L'église Sainte-Foy de Morlaàs  

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Lorsque nous avons examiné plus attentivement les prises de vue de cette église par Anne-Marie Le Stang, nous avons été surpris par le mélange d’archaïsme et de modernité. Certains détails nous apparaissaient d’époque romane, voire préromane, alors que d’autres nous semblaient relever de l’art néo-roman du XIXesiècle. Fort heureusement, un panneau explicatif a répondu au moins partiellement à la question. En voici la teneur :

« L’église Sainte-Foy de Morlaàs a été bâtie vers 1080, par Centule V, vicomte de Béarn et d’Oloron. Centule V avait épousé Gisla, sa parente à un degré prohibé par les règles de l’église. Le pape Grégoire VII lui écrivit en 1074 pour l’engager à rompre cette union. Il se soumit, et en expiation de sa faute, fonda le prieuré de Sainte-Foy de Morlaàs qu’il dota richement, et qu’il donna à l’ordre de Cluny. »


Le texte poursuit : « ... Plus tard, la Révolution porta de graves coups à cet édifice, mais après mille ans d’existence et d’incessants travaux, elle se dresse toujours devant nos regards admiratifs.

La partie d’origine se réduit au chevet : l’abside centrale où se trouvent deux chapiteaux rappelant ceux des monuments qui jalonnent les chemins de Saint-Jacques-de- Compostelle et l’église peut tirer fierté de son dernier fleuron architectural : le portail (image 7) qui, dans sa forme actuelle, date du début du XXesiècle, sa retauration étant due à un des disciples de Viollet-le-Duc
. »

Nous avons, à de nombreuses reprises, exprimé des réserves sur les estimations de datation effectuées à partir de textes écrits. Dans le cas présent, un texte probablement authentique daté de 1074 nous apprend qu’un certain Centule V « fonde un prieuré » à Morlaàs. On déduit de la lecture de ce document qu’une église est construite vers 1080. Une telle interprétation pose une foule de questions. La première de ces questions devrait être celle-ci : « Quel est le mot latin du texte authentique qui a été traduit par le français « fonde » ? ». Si nous posons cette question, c’est parce que nous avons plus souvent entendu l’expression « érige en prieuré » qui a un tout autre sens, le mot « fonde « traduisant une création originelle, alors que le mot « érige » exprime un changement de statut.

Face à ces réserves, le seul moyen qui nous reste pour envisager une datation de cet édifice est celui des analyses architecturales et iconographiques.


Le plan de l'image 1 révèle une distorsion des murs de l’église : le mur Nord étant plus court que le mur Sud. On pourrait penser à une distorsion artificielle dûe à un mauvais dessin ou à une prise de vue déformée. Mais ce n’est pas le cas : la suite des explications fournies par le panonceau confirme la réalité de cette distorsion.

L’axe central de la nef et l’axe central du chevet ne sont pas orientés dans la même direction. L’écart est minime, de 1 à 2 degrés, mais suffisant pour poser la question de cet écart. La nef (image 12) semble plus récente que le chevet (images 2 et 13). Mais il ne s’agit probablement que d’une impression dûe au fait que les voûtes de cette nef appartiennent à la période gothique du XIVeou XVesiècle. En effet, la base des piliers (image 1) ne date pas de la même période. Bien au contraire, ces diverses bases à plan différents (circulaire ou rectangulaire), et à écartements différents, montrent bien d’une part que la nef primitive devait être au même emplacement et avec le même axe de symétrie que la nef actuelle. Et d’autre part, que cette nef a dû subir une multiplicité de travaux.

