L'enclos cathédral de Braga 

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La visite de l’enclos cathédral de Braga est on ne peut plus surprenante. D’une part, le touriste doit payer pour entrer dans l’église. Si le fait est rare ailleurs, il l’est moins au Portugal où l’entrée de plusieurs églises est payante. Le ticket d’entrée permet néanmoins d’accéder à un intéressant musée diocésain.

La deuxième surprise vient du fait que la partie la plus intéressante - selon nous - de l’enclos cathédral est gratuite : c’est le dépôt lapidaire. Ce site va en présenter quelques pièces.

Enfin une troisième surprise attend le visiteur : il n’y a dans cette cathédrale aucune explication. Nous aurions aimé découvrir ne serait-ce qu’un simple plan nous permettant d’identifier les restes de l’église en partie disparue. Mais rien ! Et même sur Internet, on ne voit aucun plan de l’édifice. Pas plus que de chapiteau. A coup sûr notre site devrait combler une lacune.



La visite de l’enclos cathédral commence par une cour quadrangulaire dans laquelle ont été déposés un certain nombre de blocs sculptés. Mais immédiatement l’attention se porte en direction de l’Est (image 1) sur la chapelle Saint Gérard et à sa droite, ce qui semble être les restes d’une absidiole (image 2). L’arc d’entrée est porté par un doubleau soutenu par des chapiteaux (images 3 et 5). Cet arc est surhaussé. Plusieurs indices font penser qu’on est en présence d’un premier art roman : arc surhaussé, corniche « à billettes » faisant le tour intérieur de l’absidiole, forme « empâtée » des chapiteaux, en particulier celui de l'image 5. Inversement, la belle fresque qui tapisse le cul-de-four de l’absidiole semble plus récente, du XVesiècle.

Le regard se porte ensuite à droite de cette absidiole sur le mur disposé transversalement à celle-ci (image 6). Ce mur semble bâti d’un seul tenant. Cependant, on remarque que, à sa base et de part et d’autre, des pierres ont été enlevées, faisant apparaître des bases de demi-colonnes adossées, puis l’existence de piliers cruciformes de type R1110 ou R1111 (pour vérifier l’existence d’une autre demi-colonne adossée il faudrait passer de l’autre côté du mur). Nous avons essayé de reconstituer sur l'image 7 ce qu’était initialement cette partie. Le mur que l’on voit ici était primitivement le mur gouttereau à arcades séparant le collatéral Nord du vaisseau central d’une église disparue. Le collatéral Nord se situait dans la cour où a été prise la photo. Il était prolongé à l’Est par l’absidiole Nord. Le vaisseau central se trouvait de l’autre côté du mur.

Une des pierres sculptées de la cour a retenu notre attention (image 8). Elle a été taillée en forme de conque. On pourrait penser à une œuvre du XVIIe ou XVIIIe siècle. Mais pour ces époques, c’est la forme extérieure de la conque qui est représentée. Or ici on a une forme intérieure. Nous aurions plutôt tendance à voir le modèle beaucoup plus loin, de l’autre côté de la Méditerranée, à Denderah (voir cette page de notre site). Sans doute existe-t-il des modèles plus proches non répertoriés.



Le cloître de l’archevêché (image 9) est de création relativement récente : fin XVIIIe- début XIXe siècle. Il contient des chapiteaux très intéressants, mais peu mis en valeur et non commentés. Essayons de les décrire :

Image 11 : un homme entre deux lions. C’est peut-être le prophète Daniel entre les lions. Mais la posture de l’homme n’est pas en conformité avec le fait que Daniel domine les lions. Les traits de l’homme sont typiquement « celtiques ».

Image 12 : Les oiseaux au canthare. Cette image est devenue ultra-classique. Elle remonte à l’antiquité et semble disparaître à l’époque romane.

