L’église São Pedro de Balsemão à Lamego 

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Assez paradoxalement il n’existe pas à notre connaissance de page écrite en portugais du site Wikipedia sur cette chapelle. La seule page de ce site est écrite en anglais.

Le site visitportugal.com donne une traduction en français très succincte : « La fondation de la chapelle São Pedro de Balsemão remonte au VIIe siècle, à l’époque wisigothique, et constitue un exemple presque unique d’architecture religieuse au Haut Moyen-Âge au Portugal. La chapelle a subi postérieurement des modifications, mais ce sont les altérations de l’époque baroque qui sont les plus évidentes. Il ne reste du temple primitif que la disposition intérieure composée de trois nefs, et la décoration géométrique de grande importance dans la péninsule ibérique comparativement aux autres monuments de la même époque. ».

Au passage, nous n’hésitons pas à lancer un petit coup de griffe sur ce commentaire : si l’auteur parle des « autres monuments de la même époque », c’est qu’il en existe. Pourquoi alors dire que cette chapelle « constitue un exemple presque unique … »?. En fait, nous pensons que ces deux phrases ne sont peut-être pas aussi contradictoires qu’il n’y paraît. L’auteur a peut-être « court-circuité » sa pensée en omettant la phrase « autres monuments de même style architectural » qui amène pour lui à la conclusion : « autres monuments de la même époque ». Il ne serait en effet pas surprenant qu’il existe au Portugal des monuments du même style que São Pedro de Balsemão. Nous en connaissons au moins un en France : Saint-Martin-des-Puits dans l’Aude. Et cette chapelle fait partie d’un groupe d’églises à chevet carré formé d’au moins une centaine de monuments dans tout la région Occitanie, au Sud de la France. Nous datons ces églises du premier millénaire.



L'image 1 a de quoi surprendre. Nous avons effectué cette prise de vue photographique un peu au hasard pour conserver un panorama des collines faisant face à Lamego. Nous ignorions que le lendemain nous irions de l’autre côté. La chapelle, installée dans un tout petit hameau, se situe au bout d’une route très étroite descendant le vallon vers la gauche.

Extérieurement, cette chapelle (image 2) apparaît totalement dépourvue d’intérêt. Fort heureusement nous connaissions son existence. Sinon nous ne serions pas venu nous égarer dans ce coin perdu.

Il faut noter sur cette image la présence de notre guide portugais (tournant le dos à l’appareil), venu du musée de Lamego. Il est très compétent et attaché à l’histoire de son pays. Son français est hésitant mais compréhensible et il sait communiquer son enthousiasme pour son église.



Le plan (image 3) est celui d’une église à nef à trois vaisseaux et chevet carré. Elle a été très restaurée. Les murs extérieurs auraient été refaits à l’époque baroque, de même que les arcades du collatéral Nord (image 5). Par contre, les arcades du collatéral Sud seraient d’origine (image 6).

Par ailleurs, la nef a été probablement amputée de plusieurs travées : le mur du fond est plus récent.



L’intérêt principal se porte sur les parties sculptées, ou plus exactement gravées, car hormis les chapiteaux il n’y a aucune sculpture du Haut-Moyen-Âge. Les thèmes sont divers. Certains sont typiquement « wisigothiques ». On découvre ainsi :

des chevrons (images 8, 10, 15),

des croix pattées (images 8, 9, 16, 17, 21),

une rouelle ou roue en mouvement (image 15),

des croix à 6 ou 8 branches (images 11, 15),

des fleurs de lys (image 19).

D’autres thèmes sont plus originaux :

des cercles alignés (images 11, 12),

des « piques » pointées vers le sol (image 15),

un « trèfle » (image 18),

une croix « des Asturies » (image 20).


Revenons à présent aux deux images 11 et 12 qui concernent des impostes différentes. Elles sont toutes deux décorées de cercles successifs de mêmes rayons. Les centres sont apparents. Pour certains d’entre eux, il peut y avoir à l’intérieur une, voire deux cercles concentriques. On constate que tous ces cercles sont coupés dans leur partie inférieure. Nous pensons que c’est le bloc entier qui a été coupé en sa partie inférieure. En conséquence, ces blocs ont pu avoir été récupérés sur un édifice plus ancien.

Passons à présent à l'image 17. L’imposte fait apparaître une série de stries horizontales et une croix pattée. Mais on constate que les deux images sont superposées : certaines stries horizontales apparaissent à l’intérieur de la croix pattée. Il y a donc eu deux opérations successives de gravure et nous pensons que la gravure des stries horizontales a précédé celle de la croix pattée.


