Conclusions sur les monuments de Bavière 

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L'analyse que nous venons de faire concernant les monuments de Bavière nous conduit à effectuer une synthèse des informations obtenues sur deux points : la confirmation d'hypothèses effectuées auparavant, l'élaboration de nouvelles hypothèses.


1) Confirmation d'une hypothèse précédente : la rareté d'édifices dits « romans »

Cette étude n'est pas exhaustive. Nous n'avons étudié que 45 monuments de Bavière sélectionnés parmi 52. Nous pensons qu'il y en a plus, peut-être une centaine. Sans compter tous ceux, beaucoup plus nombreux, qui ont totalement disparu du fait des destructions diverses par les guerres, les démantèlements, les reconstructions intégrales. Parmi ces 45 monuments, 29 sont des églises à nef orientée à trois vaisseaux. Nous constatons qu'aucun d'entre eux n'est « roman ».

Mais qu'est-ce qu'un édifice roman ?


Nouvelle définition du mot « roman »

Rappelons tout d'abord la définition du mot « roman » donnée par le dictionnaire français Petit Larousse : « Se dit de l'art (architecture, sculpture, peinture, …) qui s'est épanoui en Europe aux XIe et XIIe siècles ». Cette belle définition qui continue à être appliquée de nos jours n'a qu'un défaut : c'est d'être appliquée à tout édifice antérieur à l'an 1200. Et donc pas seulement du XIe ou XIIe siècle. Si on relit les textes des historiens de l'art ayant étudié les monuments de Bavière, on apprend que ces édifices ont été influencés par l'art « mérovingien », ou l'art « carolingien », ou l'art « ottonien ». Mais on nous dit qu'ils datent du XIe ou XIIe siècle. Quant aux édifices mérovingiens, carolingiens ou ottoniens, c'est très simple ! Il n'y en a pas ! En conséquence, les 29 églises de Bavière à nef orientée à trois vaisseaux sont toutes
« romanes ».

Nous proposons une autre définition du mot « roman ». Pour nous, un édifice roman est un édifice voûté. Une telle définition doit certes être nuancée. D'abord, en précisant ce que l'on doit appeler voûte (portée, forme, matériau), ensuite en admettant que durant la période « romane » (suivant la nouvelle définition), on a pu continuer à construire des églises charpentées. Mais cette définition offre plusieurs avantages. D'abord à la compréhension du mot « préroman », qui signifierait l'ensemble des opérations préparant le voûtement des églises. Un autre de ces avantages est de faire apparaître que l'art roman ne se réduit pas au voûtement des nefs, c'est-à-dire à de l'architecture. Il y a un accompagnement de ce voûtement : pour voûter les nefs, il faut installer des piliers de type R1111... donc des demi-colonnes engagées ... portant des chapiteaux … puis des tailloirs… puis des arcs doubleaux … servant à porter les voûtes. Mais les chapiteaux, il faut les décorer … en les sculptant. On voit donc que ce voûtement des nefs crée un ensemble de contraintes.

Revenons à nos monuments de Bavière : aucun d'entre eux n'était voûté à l'origine. Donc ils sont préromans (selon notre nouvelle définition du mot « roman »).

Nous constatons donc la rareté d'édifices romans en Bavière. Nous avions déjà constaté cela dans les régions du Bénélux, de Bade-Würtemberg et de Basse-Saxe, étudiées auparavant. Nous attendrons d'avoir terminé l'étude de l'Allemagne pour dresser un bilan. Mais d'ores et déjà, un schéma historique se dessine. On connaît l'histoire de la conversion de Clovis, en l'an 500 de notre ère. On sait aussi que plusieurs milliers de ses soldats se sont convertis en même temps que lui. Il ne faut certainement pas être dupes de la sincérité de ces conversions. Mais il ne faut pas non plus douter de l'importance de l’événement qui n'a certainement pas été isolé : d'autres chefs de tribus que Clovis ont dû agir de même. Pas forcément au même moment. Mais on peut penser qu'un siècle ou deux plus tard, une majorité de la population était acquise à la nouvelle religion. Et il a fallu construire de grandes églises pour accueillir ces foules de nouveaux convertis. D'où la présence d'églises préromanes. Mais comment expliquer la rareté d'édifices romans (c'est-à-dire d'édifices voûtés) en Bavière ? Et a contrario, leur présence nettement plus importante en Auvergne ? Tout simplement par le fait que l'enrichissement des régions n'est pas uniforme. Il n'y a pas d'édifice haussmannien à Dubaï. Et à l'inverse, hormis la Tour de Montparnasse, il n'y a pas de gratte-ciel à Paris, alors qu'ils abondent dans les monarchies du Golfe Persique. Concernant les monuments de Bavière, ils auraient été construits autour de l'an 800 (avec une forte marge d'incertitude). Ils existaient encore après l'an mille. Et donc, il n'était pas nécessaire d'en construire d'autres. Part contre, en Auvergne, la mise en exploitation de terres arides a conduit à un enrichissement plus tardif. Et donc à la construction de nouvelles églises aux alentours de l'an 1100.



2) Élaboration de nouvelles hypothèses concernant les clochers

Il s'agit là d'une petite découverte faite en étudiant les monuments du Nord de l'Europe. Elle s'est imposée graduellement à partir de la Belgique, puis des Pays-Bas, des premiers länder d'Allemagne (Bade-Würtemberg et Basse-Saxe) et enfin la Bavière.

Il faut comprendre qu'au début de notre étude, nous avons délaissé certaines parties d'édifices difficiles à évaluer ou estimées postérieures à l'an mille, telles que les clochers, les cryptes ou les cloîtres. Nous attendions, pour le faire, d'avoir plus de renseignements. Concernant les clochers, il y avait une telle diversité de styles ou d'emplacements (à la croisée du transept, au chevet, au croisillon du transept à l'Ouvrage Ouest, isolés, …) qu'une étude coordonnée nous apparaissait impossible.

