L'église Notre-Dame-de-la-Nativité de Bussière-Badil
Dans cette page, nous étudions cette église visitée par
Clive Kenyon, dont il nous a transmis certaines des images
ci-dessous.
La page du site Internet Wikipédia décrivant cette église
nous apprend ceci :
«
La première église était un prieuré bénédictin fondé en
768. L'édifice actuel roman, construit au XIIe
siècle avec des dimensions plus importantes, était la
possession de l'abbaye prémontrée de la Cluse. Il
présentait nombre de systèmes de défense : créneaux,
bretèches, hourds, murailles, meurtrières, douves, tours
de guet. Ces éléments ont disparu en presque totalité au
XVe ou au XVIe siècle. L'église est
classée au titre des monuments historiques par liste en
1862. »
Commentaires de ce texte
On retrouve dans ce texte certaines des erreurs ou
confusions dénoncées à de nombreuses reprises. L'une d'entre
elles est révélée par la première phrase : « La
première église était un prieuré bénédictin fondé en 768.
» . Il y a là confusion entre un immeuble, l'église, et une
fondation, le prieuré. L'église est un assemblage de
pierres, la fondation est un assemblage d'humains. Dans leur
grande majorité, les textes n'évoquent pas des constructions
mais des fondations. Dans une fondation, on réunit des
personnes en vue d'un projet commun. Mais réunir des
personnes en un lieu commun, et ce pour une longue durée,
signifie que l'on doit leur apporter des moyens de
subsistance : se nourrir, se vêtir, se loger, prier, lire, …
Donc une fondation ne peut se faire que s'il y a eu
auparavant des structures pour accueillir la communauté. Une
communauté ne peut être fondée ex-nihilo. Il existe certes
des cas particuliers. Exemple : un puissant mécène construit
les bâtiments et y introduit une communauté. Autre exemple :
un ermite jouissant d'une grande réputation attire des
fidèles qui finissent pas former une communauté. Mais dans
la grande majorité des cas, la construction de l'église
précède ou suit la fondation mais n'est pas contemporaine de
celle-ci.
Dans le cas présent, la seule chose que l'on puisse dire,
c'est qu'une église existait avant l'an 800. En effet, si la
communauté a été fondée en l'an 768, soit une église était
déjà construite à cette date, soit elle a été construite
après, mais les moines n'ont pas attendu 32 ans la
construction de cette église.
La phrase suivante, « L'édifice
actuel roman, construit au XIIe siècle avec des
dimensions plus importantes,...», fait l'objet
d'une autre critique effectuée en de nombreuses occasions
dans les mêmes circonstances. Sachant qu'il existait une
église en 768, l'auteur affirme que l'église actuelle a été
construite au XIIe siècle, soit environ 400 ans
après la précédente. Qu'en est-il de l'église qui aurait
entièrement disparu ? Où se trouvait-elle ? Ne serait-il pas
possible qu'il y ait des restes de cette église dans
l'église actuelle ?
Extérieurement, la nef recouverte d'un
toit à deux pentes semble être à un seul vaisseau (image
1). On note la présence d'un transept haut et
débordant, avec un clocher de croisée de transept. L'abside
principale est précédée d'un avant-chœur et encadrée par
deux absidioles greffées sur les croisillons de transept.
Cette disposition de plan (transept haut et débordant,
avant- chœur, absidioles greffées sur le le transept) est
selon nous caractéristique d'un art roman des alentours de
l'an 1100 (images 2, 3, 4).
On constate que l'abside principale a été surélevée,
probablement lors des travaux de fortification.
L'image 6 montre
la façade Ouest. À partir de cette image, on envisage que la
nef de cette église pourrait être à trois vaisseaux. En
effet, on note la présence de deux puissants contreforts
séparant cette façade en trois parties. Mais il y a aussi le
portail aveugle situé à droite de l'image. Les restes des
deux piédroits formés d'un appareil régulier sont visibles.
À l'inverse, entre ces deux piédroits, l'appareil est
irrégulier. Presque sûrement, il y avait là une porte
permettant d'accéder à une salle collatérale à celle de
l'entrée principale.
Le portail principal (images
7 et 8) est entouré par 7 statues privées de leurs
têtes.