La suite de la visite permet de découvrir deux stèles votives ou autels (la cavité située à l’intérieur permet de déposer des offrandes). Nous ne sommes actuellement pas en mesure de dater ces stèles (images 22 et 23). Il en est de même pour les inscriptions épigraphiques des images 24 , 25, 26. Constatons seulement que l’inscription de l'image 24 : « CELTIUS A ELONIS HIC SITUS EST » signale l’existence d’un certain « Celtius ». Ce nom n’est pas courant. Le nom romain le plus proche est
« Celsius ». Il est possible qu’il y ait eu confusion. Il est aussi possible que le personnage en question soit celte ou gaulois. On sait en effet que des gaulois ont en partie occupé l’ouest de la péninsule ibérique, en Galice ou à Braga.

L'image 27 est celle de la tombe en style gothique de l’évêque de Porto, Alfonso Pires, mort en 1362.



Datation


Selon la page écrite en anglais du site Internet Wikipedia :

The construction of the chapel occurred in an undetermined point in the high Middle Ages. Defenders of the Visigothic chronology of events, point to an inscription dated from 588. Other arguments, enunciated by Lampérez y Romea, point to the triumphal arch and basilica-like plan that was adapted to favour its Visiothic origins. The idea of a 6th–7th century church gained favour directly and was repeated by other authors, such as Schlunk, Fernando de Almeida and Hauschild, among others. But in recent years, the hypothesis that the church was a 9th or early 10th century construction has been advanced. First, by Joaquim de Vasconcelos, who used the church of São Pedro de Lourosa (dated 912), but later by Real, Ferreira de Almeida, Barroca and Teixeira, in addition to others.”

En résumé il y a litige entre spécialistes du Moyen-Âge. Certains estiment que cet édifice est l’œuvre des wisigoths et qu‘elle daterait du VIeou VIIesiècle. Plus récemment, d’autres spécialistes se sont opposés à ce point de vue et ont estimé qu’elle daterait du IXe– début du Xesiècle. Soit, de l’an 500 à l’an 950, un écart de 450 ans entre les évaluations extrêmes. Un tel écart ne peut que semer un doute sur les compétences des spécialistes d’un ou de l’autre bord.

Nous n’avons pas vu l’inscription datée de 588 de São Pedro de Balsemão. Pas plus que la datation de 912 de São Pedro de Lourosa (nous étudierons cette église un peu plus loin). Nous savons par expérience que, au moins pour le Haut Moyen-âge, ce genre de « preuve » n’apporte pas une certitude formelle : une inscription peut concerner un monument disparu, donc antérieur au bâtiment étudié, ou bien une extension de ce bâtiment, donc postérieur à celui-ci.

Nous préférons effectuer des comparaisons stylistiques. Et dans le cas présent, de nombreux détails font penser à l’œuvre de wisigoths. On retrouve des décors analogues à ceux de São Pedro de Balsemão dans le Sud de la France ou sur des sarcophages tous attribués au VIeou au VIIesiècle. Nous estimons donc que les spécialistes qui ont daté cette chapelle du VIeou du VIIesont plus proches de la réalité que ceux qui l’ont datée du IXe-Xesiècle. Bien sûr, ces derniers disposent peut-être de preuves déterminantes, mais en attendant que celle-ci soient mises en évidence, nous restons convaincus de la grande ancienneté de cet édifice.

Mais qu’est-ce qui pourrait justifier la position de ces spécialistes refusant la construction par des wisigoths ? La réponse se trouve peut-être dans le texte anglais : les partisans d’une construction par les wisigoths au VIeou VIIesiècle « point to the triumphal arch and basilica-like plan that was adapted to favour its Visigothic origins”.

Selon ces derniers l’arc outrepassé (présent dans l’arc triomphal de São Pedro de Balsemão) aurait été inventé en premier par les wisigoths puis adopté par les arabes. À l’inverse, le spécialiste qui refuse cette prise de position est conduit à dire que l’arc outrepassé a été inventé d’abord par les arabes pour être par la suite adopté par les chrétiens. Ce qui n’a pu se réaliser que bien après les invasions arabes du VIIIesiècle. C’est-à-dire au IXesiècle. D’où la datation de São Pedro de Balsemão reportée de plus de deux siècles.

On se trouverait donc en face d’une querelle de dogmatiques n’ayant aucun rapport avec une réelle recherche de datation. Nous ne voyons pas en quoi le fait que l’arc outrepassé ait été d’abord inventé par les chrétiens wisigoths (adeptes de l’hérésie arienne) puisse gêner quiconque.

Voici donc notre estimation de datation : an 550 avec un écart estimé à plus de 100 ans. Ajoutons que les impostes ont été sans doute récupérées sur un monument plus ancien. Nous pensons que primitivement ces impostes ont pu être des corbeaux permettant de porter des charpentes de toiture. Voir à ce sujet sur ce site l'image 12 de la page Oviedo(Santullano).