L’église San Julián de Los Prados (La Santullano) à Oviedo
Lisons tout d’abord la page du site
Internet Wikipedia consacrée à cette église :
« L’église San Julián de
Los Prados ou del Santullano d’Oviedo, qui fut édifiée
vers 820, est restée quasiment intacte. Seul le clocher en
peigne est une adjonction tardive.
… Elle montre les progrès réalisés sur le plan
architectural dès les débuts de l’époque asturienne et
dépasse de loin les proportions des églises wisigothiques
comme San Pedro de la Nave.
C’est un édifice avec un
porche, trois nefs, des amples arcs donnant sur un immense
transept large et haut qui précède trois absides voûtées
en briques. Cette architecture relève d’un parti logique
et cohérent. »
Voilè donc pour les informations données
par Wikipedia. On retiendra surtout de celles-ci que l
‘église « fut édifiée
vers 820 ». Nous faisons le pari suivant : « Cette
affirmation n’est étayée d’aucune preuve ou s’il existe un
document, celui-ci a été réinterprété ». Nous pensons en
effet que cette affirmation s’inscrit dans la « légende
asturienne » que nous avons décrite dans la troisième page
au-dessus de celle-ci intitulée « Généralités sur l’histoire
et l’architecture des Asturies. ». Selon cette légende (du
moins telle que je l’interprète), l’histoire de l’Espagne
commence dans les Asturies après la bataille de Covadonga
(722) grâce à des rois charismatiques tels que Pélage,
Alphonse II le Sage, Alphonse III. Avant, c’était le néant.
Après, c’est la renaissance asturienne. Une telle
explication semble plus proche du conte de fées que de la
réalité, mais personne ne la remet en question.
Cette évaluation de l’an 820 pour la
date de construction, nous la contestons et nous préférons
estimer la datation par nos propres méthodes.
Les images 1, 5, 13, 14
montrent que la nef est de type basilical, à trois
vaisseaux. Les piliers sont rectangulaires de type R0000.
Les impostes sont à saillie dans toutes les directions.
Cette nef est identique à celles de Saint-Aphrodise ou la
Madeleine de Béziers. La datation envisagée est donc le Ve ou
le VIe siècle.
La nef de cette église serait donc bien antérieure à la date
de 820. Nous rappelons que dans la page précédente, nous
avons vu une maquette de la Hiérapolis d’Oviedo. Cette
église située à la limite de la vieille ville d’Oviedo
n’appartient pas à la Hiérapolis.. L’église primitive devait
ressembler aux trois basiliques présentes sur la maquette.
Les images
14 , 15, 16 et 17 montrant la nef et le transept,
nous avons placé sur ces images deux marques A (flèches rouges)
et B (flèches violettes).
Les marques A désignent les impostes des piliers de la nef,
les marques B des traces d’arcs sur les murs. Concernant les
impostes (marques A), les seules qui nous intéressent sont
celles qui sont à la jonction entre nef et transept. On
constate que les impostes ont été en partie recouvertes par
la maçonnerie de l’arc triomphal séparant la nef du
transept. Notre hypothèse est la suivante : la nef actuelle
est la nef primitive restée pratiquement inchangée (il y a
sans doute eu des modifications au niveau des toits). Cette
nef primitive était très probablement prolongée par une
abside et deux absidioles. Les traces d’arc (marques B)
seraient peut-être les restes des arcs d’entrée des absides.
Une deuxième campagne de travaux a permis de construire le
transept. Et sans doute aussi en même temps les absides.
Les murs sont couverts de fresques.
Comme les fresques sont identiques entre nef et transept,
nous estimons qu’elles ont été posées après la deuxième
étape de travaux. Le style de ces fresques est antiquisant.
Au cours de son règne, Charlemagne aurait essayé de se
rapprocher du pape installé à Rome et de revenir aux valeurs
de l’antiquité romaine. Tout particulièrement dans le
domaine de l’art. Les habitations représentées sur ces
fresques imitent les maisons romaines (images
21 et 22). Remarquer au passage sur l'image
23 la représentation sur une partie de plafond. On
y voit des corbeaux dépassant du mur. Il s’agit d’une
représentation en perspective. Serait-ce une des premières
de l’histoire ?
