L’église Saint-André de Cologne
Sur les douze églises romanes que contient la ville de
Cologne, nous en avons visité six. Ces six églises que nous
décrivons dans ce site suffisent à montrer l’importance de
cette ville au Moyen-Âge. Hormis Rome, nous ne connaissons
pas d’autre ville en Europe qui possède autant d’églises
antérieures aux églises gothiques. Qui plus est, les églises
de Cologne sont de grandes dimensions. Cependant elles sont
un peu différentes des basiliques romaines. Celles–ci, à 3
ou 5 vaisseaux, sont construites sur de grandes colonnes
cylindriques monolithes, alors que celles-là utilisent des
piliers rectangulaires. Par ailleurs, les basiliques
romaines remontent à l’antiquité tardive et, même si la
plupart ont été restaurées au point qu’il ne doit plus
rester grand chose de l’édifice primitif (le plan initial
étant le plus souvent respecté), elles sont attribuées au
premier millénaire. Ce n’est pas le cas à Cologne où les
églises sont en général datées du XIe, voire du
XIIesiècle. Nous verrons néanmoins que ces
datations ne correspondent pas à l’architecture de ces
édifices qui seraient, selon nous, beaucoup plus anciens.
Il existe une autre particularité des
églises de Cologne, une particularité dûe à un drame
historique épouvantable : durant la Guerre de 1939-1945,
Cologne a été très sévèrement bombardée et une bonne
partie de son patrimoine immobilier a disparu. Les églises
se retrouvent donc dans un environnement moderne.
Elles-mêmes ont été très fortement restaurées et tout a
été fait pour cacher sur les murs les traces du drame,
drame qui nous est cependant révélé par les photographies
affichées aux entrées des sanctuaires.
Mais ces restaurations, tout aussi nécessaires qu’elles
soient, peuvent avoir caché tout ce qui pouvait fournir
des éléments de datation. Prenons l’exemple du décor
révélé par l'image 3 .
Il apparaît beaucoup trop « neuf » : la taille des pierres
fait plus penser à une œuvre néo-romane du XIXesiècle
qu’à une œuvre du Moyen-Âge. Il en est de même pour l’état
de conservation : manifestement ces pierres ne peuvent pas
être anciennes et, qui plus est, avoir subi un
bombardement. Pourtant le style des sculptures est plus
proche du roman que du néo-roman. En conséquence, on peut
envisager que la remise en état s’est faite en s’inspirant
directement du modèle ancien. La plupart des pierres, très
endommagées, ont été remplacées. Les décors à entrelacs de
feuillages ont sans doute été imités de modèles
subsistants.
Cette forte restauration à l’identique a eu l’énorme
avantage de permettre la conservation de ces monuments et
d’en avoir une vision globale : les images d’ensemble
correspondent sans doute à la réalité des bâtiments tels
qu’ils étaient avant les bombardements. Mais cette
restauration a l’inconvénient de fausser la lecture de
détail. Rappelons en effet qu’une partie de notre méthode
d’approche consiste à détecter le « détail qui cloche »,
signe d’un changement. Or toute restauration s’efforce de
gommer ce type de détail.
Concernant l’église Saint-André, on
note des arcs outrepassés (image
2). Les piliers sont rectangulaires de type R1110. Ceci signifie
que, côté vaisseau central de la nef, il n’y a pas de
colonne adossée au pilier. Et donc pas de doubleau
s’appuyant sur une colonne … et pas de voûte sur le
vaisseau central. En fait, il y a bien une voûte ogivale (image 3) qui s’appuie
sur des colonnes adossées a des piliers. Mais pour un
pilier sur deux.
Notre hypothèse est que le vaisseau central était
primitivement charpenté et qu’il a été voûté plus tard
(XIII esiècle ?)
Les collatéraux (image 5)
sont quant à eux voûtés d’arêtes sur des doubleaux en
plein cintre. Il est possible que le voûtement des
collatéraux soit aussi postérieur à la construction
initiale, mais rien ne le prouve sur les images que l’on
a.
De quand date cet édifice ? Nous pensons que le voûtement
des églises a été généralisé dans toute l’Europe aux
alentours de l’an mille. Bien sûr, les églises déjà
construites ne pouvaient pas être voûtées dans l’immédiat
lorsque les portées étaient trop importantes. Il a fallu
attendre, comme ici à Saint-André, les innovations
gothiques pour qu’elles le soient.
Nous pensons que, en ce qui concerne les églises nouvelles
de l’an 1000, le voûtement devait être programmé dans la
construction. En conséquence, les plans devaient prévoir
l’étroitesse des nefs et le renforcement des voûtes et des
piliers. Donc les églises en construction au tournant du
millénaire devaient plus ressembler à des églises comme en
France, Conques ou Saint-Guilhem-le-Désert, qu’aux églises
de Cologne.
