L’église Santa María del Naranco (Palais de Naranco) 

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Selon la page du site Internet Wikipedia consacrée à cette édifice :

« Elle est située à 3 km d’Oviedo sur la pente Sud du Monte Naranco… De style préroman asturien, elle a été inscrite au Patrimoine Mondial de l’Humanité en décembre 1985…Le palais a été consacré le 23 juin 848 (on peut lire cette date, dans l’autel, à l’extérieur de l’église) pendant le règne de Ramiro Ier comme résidence palatiale. Il était proche d’une forêt permettant la chasse…Le palais fut converti, après le transfert de la capitale du Royaume à Léon, en 913, en une église dédiée à Santa María del Naranco. »


Nous reviendrons sur ce texte à la fin de cette page, au paragraphe « Datation ». Pour le moment, contentons nous d’admirer cet édifice et de l’examiner en détail.

On l’aborde par sa façade Nord (image 1). Il se présente comme un long bâtiment à deux étages. Côté Ouest, l’étage inférieur est percé de deux petites fenêtres. Un grand escalier à deux pentes permet d’accéder à l’étage supérieur, au milieu de la façade. Cet étage supérieur est constituée par une grande salle prolongée à l’Est et à l’Ouest par deux loggias. Celle de l’Ouest, visible sur l'image 1 , est placée à la verticale des deux fenêtres précédemment citées.

En faisant le tour de l’édifice, on peut voir successivement la façade Nord (image 1 ), la façade Ouest (image 3), la façade Sud (image 5), la façade Est (image 9).

Ce tour de l’édifice permet d’admirer son architecture à la fois simple et harmonieuse. On remarque tout d’abord sa symétrie parfaite par rapport à l’axe Nord-Sud. Le fait que cet axe soit privilégié permet d’envisager que cet édifice n’a pas été construit pour devenir une église. Il n’y a d’ailleurs pas tout ce qui caractérise une église comme, par exemple, une abside. C’est pour cette raison qu’on l’a défini comme étant un palais.

Il existe aussi une autre symétrie dans le sens Est-Ouest. Mais ce n’est pas une symétrie parfaite. On a en effet, côté Nord, l’escalier à double pente. Côté Sud, il n’y avait pas d’escalier, mais un balcon sous porche, symétrique au porche d’entrée, partiellement détruit, dont les restes s’élèvent à près de 2 mètres au dessus du sol (image 5).


L'image 7 fait apparaître les détails de l’encadrement des fenêtres du niveau inférieur et le décor des contreforts du mur. On s’aperçoit que c’est le même décor de lignes incisées. On sait que, dans beaucoup d’édifices, les contreforts ont été ajoutés longtemps après la construction afin de compenser la poussée des murs. Il semblerait que ce ne soit pas le cas : l’existence de contreforts était prévue dans le plan initial.

A l’intérieur (images 10, 11, 12), on découvre une grande salle voûtée. La voûte est en berceau plein cintre. Elle est portée par des doubleaux plein cintre. On constate sur les images que la répartition des doubleaux est inégale. En effet, une arcade court le long des murs latéraux. Les arcs sont inégaux. Certains sont plus grands que d’autres. Sans doute pour laisser le passage d’une porte. Des doubleaux ont été ajoutés à la verticale au sommet de ces arcs, alors que tous les autres sont situés au dessus de la jonction de deux arcs consécutifs.


Les images de 14 à 19 montrent les chapiteaux et les colonnes qui les portent. Celles-ci portent un décor cannelé à nervures (nous n’avons pas trouvé quel pouvait être le mot de vocabulaire correspondant à ce décor). Les chapiteaux sont à « feuilles larges dressées », décor déjà vu à la Cámara Santa Santa et au Musée Archéologique d’Oviédo. Il existe néanmoins une différence notable. Alors qu’à Oviedo la corbeille était formée de 3 rangées de feuilles identiques, à Naranco, la rangée supérieure est ornée de volutes aux angles et de feuilles très stylisées au centre.

Les images suivantes de 20 à 25 montrent une série de bas-reliefs discoïdaux. Ces bas-reliefs sont disposés à la jonction de deux arcs. Cet emplacement entre deux arcs fait penser aux bases de colonnes provenant de San Miguel de Lillo et déposées au Musée Archéologique d’Oviedo (image 12 d’une des pages précédentes consacrée à ce musée). La différence vient du fait qu’ici ce sont des disques et non des têtes comme sur la base de colonne d’Oviedo. La base de colonne pourrait représenter une bâtisse recouverte d’un toit végétal (chaume ? ajoncs ? bois ?) ayant précédé Naranco. Il est fréquent de rencontrer dans l’architecture celte des têtes fichées dans des murs, principalement dans des colonnes ou au sommet des arcs. Ces têtes peuvent être d’authentiques crânes humains mais aussi des têtes sculptées.


Ce ne sont pas des têtes sculptées que l’on voit à Naranco, mais des disques comportant un noyau central et un bandeau périphérique richement ornementé. Les scènes du noyau central sont diverses :

Image 20 : deux oiseaux face à face (oiseaux au canthare ?).

Image 21 : encore deux oiseaux face à face.

Image 22 : loup à queue terminée par une tête de serpent.

Image 23 : oiseau inséré dans un losange.

