La remise en question de présupposés en histoire du premier millénaire 

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Au fur et à mesure de notre enquête, nous avons découvert que notre connaissance historique avait été artificiellement forgée. Elle était la conséquence d'une succession d'écrits historiologiques. C'est-à-dire d'écrits souvent très orientés, à buts éducatifs : la Bible, l'Histoire de l’Église, l'Histoire de France, l'Histoire de la Croisade contre les Albigeois, etc. Chacun des organismes, pour lesquels les auteurs de ces écrits œuvraient, défendait une cause : la religion chrétienne pour les uns, le peuple français pour d’autres, le peuple occitan pour d'autres encore … Il a résulté de cet enseignement un ensemble de certitudes fortement ancrées dans les convictions de chacun :

1. La démocratie est née à Athènes.

2. La Grèce actuelle est identique à la Grèce antique.

3. Rome a été fondée en l'an 753 avant J.-.C.

4. À l’avènement d'Auguste, l'Empire Romain a succédé à la République romaine.

5. Le Monde Antique a été détruit par les Grandes Invasions barbares et il ne s'est redressé qu'au XIe siècle.

6. La Civilisation Occitane a été détruite en 1209 par les barbares issus du Nord de la France.

7. Et ainsi de suite...

Avant même la mise en chantier du site, nous avions quelques doutes au sujet de certaines de ces certitudes. Peu après sa création, nous avons introduit quelques pages remettant en question celles-ci. Citons ainsi la page : Petit inventaire des idées reçues. Nous conseillons de la relire car elle fourmille d'exemples. Les pages du chapitre Histoire dont l'intitulé commence par « La Vérité extraite de ... » peuvent en contenir d'autres  (au paragraphe B. Autres sujets de réflexion).

Mais depuis, notre réflexion a encore évolué. Voici donc le résultat :


Notre ignorance des événements

C'est en fait la plus importante de nos découvertes ! Découvrir qu'on ne sait pas grand-chose ! Cela peut surprendre. Avant d'entamer nos recherches, nous avions bien lu des livres d'histoire : Histoires de France, de l'Église, de la Bretagne, de l'Europe, de l'Empire Romain, etc. Ces livres nous présentaient une histoire en continu : Dagobert succédait à Clovis. Puis venait Pépin le Bref. Et après lui Charlemagne. Et ainsi de suite … Et il ne nous venait pas à l'idée qu'il pouvait exister des « trous » dans la documentation. Un peu comme il existe des trous noirs en astronomie. Mais comme on sait qu'il existe quelque chose derrière un trou noir astronomique, il doit exister quelque chose derrière un trou historique. L'image en regard fait apparaître l'existence de ces trous de documentation pour le premier millénaire.

Relisons ce qui avait été écrit à ce sujet : « [...] Le graphique ci-dessus représente le nombre de mots recueillis dans des ouvrages historiques en fonction des années (courbe en bleu).

La barre horizontale, en rouge, représente la moyenne (1333 mots par an). Les périodes les mieux documentées correspondent aux parties de courbes situées au dessus de la ligne rouge.

On constate que le premier siècle est bien documenté grâce aux écrits de Suétone et de Tacite. Mais le deuxième siècle, dit de l’apogée de l’Empire Romain, l’est beaucoup moins. On retrouve des périodes bien documentées au VIe siècle (Grégoire de Tours) et au IXe siècle.

La courbe fait apparaître une très grande irrégularité dans la documentation. Et il est fort possible que des événements historiques d’une grande importance soient définitivement tombés dans l’oubli.
».

Il faut ajouter à cela que les textes historiques ne concernent que certains peuples et, à l'intérieur de ces peuples, les classes privilégiées. Dans la plupart des cas, on ne connaît qu'un seul point de vue, celui du peuple concerné.

En conséquence, l'ensemble de ce qu'on ne sait pas est beaucoup plus important que ce qu'on sait. Nous devons en être conscients et en prendre la mesure.

Une des difficultés que nous rencontrons est de tomber dans le stéréotype – exemples : le bon romain et le méchant barbare – , ou la compression du temps – s'imaginer que les habitudes, les mœurs, les pratiques religieuses et civiques, sont restées inchangées pendant plus de 500 ans –.


