L’église Saint-Martial de Paunat
Voici ce que dit sur cette abbaye la
page qui lui est consacrée sur le site Internet Wikipedia :
« La
tradition donne la fondation de Paunat au VIesiècle
par saint Cybard qui serait natif de Trémolat, village
situé à proximité … Saint Cybard aurait alors donné le
monastère aux religieux de Saint-Martial de Limoges... Le
premier document plus certain provient de l’abbaye
Saint-Martial de Limoges dont dépendait Paunat... Son
interprétation habituellement admise fait dater cette
fondation de 804, mais cette date étant liée à un empereur
Charles (Charlemagne, Charles II le Chauve, Charles III le
Gros ?), elle pourrait être aussi 888, mais d'autres
éléments rendent improbables cette dernière date. En 848,
Charles le Chauve accorde quelques privilèges au monastère
de Paunat qui est reconnu être une possession de
Saint-Martial de Limoges. On place souvent la date de
destruction de l'abbaye par les Normands en 849, mais elle
est incertaine, on sait que les Normands sont encore
présents en 860 en Aquitaine, et que Pépin II d'Aquitaine,
en lutte contre Charles l'Enfant et Charles le Chauve, va
prendre des Normands comme mercenaires en 864. Par
ailleurs, en 861 ou 862, l'abbé de Paunat, Adalgasius, et
ses moines errants ne sont toujours pas de retour dans
leur abbaye. Ils fondèrent avec Raymond, marquis de
Toulousain, l'abbaye de Vabres, en Rouergue.
En 856, il y a eu un don fait à Abbon, abbé de l'église
Sainte-Radegonde à Milhac-d'Auberoche.
Après le retour des moines à Paunat, le monastère a été
reconstruit. En 963, la charte de fondation de l'abbaye du
Bugue, en Périgord, mentionne l'abbé de Paunat, Guigue, et
les moines de son monastère.
En juillet 991, Frotaire, évêque de Périgueux, accorde un
privilège d’exemption au monastère de Paunat à l’occasion
de la bénédiction de l’église…. On ne possède aucun
document permettant de préciser l'histoire de l'abbaye au
XIIe et XIIIe siècles, au moment où
se reconstruit l'église actuelle. »
Ces informations sont denses. Elles fournissent des détails
très intéressants sur l’histoire de l’abbaye avant l’an
mille. Cependant, on y retrouve tous les ingrédients que
nous avons critiqués en de nombreuses autres occasions : un
discours savant précis et documenté sur le passé antérieur à
l’an mille et une chute invariable du style :
« l’église actuelle est postérieure à l’an mille ». Et ce,
sans qu’on apprenne ce que sont devenues les églises
précédentes disparues dans de mystérieux limbes. Sans qu’on
sache aussi sur quelles données architecturales une église
peut être datée du XIesiècle et non du VIIIesiècle.
Sans qu’on nous ait fait découvrir enfin les détails
permettant d’envisager des étapes dans l’évolution du bâti.
Une réflexion doit être aussi effectuée sur l’histoire de
l’abbaye telle qu’elle nous est rapportée ici. En
particulier, sur sa « supposée » destruction par les
Normands. Le mot « supposée » semble ici de trop, tant le
texte de Wikipedia est empreint de certitude. C’est
justement là que doit se situer la réflexion. Dans une autre
page de ce site, nous avons comparé l’image mentale de notre
vision de l’histoire à celle, réelle, d’un paysage noyé dans
la brume. Dans le brouillard, plus les objets sont éloignés
et plus la vision s’estompe. Plus aussi on a tendance à
privilégier ce que l’on voit et à nier ce que l’on ne voit
pas. Il en est ainsi dans le domaine historique. Plus on
remonte dans le temps, plus la documentation se raréfie. Ce
qui reste de cette documentation devient primordial et la
référence unique, une absolue vérité qu’on ne doit pas
contester. Dans le cas présent, on apprend que l’abbaye a
été détruite par les Normands. Comment l’a t-on su ?
