L’église Saint-Michel de la Garde-Adhémar
Le petit village de la Garde-Adhémar
doit être connu d’une multitude de touristes qui ont au
moins une fois dans leur vie emprunté l’autoroute A6 qui
relie Lyon et Marseille. Bien visible, il domine en effet la
vallée du Rhône entre les péages de Montélimar et Bollène (
image 1). Son
plan (image 2)
révèle une construction tout à fait exceptionnelle dans le
Sud de la France : une contre-abside. C’est-à-dire une
abside située dans la partie Ouest, du côté opposé au
sanctuaire. On trouve de telles contre-absides dans le Nord
de la France, à Besançon ou Verdun, ainsi qu‘en Allemagne
(Trèves, Mayence). Mais paradoxalement pas dans le Sud. À
remarquer cependant qu'en Allemagne, ces contre-absides sont
présentes principalement dans les basiliques dites «
impériales ». Il est possible que ces contre-absides aient
été construites pour accueillir les empereurs lors des
grandes célébrations religieuses.
Dans le cas présent, la contre-abside (images
7, 10 et 12) sert de porche d’entrée. On pourrait
penser qu’elle a été érigée pour cette fonction. Cependant,
nous croyons qu’un tel type de construction en arrondi et
voûté en cul-de-four est plus délicat à édifier qu’une
simple bâtisse à plan rectangulaire charpentée ou même
voûtée en berceau plein cintre. D’ailleurs le plan
rectangulaire est adopté pour tous les porches d’églises que
nous connaissons. Si le plan circulaire a été adopté, c’est
parce qu’il revêtait une signification symbolique plus forte
qu’un simple porche d’église.
En conséquence, nous pensons que cette contre-abside n’était
pas primitivement un porche d’entrée. L’entrée devait être
située ailleurs. La contre-abside devait être réservée à un
personnage puissant. Pas aussi puissant qu’un empereur
carolingien, mais peut-être un prince de sang ou un
roitelet. On sait que durant le premier millénaire,
l’emprise des francs n’a pas été totale sur la vallée du
Rhône. Et même au début du second millénaire, l’existence de
principautés à Orange ou à Avignon témoigne d’un certaine
indépendance de ces contrées par rapport au reste de la
France.
Les images
4 et 5 représentent le clocher et certains détails
de celui-ci. Elles sont exposées ici à l’occasion de la
description de l’église Saint-Michel afin de faire
apparaître la richesse du décor sculpté. Mais cette partie
de l’église ne date pas du premier millénaire. En fait, les
étages octogonaux du clocher sont très probablement les
dernières parties à avoir été construites, au XIIe,
voire peut-être même au début du XIIIesiècle.
La croisée du transept a pu être construite longtemps
auparavant, mais non couverte d’une coupole de croisée et de
la tour octogonale qui la surmonte. D’ailleurs, sur l'image 3,
on distingue très bien la différence de style entre
la base, à plan quadrangulaire, dépourvue de décoration, et
la partie supérieure, à plan octogonal, richement décorée.
Une telle différence de style aurait été impensable si
l’ensemble avait été construit d’un seul jet.
Si on fait abstraction de la
contre-abside, la façade occidentale (image
6) ressemble énormément aux façades des
basiliques paléochrétiennes : la porte d’entrée est située
au centre, des fenêtres éclairent les collatéraux et une
grande fenêtre axiale (image
8) surmonte la porte et éclaire le vaisseau
central. Cela ne signifie pas pour autant que cette façade
est d’époque paléochrétienne. Néanmoins, il est difficile
d’imaginer que cette façade soit purement romane
(c’est-à-dire postérieure à l’an mille). Les façades
romanes, comme on en voit dans d’autres régions (Saintonge,
Bourgogne), sont toutes différentes. En tout cas, le toit du
vaisseau central a été profondément modifié. La corniche des
bords du toit faite d’éléments de diverses frises témoigne
de ces modifications (image
9). Par contre, la corniche des bords du toit de
la contre-abside semble avoir été posée d’une façon plus
régulière (image 11).
Venons en aux images de l’intérieur (images de 12 à 18).
Et plus particulièrement à l'image
15. Observons les piliers et les arcs reliant ces
piliers. Ces arcs sont doublés. Selon l’analyse que nous
avons faite de l’évolution des piliers (voir à ce sujet dans
ce site le paragraphe 7 : arc doublé dans le chapitre «
Évolution des arcs et des voûtes »).
Nous estimons que les arcs doubles sont postérieurs à l’an
800 (date donnée avec une grande marge d’incertitude). Étant
donné que l’architecte qui conçoit la première église
prévoit dès le début la forme de cette église, et donc la
forme des piliers et des arcs entre piliers, on en déduit
que l’édifice primitif devait être postérieur à l’an 800.
Les piliers de Saint-Michel ressemblent beaucoup à ceux de
l’église de Saint-Andéol. Dans chacun des cas, les arcs sont
soutenus par des impostes et non par des chapiteaux. Mais
les impostes de Saint-Andéol sont à chanfrein vers
l’intrados alors que celles de Saint-Michel sont à chanfrein
omnidirectionnel. Nous pensons (sans certitude avérée) que
les impostes du type Saint-Michel sont les plus anciennes.
En observant à nouveau les piliers de l'image
15, on s
‘aperçoit que l’imposte ne contourne pas les pilastres
adossés du côté du vaisseau central. Nous pensons que ces
pilastres ont été ajoutés postérieurement afin de procéder
au voûtement des vaisseaux. Les piliers primitifs étaient de
type R1010. À la
suite de ces transformations, ces piliers seraient devenus
de type R1112.
La transformation des piliers et le voûtement des nefs ont
dû être effectués aux environs de l’an 1000.
Nous avons cependant rencontré le problème suivant : sur l'image 16,
on peut voir à gauche le mur Sud. Des arcs simples
ont été accolés à ce mur. Deux arcs successifs reposent sur
des pilastres descendant vers le sol. Jusque-là, rien
d’anormal. Mais si on regarde la jonction entre deux arcs
successifs, on s’aperçoit qu’ils reposent non sur un
pilastre, mais sur une console (image
18). Une telle constatation devrait remettre en
question toute notre argumentation. En effet, nous estimons
que ce n’est que tardivement, vers le XIVesiècle,
que des arcs doubleaux ou des ogives ont été installés sur
des consoles insérées dans l’épaisseur des murs. Auparavant,
ils étaient installés sur des pilastres ou des colonnes
adossés au mur. En conséquence, le fait que l’arc repose sur
des consoles induirait à penser que ces arcs sont
postérieurs au
XIVesiècle. En fait, ce n’est pas le cas. Des
pilastres descendant jusqu‘au sol existaient primitivement.
Mais comme le montre le plan de l'image
2, les
murs extérieurs ont été percés côté Nord pour faire
communiquer avec de nouvelles salles. Ce faisant, les
pilastres ont été détruits et remplacés par les consoles.
D’après le style du chapiteau (image
18), l’opération a dû se faire aux alentours du
XIIesiècle.
Datation
Datation envisagée pour la construction primitive
(contre-abside comprise) : an 850 avec un écart de 150 ans.
Datation envisagée pour le voûtement : an 1000 avec un écart
de 100 ans.