De part et d'autre de ce portail, ont été insérés deux
bas-reliefs. Celui de droite (image
9) représenterait les scènes de la Nativité avec,
au-dessus, l'Annonciation et la Visitation, et, au-dessous,
l'âne et le bœuf soufflant sur … ce qui semble être un corps
d'adulte et non l'Enfant Jésus. Image donc assez étonnante.
Il est possible que nous soyons dans l'erreur.
Celui de gauche (image 10)
représenterait les scènes de la Résurrection, avec,
au-dessus, l'Ange s'adressant aux Saintes Femmes et
au-dessous, le tombeau vide.
Sur la voussure de ce portail (image
11), on peur voir à gauche deux animaux affrontés.
Ce sont des lions à queue feuillue.
L'image
12 représente un portail dont la lunette est
constituées de pièces sculptées. Dans le cas présent, nous
faisons la distinction entre lunette et tympan. Pour nous,
la lunette est un espace initialement vide entre le linteau
(au-dessus de la porte d'entrée), et l'arc de décharge
protégeant l 'ensemble. Cet espace a été par la suite comblé
par une marqueterie de pierres ou par un enduit recouvert
d'une fresque ou d'une mosaïque. Le linteau est une pierre
sculptée recouvrant la totalité du demi-disque formé par la
lunette. Ce linteau développe un thème unique.
Ce n'est pas le cas ici. On a diverses scènes représentées
sans apparemment de liens entre elles. Ce sont probablement
des pierres utilisées en réemploi, provenant d'un décor plus
important. Nous les reproduisons ci-dessous (images
13, 14, 15), plus par souci qu'un lecteur nous en
donnera une explication, que par volonté d'en fournir une.
Dès l'entrée dans l'édifice (images
16 puis 17), on réalise que l'on est bien en
présence d'une nef à trois vaisseaux. Ces trois vaisseaux
sont voûtés en plein cintre sur doubleaux plein cintre. Les
piliers sont de type R1111,
c'est_à dire à section de base rectangulaire avec des
saillies semi-circulaires côtés Est, Ouest, collatéral et
vaisseau central (images
19 et 20). Cependant, il semblerait qu'il y ait des
différences entre les deux côtés Sud et Nord : piliers de
type R1111 côté
Sud, piliers de type R1101
côté Nord. Cela nous conduit à penser qu'il y a eu au moins
deux étapes de travaux pour cette partie de nef. Pour la
première étape, il y aurait eu construction d'une nef à
trois vaisseaux entièrement charpentée. Les piliers auraient
été de type R1010.
Les arcs reliant les piliers auraient été à double rouleau.
Au cours d'une seconde étape de travaux, des colonnes
semi-cylindriques auraient été adossées aux piliers du côté
du vaisseau central et collatéral Sud (mais pas du côté du
collatéral Nord). Ces colonnes auraient permis de porter par
l'intermédiaire de chapiteaux les arcs doubleaux, eux-mêmes
porteurs des voûtes en plein cintre. Le vaisseau central qui
devait être à l'origine plus élevé a été abaissé à cette
occasion, permettant de réunir les trois travées sous un
même toit à deux pentes. Mais ce faisant, les fenêtres
supérieures qui devaient éclairer le vaisseau central de la
nef ont été supprimées.
On remarque que certains piliers sont à section
rectangulaire de type R0000.
Ce sont le premier pilier à droite sur l'image
19, le premier pilier à gauche sur l'image
20, les deux piliers sur l'image
21 , le pilier à gauche sur l'image
22. Nous pensons que les piliers de type R0000
ont précédé les piliers de type
R1010. Cette partie située dans le transept
pourrait donc être plus ancienne que la nef, mais c'est
aussi celle qui aurait subi le plus de transformations.
Les
chapiteaux
Image 25 :
chapiteau à feuillages et pomme de pin.
Image 26 :
chapiteau à feuillage et fruit.
Image 27 :
chapiteau à feuillage.
Image 28 :
chapiteau à entrelacs encadrant des silhouettes humaines.
Cette image pourrait être issue de la représentation d'un «
homme nu sortant de feuillages ».
Image 29 :
chapiteau à animaux adossés. Ce sont des lions à queue
feuillue.
Image 30 :
Oiseaux à tête humaine.
Image 31 : Autre
oiseau à tête humaine et masque en arrière-plan. Scène
difficilement interprétable.
