Le baptistère de la Cathédrale de Zadar et les églises hexaconques (ou octoconques)
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Le baptistère de la
Cathédrale de Zadar (images
1 et 2)
Nous avons visité la cathédrale de Zadar mais nous n'avons
pu accéder à son baptistère, pourtant situé dans l'enclos de
la cathédrale. Ce baptistère aurait été détruit lors d'un
bombardement des troupes alliées durant la guerre de
1939-1945. Il aurait été par la suite reconstruit à
l'identique. Nous n'avons pas trouvé sur Internet d'image de
ce baptistère. Mais grâce à Google Maps, nous avons obtenu
une image par satellite (image
1), et grâce à l'ouvrage LES
ÉGLISES HEXACONQUES PRÉROMANES EN DALMATIE. PROBLÈMES DE
FONCTIONS, de Miljenko Jurković, un plan de cet
édifice (image 2).
Les églises hexaconques
(ou octoconques) de Dalmatie
Avant même d'avoir pris connaissance du texte cité
précédemment, nous avions repéré plusieurs de ces églises
(sans pour autant les avoir visitées). Mais la lecture de ce
texte nous a permis d'en connaître d'autres.
Ci-dessous la liste des églises « hexaconques » de Dalmatie
donnée par Miljenko Jurković :
1. Saint-Michel de Brnaze.
2. Saint-Juraj de Škabrnja.
3. Bribir.
4. Sainte-Marie de Trogir
(église étudiée sur ce site).
5. Saint-Michel de
Pridraga (église étudiée sur ce site).
6. La Sainte-Trinité de
Split (église étudiée sur ce site).
7. Kasiċ (voir ci-dessous).
8. Saint-Chrysogone de Zadar (église non étudiée sur ce
site, elle était probablement située dans l'enclos du
monastère de Saint-Chrysogone).
9. Sainte-Marie de Zadar
(église étudiée sur ce site).
10. Ošlje (église étudiée
sur ce site).
11. Baptistère de la Cathédrale de Zadar (voir ci-dessus).
Voici quelques extraits du texte de Miljenko Jurković :
« Toutes
ces églises sont à peu près semblables : six conques sont
radialement disposées autour de l'espace central voûté
d'une coupole sur tambour. Deux exemples seulement, à
Zadar, présentent une différence. À la place de la conque
d'entrée, se trouve un vestibule rectangulaire surmonté
d'une tour, mais il faut dire que trois autres églises
hexaconques ont reçu dans un deuxième temps une sorte de
vestibule : Kasiċ (images
3 et 4),
Pridraga et Brnaze. De plus, l'église d'Ošlje, isolée au
sud de la Croatie, possède huit conques. Du point de vue
de leurs dimensions, elles ont toutes un diamètre
d'environ 10 à 11 m. Elles ne diffèrent entre elles que
par la décoration des murs extérieurs, quelques unes ont
notamment des lésènes.
La
question du modèle sur lequel ces églises ont été bâties a
été le sujet de plusieurs études, mais ce n'est que
récemment, par des analyses métrologiques précises que le
baptistère paléochrétien de Zadar fut reconnu comme modèle.
[...]
La genèse est beaucoup plus complexe et sera le sujet
d'une étude particulière, mais déjà on ne peut exclure la
possibilité que certaines de ces églises soient d'origine
paléochrétienne.
La
datation se pose comme un problème difficile par le manque
de données précises, mais il est clair que les édifices
sont répartis dans une fourchette de temps assez large et
qu'ils n'ont pas été construits par un seul atelier dans
un court laps de temps. À part les églises de Kasiċ et de
Pridraga, qui peuvent être datées vers le milieu du IXe
siècle avec une certaine précision par l'analyse du
mobilier liturgique, toutes les autres dépendent de
nouvelles recherches. En chronologie relative, par la
sculpture, l'église de la Trinité à Split peut être placée
vers la fin du VIlle siècle ou au début du IXe
siècle. L'église de Saint-Michel à Brnaze est du IXe
siècle, et pour toutes les autres, on peut seulement
constater qu'elles appartiennent à l'époque préromane
(carolingienne). Les documents, par contre, ne mentionnent
que l'église de Sainte-Marie à Trogir, au début du VIlle
siècle.
La
fonction des églises hexaconques en Dalmatie reste un
sujet très discuté. Déjà les dédicaces sont indicatives.
De celles qui sont connues, la plupart des exemples sont
dédiés à Saint-Michel ou à la Vierge. Ces vocables
confirment l'étroite liaison des églises hexaconques avec
le culte marial et ses dérivés. Ainsi l'église de
Saint-Georges à Skabmja est un oratoire privé d'une
famille noble, ce que confirment les documents. Celle de
Bribir est située à une place dominante dans le siège
fortifié des princes Subié, et la rotonde de Kasié sur une
grande propriété. Deux de ces églises se rapprochent par
contre directement des antécédents tardo-antiques par leur
fonction funéraire. Sainte-Marie de Trogir présentait un
sarcophage dans le sol, au milieu de l'espace central.
Sainte-Marie de Zadar avait un sarcophage encadré d'un
arcosolium accolé
au côté Nord du vestibule. [...]
