L'église Notre-Dame du Chalard 

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Grâce à la visite de ce site par Alain et Anne-Marie Le Stang, en septembre 2020, nous pouvons compléter l'étude, initiée en juillet 2018, sur les monuments de Haute-Vienne. Les photographies de cette page ont été réalisées par eux au cours de cette visite.

Plusieurs panonceaux situés à l'intérieur ou dans le voisinage de cette église fournissent des explications sur celle-ci :

« L'église : extérieur. L'église du Chalard a été bâtie au XIesiècle sur les ruines d'un monastère détruit par les Normands en 848. La partie la plus ancienne est la chapelle souterraine dont le chevet est visible de l'extérieur, à gauche du chœur, en contrebas du cimetière (image 4). Commencée en 1088, l'église a été consacrée le 18 octobre 1100. Les baies, avec leurs gracieuses colonnettes, se prolongeant sous les voussures sont du pur style limousin roman. Le clocher trapu est allégé par ses douze ouvertures. Était-il destiné à être surmonté d'une partie octogonale et d'une flèche, comme de nombreux clochers limousins de l'époque ? La beauté de l'ensemble architectural masque les fortifications rajoutées en 1419, pendant la Guerre de Cent ans, par le capitaine anglais Beauchamp. Les consoles sculptées à la base de la toiture des trois absides, et l'arche, entre le chœur et l'absidiole Nord, supportaient le chemin de ronde qui ceinturait l'édifice. Après deux ans d'occupation, les Anglais furent chassés à l'issue d'un mois de combats acharnés par une armée de 500 hommes et 10 canons, conduite par le Sénéchal Mareuil et les Seigneurs de Lastours et de Mortemart.

La nef de l'église. L'église du Chalard est construite selon le schéma classique bénédictin avec le chœur, deux absidioles, un transept (plan de l'image 3). Mais il manque la nef. A-t-elle existé ? Elle n'y était probablement pas, en 1100, quand l'église a été consacrée. Elle a pu être édifiée, puis détruite en 1421 durant les dures batailles contre les anglais. Les amorces d'arches gothiques, visibles à l'extérieur, entre les piliers de la face Ouest, semblent prouver qu'il y a eu au moins un début de construction. [...]  »


Quelques observations concernant ces textes :

1) « L'église du Chalard a été bâtie au XIesiècle sur les ruines d'un monastère détruit par les Normands en 848. ». Nous avons rencontré à de nombreuses reprises ce type de phrase qui s'apparente plutôt à une légende. D'une part, ces multiples références aux Normands donnent à ce peuple une importance qu'il n'a pas sur le plan archéologique. Il est d'ailleurs possible que ce nom de «normands» ait désigné un ensemble d'individus dangereux ou de brigands n'ayant que peu de rapports avec les peuples ayant donné ce nom. Les exemples ne manquent pas : les vandales, les apaches (voyous français de la fin du XIXesiècle), les bougres (bulgares), les barbares, etc. D'autre part, on confond trop souvent les mots d'«invasion» et de «destruction». Le premier mot peut désigner une simple intrusion, un vol avec effraction. Le second, une éradication de monument. On comprend que les deux événements ne sont pas de même nature, le second étant nettement moins fréquent que le premier. Les historiens qui ont connaissance d'une intrusion de brigands dans un monastère peuvent avoir tendance à en exagérer la gravité, un simple pillage devenant une destruction totale.

2) « La partie la plus ancienne est la chapelle souterraine dont le chevet est visible de l'extérieur, à gauche du chœur, en contrebas du cimetière (image 4) ». Si l'on en croit l'auteur, comme l'église est du XIesiècle, cette partie devrait dater du XIesiècle comme le reste de l'église. Et donc elle devrait dater des débuts du XIesiècle. Nous n'avons pas visité cette chapelle mais nous constatons sur l'image qu'elle est désaxée par rapport au reste de l'église. En conséquence, nous l'estimons beaucoup plus ancienne. Le témoignage d'une intrusion de «normands» en l'an 848 permet de penser que cette chapelle pourrait être le chevet de l'ancienne abbatiale. Une abbatiale antérieure, et peut-être même, de beaucoup, à l'an 848.

3) « Commencée en 1088, l'église a été consacrée le 18 octobre 1100 ». Nous aimerions connaître les sources de ces renseignements. La précision des dates, 1088, 1100, permet de penser à l'existence de chartes les mentionnant. Quel est le texte latin de ces chartes ? Quelle est sa traduction ? Soit ces textes donnent des informations précises permettant d'affirmer que l'église a bien été commencée en 1088 et inaugurée en 1100, auquel cas nous serions en présence de textes fondamentaux qui permettraient de dater bon nombre d'églises. Soit ces textes ont été librement interprétés par l'auteur. Nous penchons plutôt pour la seconde hypothèse : jusqu'à présent, nous ne connaissons pas de charte décrivant le début de construction d'une église.