Les romains, de la République à l'Empire

C'était l'objet d'une de nos certitudes : à l’avènement d'Auguste, l'Empire Romain a succédé à la République romaine. Mais en lisant des textes comme la Vie des Douze Césars de Suétone, ou l'Histoire d'Auguste, nous nous sommes aperçus que le mot « empereur » n'était pas cité. Par contre, certains personnages étaient définis comme étant des « césars » ou des « augustes » sans être Jules César ou Octave Auguste. Nous avons découvert le mot « empereur » dans des textes bien ultérieurs, du IVe siècle. Par contre les mots « république » ou « consuls » étaient présents dans des textes du IIe ou IIIe siècle, c'est-à-dire en pleine période dite d'Empire Romain. Notre hypothèse est qu'il y a eu ni République Romaine, ni Empire Romain. Ou du moins pas au sens où on se l'imagine. Le mot république vient du latin res publica qui signifie « chose publique », qui pourrait signifier quelque chose de plus général comme on parle des « affaires publiques ». Nous verrons plus loin ce que pouvait être l'empire romain. Il semblerait qu'en fait, le gouvernement de Rome était dirigé par des consuls en lien avec une assemblée consulaire. Il s'agirait non pas du gouvernement du monde romain mais de la seule ville de Rome. En imitation avec la ville de Rome, les autres cités romaines ou alliées de Rome auraient eu leurs propres consuls. Ce qui expliquerait la perpétuation jusqu'au moyen-âge de consulats urbains. Mais alors, d'où viendrait cette légende – si notre hypothèse est la
bonne –- d'un empire romain ayant succédé à une république romaine. Il faudrait faire une étude là-dessus mais il faut constater ceci : cette histoire – selon nous inventée – décrivant Rome dirigée d'abord par des rois renversés par une république, laquelle a été remplacée par un empire, ressemble à s'y méprendre à celle de la France à la fin du XVIIIe siècle et début du XIXe siècle : une royauté remplacée par une république, remplacée par un consulat, puis par un empire. Est-ce que c'est le modèle romain qui a inspiré le modèle français ? ou le contraire, l'exemple du modèle français qui a refaçonné l'histoire de Rome ?

Il ne faudrait pas pour autant déduire de cette remise en question de certitudes, d'autres certitudes tout aussi tranchées. Les exemples que nous avons à l'heure actuelle de méthodes de gouvernement dans notre pays et des pays voisins montrent que, même dans des démocraties, il peut y avoir des tentatives et parfois des réussites d'usurpation de pouvoir. Très probablement, il y a eu de telles tentatives et réussites d'usurpation de pouvoir durant les 500 ans de puissance de Rome.


Les césars et les augustes

Nous nous sommes posés la question de savoir si les césars et les augustes étaient désignés ainsi en référence avec Jules César et Octave Auguste, ou s'il s'agissait de fonctions officielles. Probablement un peu des deux. En effet, d'après nos observations, un césar devait être un chef militaire, une sorte de général commandant une armée. Ainsi, parmi les césars dont parle Suétone, Britannicus. Il n'est pas pour autant considéré comme empereur, mais il s'est illustré comme chef de guerre dans les Îles Britanniques. L'auguste, quant à lui, semble être une sorte de ministre des armées. C'est-à-dire un fonctionnaire apte à gérer les comptes et l'intendance d'une armée sans pour autant participer aux combats. Ainsi Agrippine est citée comme auguste, et ce n'est pas un chef de guerre. Bien sûr, en fonction des compétences de chacun, des césars ont pu devenir augustes, ou réciproquement. Et des personnages comme Constantin le Grand ont cumulé les deux fonctions.


La légion aurait-elle été un complexe militaro-socio-capitaliste ?

Nous pensons que la grande invention des romains a été la création d'une armée de métier. Le légionnaire romain, engagé pour une durée déterminée (15 ans ? 20 ans ? 25 ans ? En fait, il y a eu probablement des évolutions au cours du temps), recevait, semble-t-il, à l'issue de son service militaire, un pécule qui lui permettait de vivre paisiblement sa retraite. Le mécanisme est simple lorsqu'il s'agit d'un seul individu. Mais lorsque cela concerne des milliers d'individus qui ont tous ont des itinéraires de vie différents, cela devient nettement plus complexe et difficile à gérer. Il faut donc créer des systèmes de collecte et de redistribution de capitaux analogues aux assurances-vie ou aux fonds de pension. On peut définir ces systèmes comme étant socio-capitalistes, car ils font du social (distribution d'argent aux retraités) et du capital (gestion des sommes accumulées par le salarié). Si, de plus, ce système est géré par une légion, on peut penser que celle-ci en profite pour augmenter ses capacités militaires. D'où notre définition : complexe militaro-socio-capitaliste.

Mais il faut aussi comprendre qu'un tel système d'assurances est incompatible avec les événements catastrophiques, qu'ils soient d'origine naturelle (inondations, incendies, tremblements de terre), ou humaine (guerres). En conséquence, le légionnaire avait plus intérêt à faire la paix que la guerre. Ce serait peut-être là que serait l'origine de la Pax Romana : désir pour le légionnaire d'accéder à une bonne retraite pour lui et assurer l'avenir de ses enfants.