Probablement par un texte ancien décrivant les origines de
l’abbaye ou par une vie de saint. De fait, il semblerait que
ces écrits d’ordre religieux soient les seuls qui subsistent
de cette période. Les historiens ont fait de ces documents
partiels et dispersés la source exclusive et incontestée de
leurs études historiques. Les mêmes historiens qui doutaient
de la sincérité des hommes d’église qui leur étaient
contemporains ont accepté les informations transmises par
les textes anciens. Et ce, sans restriction (sauf pour des
faits miraculeux), même si certains textes avaient pu être
rédigés plusieurs siècles après les événements. Qui plus
est, il les ont amplifiées cédant à la passion du chercheur
qui tend à exagérer l’importance de ses découvertes. La
phrase ci-dessus « la
date de destruction de l’abbaye par les Normands en 849
» donne à penser qu’il y a eu exagération, soit de la part
de moines qui auraient rapporté les faits plusieurs
décennies après, soit de la part des historiens. Il est
difficile en effet d’imaginer que les pirates vikings qui,
paraît-t-il, effectuaient des incursions rapides en
territoires ennemis, aient pris le temps de démolir pierre
après pierre une quelconque construction. Sauf si celle-ci
pouvait présenter un danger ultérieur.
Ces diverses réflexions effectuées à partir du texte de
Wikipedia ne nous permettent pas de conclure en ce qui
concerne l’église Saint Martial de Paunat. Sauf sur un point
: rien ne permet d’affirmer que l’église actuelle date du
XIIe ou du XIIIe. Nous pensons que
seule l’analyse de l’architecture de l’édifice peut
permettre de répondre à la question. Malheureusement, les images de 1 à 6 dont
nous disposons ne donnent pas suffisamment d’informations.
Tout au plus peut-on noter quelques éléments qui nous
semblent relativement déterminants : l’église n ‘était pas
primitivement voûtée (image
5), les parois extérieures sont élevées, le chevet
est à plan rectangulaire
(images 4 et 6).
Cependant, c’est le clocher-porche qui nous semble le plus
probant. À cause de son libre accès dans sa partie
inférieure, de sa position sur la façade Ouest de la nef, il
s’apparente à d’autres clochers-porches situés non loin de
là (Évaux-les-Bains, Bessuejouls, Saint-Léonard-de-Noblat) .
Tous ces clochers ont été attribués à la fin du premier
millénaire.
Datation envisagée
pour l’église Saint-Martial de Paunat : an 950 avec un écart
de 100 ans.
Ajouts
d'informations le 5 décembre 2022
Le fichier ci-dessus formé du texte et des 6 premières
images a été créé en avril 2018. Il n'avait pas été précédé
d'une visite des lieux, mais pour le rédiger, nous avions
récolté les informations sur le livre Périgord
Roman de la collection Zodiaque
et sur les pages d'Internet. Les six images étaient
issues des galeries d'Internet.
Lors d'un séjour en Corrèze, nous avons pu visiter cette
église en compagnie d'Alain et Anne-Marie Le Stang. Grâce
aux photographies que nous avons prises, grâce aussi à la
connaissance que nous avons pu acquérir sur ce type d'église
depuis avril 2018, nous pouvons reprendre cette étude et
éventuellement rectifier des erreurs que nous aurions pu
faire.