4) « Mais il manque la nef.  A-t-elle existé ? Elle n'y était probablement pas, en 1100, quand l'église a été consacrée. ». Nous sommes quasi certains que la nef a bien existé dès le début de la construction. Et ce pour des raisons liées au culte chrétien. Une église doit permettre de rassembler des fidèles auprès de Dieu. Une église, c'est à la fois une nef et un chœur. La nef est constitutive de l'église. En conséquence, dans la programmation de construction d'une nouvelle église, la nef est sur le plan. Et l'architecte ne dit pas : « Bon, on va commencer par le chœur, et, s'il nous reste un peu d'argent on continuera avec la nef ». Non, il doit tout faire : un chœur sans nef est quelque chose d'incongru. En conséquence, la nef a bien existé. Elle a sûrement subi bien des vicissitudes par la suite. Notons une anomalie : l'auteur note les restes des supports d'un chemin de ronde ceinturant les absides en leur sommet, preuves d'une fortification (image 4). Mais, inversement, nous remarquons, en dessous, les grandes baies de ces absides. Certes ces baies sont protégées par des grilles. Mais ces grilles ne résisteraient que très peu de temps à des tentatives d'arrachement par des individus très déterminés. La fortification des parties inférieures laisse donc à désirer. Nous pensons que le caractère sacré de la partie inférieure devait freiner la plupart des individus susceptibles d'envahir cette partie de l'église.


Les panonceaux continuent la description de l'édifice :

« L'intérieur de l'église. L'église est du pur style roman du XIesiècle. L'abside octogonale (image 5) et les deux absidioles circulaires latérales (images 6 et 7) s'ouvrent sur le transept. En face du chœur, un mur ferme l'espace qui aurait dû conduire à la nef. Les absides sont voûtées en cul-de-four et ornées d'arcades en plein cintre. Leurs baies diffusent une lumière céleste. Les voûtes majestueuses, en arc brisé, coiffent le transept et convergent vers la coupole centrale, surmontée par le clocher. [...]

Les chapiteaux. Les 22 colonnes entourant les absides et le transept supportent les voûtes et la coupole. Les chapiteaux remarquables qui les surmontent sont de pur style roman et sculptés dans le granit. De conceptions différentes, leur réalisation s'échelonna sur plusieurs périodes. Leur décoration est très variée. Elle va des modèles lisses à des personnages, en passant par des décors abstraits, des plantes et des animaux. »


Commentaires concernant les chapiteaux. Ces chapiteaux donnent une impression d'archaïsme. Il ne s'agit là que d'une impression car ces chapiteaux sont en granit, une pierre très difficile à sculpter. De fait, ces chapiteaux reproduisent des thèmes très répandus au Xeou XIesiècle : les entrelacs, les lions affrontés, Daniel et les lions. Cependant on retrouve ausi des thèmes énigmatiques (images 15, 17, 18).


Poursuivons notre lecture des panonceaux explicatifs :

« Le cimetière des moines. Au chevet de l'église, le cimetière des moines conserve une quarantaine de tombes sculptées, du Moyen-Âge au XVIesiècle. Certaines présentent la particularité d'être taillées en forme d'édifices religieux dont les côtés sont décorés de séries d'arcatures, et les toits, de chevrons et d'écailles. D'autres portent des insignes religieux (crosse, étole) ou des outils d'artisans sculptés (hache, navette de tisserand, tenaille et marteau). [...] » (images de 21 à 26 ).

Commentaire sur ce texte et les pierres du cimetière. Nous avons été très intéressés à la fois par le texte et par les pierres. Notons tout d'abord que ce ne sont pas des tombes destinées à accueillir des corps humains, mais des pierres tombales posées au-dessus des tombes constituant une sorte de couvercle au-dessus de chaque tombe. Ces pierres tombales imitent cependant les anciens sarcophages formés d'une cuve et d'un couvercle. Dans de nombreux cas, ces sarcophages imitaient la forme d'une maison. Surtout en ce qui concernait le toit à deux pentes, pourvu de tuiles ou d'écailles.