La naissance du féodalisme

Dans la page intitulée Petit inventaire des idées reçues, nous avons eu l'occasion de parler des peuples fédérés. Il s'agissait de peuples ayant conclu une sorte de contrat appelé foedus avec les romains. C'était, semble-t-il, un contrat de non agression réciproque et de défense du territoire. Le fait surprenant est que ces contrats aient tenu dans la durée. Le mot foedus a donné naissance à deux mots : fédéralisme et féodalité. Ces deux mots, de significations apparemment différentes, recouvrent deux caractéristiques du foedus, la coexistence de deux peuples (fédéralisme), le système particulier du gouvernement des peuples barbares avec un suzerain et des vassaux (féodalité). Nous avons découvert que la naissance de la féodalité était bien antérieure à ce que nous avions envisagé. Nous pensions que des mots comme comte, vicomte, marquis, remontaient au Moyen-Âge alors qu'ils sont nettement plus anciens : IVe siècle pour « comte », Ve siècle pour « vicomte » , IXe siècle pour « marquis ». Une autre découverte a été celle des monuments à plan centré qui pourraient être des lieux de dialogue, des « parlements ».


De quand date la fin de Rome ? Et quelles conséquences en tirer ?

Pour nous, après réflexion, la question est quasi insoluble. Elle a d'abord divisé les historiens. Certains d'entre eux ont estimé que cette date coïncidait avec la prise de Rome par les Wisigoths d'Alaric, vers 410, d'autres, avec la prise de Constantinople, en 1453 . D'autres encore, estimant que l'apogée de Rome a eu lieu au IIe siècle, négligent ce qui s'est passé après l'an 200. Tous semblent ignorer, pour les uns qu'il y a eu une prise de Rome par l'empereur Maximin vers l'an 250 ou une prise de Constantinople par les croisés en 1204, et pour les autres, des villas romaines aux magiques mosaïques édifiées au IVe ou Ve siècle.

Il faudrait d'abord définir ce qu'on entend par « Rome ». Est-ce la ville de Rome ? la civilisation romaine ? l'Empire romain ? les institutions de Rome ? la culture latine ? Car pour chacun de ces choix il y a une date de fin d'existence. Une date d'ailleurs très imprécise et même parfois non définie (exemple : la ville de Rome existe encore). Et parfois cette question peut créer des surprises. Car la religion catholique romaine, issue des édits de Constantin le Grand, héritière de la culture latine, a vu la fin de cette culture vers 1965 avec l'abandon du latin lors du concile Vatican II.

Cependant, au moins en ce qui concerne les arts, il faut bien définir une date frontière entre l'art romain et l'art roman (ou l'art préroman). Nous pensons que cette date est fonction du lieu. Ainsi, en Europe orientale, avec la transition entre art romain et art byzantin. Mais notre site Internet nous fait aussi comprendre que la civilisation romaine a pu subsister plus longtemps dans les anciennes cités romaines avec en premier Rome, mais aussi, Milan, Arles, Lyon. Et les écrits de Grégoire de Tours permettent de réaliser qu'à la fin du VIe siècle, des villes comme Arverne (Clermont-Ferrand), Tours ou Poitiers sont encore fortement romanisées, plus romaines que romanes. Cette constatation, a priori dépourvue d'importance, nous a permis de réaliser que l'image traditionnelle du romain vêtu d'une toge, parcourant une rue bordée de maisons à colonnes et de temples à péristyles imités de ceux de la Grèce ancienne, devait être révisée. Cette vision est inspirée des fouilles de Pompéi, ville détruite au premier siècle de notre ère. Ce n'est probablement pas ce que voyait Grégoire de Tours, cinq siècles plus tard,  en visitant sa ville : plus de toge mais des braies, plus de temple grec mais des basiliques chrétiennes.

Les images ci-dessous montrent qu'entre la période de la Tétrarchie peu avant l'an 400 (image 4) et le règne de Dagobert 1er, peu après l'an 600, le costume romain a peu changé.



Comment se sont effectuées les diverses colonisations dans l'empire romain ?

