L’église de Payerne (Suisse) 

• Allemagne - Autriche - Suisse    • Article précédent    • Article suivant 


Une contradiction flagrante

Observons l’image 1 : il s’agit d’une plaque d’ambon (un ambon était une sorte de chaire ou de pupitre de lecteur. Par groupe de deux, les ambons étaient installés de part et d’autre de l’entrée du chœur). La création des ambons est le résultat de décisions d’ordre liturgique demandant une séparation entre la nef occupée par les fidèles et le chœur réservé au clergé. On peut dater les ambons du premier millénaire.

En ce qui concerne celui-ci, ainsi que celui de l’image 12 , on peut noter les points suivants : tous deux portent des croix pattées (VIe-VIIe siècle) entourées d’entrelacs dits « carolingiens » (du VIIIe au Xesiècle). Par ailleurs celui de l’image 12 porte un pampre de vigne (du IVe jusqu’au VIesiècle). Comme on le voit la datation est délicate. D’autant que les deux ambons sont contemporains (peut-être de la même paire). Cependant, on a vu au Musée des Antiquités de Trèves, qu’une représentation symbolique pouvait franchir les siècles. Et qu’une seule œuvre sculptée pouvait synthétiser divers symboles apparentés à des époques différentes.

En conséquence, on peut estimer (après avoir accepté de remonter d’un siècle dans le temps la datation des « entrelacs carolingiens ») que ces ambons sont datables de l’an 650 avec un écart estimé de 100 ans.

Regardons à présent le plan de l’image 2. Il est extrait de « Suisse romane » de la collection Zodiaque, article de Pierre Margot. Ce plan est très détaillé, tracé avec une très grande précision. Le contour de l’ensemble est celui de l’actuelle église de Payerne. On voit sur ce plan, à l’intérieur du tracé des murs limitant ce contour, d’autres tracés de murs. Il s’agit, bien sûr, du relevé des fouilles faites à l’intérieur de l’église. Ces fouilles ont été recouvertes pour permettre l’accès au culte.

Nous ne comptons pas détailler ce plan mais seulement analyser la légende. Celle-ci fait apparaitre les restes d’une villa romaine, restes faciles à identifier sur le plan. Des restes qui ne correspondent pas à ceux d’une église.

Le premier des ouvrages construit sur les ruines de la villa est identifié ainsi par la légende de l’image. : « Première église, entre 962 et 1000 ». Ensuite l’archéologue a repéré la succession de trois époques entre les années 1000 et 1050. Puis une autre entre 1050 et 1080. Ces observations me laissent tout de même un peu rêveur : 3 époques en 50 ans ! (de 1000 à 1050). On change de construction tous les 16 ans ? Même à l’époque actuelle, avec notre boulimie de constructions, on ne voit pas ça!
Ceci étant, on ne sait pas ce que signifie pour l’auteur un changement d’époque. Peut-être un changement de tailleur de pierres ?

Mais la contradiction flagrante n’est pas là. L’ambon de l’image 1 , daté autour de l’an 650, appartenait à une église construite auparavant. Or cette église, on ne la voit pas sur le plan. Du moins, elle n’est pas indiquée. Il faut bien comprendre que cet ambon, c’est comme la cerise sur le gâteau. Pour qu’il y ait la cerise, il faut qu’il y ait un gâteau préparé auparavant. Et, tout comme on ne pose pas une cerise sur un cendrier, les constructeurs de l’époque n’allaient pas mettre leur ambon dans une villa romaine dépourvue d ‘une salle adaptée au culte chrétien.

Il est certes possible que cet ambon provienne d’une autre église non identifiée. Mais dans ce cas, où est cette église?

Il est beaucoup plus probable que cet ambon provienne bien de cette église. Mais que conformément à ce que nous cessons de répéter, l’archéologue qui a daté les diverses époques repérées par les fouilles, a cédé à la « terreur de l’an 1000 », une terreur qui incite les historiens à refuser toute datation antérieure à l’an 1000 (voire 950, en faisant un effort de self-control).


Les images 3, 4 et 5 nous présentent des vues extérieures de la nef, côté sud (image 3) et coté nord (images 4 et 5). Les murs latéraux font apparaître de multiples changements difficiles à évaluer (il faudrait réaliser une étude beaucoup plus approfondie). A remarquer l’existence d’arcatures lombardes côté nord (mais pas au sud). A remarquer surtout, sur l’image 4 le bandeau en forme de « V » renversé plaqué contre le clocher, nettement au-dessus du toit de la nef. Ce bandeau de pierre était destiné à éviter les infiltrations d’eau de pluie entre le mur du clocher et la bordure du toit de la nef. On voit d’ailleurs le même bandeau du coté nord du clocher, sur le toit du transept. Mais il est joint au toit.. Si, par la pensée, on remonte le toit de la nef au niveau de ce bandeau, on s’aperçoit que les deux toits (du transept et de la nef) sont d’une même hauteur. La conclusion d’une telle observation c’est que, à une date indéterminée, le toit de la nef a été abaissé. Cet abaissement du toit est sans doute la conséquence d’un voûtement du vaisseau central de la nef.

En pénétrant à l’intérieur (image 6), on constate que la nef est effectivement voûtée.