Nous estimons que le changement de direction des axes respectifs de la nef et du chevet n’est pas accidentel, dû à une quelconque maladresse des constructeurs tout à fait capables d’aligner les bâtiments au cordeau. Il doit donc exister une explication rationnelle à ce qui nous semble être une aberration. Il est possible que ce changement d’orientation soit dû à des conditions particulières de nature « géographique » : irrégularité de terrain, présence d’une source, nécessité de respecter un
« plan d’occupation des sols ». Cependant, de telles conditions restrictives doivent être rares, et à l’inverse, nous avons pu constater une fréquence importante de ces changements de direction plus particulièrement dans des édifices que nous estimons antérieurs à l’an mille. Nous pensons donc qu’il doit y avoir une autre explication d’ordre symbolique. Une idée nous est venue à l’esprit. De nombreuses églises paléochrétiennes ont été dédiées, non à un seul saint, mais à deux saints : Saint Pierre et Saint Paul, Saint Gervais et Saint Protais, Saint Nazaire et Saint Celse. Il est, selon nous, possible que cette dédicace corresponde à un partage en deux de l’église, la nef étant dédiée à un saint, et le chœur à un autre saint. Dans ce cas, l’orientation de chaque corps de bâtiment correspondrait à la position du soleil le jour de la fête du saint. L’hypothèse est séduisante. Sa vérification est cependant très délicate, pratiquement impossible à faire, car elle exige des connaissances importantes tant en histoire qu’en astronomie (calendriers), connaissances dont une grande partie ont été très probablement définitivement perdues.

Mais, objectera-t-on, si le changement de direction entre nef et chœur est lié à la dédicace à deux saints, comment se fait-il que cette église ne soit dédiée qu’à un seul saint, ici une sainte, Sainte Foy ? La réponse est relativement simple. Il n’est pas rare que la dédicace d’une église soit changée. Un peu comme on change le nom de rue d’une ville, mais sans doute beaucoup moins fréquemment. C’est ce qui s’est très probablement passé lorsque les wisigoths qui avaient adhéré à l’hérésie arienne se sont convertis à la foi catholique. Mais il y a sans doute eu beaucoup d’autres occasions de changements de dédicace. Quant à Sainte Foy, et bien que la légende en rapport à sa vie soit très ancienne, nous doutons un peu de son existence réelle. Il est possible que la dévotion que tout croyant doit accorder à la Foi ait été personnalisée par une sainte. On connaît au moins un cas analogue : la célèbre basilique Sainte-Sophie de Constantinople est dédiée, non à un être de chair appelé Sophie, mais à une qualité de l’âme, la Sagesse.

Les parties qui subsistent de l’édifice primitif, à savoir les trois absides et l’avant-chœur (images 1 et 2), seraient selon nous les restes d’un édifice antérieur à la date 1080. Cet édifice devait être constitué d’une nef à trois vaisseaux avec trois absides en prolongement. L’absence de transept confirmerait cette ancienneté. L’existence de fenêtres (image 4) datant de la période romane sur les parois des absides n’entrerait pas en contradiction avec cette analyse ; elles ont pu être percées dans des murs construits longtemps après la construction initiale.


Il reste à étudier les sculptures. Celles des chapiteaux des fenêtres du chevet (images 4 et 5) pourraient être le résultat de restaurations à l’identique.

En ce qui concerne les sculptures du portail, la restauration a semble-t-il été un peu plus libre. Ainsi, en ce qui concerne le chapiteau de l'image 8, le déhanché des personnages apparaît plutôt roman, du XIIesiècle, alors que leurs visages seraient gothiques, du XIIIesiècle. Le tout semble-t-il réalisé par un artiste du début du
XXesiècle.

De même, les bas-reliefs des images 9 et 10 témoignent de la même ambivalence. Comme si le sculpteur, voulant imiter la naïveté des sculptures romanes, avait un peu forcé le trait (visages démesurés). Il reste que les scènes représentées, le massacre des Innocents et la Fuite en Égypte, sont peut être des reproductions même malhabiles des scènes d’origine. Cela signifierait que, à l’origine, le portail serait relativement tardif, du XIIesiècle.

Le trumeau du portail (image 11) est sans doute une imitation de celui d’Oloron-Sainte-Marie.

Aussi paradoxal que cela paraisse, les chapiteaux les moins restaurés pourraient se trouver dans le chevet (images 13 et 14). Bien qu’il soit recouvert d’un badigeon du
XIXesiècle, celui de l'image 15 pourrait dater du XIesiècle.



Datation envisagée

Cette église très restaurée apparaît au premier abord remonter à l’époque romane (fenêtres du chevet du XIeou XIIesiècle, portail du XIIesiècle) . Mais certains détails, en particulier dans le plan, pourraient faire remonter encore la datation de plusieurs siècles. En attendant une étude plus approfondie, nous proposons la datation : an 1025 avec un écart de 100 ans. Et ce, nous l’avouons, par prudence, afin d’éviter un trop grand chamboulement des datations que nous avons déjà sérieusement perturbées.