Il s'agit là d'une question qui est apparue tardivement et d'une façon progressive à travers d'autres questions. À la suite des guerres puniques, vers 200 ans avant Jésus-Christ, Rome a pris le contrôle de Gibraltar et des lignes commerciales maritimes de l'Océan Atlantique. Les navigateurs qui pratiquaient le cabotage devaient s'arrêter à des ports alliés faisant office de comptoirs commerciaux. Ces comptoirs étant souvent situés dans des estuaires de fleuves, ceux-ci ont servi de voies de pénétration. Il peut paraître surprenant qu'on ne retrouve pas trace de ces ports fluviaux. En fait, la plupart de ces ports ont été enfouis sur plusieurs mètres d'alluvions. Il reste cependant les communautés urbaines que ces ports avaient constituées. On les retrouve sur le fleuve à dix ou vingt kilomètres de son embouchure. C'est le cas, pour la France de Dax, Saintes, Niort, Caen, Amiens.

Cette pénétration par les fleuves aurait permis, en France, la colonisation de la vallée du Rhône, en Allemagne, la colonisation de la vallée du Rhin, en Europe de l'Est, la colonisation de la vallée du Danube, et, plus généralement, en Europe, le contournement de la chêne alpine. Cela expliquerait une anomalie que nous avions détectée aux tous débuts de notre recherche. Selon l'historiographie moderne, probablement inspirée de textes anciens, la Dacie aurait été le premier territoire abandonné par les romains. Or ce territoire est celui de l'actuelle Roumanie. Les habitants de ce territoire auraient du être les premiers à abandonner le latin. Mais on constate le contraire. Non seulement leur langue est romane, mais en plus c'est le seul peuple à se désigner comme étant romain. La solution se trouve dans la géographie : l'embouchure du Danube est située en Roumanie. Il est probable que pendant de longs siècles, les romains ont continué à commercer avec les peuples de l'Europe de l'Est en utilisant la voie de communication qu'est le Danube.

Image 10. Carte de l'Empire Romain avec le tracé des routes terrestres. Mais nous avons réalisé que les voies maritimes avaient peut-être plus d'importance que les voies terrestres.

Image 11. Carte de France. En rouge, les cités où subsistent des monuments romains. En bleu, des villes qui étaient probablement des ports d'estuaire à l'époque romaine. S'il existent des restes de ces ports, ils sont très probablement enfouis sous des mètres d'alluvions.

Image 12. Autre carte de l'Empire Romain. L'empire romain apparaît comme un ensemble homogène.

Image 13. Carte de l'Afrique après la Conférence de Berlin en 1884. Que vient faire une telle carte dans notre site consacré au premier millénaire ? En fait, elle permet de comprendre ce que pouvait être l'Europe à l'an 1 de notre ère, une Europe éventuellement partagée entre divers empires : l'empire romain en premier, un empire grec avec des comptoirs commerciaux comme Marseille, Agde et Empurias, des territoires sous protectorat, des pays indépendants de Rome.

Image 14. Carte actuelle d'une partie de l'Afrique à comparer avec la carte précédente. On y voit que l'empire français, qui sur la carte précédente, apparaissait homogène (en bleu) est à présent partagé en un grand nombre de pays. Il faut donc envisager que l'Empire Romain qui paraissait homogène dans les cartes 10 et 12 ne l'était peut-être pas dans la réalité.

Image 15. Carte actuelle d'une partie de l'Afrique représentant les diverses ethnies. La présence d'ethnies dans le Nigeria et le Cameroun vient encore compliquer la donne. Il devait en être de même en ce qui concerne l'Empire romain au premier millénaire. On sait d'ailleurs que certains peuples comme le peuple juif étaient dispersés (diaspora) dans le monde romain.


Les invasions barbares destructrices de l'Empire Romain

Après lecture des textes anciens et analyse de l'architecture des monuments, nous pensons que la destruction de l'Empire Romain par les invasions barbares est une idée sans fondement réel. Certes, il y a eu des épisodes de conflits. Certes aussi, notre connaissance étant partielle, de nombreuses guerres restent ignorées. Mais une analyse strictement objective des textes tend à montrer que ces conflits ne se réduisaient pas à la seule rivalité entre l'Empire romain et les royaumes barbares. Il y a eu aussi des conflits entre barbares. Il y a eu surtout des conflits internes dans l'Empire Romain avec affrontement de légions.

Une autre idée sans fondement mais très répandue est que, non seulement les invasions barbares auraient détruit l'empire romain vers le IVe siècle, mais que les destructions totales par des envahisseurs barbares se seraient poursuivies jusqu'à l'an mille, avec un début de reconstruction vers 1050.

