés n’arrivent pas à se détacher.

Ces hauts piliers constituent en eux-mêmes une anomalie. Nous pensons que ceux qui ont décidé de les construire bénéficiaient d’un grand espace rectangulaire limité par les murs de l’édifice primitif. Ils ont décidé de construire, non une nef de type basilique (nef à trois vaisseaux avec le vaisseau central plus élevé que les collatéraux), mais un nef de type halle (les trois vaisseaux réunis sous un même toit).

Les piliers sont rectangulaires de type R0000. Nous avons identifié sur l'image 18 des impostes qui semblent être à chanfrein vers l’intrados. Mais ce ne serait pas le cas de toutes les impostes. Les arcs sont simples. Nous datons ce type de pilier et d’arcs des alentours de l’an 800.

Notons aussi la présence de fenêtres supérieures dans le vaisseau central (image 18). Ce n’est pas un hasard. Il devait y avoir un plancher à hauteur de ces fenêtres faisant office de galerie de circulation au-dessus des collatéraux.


Datation

Datation envisagée de la construction primitive (une église ?) : an 400 avec un écart de 150 ans.

Datation de la construction des hauts piliers séparant la nef en trois parties : an 800 avec un écart de 150 ans.