Il se pourrait donc que ces fresques aient été réalisées du
temps de Charlemagne. Cependant, il faut noter que les
successeurs de cet empereur ont respecté certaines de ses
décisions, lui vouant un grand respect. La renaissance
carolingienne a donc pu se poursuivre longtemps après la
mort de son fondateur et se propager bien au-delà des
frontières de l’Empire. En conséquence, ces fresques
pourraient dater du IXesiècle.
Un autre élément vient conforter cette thèse. Il s’agit de
la croix de l'image 24. Elle
a la particularité de porter les lettres grecques alpha et
oméga, suspendues à chacune des branches. Par sa forme, elle
s’apparente à la Croix de la Victoire datée des débuts du Xesiècle (voir celle des pages précédentes
concernant la Cámara Santa).
Datation
Nous estimons donc que la construction s’est faite en deux
temps. La première étape a vu l’édification d’une nef à
trois vaisseaux terminée par un chevet à trois absides. Au
cours de la deuxième étape, le chevet aurait été détruit et
remplacé par l’actuel transept terminé par un chevet plat à
trois absides. Les fresques auraient été réalisées dans la
foulée. Il est possible que la date de 820 annoncée en début
de page concerne cette deuxième étape de travaux et non la
première.
Première étape : an 500 avec un écart estimé de plus de 100
ans. Deuxième étape : an 850 avec un écart estimé de 100
ans.
Il reste le problème des claustras (images
8, 9, 10). Sont-elles d’origine ? des copies de
modèles d’origine ? des créations récentes totalement
réinventées ? Les dimensions différentes permettent
d’envisager qu’elles ont été utilisées en remploi. Peut être
proviennent elles des fenêtres de la nef ? Ce serait plus
logique, car elles sont ornées de croix pattées à branches
fortement évasées dont la datation correspond selon nous à
la première étape de travaux.
L’étude de cet édifice nous conduit à repenser en profondeur
l’histoire de l’Europe aux alentours de l’an 800. En effet,
nous n’avons qu’une idée très imparfaite de cette histoire.
On connaît en effet la Chanson de Roland et l’histoire
qu’elle relate : Charlemagne, au retour d’une expédition en
Espagne, aurait été attaqué par des montagnards basques.
Cette histoire s’est transformée en une légende qui s’est
répandue dans toute l’Europe. Si bien qu’on ne sait plus où
se trouve la vérité. Certains auteurs ont même contesté la
totalité de l’histoire. Dans tous les cas, l’histoire a été
minimisée : Charlemagne aurait fait une petite incursion en
Espagne et il aurait été très rapidement refoulé. Pourtant
des textes arabes (que nous n’avons pas encore étudiés)
contrediraient cette interprétation. Selon ces textes, les
armées de Charlemagne auraient pénétré très profondément à
l’intérieur du territoire espagnol, assiégeant des villes.
Certes, ces textes peuvent aussi être contestés. Cependant,
il importe d’y réfléchir en toute objectivité. Nous savons
que pour qu’une armée se projette en avant, elle doit
disposer d’une base arrière (Toulouse dans le cas de
Charlemagne) et d’un réseau implanté derrière les lignes
ennemies (espions, complicités locales). Si Charlemagne (ou
un de ses successeurs) a pu programmer une expédition bien
au delà des Pyrénées, c’est qu’il disposait d’un tel réseau.
Il a même pu intervenir à la demande d’un chef de province
(roi ?) en Aragon ou en Navarre. Il s’agit là, bien sûr, de
suppositions. Mais l’existence de cette église, aux fresques
imitées de l’antique, montre qu’il a dû exister une sorte de
coalition entre le royaume des Asturies, l’Empire
Carolingien et la papauté basée à Rome. Du temps de
Charlemagne et de ses premiers successeurs, un tel lien
pouvait exister grâce aux transports maritimes. Plus tard,
au Xesiècle, par suite de l’affaiblissement
de l’Empire Carolingien et, en sens inverse, de l’expansion
Viking, le lien maritime a été probablement coupé. A la
suite de celà, un lien terrestre a été promu, le « Camino
Francés » ou Chemin de Compostelle.
Cette interprétation risque de provoquer une levée de
boucliers ; le « Chemin de Compostelle » est un chemin de
pèlerinage, à vocation religieuse. Et non une route reliant
deux états (en fait plusieurs états : le royaume franc, la
Navarre, le Léon, les Asturies, la Galice), une route de
liaison, à vocation politique. Il ne faut cependant pas
oublier que durant ces périodes anciennes, le politique et
le religieux étaient étroitement mêlés et qu’il est parfois
difficile de faire la part des choses.