Mais tout d'abord, nous allons revenir à l'historique de
cette abbaye donné par la page de Wikipédia. Cet historique
donne beaucoup de détails sur la vie de l'abbaye au cours du
premier millénaire. Plus en tout cas que pour de nombreux
édifices. Nous pensons qu'il serait très intéressant de
connaître les textes exacts et leurs traductions qui ont
permis d'établir cet historique. Intéressant … pour nous
certes, ... mais plutôt pour un futur chercheur désireux de
connaître un peu mieux, non seulement cette abbaye, mais
aussi l'histoire de toute une région. Étudions un extrait du
texte ci-dessus : « On
place souvent la date de destruction de l'abbaye par les
Normands en 849, mais elle est incertaine, on sait que les
Normands sont encore présents en 860 en Aquitaine, et que
Pépin II d'Aquitaine, en lutte contre Charles l'Enfant et
Charles le Chauve, va prendre des Normands comme
mercenaires en 864. Par ailleurs, en 861 ou 862, l'abbé de
Paunat, Adalgasius, et ses moines errants ne sont toujours
pas de retour dans leur abbaye. Ils fondèrent avec
Raymond, marquis de Toulousain, l'abbaye de Vabres, en
Rouergue. ». On nous apprend tout d'abord que
l'abbaye a été détruite par les normands. Y a-t-il un texte
qui établit d'une façon certaine qu'il y ait eu une
destruction totale ? Dans nos commentaires ci-dessus, nous
avons dit que les normands étaient réputés être des pillards
qui s’attaquaient à des abbayes, mais qui devaient
normalement appliquer la stratégie « on pille et on décampe
en vitesse ». D'une façon générale, chacun d'entre nous a
tendance à privilégier les événements violents dans la
disparition des édifices. Or, dans la plupart des cas, les
destructions sont dues à des désaffections ou à des
reconstructions. Ainsi, dans le cas présent, le fait que
vers l'an 861, Adalgasius et ses moines soient « errants »
peut certes s'expliquer par le fait que l'abbaye a été
détruite. Mais il peut y avoir d'autres raisons. Ainsi, ils
peuvent avoir été chassés de leur abbaye par des moines
dissidents, ou d'une autre congrégation, ou par des
mercenaires normands, ou par des francs. Et ceux qui les
avaient délogés ont pu occuper des bâtiments en bon état.
Les deux informations qui suivent : « Pépin
II d'Aquitaine, en lutte contre Charles l'Enfant et
Charles le Chauve, va prendre des Normands comme
mercenaires en 864 » et « Ils
fondèrent avec Raymond, marquis de Toulousain, l'abbaye de
Vabres, en Rouergue », ne sont peut-être pas aussi
anodines qu'elles paraissent. Concernant la première, nous
nous posons la question suivante : serait-il possible que
les historiens actuels, en se basant sur les comptes-rendus
des historiens de l'époque, aient privilégié l'action des
princes en négligeant l'importance de leurs peuples ? Dans
le cas présent, c'est Pépin II et non le peuple d'Aquitaine
qui s'allie aux normands. Un peu comme si, dans la situation
actuelle de guerre en Ukraine, c'était le président Macron
qui avait tout seul décidé d'envoyer des armes au président
Zélensky pour l'aider à se défendre contre Poutine. Que se
serait-il passé s'il avait envoyé des armes à Poutine ? On
devine qu'en agissant comme il l'a fait, le président Macron
savait qu'il avait l'accord non seulement de son
gouvernement mais aussi de la majorité des députés de
l'Assemblée Nationale ; et surtout, de la majorité des
français. De même on doit envisager que ce n'était pas Pépin
II qui était en lutte avec les deux Charles, mais le peuple
d'Aquitaine avec le peuple franc. Et nous devons aussi
envisager que contrairement à ce que nous connaissons de
l'histoire de France qui nous a été enseignée, la formation
de la nation française ne s'est peut-être pas faite dans une
complète sérénité. Les démêlés entre le royaume de France et
certains duchés ou comtés au cours du Moyen-Âge, souvent
interprétés comme des conflits d'héritages ou des guerres de
successions, pourraient avoir des origines plus profondes,
des ressentiments entre peuples.
En ce qui concerne la seconde phrase, nous constatons que
Raymond est « marquis
de Toulousain ». Au cours du Haut Moyen-Âge, un «
marquis » était un fonctionnaire royal responsable d'une «
Marche », sorte d'état-tampon entre les territoires
contrôlés directement par le roi et les territoires
extérieurs. La Marche devait être une sorte de protectorat.
