L'église Notre-Dame de la Visitation de Bale (Istrie)
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Nous avons visité cette église en avril 2024. La plupart des
images de cette page ont été prises lors de cette visite. Les
autres sont extraites de galeries d'Internet.
Un panneau situé à l'entrée de l'église donne les
informations suivantes traduites de l'anglais :
« L'église
paroissiale de la Visitation de Sainte Marie est un grand
édifice bâti en pierre blanche sur les restes d'une
basilique du IXe siècle. L'église détient le
record : être la 5e église sur le même
emplacement. Une chapelle fut la première construction.
Elle fut suivie par une construction byzantine, une
basilique gothique et une église paroissiale érigée sur le
même lieu en 1638, avant l'érection de la construction
actuelle.
L'église d'aujourd'hui fut commanditée par Tomasso Benbo,
maire de Bale de 1845 à 1891. Elle fut finie et dédicacée
en 1882. Actuellement, elle contient un sarcophage à motif
de ruban entrelacé, un crucifix en bois du XIIIe
siècle. [...] »
Commentaires
sur le texte précédent
On dénote un discours très ambigu. D'une part, on apprend
que cette église succède à une basilique du IXe
siècle. Mais par la suite, on découvre que l'église actuelle
est la 5e église et donc qu'elle a succédé à
quatre églises, et non à une seule.
Mais il n'y a pas seulement ce texte qui est ambigu. Le
texte parlait de « construction
byzantine ». Nous avons cherché à savoir ce
qu'était une construction byzantine, son style particulier
différent du style des autres constructions contemporaines,
sa période d'application. Selon la page de Wikipédia sur
l'art byzantin, «
l'art byzantin s'est développé dans l'Empire byzantin
entre la disparition de l'Empire romain d'Occident en 476,
et la chute de Constantinople en 1453. ». Cette
description révèle un beau paradoxe : comment un style
artistique aurait-il pu se déployer sur un millénaire dans
l'ignorance des arts voisins ; art des barbares occidentaux,
art mérovingien, art carolingien, art ottonien, art roman,
art gothique, art islamique ?
Analyse de l'architecture
Nous avons beaucoup de difficultés à croire à l'explication
des cinq églises successives. Du moins au déroulement qui
semble avoir été envisagé : on construit une première
église. Cette première église est détruite un peu plus tard
afin de construire une deuxième église. Cette deuxième est
détruite un peu plus tard afin de construire une troisième
église ... cinquième église. On sait que de telles
opérations de destructions-reconstructions sont fréquentes
en Extrême-Orient pour les temples bouddhistes ou
shintoïstes. Mais ce n'est pas le cas en Europe occidentale
où l'on préfère restaurer des bâtiments anciens ou ajouter
des corps de bâtiment qui n'existaient pas auparavant. Il
est donc fort possible que l'on ait trouvé dans cette église
des restes de constructions appartenant à cinq époques
différentes sans pour autant qu'il y ait eu cinq églises
différentes.
Remarquons cependant que la nef de l'église supérieure (images 2 et 3) apparaît
neuve : les colonnes, les chapiteaux et les arcs sont
parfaitement identiques. Dans une église ancienne, par suite
des transformations dues à des fragilités dans la
construction ou à des événements extérieurs (incendies,
tremblements de terre, …), on observe des différences
(colonnes et chapiteaux dépareillés et de dimensions
différentes, arcs déformés,...). On en déduit que cette nef
est de construction récente. Il est cependant envisageable
que cette nef moderne soit une reproduction de la nef
ancienne. Mais en meilleur état. Les raisons à cela : esprit
de conservatisme (les villageois veulent retrouver l'église
comme elle était avant), nécessité de construire l'église
sur les fondations de l'église précédente.
Le teste ci-dessus mentionne la présence
d'un « sarcophage
à motif de ruban entrelacé ». Bien que nous n'ayons
pas vu ce «motif
de ruban entrelacé », pourtant bien présent dans
les bas-reliefs de la crypte, nous pensons qu'il s'agit du
sarcophage de l'image 4. Sur la face latérale
de ce sarcophage, on retrouve le motif d'arcades qui selon
nous devait avoir à cette époque une valeur symbolique forte
(peut-être d'entrée dans le Royaume Éternel). Il arrive
fréquemment que des saints soient représentés sous chacun
des arcs. Mais ici, ce ne sont pas des saints, mais des
arbres stylisés semblables à ceux de l'image
5. Ces arbres, que nous désignerons sous le nom d'«
ifs », pourraient symboliser la Vie. On retrouve donc ces
ifs sur la face avant du sarcophage (image
5). Ils encadrent une croix latine (la branche
inférieure est plus longue que les trois autres). Les
branches de la croix sont évasées à leurs extrémités. Ce
n'est plus la croix pattée aux branches égales et évasées à
partir du centre. Ce type de croix devrait caractériser une
époque (IXe ? ou Xe siècle ?). La
croix est entourée de fleurons. Nous retrouverons ce motif
dans la crypte, mais plus diversifié. Est-ce un hasard si
ces fleurons font penser à des orants, personnages aux bras
levés ?