Image 32 : Animaux
entrelacés. La scène représentée sur ce chapiteau est assez
extraordinaire. Au centre, deux quadrupèdes sont représentés
symétriques et la tête en bas. Ils mangent leur queue qui
passe sous une des pattes arrière tandis que l'autre patte
arrière est dévorée par un masque grotesque. Des rameaux de
feuillage complètent l'entrelacs.
Image 33 : Animaux
entrelacés. Autre vue du même chapiteau. On voit que la
scène ci-dessus est reproduite sur les côtés.
Image 34 : Scène
rencontrée ici pour la première fois. Cette représentation
fait plus penser à une œuvre gothique qu'à une œuvre romane.
Au-delà de la description qui peut en être faite (homme
écrasant avec un pilon ?), il faut se poser la question du
symbolisme attaché à cette représentation.
Image 35 : Lions
affrontés réunis en une seule tête.
Image 36 : Lion
crachant un feuillage.
Image 37 : Sirènes
à deux queues. Nous pensons que l'appellation de sirène
énoncée faute de mieux est impropre. La sirène évoquée dans
les mythologies grecques est une femme poisson à une queue.
Ici on est en présence d'un homme au torse nu tenant deux
queues. Nous pensons que cette représentation est issue de
celle de
« l'homme nu surgissant des feuillages ». Ici les feuillages
seraient devenus des queues de poisson. Ailleurs, ce sont
des jambes relevées.
Images 39 à 41 :
Dans les scènes représentées sur ces chapiteaux, on peut
voir deux figures (animaux ou hommes) symétriques encadrant
ce qui semble être un blason. Parfois ce blason est placé
sur un écu (un bouclier : image
39) mais il peut être placé sur une structure plus
large qu'un bouclier (image
41). Ces chapiteaux font plus penser au gothique
qu'au roman. Ils se trouvent néanmoins dans une église dite
romane. Il faudrait savoir quelle est leur localisation dans
l'église : s'ils soutiennent des arcs en plein-cintre romans
ou des voûtes gothiques. Mais ils semblent appartenir à une
période de transition entre le roman et le gothique. Leur
présence dans cette église est un élément important car elle
nous apprend que des familles de nobles ont pu exposer leurs
armoiries dans cette église. Tout se passe comme si ces
familles avaient effectué un acte de signature dans cette
église : « c'est moi qui ai financé en partie la
construction de cette église ». Et cela nous conduit à
envisager que les autres scènes incompréhensibles que l'on
voit tout à côté (sirènes à deux queues, hommes nus sortant
des feuillages, animaux affrontés, ...) pourraient être
aussi des signatures de mécènes. Nous avons d'ailleurs vu
dans une autre page que les blasons du XIVe
siècle pouvaient exposer des sirènes ou des animaux
affrontés. Ce qui indique une possible continuité des
symboles représentés.
Images 42 et 43 :
Hommes saisissant des rameaux. C'est peut-être issu de la
scène d'un « homme nu surgissant des feuillages ».
Images 44 et 45 :
Bases de colonnes. On reconnaît sur l'image
44 un motif d'entrelacs et sur l'image
45 un motif d'arcades. Nous pensons que la
représentation d'arcades sur des objets cultuels a un sens
symbolique fort, peut-être d'entrée dans le royaume céleste.
Datation envisagée pour l'église Notre-Dame-de-la-Nativité
de Bussière-Badil :
La date de 768 indiquée ci-dessus constitue un marqueur
chronologique important de l'existence d'une église en cet
emplacement au VIIIe siècle. L'analyse de
l'architecture de cet édifice nous permet de penser qu'il
existe à l'intérieur même de l'édifice des restes de cette
première église. Ils seraient identifiables dans les piliers
à plan rectangulaire et les arcs qu'ils soutiennent situés
dans le transept. Par la suite, il y aurait eu les travaux
de construction du reste de la nef, puis le voûtement de
cette nef ; et enfin, la construction du transept et d'un
nouveau chevet.
Ce qui nous fait envisager les datations suivantes :
Pour la nef
primitive (piliers à plan rectangulaire et arcs du transept)
: an 750 avec un écart de 50 ans.
Pour le reste de la
nef : an 950 avec un écart de 50 ans.
Pour le voûtement de cette nef : an 1050 avec un écart de 50
ans.
Pour la construction du transept et d'un nouveau chevet : an
1125 avec un écart de 50 ans.