Pouvoirs temporels et spirituels durant le premier millénaire

Dans nos sociétés occidentales modernes, il y a une attitude que nous avons du mal à comprendre : le lien intime qui peut exister entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Ainsi la notion d'État Islamique, l'adhésion de l'église orthodoxe russe à la politique de Poutine, nous apparaissent contraires à l'idée d'une séparation entre l'Église et l'État, entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Et cette idée d'une séparation entre les affaires civiles et religieuses semble s'être généralisée au niveau de notre compréhension de l'histoire des premiers siècles, y compris chez les historiens. Pour la plupart d'entre nous, les deux façons de gouverner Rome, République et Empire, étaient laïques. Et les religions, qu'elles soient chrétiennes ou païennes, n'avaient aucune influence sur ce gouvernement. Pourtant la seule lecture de la Vie des Douze Césars de Suétone permet de mesurer l'importance des religions et des superstitions dans les affaires politiques. Cette interpénétration fait comprendre le bouleversement créé par les édits de Constantin le Grand en faveur des chrétiens. Car ceux-ci ont disposé non seulement de la liberté de culte mais aussi de diverses juridictions qui ont été très probablement soustraites à des élites païennes. Les évêques à qui ces charges ont été confiées ont acquis une importance temporelle. Afin de ne pas rendre ce pouvoir héréditaire, ils ont eu interdiction de se marier et, s'ils étaient auparavant mariés. obligation de répudier leur femme.


Dédicaces à Notre-Dame de l'Assomption et Vierges romanes

Il s'agit là d'une des découvertes les plus surprenantes de notre recherche. Nous avions remarqué, mais sans y attacher une grande importance, qu'un grand nombre de cathédrales étaient dédiées à la Vierge Marie. Mais lors de l'étude des églises de Corse, puis du Piémont et des Pouilles, nous avons constaté que la dévotion était principalement adressée à Notre-Dame de l'Assomption. Cela concernait non seulement des cathédrales actuelles, mais aussi des églises plus anciennes appartenant à des groupes cathédraux, probablement d'anciennes cathédrales. Nous avons alors échafaudé l'hypothèse suivante : aux débuts du christianisme officialisé, les communautés chrétiennes, d'effectifs assez réduits, étaient dirigées par des évêques (episcopi). L'église où se trouvait le siégé (cathèdre) de l'évêque a été appelée cathédrale (à remarquer l'importance donnée au siège, une importance que l'on peut constater encore à l'heure actuelle dans les affaires judiciaires : les juges sont des
« magistrats du siège ». Durant le premier millénaire, les sièges des évêques, qui réglaient les problèmes de justice, trônaient au fond des absides). Mais quelle était la légitimité des évêques sur le plan religieux ? Ils se disaient successeurs des apôtres envoyés à évangéliser tout les peuples par la Vierge Marie au moment de son Assomption.

Plus tard, ces communautés relativement petites se seraient agrégées ou auraient été absorbées par des communautés plus grandes. Plus tard encore, il y aurait eu nécessité d'une plus grande centralisation autour de l'évêque de Rome, le pape. Mais de nombreuses églises ont gardé la dédicace à Notre-Dame de l'Assomption.

Par ailleurs, l'étude assez approfondie que nous avons faite nous a fait découvrir une anomalie que nous n'avions pas observée auparavant. Cette anomalie concerne les vierges romanes... mais pas les vierges gothiques. Ces dernières entrent dans le cadre d'une normalité. Ce sont des Vierges à l'Enfant qui présentent toutes les caractéristiques d'une mère portant son enfant dans ses bras. Parfois même elles sont présentées en train d'allaiter. Pour les vierges romanes, c'est un tout autre tableau : la Vierge Marie est assise sur un trône, face au spectateur. Elle porte son Enfant, le plus souvent assis sur ses genoux et parfois debout. Lui aussi tourne son regard, face au spectateur. Les deux peuvent porter une couronne. Il faut surtout remarquer que, si le personnage porté par la Vierge a la taille d'un petit enfant, ses traits sont ceux d'un grand enfant, voire d'un adolescent ou d'un adulte. Nous envisageons ceci : ces vierges romanes ne sont pas des Vierges de la Nativité mais des Vierges de l'Assomption. Ce n'est pas l'Enfant Jésus qu'elles nous présentent – si c'était le cas, ce serait probablement contraire au dogme : Jésus, qui est Dieu, n'a pas besoin d'être présenté. Il est au-dessus de tout, y compris de la Vierge Marie – . Ces vierges romanes assises sur un trône (la cathèdre épiscopale ?) présentent, selon nous, leurs successeurs au siège du lieu. Bien sûr, ce type de symbolique ne concernerait que les plus anciennes vierges romanes, car au cours des siècles, la symbolique se serait éteinte et les Vierges de l'Assomption présentant un évêque seraient devenues des Vierges à l'Enfant avec parfois des variantes comme les Vierges de l'Adoration des Mages.