Image 6 :
Crucifix du XIIIe siècle.
Notre guide de voyage, Tamara Haber, a pu nous faire visiter
la crypte (images 7 et 8).
Comme l'église supérieure, elle apparaît « neuve » (colonnes
et chapiteaux identiques entre eux). Elle serait donc le
résultat des travaux terminés en 1882. Cependant, il est
fort probable que ces travaux n'étaient que de restauration
et non de construction nouvelle : les restaurateurs auraient
gardé les parois externes de l'ancienne crypte et remplacé
les colonnes et chapiteaux, supports du plafond portant le
sanctuaire de l'église supérieure. Nous n'avons
malheureusement pas les plans qui permettraient de confirmer
cette hypothèse.
Il est probable aussi que c'est durant les mêmes travaux de
restauration qu'a été édifié le chœur de cette crypte situé
côté Ouest (au fond de l'image
7, en sens inverse de celui de l'église
supérieure). Nous pensons aussi que c'est au cours de la
même restauration qu'a été bâti l'escalier menant à l'autel
(image 8). Comme
nous le constaterons plus loin, il est décoré d'un mélange
hétéroclite de bas-reliefs en réemploi.
Les
pièces sculptées de la crypte
Image 9 : Devant
d'autel.
Il est formé d'une ensemble de bas-reliefs très probablement
utilisés en réemploi. Ce sont des plaques ou des colonnes de
chancels anciens datables du VIIIe ou IXe
siècle.
Commençons par la plaque centrale. Nous ignorons son origine
: devant d'autel ? Plaque de chancel ? Le décor est celui
d'un ruban entrelacé encadrant 6 cercles contenant de gauche
à droite et de haut en bas : une croix pattée, un fleuron à
quatre feuilles, un fleuron à deux feuilles, une fleuron de
style différent des précédents, une rouelle, un autre
fleuron à quatre feuilles. Entre les quatre cercles de
gauche, on retrouve le fleuron du cercle inférieur gauche
(imitant une fleur de lys ?). Entre les quatre cercles de
droite, est représenté un oiseau.
La présence de fleurons à quatre feuilles met en doute le
symbolisme de l'orant évoqué ci-dessus, à moins que ce motif
exprime un symbolisme différent. Une autre énigme : en
commentant l'image 5, nous avions dit que
la croix représentée sur cette image devait être postérieure
à la croix pattée. Or sur cette image
5, le
fleuron est identique à celui de l'image
9. Les deux sculptures doivent donc être
contemporaines. En conséquence, nous sommes confrontés à une
contradiction : des sculptures contemporaines de croix qui
ne le sont pas. Une hypothèse qui résoudrait le problème :
le ruban entrelacé représenterait le lien existant ou devant
exister entre les diverses communautés habitant le lieu.
Chacune de ces communautés serait représentée par le motif à
l'intérieur du cercle. Ainsi la croix pattée pourrait
symboliser un peuple héritier de la culture latine
tardo-antique, le fleuron à deux feuilles, un autre peuple,
… À l'inverse, le sarcophage de l'image
4 étant celui d'un seul homme ou d'une seule
famille, les motifs qui le décorent ne peuvent être que ceux
d'une seule culture, celle du fleuron à deux feuilles une
culture ayant par ailleurs adopté la croix latine et les
deux ifs.
Cette partie centrale est encadrée par deux colonnes formées
de six panneaux sculptés utilisés en réemploi. Les quatre
panneaux situés dans les coins sont historiés :
Au coin supérieur gauche, un saint portant un objet : un
livre ? Serait-ce saint Mathieu ?
Au coin inférieur gauche, un oiseau ? Serait-ce saint Jean ?
Au coin supérieur droit, un taureau ailé. Probablement saint
Luc.
Au coin inférieur droit; un saint agenouillé.
Les images de 10 à 16
présentent un ensemble très disparate de bas-reliefs à
rubans entrelacés.
On note la présence d'une claustra (ou transenne) au milieu
et en haut de l'image 15,
de chapiteaux à rubans entrelacés (images 14, 22 et 23), de
chapiteaux à feuilles dressées (ou feuilles d'eau : images
15, 17 et 20),
On retrouve la croix pattée sur une probable base de colonne
(image 19).
L'image 18 nous
pose problème, car nous ne savons pas si les deux cavités
carrées percées en leur centre sont contemporaines ou
postérieures à la pierre, qui elle, apparaît ancienne. Nous
les envisageons plutôt postérieures.
Certaines pièces sont historiées. Ainsi, un aigle impérial
est représenté sur le chapiteau de l'image
21 et sur le chapiteau de l'image
23, on a
le symbole dit des « oiseaux au canthare ». On retrouve ce
symbole sur l'image 24.
À remarquer sur cette image que les oiseaux ne s'abreuvent
pas à un canthare mais à un arbre de vie qui ressemble aux
fleurons à quatre feuilles indiqués ci-dessus.
Datation
Compte tenu de ce qui est écrit ci-dessus (existence d'une
église ancienne profondément remaniée au XIXe
siècle), nous ne pouvons envisager de datation pour cette
église Notre-Dame de la Visitation de Bale.