Église Saint-Pierre et Saint-Paul d’Évaux-les-Bains (Creuse)
L’église d’Évaux-les-Bains a moins
attiré l’attention des spécialistes de l’art roman que
l’abbatiale de la commune voisine de Chambon-sur-Voueize.
Elle se révèle néanmoins très intéressante. Plus même que
celle de Chambon en ce qui concerne la compréhension des
édifices du Premier Millénaire, objet de notre étude.
Car, bien sûr – cela finit par devenir une habitude – cet
édifice a été attribué au XIe siècle. (On
connaît le raisonnement que nous combattons : « Tous les
édifices chrétiens antérieurs à l’an 1200 sont du XIIe
siècle. Hormis quelques uns d’aspect plus primitif qui sont
du XIe siècle. Et avant l’an 1000? –Rien ! Tout
a été détruit ! »)
Nous étudierons plus particulièrement l’ouvrage occidental.
Il s’agit d’une tour-porche située à l’ouest de l’église (image 1).
Mais auparavant pénétrons dans l’église pour admirer sa
belle nef gothique (image
2). Selon la petite notice traitant de cet édifice
extraite de l’ouvrage « Limousin
Roman » de la collection Zodiaque,
des fouilles auraient permis de retrouver, sous les piliers
actuels, les bases cylindriques des premiers piliers. Hormis
ces quelques vestiges, il ne resterait rien de la première
nef ainsi que de toute la partie orientale détruite au
moment des Guerres de Religion. Par contre il subsiste des
restes du transept. En particulier le bel arc triomphal (image2), en plein
cintre, rendu outrepassé par saillie des tailloirs et des
chapiteaux qui le soutiennent.
Les images
3, 4 et 5 représentent des chapiteaux de ce
transept. Ces chapiteaux posent un petit problème de
datation. Par leurs formes, leurs dimensions, la présence de
tailloirs, ils semblent pouvoir être attribués à une période
relativement tardive, le XIe siècle. Par
contre, par leur décor ou le choix des thèmes, on pourrait
envisager une datation plus ancienne. Ainsi sur l’image
3 le chapiteau à pampres grappes et feuilles
étalées, qui fait penser à des modèles wisigothiques. Ou sur
l’image 5 le
décor de feuillages entrelacés comparable aux décors des
chapiteaux de Menat (Puy-de-Dôme). Mais le chapiteau qui
nous a intrigué le plus est celui de l’image
4.
Observons en effet de plus près ce qui semble tout un
embrouillamini de feuillages et de têtes de monstres. On
voit face à nous, disposé en oblique devant une sorte de
palmier, le corps d’un animal dont la tête apparaît au coin
supérieur dévorant un feuillage. Si on examine en sens
inverse, le corps de ce dragon se poursuit en queue de
serpent puis d’arrière train de quadrupède dont la queue
revient sur le corps après être passée entre les cuisses de
l’animal. On a là une très grande complexité dans la
composition. Une complexité et une richesse inventive qui
fait penser aux miniatures celtiques d’Irlande ou aux
sculptures des vikings. En conséquence de ces observations,
on peut envisager une datation du XIe, voire Xe
siècle , mais avec des réminiscences antérieures. Ou, plutôt
que parler des réminiscences, l’intervention d’une ou
plusieurs sculpteurs étrangers issus des pays nordiques.
L’image
6 nous montre le mur du fond (en direction de
l’ouest). Ce mur doit être comparé aux deux façades
observables sur la tour-porche de l’image
1. Que voit-on en effet sur chacune des deux
façades en faisant abstraction de la tourelle d’escalier
cylindrique plaquée sur la face sud et des modifications
d’époque classique sur la face ouest ? Au rez-de-chaussée,
deux ouvertures sous arcade. Au premier étage, deux autres
ouvertures sous arcade. Au 3e étage,
apparaissent deux arcades aveugles portées par des
chapiteaux. Eux-mêmes supportés par des colonnes
cylindriques. Et puis un mur nu. On retrouve la même
disposition dans l’image
6. Et encore la même disposition en ce qui
concerne la face nord.
On trouve là quelque chose d’exceptionnel. Il s’agit d’un
édifice à plan centré. Par ailleurs il est ouvert et ne peut
avoir servi de tour de fortification. On est donc en
présence d’un édifice à haute valeur symbolique. Un édifice
à comparer à d’autres, du même type (Tour-porche de
Saint-Benoît-sur-Loire, clochers de Viviers, de Saint-
Pierre de Brocuéjouls, Romaimotier). Un type différent de
celui d’autres édifices à plan centré comme ceux de
Ottmarsheim ou Aix la Chapelle. La caractéristique de ces
édifices (Saint-Benoît, Viviers, Brocuéjouls) est la
suivante : au rez-de-chaussée un passage ouvert ou porche
(même si dans la plupart des cas il a été clos
ultérieurement), et, à l’étage, une chapelle , souvent
dédiée à Saint-Michel.
La notice du livre « Limousin
Roman » nous raconte : « Tout cet ensemble, qui
doit remonter au XIe siècle, évoque les tours
des miniatures carolingiennes et aussi celles de Jumièges ».