    Les images suivantes 7, 8, et 10 montrent aussi que la nef actuelle est voûtée et que la voûte présente un arrondi au niveau des fenêtres supérieures. Les constructeurs de la voûte ont choisi de la rabaisser par rapport au toit précédent. Mais en plaçant la voûte en dessous ils pouvaient obturer les fenêtres. Selon un processus déjà observé à Saint Jacques de Béziers, ils ont préféré conserver les fenêtres et rallonger leur ouverture à l’intérieur de la voûte. Ces fenêtres, ainsi que celles des collatéraux, sont probablement à leur emplacement d’origine car, d’après le plan, elles sont situées au milieu de chaque travée.

    Considérons maintenant les piliers de la nef. Ils sont cruciformes de type R1111 (voir dans le glossaire la page ANA_PIL : Analyse des Piliers). D’habitude ce type de pilier est caractéristique d’une église romane (XIe-XIIe siècle). Mais ce n’est pas le cas ici. En effet les arcades situées entre les piliers et supportant les murs médians (encore appelés murs gouttereaux du vaisseau central) sont à simple rouleau et non à double rouleau comme pour une église romane.

    Par ailleurs l’image 13 montre ce qu’on pourrait appeler un chapiteau mais que nous appellerons imposte. Car pour nous le chapiteau doit toujours être associé à une autre pierre qui le surmonte : le tailloir. Comme l’arcade à simple rouleau, l’imposte est synonyme d’ancienneté.

    Des impostes comme celle de l’image 13 sont placées au dessus des colonnes demi-cylindriques (ou « excroissances ») adossées aux faces est et ouest de chaque pilier . Il reste les « excroissances » nord et sud. Ces excroissances sont à plan rectangulaire (suivant nos définitions ce sont des « pilastres »).

    Nous avons vu dans d’autres églises que les pilastres avaient pu avoir été rajoutés après la construction des piliers. Et ceci, afin de permettre la pose de doubleaux en vue de voûter une nef précédemment charpentée. Est-ce le cas ici ? Probablement pas. En effet, si c’était le cas, la section des doubleaux devrait être identique à celle des pilastres qu’ils prolongent. Il faut donc envisager que, dans un premier temps les pilastres on servi à porter les impostes qui à leur tour portaient les charpentes du toit. Dans un deuxième temps, lorsque le voûtement a été mis en chantier les mêmes pilastres ont servi à porter les doubleaux.



    L’image 14 est celle de deux chapiteaux du transept posés l’un sur l’autre. Ce sont des chapiteaux de remploi.


    Essai de datation

    Nous n’avons pas eu en main les textes autorisant les auteurs du livre « Suisse romane » à dater telles ou telles parties de la construction (de 962 à 1000, puis de 1000 à 1050, et enfin de 1050 à 1080). Nous pouvons donc ignorer certaines précisions apportées par ces textes, précisions qui seraient fort utiles pour mieux cerner la datation.

    Cependant le livre « Suisse Romane » nous fournit un renseignement qui pourrait être intéressant : « Le 2 juin 595, Marius, évêque de Lausanne construit sur sa propriété l’église et la « Villa Paterniaca » »

    Malheureusement, ce texte entre en totale contradiction avec le plan de l’image 2. En effet, sur ce plan, le tracé des murs est bien celui d’une villa romaine mais une villa du IVe, voire du Vesiècle. Et non de la fin du VIIe siècle. Par ailleurs, si l’évêque a construit l’église et la villa, il n’a pas pu construire l’église sur la villa. En conséquence, si on est en présence de la villa, l’église doit être ailleurs. Mais, dans ce cas où ? Et s’il a construit l’église hors du périmètre fouillé, pourquoi les constructeurs qui lui ont succédé ont-ils choisi un autre emplacement ?

    On se trouve en présence d’une foule d’hypothèses qui se contredisent les unes les autres.

    La seule hypothèse envisageable ait qu’il y ait eu une erreur de copiste ou de traduction et que le texte réel soit celui-ci : « L’évêque a fait construire l’église sur la villa (ou dans la villa) ».

    Quelle était donc l’église construite par l’évêque Marius? Nous sommes en présence d'au moins quatre constructions successives. Il y a, en premier lieu, la petite église située au milieu de toutes les autres. Elle est dotée d’une abside et de deux absidiole et d’une nef à 3 vaisseaux (les piliers sont identifiables sur le plan). Elle présente un net gauchissement : le mur ouest n’est pas perpendiculaire aux murs sud et nord.

    Une deuxième église dont les murs et piliers sont représentés en noir sur le plan a recouvert la première. Seules l’abside et les absidioles de la première église ont pu avoir été conservées (il n’y a pas trace sur le plan d’une autre abside). Cette deuxième église est la nef actuelle.

    Au cours d’une troisième étape, le transept et éventuellement le chœur actuel ont été édifiés. Durant la quatrième étape la nef a été voûtée.

    Quelle a donc été l’église construite par l’évêque Marius ? D’après le texte précédent il semblerait que ce soit la première. Cependant on peut hésiter au vu de la forme gauchie de cette première église. A l‘époque les bâtisseurs étaient capables de construire des murs droits. Il y a dans ce tracé une intention symbolique qui nous échappe et qui doit remonter assez haut dans l’ancienneté, au IVe , voire au Vesiècle. La deuxième église, par son ampleur correspondrait plus à la richesse des ambons datés de l’époque de Marius ou peu après. Les datations pourraient être les suivantes : an 350 avec un écart estimé de 100 ans pour la villa romaine, an 450 avec un écart estime de 100 ans pour la première église, an 600 avec un écart estimé de 150 ans pour la deuxième église, an 950 avec un écart estimé de 150 ans pour le transept et la nef. An 1000 avec un écart estimé de 100 ans pour le voûtement de la nef.