Image 24 , 25, 26 : loup à queue terminée par une tête de serpent.

On retrouve l'image 21 à plusieurs reprises, mais avec des différences dans les représentations. Il est possible que les têtes des bases de colonne du Musée Archéologique aient représenté des personnages emblématiques, des ancêtres. Et que les disques de Naranco soient les blasons de grandes familles. Vu l’ancienneté, la mémoire de ces blasons aurait disparu.


D’autres bas-reliefs sont eux aussi décorés. Certains d’une croix pattée (images 27, 28, 29). À remarquer que toutes ces croix pattées se ressemblent. Elles ont des branches très évasées et portent les lettres grecques alpha et oméga.

A remarquer que plusieurs plaques portent un dessin assez énigmatique. C’est le dessin d’une maison à deux étages surmontée d’un toit dont on voit une faible pente. À l’étage inférieur, sous deux arcades, deux cavaliers semblent s’affronter. A l’étage supérieur, deux personnages élèvent un linge au-dessus de leur tête. Ce linge pourrait signifier le ciel et les personnages des prêtres ou des autorités ecclésiastiques. Ce bas-relief pourrait donc être une représentation très schématique du palais de Naranco. L’étage inférieur est le domaine des chevaliers et des soldats. L’étage supérieur est réservé à l’élite qui tire son pouvoir du Ciel (image 30).

Les images suivantes de 31 à 36 sont celles de chapiteaux prismatiques que nous avons appelés à « zigzags » à cause du cordon qui limite chacune des scènes. Sur les côtés, les surfaces délimitées par les cordons abritent des personnages debout (image 31). De face, on peut voir dans la partie supérieure du trapèze des lions affrontés et dans la partie inférieure, d’autres quadrupèdes plus graciles (images 32, 33, 34, 35, 36). Nous ne connaissons pas la signification de ces scènes qui ont la particularité d’être toutes identiques.

À remarquer qu'en appelant « chapiteau » ce type de pierre sculptée, nous dérogeons à une règle que nous nous étions fixée : lorsqu’il y a deux pierres sculptées superposées nous appelons « chapiteau » celle du dessous et « tailloir » celle du dessus. Lorsqu’il n’y a qu’une pierre, nous la définissons comme « imposte ».


Datation et conclusions

Il faut tout d’abord constater que ce monument a été très certainement construit en une seule étape de travaux. Il y a eu bien sûr quelques transformations plus tard lorsqu’il a été transformé en chapelle, la loggia Est devenant le sanctuaire de cette chapelle, mais ces changements sont minimes.

Il est donc d’un très grand intérêt, car on peut envisager que tous les éléments qui le caractérisent sont contemporains.

Le site Internet donne la date du 23 juin 848 pour sa consécration. Cette date correspond-elle à la réalité ? Il faut éviter de passer à des conclusions hâtives. La date de consécration ne coïncide pas forcément à une date de fin de chantier. La consécration est un acte religieux, l’édifice apparaît comme étant profane. Il est fort possible que la consécration de l’autel ait été faite bien après l’achèvement des travaux afin de sacraliser un édifice qui ne l’était pas.

Ceci étant, une datation du milieu du IXe siècle nous semble plausible. C’est celle que nous envisageons pour les chapiteaux à feuilles dressées (images 15, 17, 18, 19). Une réserve pourtant : les croix pattées des images 27 , 28, 29 ont des branches très évasées. Nous pensons que ce type de croix est plus ancien que le IXe siècle (la croix des anges d’Oviedo datée des débuts du IXe siècle a des branches moins évasées). Il est néanmoins possible que le type de croix à branches évasées se soit maintenu pendant plusieurs siècles pour certains peuples des Asturies.

Ce qui nous intéresse surtout est le bâtiment. Le rédacteur du site Internet nous dit ceci : « … comme résidence palatiale. Il était proche d’une forêt permettant la chasse… ». En écrivant cela il laisse entendre que cette bâtisse était une sorte de résidence d’été du roi, une résidence de chasse. Ce faisant, il transpose au IXesiècle des pratiques de la cour des rois au XVIesiècle. Or rien dans l’architecture ne montre qu’il s’agit d’une résidence de chasse. Il y aurait des pièces indépendantes, des foyers pour cuire le gibier, des espaces réservés aux nobles, aux serviteurs, aux chevaux, aux chiens. Il n’y aurait pas cette symétrie et cette harmonie qui fait envisager un lieu de cérémonies. Un peu comme la Galerie des Glaces au Château de Versailles. En fait, nous retrouvons bien dans cette grande salle encadrée par deux loggias et, à des siècles de distance, la Galerie des Glaces encadrée par les deus salons de la Paix et de la Guerre.

Envisageons l’hypothèse suivante : il y avait dans les Asturies à cette époque deux peuples distincts. Les uns d’origine romaine habitaient Oviedo, les autres étaient des montagnards asturiens. En cet endroit, ils pouvaient se réunir et se réconcilier.

Il serait intéressant de voir s’il existe ailleurs en Europe d’autres bâtiments de ce type. Nous en avons trouvé un : c’est à Bessuejouls en Aveyron/Occitanie/ France (page sur ce site). On y trouve le même type de plan : à l’étage, une grande salle encadrée par deux loggias.