Les dernières recherches nous amènent à envisager qu'à l'origine, il devait y avoir symétrie des clochers. C'est évident en ce qui concerne le clocher de croisée du transept : la symétrie de l'église par rapport à la direction Est-Ouest impose une telle symétrie pour le clocher de croisée. Et il en est de même pour le clocher lorsqu'il est placé à l'Ouest, au-dessus de l'entrée principale de l'église (clocher-porche). Donc, pour ces emplacements de clochers les plus fréquemment rencontrés, la symétrie s'avère naturelle.

Il y a problème lorsque l'emplacement du clocher n'est pas situé sur l'axe central de l'église, mais en dehors de celui-ci. Par exemple, lorsque le clocher n'est pas sur le vaisseau central de la nef, mais sur un collatéral, soit au Nord, soit au Sud. Auquel cas la symétrie n'est pas respectée.

Mais la question est là ! Y a-t-il vraiment un problème ? Pour nos contemporains, il n'y a pas de problème ! Qu'importe l'emplacement du clocher. L'important est qu'il y ait des cloches et qu'elles sonnent régulièrement l'heure.

En était-il de même il y a plus de mille ans ? Et c'est là que notre étude sur les monuments de Bavière se révèle très intéressante : lorsque l'emplacement du clocher est situé hors de l'axe de symétrie, il n'y a pas un clocher, mais deux, symétriques ! Comprenons bien ce que cela signifie. Alors qu'un clocher aurait suffi, on en a construit deux !

En fait, tout cela doit être prouvé. Après examen des 29 églises à nef à trois vaisseaux de Bavière, nous pouvons établir le bilan suivant.

Sur ces 29 églises, une seule possède un clocher isolé, deux n'ont pas de clocher, une a un clocher central à l'ouvrage Ouest, huit ont des clochers situés sur le chevet de part et d'autre de l'abside principale, quatorze ont des clochers situés sur l'ouvrage Ouest de part et d'autre du vaisseau central, et enfin trois ont quatre clochers (deux au chevet et deux à l'Ouvrage Ouest).

Constatons d'abord l'importance des clochers de chevet ou d'ouvrage Ouest en ce qui concerne la Bavière.

Mais ne nous arrêtons pas là :

• Sur les huit églises à clochers de chevet, six ont deux clochers symétriques, une a un seul clocher au Nord, et une autre, un seul clocher au Sud.

• Sur les quatorze églises à clochers sur l'ouvrage Ouest, six ont deux clochers symétriques, trois ont un seul clocher au Nord, et cinq ont un seul clocher au Sud.

Cela donne, en ajoutant les trois églises à quatre clochers, que parmi 25 églises, 15 sont à deux ou quatre clochers symétriques et 10 témoignent d'une absence de symétrie pour les clochers (quatre d'entre elles ont le clocher au Nord et six au Sud). À remarquer que pour certaines de ces dernières, il a pu y avoir à l'origine deux clochers symétriques. On déduit de cela que, très probablement, dès l'origine de la construction, la symétrie des clochers a été envisagée. Cette symétrie devait être considérée comme un élément important de la construction. Bien sûr, au fil du temps, la conscience de cette importance a disparu et la symétrie a été perdue, souvent par la destruction d'un clocher sur deux.

Nous avons enfin remarqué qu'en ce qui concerne les clochers de chevet, ils sont, dans leur totalité, implantés sur les collatéraux de la première travée de nef (la plus proche des absides). Cette implantation coïnciderait aux débuts de la transeptisation (transformation des collatéraux de la première travée en un transept bas).

Il faut bien sûr continuer à inventorier. Cependant, d'ores et déjà, on peut envisager que cette petite découverte permettrait d'en faire d'autres. En particulier celle-ci : nous constatons une correspondance entre, d'une part les églises de Bavière à deux clochers symétriques installés de part et d'autre du sanctuaire, et deux églises du Sud de la France (Sainte-Madeleine et Saint-Jacques de Béziers) pourtant situées à plus de mille kilomètres de distance. Une telle correspondance existe-t-elle ailleurs ? Que peut-on en déduire? Peut-on envisager qu'une influence des tribus germaniques (en particulier les Francs) s'est exercée dans l'ancienne Narbonnaise au cours du premier millénaire ?

Image 1 : Deux clochers de chevet à Pförring (Bavière).

Image 2 : Michelstadt (Bavière). Parmi toutes les églises que nous avons étudiées, la basilique Einhard de Steinbach est la seule ne possédant pas de clocher. Pourtant, il est facile d'imaginer à partir de cette maquette l'ajout d'étages sur les croisillons de ce transept bas.

Image 3 : Beaulieu-sur-Dordogne (Corrèze/Nouvelle-Aquitaine/France). Cette vue par satellite permet d'identifier les deux tourelles de chevet.

Image 4 : Beaulieu-sur-Dordogne : tympan du portail de la tourelle. L'aspect archaïque de ce tympan et le fait qu'il est à son emplacement d'origine garantit l'ancienneté de l'ensemble du dispositif architectural.

Image 5 : L'église Sainte-Madeleine de Béziers a un seul clocher situé côté Sud du chevet. Ce clocher a été renforcé et agrandi, puis surmonté d'une flèche gothique. On constate la présence de restes d'un autre clocher côté Nord de l'église. Il est symétrique du premier.

Image 6 : L'église Saint-Jacques de Béziers a elle aussi un seul clocher situé côté Nord du chevet. La présence de restes d'un autre clocher côté Sud, symétrique du premier, est ici moins perceptible mais probable.



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