Nous n’avons pas visité Jumièges ni vu les miniatures
carolingiennes dont parle l’auteur mais, en ce qui concerne
les ouvrages apparentés à la tour-porche d’Évaux, nous
envisageons sérieusement une datation antérieure à l’an
1000.
Le mot « carolingien » - que nous n’aimons pas car il
sous entend qu’un seul personnage, Charlemagne, soit
représentatif d’une période, d’un peuple, ou d’un style
artistique - signifie ici que les miniatures remontent au IXe
ou au Xe siècle.
Nous ne comprenons pas le raisonnement de l’auteur. Si cette
tour-porche évoque des miniatures du IXe ou Xe
siècle, pourquoi ne pas envisager qu’elle puisse dater de la
même période ? C’est à dire aux alentours de l’an 900. Alors
qu’il attribue cette construction au XIe siècle
: les alentours de l’an 1050. Soit 150 ans après ! Six
générations. Ce n’est pas rien !
Pour mesurer l’énormité de la chose reportons nous mille ans
plus tard avec deux ouvrages : la Tour Eiffel construite
pour l’Exposition Universelle de 1889, et le Viaduc de
Garabit. Ce viaduc est un ouvrage qui, par son architecture,
évoque la tour Eiffel. Et bien ! si on suit la même démarche
que l’auteur de « Limousin roman », ce viaduc, ami lecteur,
n’existe pas ! Du moins pas encore. Vous le verrez construit
aux alentours de 2050,… si vous vivez jusque là !
Les images
7, 8, 9 sont celles des ouvertures du
rez-de-chaussée. Remarquer la polychromie des voussoirs des
arcades. Remarquer aussi que les arcades sont supportées par
des impostes et non par le système colonne-chapiteau-arcade.
Et ici les impostes sont à saillant dirigé vers l’intrados
de la courbe. Nous envisageons de dater ce type d’imposte
des IXe-Xe siècles.
L’image
10 représente le 3e étage de
l’ouvrage ouest (vu du fond de l’église). On distingue les
piliers cylindriques supportant les arcades. Entre piliers
et arcades on peut voir les chapiteaux : 1 à chaque extrême
et deux au milieu. Soit 4 chapiteaux Et puisque il y a 4
faces, cela donne 16 chapiteaux, tous conservés. Six d’entre
eux sont reproduits dans les images
suivantes 11, 12, 13 et
14.
Remarquer que cet ensemble relève d’un certain archaïsme.
Dans l’art roman « classique », le chapiteau et la pierre
qui le surmonte : le tailloir, font partie d’un tout unique.
Or dans ces images (par exemple l'image
14), le tailloir et le chapiteau sont indépendants.
Le décor de chapiteau est, lui aussi, digne d’être examiné.
Il est principalement constitué d’entrelacs dits «
carolingiens ».
Il existe plusieurs sortes d’entrelacs. L’entrelacs «
d’exubérant » ou désordonné formé d’un entrecroisement de
lignes (pampres, tiges végétales, cordes, corps et membres
d’animaux) sans ordre apparent. L’entrelacs ordonné obtenu
par répétition régulière d’un modèle de base. Et enfin
l’entrelacs de « vannerie » qui imite un ustensile d’usage
courant (panier, cordage, tapis). L’entrelacs « carolingien
» ferait partie de la deuxième catégorie : un entrelacs
géométrique.
Et il n’y a pas que des entrelacs ! On peut voir aussi de
grandes feuilles et de plus petite insérées dans des disques
(images 12 et 13).
La tour à base carrée est surmontée d’une partie octogonale
à deux étages. Si l’étage supérieur présentant de fines
colonnettes semble dater du XIIIe siècle, l’étage
inférieur pourrait lui être antérieur de plusieurs siècles
et contemporain aux étages encore inférieurs. En effet cet
étage présente des baies triples de deux sortes. Celles de
l’image 16 ont
des piliers de séparation des fenêtres sans décoration, mais
presque semblables aux piliers du rez-de-chaussée. Pour
l’autre sorte, ce sont des colonnes cylindriques jumelées
qui soutiennent les arcs par l’intermédiaire de chapiteaux.
Ceux-ci sont décorés de motifs d’entrelacs « carolingiens
analogues à ceux vus précédemment. Et donc cette partie
pourrait être d ‘époque « carolingienne » Il faut néanmoins
nuancer fortement cette appréciation. En effet, vu
l’emplacement qu’ils occupent, il n’est pas possible que ces
chapiteaux soient restés là pendant des siècles sans avoir
été fortement érodés. Or ici ils apparaissent d’une grande
fraîcheur. En conséquence ils doivent être neufs. La
question est donc de savoir s’ils ont été copiés des
originaux ou si leur décor a été inventé en imitant les
modèles situés aux étages en dessous.
Que conclure de l’ensemble de ces
observations ?
Par son originalité, par la forme et le décor de ses
chapiteaux, la tour-porche apparaît comme une œuvre du
Premier Millénaire.
Mais peut-on la dater avec plus de précision ? L’exercice
est difficile. La période dite « carolingienne » ne
restreint pas au IXe et au Xe
siècle. Elle englobe aussi une partie du VIIIe
siècle.
On peut envisager la date de 850 avec un écart estimé de
plus de 100 ans. D’autres observations effectuées en
d’autres lieux devaient permettre d’affiner cette datation.