Image 13 ; On y voit deux chapiteaux successifs. Le plus proche est sculpté de deux personnages agenouillés, les bras en croix portant une tête coupée. Au dessous de celle-ci, une autre tête coupée repose sur le sol. Les deux hommes sont vêtus d’une sorte de kilt. Là encore la représentation est proche de l’art celte. En arrière, le deuxième chapiteau porte un quadrupède. Les articulations des pattes de ce quadrupède sont nettement mises en évidence par un trait continu. On retrouve la même accentuation des contours des articulations dans des miniatures irlandaises du VIIeou VIIIesiècle (livres de Durrow, livre de Kells) ou des sculptures vikings.

Images 14 et 15 : Ces deux chapiteaux sont a priori identiques. Les différences sont légères mais elles existent : la position des pieds du personnage central, sa coupe de cheveux, l’absence d’ailes de l’ange pour l'image 14. Nous n’avons pas eu le temps de vérifier s’il existait d’autres chapiteaux semblables à ces deux-là. L’iconographie est exceptionnelle. C’est la première fois que nous la rencontrons. L’image de ces deux oiseaux picorant la tête d’un homme ne peut que nous interroger.
Voici une explication. Les deux oiseaux que nous voyons sur ces deux chapiteaux ne seraient autres qu’un nouvelle représentation des « oiseaux au canthare » vus précédemment : les oiseaux qui s’abreuvent au vase de vie. On sait que dans de nombreuses représentations, le canthare a été remplacé par un calice ou une croix. Ici, il serait remplacé par un personnage humain. Mais pas n’importe quel personnage humain. Celui-ci porte un livre carré. Ainsi sont représentés les évangélistes. Ces deux chapiteaux pourraient donc symboliser lea nécessité d’un « resourcement » à la lumière des évangiles.

Image 16 : Il s’agit du même chapiteau que celui de l’image précédente. L’ange pourrait représenter le symbole de Saint Mathieu.

Image 17 : Chapiteau à entrelacs de pampres de vigne. Les grappes de raisin sont représentées. La vigne est symbolique de « l’arbre de vie ». On retrouve là encore une tête « celtique ».

Image 18 : La forme de ce chapiteau est différente de celle des précédents qui devaient être adossés à une paroi. Celui-ci devait être isolé, porté par une colonne cylindrique. C’est un chapiteau dit « composite », c’est-à-dire dérivé du corinthien.

Image 19 : Là encore on trouve des têtes que l’on peut qualifier de « celtiques ». Cependant, par sa forme, ce chapiteau est différent des précédents. Ce chapiteau pourrait dater du XVe : on le voit à certains détails comme sa forme ou la coiffe de la femme.



Les images 20 et 21 font apparaître que le plan de la cathédrale est de type basilical à trois vaisseaux. Le mur gouttereau du vaisseau central est différent du mur extérieur situé au premier plan. En ce qui concerne celui-ci, les fenêtres en forme de meurtrières pourraient être signes d’une ancienneté. Cette ancienneté est confirmée par le fait qu’une de ces fenêtres a été en partie recouverte par le portail roman (image 22). Ce portail date très probablement du XIIesiècle. Il se situe hors des limites de notre étude. Cependant, son tympan (image 23) mérite une particulière attention. Il semble en effet nettement plus ancien que le XIIesiècle. Il semble en effet provenir d’une pièce antérieure (un tympan ? une face avant de sarcophage ?). La représentation d’une croix pattée à branches égales est en règle générale bien antérieure à l’an mille. Les entrelacs irréguliers sont eux aussi antérieurs à l’an mille.