Nous estimons donc que cette église Saint-André est
antérieure à l’an 1000. Mais de peu antérieure. En effet,
les grands arcs outrepassés de l'image
2 sont doubles. Il s’agit selon nous d’une
innovation importante précédant l’arc brisé.
En conséquence, la datation que nous envisageons est l’an
925 avec un écart estimé de 75 ans.
Ajout le 22 décembre
2022
Nous avons effectué une visite rapide de cette église en
octobre 2006, c'est-à-dite 10 ans avant la création de
l'actuel site Internet. Les commentaires ci-dessus ont été
rédigés peu après cette création, dans le courant de
l'année 2016.
À ce moment-là, nous n'avions pas encore élaboré les
méthodes d'analyse des bâtiments que nous appliquons
aujourd'hui. De plus, nous pouvons profiter aujourd'hui de
certaines innovations techniques ou informatiques qui, à
l'époque, n'étaient que peu répandues (imagerie par
satellite, géolocalisation, cartes interactives, galeries
d'images d'Internet, etc).
Il est donc possible, à présent, de revenir sur l'étude de
ce monument.
La plupart des images de cette page ont été saisies lors
de la visite initiale.
La page du site Internet Wikipédia
relative à cette église nous apprend ceci :
« La
date de la construction de la basilique romane n'est pas
connue avec précision. Une église y est attestée en 817
puis en 875. Brunon de Cologne, archevêque de Cologne de
953 à 965, aurait transféré à Sankt Andreas une
communauté hébergée à St. Maria Im Kapitol, pour y créer
une collégiale.
Cette église de style premier âge roman ottonien est
consacrée à l'apôtre Saint-André par l'archevêque Gero
en 974 : c'est une basilique à trois nefs, avec transept
ouest et chœur allongé ; une haute tour-lanterne est
placée à la croisée du transept, dont les branches sont
de forme absidiale.
L'église romane est agrandie au XIVe siècle
par un chœur gothique et par une chapelle gothique. Le
chœur roman et la crypte ont été modifiés au XVe
siècle pour laisser la place au chœur gothique surélevé.
».
Commentaire sur ce texte
On constate qu'à la différence des historiens français,
les historiens allemands acceptent une datation antérieure
à l'an mille … pour un édifice qui n'est pas petit !
Les images 2 et 3 font
apparaître trois étages de construction. Une construction
qui apparaît homogène si on fait abstraction des faisceaux
de colonnes adossés aux piliers, pour un pilier sur deux (image 3). Ces
faisceaux de colonnes ont été ajoutés au XIIIe
siècle afin de supporter les doubleaux et ogives, porteurs
eux-mêmes de la voûte. Seul le troisième étage avec ses
baies d'inégales hauteurs peut avoir été altéré par
l'installation de ces voûtes. Il est possible que les
voûtes d'arêtes des bas-côtés aient été installées lors de
la même opération de voûtement (image
5). Par leur décor, les chapiteaux ou impostes (images 4, 5, 11 et 12)
nous semblent trop neufs et inadéquats par rapport à une
période préromane ou romane. De quand datent-ils ?
La colonnade du deuxième étage de la façade intérieure
encadre des baies aveugles. Elles ne l'étaient
probablement pas à l'origine, mais ouvertes sur la nef. Et
il devait y avoir au-dessus des collatéraux une galerie ou
triforium.
Notons enfin le décor d'arcatures lombardes, non seulement
sur les murs extérieurs de la nef, mais aussi sur la
tour-lanterne (images 1,
6, 9 et 10).
Le texte de Wikipédia semble associer la fin de
construction de l'édifice et son inauguration à la
consécration de 974. Ce qui signifierait que sa conception
serait antérieure de plus d'une dizaine d'années, durant
l'épiscopat de Brunon de Cologne. Une telle date
correspondrait à nos propres estimations exprimées
ci-dessus (an 925 avec un écart de 75 ans ; les dates que
nous proposons sont celles de la conception du projet
initial et non de sa réalisation, les délais de
construction pouvant fortement varier). Nous devons
néanmoins rappeler qu'une consécration ne correspond pas
forcément à l'inauguration d'un bâtiment : ce peut-être la
consécration d'un autel ou d'un reliquaire.
À cela il faut ajouter que le texte cite l'existence d'une
église en 817 et en 875. Dater la conception de l'église
actuelle des environs de l'an 950 revient à se poser la
question de ce qu'est devenue l'église qui existait en
817... en évitant la pirouette habituelle : « Elle a été
détruite par les Normands ». Il est rare qu'il ne subsiste
aucun reste d'un édifice entièrement détruit, la
ville de Cologne en apporte la preuve.
Nous maintenons la précédente évaluation que nous avons
faite en émettant cependant une réserve : se pourrait-il
que nous nous soyons trompés et que cette église soit plus
ancienne que nous l'avions envisagé ?