Provisoirement indépendant, mais destiné à être intégré dans
la nation. C'est ce que l'on constate en ce qui concerne la
région de Toulouse. Vers 860, Raymond est désigné comme
étant marquis. Peu avant l'an mille, un autre Raymond est
désigné comme étant comte de Toulouse et marquis de Gothie.
Cela signifie que Toulouse est intégrée dans le royaume de
France mais pas encore la Narbonnaise (ou Gothie).
Les nouvelles
images de 7 à 18 permettent de compléter notre
information, sans pour autant enlever une part de mystère.
La première surprise que l'on a est l'aspect massif de cette
église, apparenté à celui d'une forteresse : aucune
décoration. Mais on ne voit pas les traits caractéristiques
tels que les créneaux et les mâchicoulis. Une autre surprise
concerne l'ouvrage Ouest dont l'extérieur est visible sur l'image 7. Dans la
plupart des cas, un tel ouvrage est ouvert du côté de la nef
dans sa partie supérieure sous la forme d'une tribune. Ce
n'est pas le cas ici (image
10) et nous nous demandons quelle en est la raison.
Remarquons au passage sur les images
9 et 10 l'importance de la croisée d'ogives.
Toutes les croisées sont intactes alors que les voûtes
qu'elles portaient ont disparu.
Sur les images 11 et 12, on constate que les
demi-colonnes qui soutiennent l'arc triomphal sont
installées sur des massifs quadrangulaires. Il s'agit là
d'une particularité que l'on retrouve dans certaines églises
du Sud de la France (Saint-Jacques de Béziers, Nant) ou à
San Pere de Rodes (Catalogne). Nous pensons que, au moins
pour San Pere de Rodes, cette disposition signifierait que
l'église était partagée en deux niveaux ; une église
inférieure et une église supérieure.
L'église qui apparaît très surélevée devait l'être encore
plus à l'origine. La vue plongeante de l'image
7 prouve qu'elle est en partie enterrée. Et pas de
peu ! Puisque le niveau primitif serait à 2, 8 m en dessous
du sol actuel.
Sur l'image 14, on voit deux cavités
dont l'une est désignée comme étant une "piscine". S'agit-il
d'une piscine baptismale ? Ou d'un dispositif servant aux
ablutions ? Nous ne sommes pas suffisamment documentés sur
la question.
Nous n'avons trouvé que peu de
représentations sculptées. Des pièces se révèlent cependant
intéressantes. Ainsi, celle de l'image
16 : probablement un couvercle de sarcophage. La
scène sculptée apparaît banale : une série d'arcades. Nous
avons rencontré cette scène a plusieurs reprises et nous
pensons qu'elle a une valeur symbolique. Parfois les arcades
peuvent abriter des figures d'hommes présentés de face et
debout. Il s'agirait des élus. Et lorsque les arcs sont
comme ici vides, cela signifierait la place qui attend
chacun d'entre nous dans le Ciel.
La croix de l'image 17,
sculptée d'une façon malhabile, pourrait être une croix
pattée analogue à celles que l'on voit en Bretagne.
Deux pierres insérées dans le mur Nord (image
18) portent la scène devenue classique des «
oiseaux au canthare ». Remarquer, pour celle de droite, le
traitement des ailes et queues des oiseaux. Les petites
cavités devaient contenir des pierres semi-précieuses ou des
verres colorés. Remarquer aussi la forme des vases aux cols
très étroits.
Concernant la datation, nous ne remettons pas en question
l'évaluation faite précédemment.
Nous nous sommes efforcés d'étudier cette église ainsi que
celle, voisine, de Trémolat, après avoir envisagé une
parenté avec d'autres églises à chevet carré comme Saramon
et Peyrusse-Grande dans le Gers et Bougneau en
Charente-Maritime. Pour cette église, la parenté n'est pas
tout à fait assurée.