L’intérieur de la cathédrale (images 24 et 25) révèle une certaine surprise. Il s’agit bien d’une basilique à trois vaisseaux. Les piliers porteurs du vaisseau central sont cruciformes de type R2222. Les chapiteaux dont certains sont historiés sont typiquement romans. Les arcs (image 25) sont à la fois doublés et brisés. On se trouve donc à la fin de l’époque romane, probablement dans la seconde moitié du XIIesiècle. La surprise vient du fait que la nef et les bas-côtés ne sont pas voûtés, mais charpentés. De grands arcs légèrement brisés portent les charpentes du toit. Il s’agit là d’une technique architecturale que nous avions jusqu’à présent attribuée au XIVesiècle. On la retrouve en effet dans beaucoup d’églises gothiques.

Les images 26 et 27 ont été prises à l’intérieur de l’église dans l’un des bas-côtés. Elles sont des témoins d’un premier art roman. Elles prouvent que la réfection de la nef au XIIesiècle a préservé certaines parties d’une église précédente.




Conclusion


Le lecteur comprendra que deux parties se sont révélées intéressantes : d’une part, les restes de l’ancienne cathédrale dans l’actuelle cathédrale, d’autre part les chapiteaux des images de 11 à 18 déposés dans le cloître. Il est d’ailleurs possible que ces chapiteaux proviennent eux aussi de l’ancienne cathédrale. Il faut cependant remarquer que ces chapiteaux sont différents des chapiteaux de l’absidiole (images 3 et 5). Ceci étant, rien n’empêche de penser que l’ancienne cathédrale ait pu évoluer dans le temps avant d’être en grande partie détruite puis reconstruite au XIIesiècle.

Revenons à présent aux chapiteaux des images de 11 à 17. Le qualificatif de « celtiques » les a concernés à plusieurs reprises. Ce n’est peut-être pas un hasard..

Dans son « Histoire Ecclésiastique des Francs », l’évêque Saint Grégoire de Tours parle d’un de ses collègues, Martin, évêque de Braga. On sait que Saint Martin, mort en 397, a été lui aussi évêque de Tours moins de 200 ans avant Grégoire. Celui-ci célèbre les mérites de son prédécesseur et signale l’existence d’églises consacrées au saint homme. Cependant il ne cite que très peu de ses contemporains portant le nom de Martin et il paraît étonnant que ce nom soit celui d’un homme habitant à plus de mille kilomètres de Tours. Par ailleurs, on apprend que Martin de Braga voue un véritable culte à Martin de Tours. Il semblerait que le lien entre Grégoire de Tours et Martin de Braga ait été fort. Plus en tout cas qu’avec d’autres évêques de diocèses plus proches de Tours, comme Nantes ou Toulouse.

On est forcé d’envisager que cette relation entre les deux évêques soit la conséquence d’un lien étroit unissant les deux peuples respectifs de Tours et de Braga. Peut être même s’agit-il d’un seul peuple installé en deux endroits différents de l’Europe alto-médiévale.

Or la ville de Tours faisait partie de la province romaine de la « Gaule Lyonnaise ». Les habitants de Tours étaient des Gaulois. Ou des Celtes si on préfère cette dernière appellation. Il ne serait donc pas surprenant que les habitants de Braga soient eux aussi des Celtes. Ce qui expliquerait les traits « celtiques « de ces chapiteaux.



Datation

Face à ces chapiteaux (images de 11 à 17), nous sommes très partagés. D’une part le leitmotiv cent fois répété jusqu’à l’usure : « chapiteau roman du XIIesiècle » nous invite à éviter l’excès contraire qui consisterait à voir dans tout chapiteau une œuvre antérieure à l’an 1000. D’autre part, nous devons constater que nous sommes bien en présence d’un certain archaïsme. Il y a dans ces chapiteaux un symbolisme que nous ne comprenons pas. Et nous partons du principe que plus une œuvre est incompréhensible plus elle est ancienne (ceci dit concernant le Moyen-Âge et non l’époque moderne. Actuellement, plus une œuvre est incompréhensible, plus son auteur est considéré comme génial et novateur).

Une telle incertitude nous conduit à envisager pour ces chapiteaux la date de l’an 900 mais avec un fort écart supérieur à 150 ans.