En
guise de conclusion
préliminaire, je voudrais souligner l'évidente
continuité du lieu de culte, et presque toujours sur des
sites antiques tardifs. Avant de nouvelles fouilles, il
est difficile de dire si ces églises ont pu adopter le
plan d'édifices préexistants, ou si le modèle suivi est
bien le baptistère de Zadar. La fourchette de datation
commençant peut-être avec Saint-Chrysogone de Zadar, ou au
moins Sainte-Marie de Trogir au début du VIlle
siècle et se poursuivant jusqu'à Saint-Georges de
Skabrnja, qui devait être le bâtiment le plus récent,
montre la persistance d'une forme et d'une fonction. Cette
fonction, évidente, est toujours mémorielle. »
Commentaires divers
– Nous rencontrons pour la première fois ce type
d'architecture : les églises à plan hexagonal (plus rarement
octogonal) à conques (absides semi-circulaires). Cependant,
il faut admettre que les églises à plan hexagonal ou
octogonal, sans toutefois être dotées de conques, sont plus
fréquentes. La question qui se pose est de savoir si ces
églises hexaconques sont seulement restreintes à la Dalmatie
ou s'il en existe ailleurs. Nous sommes en effet de plus en
plus conscients que, déjà en ce qui concerne l'Europe de
l'Ouest, la connaissance du patrimoine attribuable au
premier millénaire est en grande partie ignorée et négligée
par les spécialistes. Alors, en ce qui concerne l'Europe de
l'Est, qui a connu des décennies de négligence du
patrimoine, voire de destructions délibérées pour éradiquer
l'identité d'un peuple, la méconnaissance d'un tel
patrimoine doit être plus forte encore. Il faudrait donc
savoir si des églises analogues existent encore, même sous
forme de ruines, dans les régions limitrophes de la Dalmatie
: Slavonie, Slovénie, Serbie, Bosnie, Monténégro, Albanie.
– Sans doute en accord avec d'autres historiens de l'art
préroman, Miljenko Jurković nous dit : « ...il
est clair que les édifices sont répartis dans une
fourchette de temps assez large... ». N'ayant pas
de compétence en archéologie de terrain, nous ne sommes pas
en mesure de confirmer ou d'infirmer cette affirmation.
Cependant, nous pensons qu'en ce qui concerne le premier
millénaire, « une
fourchette de temps assez large » est de l'ordre
d'au moins trois siècles, compte tenu des imprécisions de
datation. Et même quand une datation est proposée avec une
certaine précision, il peut y avoir des erreurs. Ainsi
lorsqu'il est écrit : « À
part les églises de Kasiċ et de Pridraga, qui peuvent être
datées vers le milieu du IXe siècle avec une
certaine précision par l'analyse du mobilier
liturgique,... » *, la datation est très basée sur
le « mobilier
liturgique ». Or, concernant l'église de Kasiċ, le
mobilier liturgique est très probablement la clôture de
chœur ou chancel représentée sur le plan de l'image
4 pat un trait double vertical qui partage
l'hexagone en deux parties égales : d'un côté la nef, de
l'autre côté le chœur. On se trouve confronté à deux
situations. D'une part, les murs de l'édifice donnent à
l'ensemble un plan centré. D'autre part, ce chancel
introduit une orientation du plan d'ensemble. Ce n'est pas
la même chose ! Dans un édifice à plan centré, les
participants sont distribués autour du centre et leurs
regards sont portés vers le centre (ou à l'opposé du
centre). Dans une église à plan orienté, le regard des
fidèles situés dans la nef est porté vers une seule
direction : le sanctuaire. Il est manifeste que dans le cas
présent, la construction des murs a précédé celle du
chancel. Et précédé de beaucoup ! Car il faut beaucoup de
temps pour changer de mentalité !
– La même réflexion doit être apportée à la « question
du modèle » . Le texte ci-dessus nous dit
que « le
baptistère paléochrétien de Zadar fut reconnu comme modèle
». Mais il ne nous dit pas pour quelles raisons le modèle du
baptistère de Zadar a été choisi par les constructeurs. Il
faut en effet bien comprendre que c'est l'usage que l'on
doit en faire qui définit le modèle architectural que l'on
doit adopter. Pour construire un pont, on ne prend pas un
gymnase pour modèle ! Si donc il a été décidé de construire
un édifice à plan centré, cela signifie qu'on voulait que
les membres de la communauté soient disposés autour du
centre avec le regard tourné vers le centre (ou à l'opposé
de celui-ci). Cette disposition semble a priori fort peu
chrétienne. À moins d'envisager que Dieu occupe la place
centrale. Cette idée est en fait peu probable car il y
aurait dans tous édifices à plan centré que nous
connaissons, au centre de ceux-ci, un signe pour indiquer la
présence de Dieu (actuellement c'est le cas pour les églises
à plan orienté : une petite lanterne rouge marque cette
présence). En fait, nous pensons que les édifices à plan
centré servaient à l'origine de lieux de discussion entre
égaux. Mais assez rapidement et peut-être même dès
l'origine, ces édifices auraient été sacralisés par la
présence de reliques, de tombes d'ancêtres fondateurs ou
d'absides. Ces constructions auraient aussi pu aussi être
choisies pour accueillir solennellement de nouveaux venus
dans la communauté. D'où les baptistères.
Image 5.
Nous avons voulu ici présenter une piscine baptismale en
forme de fleur à 8 pétales, forme équivalente à celle de la
Rotonde d'Ošlje.
Image 6. Le
baptistère du Duomo de Novara, autre forme équivalente à
celle de la Rotonde d'Ošlje.
Datation
envisagée pour les églises hexaconques : an 600
avec un écart de 150 ans.