Le texte ci dessus nous dit que, « certaines présentent la particularité d'être taillées en forme d'édifices religieux dont les côtés sont décorés de séries d'arcatures, et les toits, de chevrons et d'écailles ». C'est ce que nous pouvons voir sur les images 21 à 26. Mieux que cela : on peut repérer sur ces images le transept et l'ouvrage Ouest (le transept est en général l'ouvrage le plus proche du chœur et l'ouvrage Ouest est à l'opposé du chœur), ainsi qu'un ouvrage Est, semblable à l'ouvrage Ouest. Mais bizarrement pas le chœur. Pourquoi bizarrement ? Il n'y a rien de bizarre là-dedans si on admet le caractère symbolique de l’œuvre. Cette pierre tombale représente la dernière demeure du saint homme. Cette dernière résidence c'est le Ciel, où il pourra vivre à côté de Dieu. Le sanctuaire qui existait auparavant n'est plus une nécessité puisque Dieu est au milieu des Élus.

Mais il est une découverte plus intéressante encore : la présence sur les côtés de la pierre d'arcades ou d'arcatures (images 23, 24, 25, 26). Rappelons que dans une des pages de ce chapitre, nous nous sommes intéressés à la cuve baptismale des Salles-Lavauguyon. Nous avons cherché à comprendre la symbolique des arcades. La réponse est ici. En fait, nous avons deux réponses qui nous sont apportées. Car l'image de l'édifice religieux représentée sur ces pierres tombales est celle d'une nef à trois vaisseaux privée de ses collatéraux. Ne restent que les arcades qui séparaient la nef des collatéraux. Dans la demeure céleste qui doit nous accueillir, les collatéraux ne sont plus nécessaires. La première question que nous nous étions posée était la suivante : pourquoi a-t-on construit des nefs à trois vaisseaux durant le premier millénaire alors que dans bien des cas, les contraintes spatiales ne le justifiaient pas ? Nous avons pensé que les collatéraux devaient être destinés à accueillir les futurs baptisés, le vaisseau central accueillant quant à lui les baptisés. Les présentes sculptures permettent de vérifier la moindre importance des collatéraux, qui de toute façon n'existeront pas dans le Ciel puisqu'il n'y aura que des Élus (et pas de stagiaires). La deuxième question concernait la symbolique des arcades. Elles permettent le passage du côté des Élus. Et ce, d'où qu'on vienne. Il est possible que l'église ait été partagée en fonction des travées : la travée des riches, la travée des esclaves, la travée des gaulois,etc. Dans ce cas, la multiplicité des arcs signifierait que, quelle que soit son appartenance, riche, esclave, gaulois, on peut accéder au Ciel.


La chapelle basse

Texte d'un panneau explicatif : « Sa date de construction est antérieure à celle de l'église. On accédait autrefois à cette chapelle située en contrebas sur la pente du promontoire par une porte côté Ouest actuellement murée. L'unique voûte arbore un décor en forme de croix byzantine délimitant quatre zones. Chacune comporte un médaillon avec une évocation d'une scène de la Passion : la Crucifixion, le Voile de Sainte Véronique. »

Cette chapelle est représentée sur les images de 28 à 30 ci-dessous. On peut voir successivement, au fond de la chapelle, l'ancienne entrée Ouest murée (image 28). L'arc qui protège cette entrée n'est probablement pas d'origine. Il devait y avoir précédemment un linteau.

Puis, en tournant le dos à l'entrée, vient la nef (image 29). Cette nef est prolongée par le sanctuaire caractérisé plus par son rétrécissement par rapport à la nef que par la présence de l'autel. Nef et sanctuaire sont voûtés. Mais le voûtement est très probablement postérieur à la construction primitive, car il empiète tout au fond ce qui devait être une fenêtre axiale, aujourd'hui murée. À cause de ce voûtement, l'arc triomphal qui séparait la nef du chœur a probablement disparu.

Tous ces indices tendent à prouver qu'on est de nouveau en présence d'une chapelle préromane à chevet carré, primitivement entièrement charpentée (nef et chœur). Ces chapelles sont nombreuses (plus d'une centaine) en Bas-Languedoc. Et, au fur et à mesure que notre site évolue ou que des contacts se nouent avec des sociétés archéologiques d'autres départements de la région Occitanie (Aveyron, Lot, Gers), nous en découvrons d'autres. Ce serait pourtant la première fois que nous en observerions dans la Haute-Vienne.

La fresque de la voûte de nef de cette chapelle représentant ici la croix et les instruments de la passion  (image 30) est bien conservée. Nous pensons qu'elle est postérieure au XVIe siècle.


Datation envisagée pour l'église Notre-Dame du Chalard

Nous avons envisagé ci-dessus que la chapelle en contrebas du chevet pourrait être nettement plus ancienne que celui-ci (images 28, 29, 30). Cependant nous n'avons pas suffisamment d'indices pour l'affirmer.

Aussi nous ne proposons qu'une datation du chevet : an 1025 avec un écart de 75 ans.